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Date : 20071121

Dossier : T‑1435‑05

Référence : 2007 CF 1223

Ottawa (Ontario), le 21 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

DAVID M. WREGGITT

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision du président d’un comité d’appel de la Commission de la fonction publique en date du 2 juin 2005, qui a confirmé la conclusion d’un jury de sélection selon laquelle le demandeur n’était pas admissible à une nomination à un poste de supervision au Service correctionnel du Canada (le SCC). La décision du président faisait suite à l’appel formé par le demandeur contre une réévaluation ordonnée par la Commission en 2003 après que le demandeur eut obtenu gain de cause dans un appel formé contre la décision initiale du jury de sélection. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que la décision du président est raisonnable et qu’elle ne devrait pas être modifiée par la Cour.

 

CONTEXTE

 

[2]               Le demandeur s’est représenté lui‑même jusque peu avant l’audition de la présente demande. Le dossier qu’il a produit dans la présente instance était concis, mais il manquait de profondeur. Le résumé suivant de l’historique de la procédure, qui  a été rédigé grâce à l’aide précieuse apportée par les avocats au cours de l’audience, rend compte des faits.

 

[3]               Le demandeur était agent correctionnel à l’établissement de Joyceville, un établissement à sécurité moyenne situé à Kingston (Ontario). De 1996 à 2001, il s’occupait d’un programme de réadaptation des délinquants toxicomanes ou alcooliques, un programme d’abord appelé Riverhill, puis Unité du soutien intensif (USI). Durant l’été de 1998, le demandeur s’est présenté à une réception organisée au domicile du député fédéral de Kingston et des Îles, M. Peter Milliken, réception au cours de laquelle ils évoquèrent tous deux brièvement le programme Riverhill. Lorsque le demandeur signala plus tard ce fait à la directrice de l’établissement de Joyceville, qui était alors Donna Morrin, celle‑ci lui a dit que, en tant que fonctionnaire, il avait agi d’une manière inopportune car le financement du programme était à l’étude. Il était déjà arrivé que le personnel du programme Riverhill exerce des pressions pour obtenir des ressources, mais le demandeur n’avait pas été en cause dans cet incident. Le demandeur n’a pas admis que son comportement avait été inopportun. Je relève que, selon la preuve, ses supérieurs hiérarchiques et les directeurs d’établissement étaient très satisfaits de son travail à l’établissement.

 

[4]               En avril 2001, la CBC a filmé, à l’établissement de Collins Bay, une activité à laquelle le demandeur participait. À cette occasion, il a fait la connaissance de M. Lynn Myers, alors député fédéral et secrétaire parlementaire du solliciteur général du Canada, qui était à l’époque le ministre responsable du SCC. Le lendemain, le demandeur a rencontré à l’improviste l’adjoint de M. Myers, qui visitait, à l’établissement de Joyceville, la rangée de l’USI. L’adjoint a remis au demandeur la carte de visite de M. Myers, où celui‑ci était désigné comme secrétaire parlementaire du solliciteur général.

 

[5]               Le demandeur prétend qu’il ne savait pas à l’époque que le secrétaire parlementaire était également député fédéral. Il a rédigé et remis à l’adjoint une note adressée à M. Myers dans laquelle il parlait de son attachement à la formule de l’USI et faisait remarquer que [traduction] « l’unique source de contrariété est l’attente d’un soutien financier à long terme de la part du SCC ». Il écrivait que cette formule était [traduction] « l’avenir du système correctionnel ». Le demandeur concluait la note en offrant ses services pour faire la promotion de la notion d’USI dans tout le système correctionnel. Il a joint à la note quelques documents décrivant les progrès accomplis par l’unité. Le demandeur n’a pas signalé à ses supérieurs, au sein de l’établissement, la communication qu’il avait établie avec M. Myers. Il a plus tard reçu une réponse du solliciteur général à la note qu’il avait remise.

 

[6]               En 2002, le demandeur a posé sa candidature, à la faveur d’un concours restreint interne, pour figurer sur une liste d’admissibilité en vue d’une promotion au niveau de surveillant correctionnel. Il s’agissait d’un concours d’envergure puisque 97 employés de divers établissements y participaient. Plusieurs furent éliminés, pour diverses raisons, notamment pour manque de connaissances. Le jury de sélection a conclu que le demandeur n’était pas qualifié pour le poste parce qu’il n’avait pas obtenu la note minimale requise pour l’élément « qualités personnelles ». Cette évaluation résultait pour l’essentiel d’une vérification des références faite auprès du sous‑directeur Cecil Vrieswyk, au cours de laquelle le sous‑directeur avait dit que le demandeur s’était écarté des procédures requises. Il n’avait pas suivi la voie hiérarchique au sein de l’établissement, et pour cette raison il s’était fait rappeler à l’ordre verbalement.

 

[7]               Le sous‑directeur Vrieswyk a dit que le demandeur avait, sans obtenir une approbation préalable, écrit à un député fédéral pour promouvoir le programme Riverhill. Le sous‑directeur n’en savait pas plus sur l’identité du député fédéral ou sur la lettre. Le jury de sélection s’est toutefois fondé sur ses propos concernant cet incident ainsi que d’autres, pour conclure finalement que le demandeur n’avait pas les qualités personnelles requises pour le poste. Le demandeur a fait appel de cette décision.

 

[8]               Plusieurs points de fait étaient en litige, mais l’audition du premier appel s’est surtout attardée sur cette présumée communication avec un député fédéral. Si l’appel a été accueilli, c’est en grande partie parce que le SCC n’avait pu étayer cette allégation, parmi d’autres, du sous‑directeur. Il semble que le comité d’appel a cru que le député fédéral en cause était M. Milliken, eu égard au témoignage produit par le demandeur. Le demandeur a déposé une lettre de M. Milliken où celui‑ci disait n’avoir reçu aucune lettre du demandeur concernant le programme de l’USI. Le demandeur a démenti avoir écrit à M. Milliken sur le sujet. La direction du SCC n’a pu produire une copie de la lettre que, d’après elle, le demandeur avait écrite.

 

[9]               Le comité d’appel a dit qu’il avait de sérieux doutes sur l’impartialité et la transparence de l’évaluation faite par le jury de sélection, ainsi que sur l’exactitude des propos du sous‑directeur Vrieswyk. La Commission a ordonné une réévaluation de la candidature du demandeur, outre les mesures correctives suivantes :

            •           le jury de sélection devait s’assurer que la réévaluation était équitable et transparente;

            •           la réévaluation devait être fondée sur des renseignements exacts et complets;

            •           la réévaluation ne devait pas se fonder sur les observations du sous‑directeur Vrieswyk; et

            •           il fallait obtenir les attestations de deux autres personnes.

 

[10]           Conformément aux instructions reçues, le jury de sélection a fait une nouvelle évaluation des aptitudes du demandeur à figurer sur la liste d’admissibilité. Deux nouvelles attestations ont été obtenues, dont celle de la directrice Donna Morrin. Celle‑ci n’a rempli que deux des quatre sections du formulaire d’attestation, ajoutant qu’il lui était difficile de remplir le reste parce qu’elle n’avait pas eu affaire récemment au demandeur. Dans la section « qualités personnelles », elle écrivait qu’elle avait prié le demandeur de ne pas exercer de [traduction] « pressions inopportunes » sur des personnes extérieures au SCC.

 

[11]           Le demandeur dit que ce n’est que le 14 juillet 2003 qu’il a su que M. Myers était un parlementaire, quand il a appris que le ministère avait en sa possession la note de service qu’il avait écrite à M. Myers en 2001. Il a fait deux jours plus tard une déclaration solennelle où il affirmait qu’il n’avait pas envoyé à M. Myers une lettre sollicitant un soutien pour l’USI ou pour le programme Riverhill, mais qu’il avait remis à l’adjoint une note, adressée à M. Myers, dans laquelle il s’offrait à faciliter la mise sur pied de l’USI. Le demandeur écrivait qu’il pensait que M. Myers était un employé du SCC.

 

[12]           On ne sait pas à quelle date la déclaration solennelle a été remise aux membres du jury de sélection. Le demandeur a témoigné, lors de l’audition ultérieure de l’appel, qu’il avait remis la déclaration en main propre à un directeur du SCC quelques jours après l’avoir signée. Le 27 août 2003, le président du jury de sélection, Pat Laverty, écrivait un courriel où il disait que les membres du jury avaient examiné la note de service. Aucune mention n’était faite de la déclaration solennelle. Les membres du jury de sélection ne pensaient pas à l’époque que la note adressée à M. Myers attestait une absence d’intégrité qui suffisait à exclure le demandeur de la liste d’admissibilité. Le courriel évoquait [traduction] « les propos élogieux d’anciens directeurs qui soutenaient sans réserve le demandeur et son travail », il ne faisait état d’aucun problème de rendement et il précisait qu’il était évident qu’ils (c’est‑à‑dire la directrice Morrin et le sous‑directeur Vrieswyk) [traduction] « étaient très satisfaits de son travail » dans le programme Riverhill. Les inquiétudes de la directrice Morrin à propos de [traduction] « pressions inopportunes » ne suffisaient pas à changer cette opinion. Le courriel contient une allusion inexpliquée aux [traduction] « inquiétudes de Cec », c’est‑à‑dire du sous‑directeur Cecil Vrieswyk.

 

[13]           Le 19 septembre 2003, un haut fonctionnaire du ministère a écrit à la Commission de la fonction publique pour la prier de rouvrir la première décision rendue en appel, au motif que le témoignage produit par le demandeur devant le premier comité d’appel était [traduction] « inexact », et il citait à l’appui la note adressée à M. Myers et la déclaration solennelle du demandeur. Par lettre en date du 2 octobre 2003, la Commission lui a répondu en disant que le comité d’appel était functus officio (dessaisi de sa fonction) et que la réévaluation devait avoir lieu.

 

[14]           Il appert des courriels échangés que le jury de sélection était disposé, jusqu’au 22 octobre 2003, à déclarer le demandeur apte à figurer sur la liste d’admissibilité, compte tenu des vérifications de références et des autres éléments. Il semble qu’une réunion a été convoquée à cette date pour faire le point sur l’[traduction]« évolution » du dossier. Le témoignage produit par M. Laverty devant le deuxième comité d’appel était que les membres du jury avaient revu leur position devant ce qui leur avait semblé une grave contradiction entre le contenu de la note adressée par le demandeur à M. Myers et la déclaration solennelle qu’il avait faite à propos de cette note. Le jury de sélection a donc de nouveau conclu, dans sa décision datée du 18 novembre 2003, que le demandeur n’était pas admissible à une nomination.

 

[15]           L’audition du second appel fut longue, notamment parce que l’appel fut rouvert, à la requête du demandeur, pour la réception et l’examen d’arguments concernant des courriels obtenus par le demandeur à la suite d’une demande présentée par lui en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21. Ces courriels font état d’une discussion du cas du demandeur entre les divers membres du jury de sélection. Quelques‑uns indiquaient la directrice Morrin et le sous‑directeur Vrieswyk comme destinataires, d’autres leur avaient été envoyés comme doubles.

 

[16]           La directrice Morrin a témoigné longuement durant l’audition du second appel. Comme le résume le président du comité d’appel dans ses motifs, Mme Morrin a évoqué plusieurs incidents qui l’avaient conduite à ne pas faire confiance au demandeur et à mettre en doute son intégrité. Plus précisément, elle a dit qu’il lui avait promis qu’il l’informerait au préalable lorsqu’il aurait l’intention de communiquer avec quiconque en dehors du Service à propos de questions internes. Pour la directrice Morrin, il ne s’agissait pas du droit du demandeur de s’adresser à un député fédéral ou à quiconque, mais plutôt de l’obligation du demandeur de l’en informer au préalable. Elle n’avait pas été informée de la communication du demandeur avec M. Myers. Le demandeur affirme qu’il n’a jamais promis de s’abstenir de communiquer avec des personnes extérieures à sa structure hiérarchique.

 

[17]           Le demandeur avait été représenté au départ par son syndicat, mais, aux derniers stades du second appel, il s’est représenté lui‑même. Ses affirmations se chevauchaient et comportaient des redites. Néanmoins, le président Ojalammi, qui dirigeait l’audition du second appel, a étudié minutieusement chacune des affirmations ainsi que les preuves s’y rapportant. Ses motifs couvrent 140 pages.

 

[18]           Le président Ojalammi a rejeté chacun des moyens d’appel invoqués par le demandeur. D’après moi, les moyens dignes d’être pris en considération étaient les suivants :

            1.         le ministère n’a pas suivi les mesures correctrices ordonnées par la Commission de la fonction publique;

            2.         le ministère s’est servi de l’attestation partiale et inopportune fournie par la directrice Morrin;

            3.         il en a résulté que la sélection était contraire au principe du mérite.

 

[19]           Le président Ojalammi a conclu que le jury de sélection avait appliqué les mesures correctrices dictées par la Commission. Selon lui, la preuve n’établissait pas que la directrice Morrin avait fourni une attestation partiale ou inopportune. Le demandeur n’a pas convaincu le président qu’il ne savait pas que M. Myers était un député fédéral. Il ne s’était pas assuré de la nature véritable du rôle de M. Myers avant de s’adresser à lui, et le président Ojalammi était donc persuadé que le jury de sélection avait validement établi que le demandeur n’avait pas les qualités requises au chapitre du respect et de l’intégrité. Le président a estimé aussi que les courriels échangés, qui avaient été divulgués à la suite d’une demande présentée en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, n’établissaient pas que la procédure de réévaluation avait été mise en péril. Globalement, selon sa conclusion, le principe du mérite avait été observé.

 

DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P‑33

10. (1) Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l'administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique.

 

21. (1) Dans le cas d’une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l’appelant et l’administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre.

 

 

 

(3) La Commission peut prendre toute mesure qu’elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité relativement à la procédure de sélection.

 

 

 

(4) Une nomination, effective ou imminente, consécutive à une mesure visée au paragraphe (3) ne peut faire l’objet d’un appel conformément aux paragraphes (1) ou (1.1) qu’au motif que la mesure prise est contraire au principe de la sélection au mérite.

10. (1) Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

 

 

21. (1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

 

(3) Where a board established under subsection (1) or (1.1) determines that there was a defect in the process for the selection of a person for appointment under this Act, the Commission may take such measures as it considers necessary to remedy the defect.

 

(4) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act as a result of measures taken under subsection (3), an appeal may be taken under subsection (1) or (1.1) against that appointment only on the ground that the measures so taken did not result in a selection for appointment according to merit.

 

 

POINTS LITIGIEUX

[20]            

                        1. Le comité d’appel a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a dit que les mesures correctrices avaient été validement appliquées?

                                    a.         La réévaluation a‑t‑elle été équitable et transparente?

                                    b.          La réévaluation était‑elle fondée sur une information exacte et complète?

 

                        2. Le comité d’appel a‑t‑il tiré des conclusions de fait qui étaient manifestement déraisonnables?

 

ANALYSE

 

[21]           Je commencerai par faire l’observation sans doute banale selon laquelle, lorsque des mesures correctrices imposées à un jury de sélection en vue d’une réévaluation ne sont pas suivies, le principe du mérite ne saurait avoir été respecté. Par ailleurs, si la réévaluation n’a pas été équitable et transparente ou n’a pas été fondée sur une information exacte et complète, le comité d’appel n’aurait pas dû laisser subsister la décision du jury de sélection, et le demandeur devrait obtenir une réparation.

 

[22]           S’agissant de la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer, je fais mien le raisonnement suivi par le juge suppléant Barry L. Strayer dans la décision Chopra c. Canada (Procureur général), 2005 CF 252, [2005] A.C.F. n° 307, paragraphe 9. Citant l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, 2003 CSC 20, [2003] 1 R.C.S. 247, il a estimé que la juridiction de contrôle devait, pour savoir si une norme de contrôle plus accommodante que celle de la décision correcte s’impose, prendre en compte la spécialisation du comité d’appel, l’objet de sa loi habilitante et la nature de la question en litige. Le point de savoir si, au vu des faits, il y a eu transgression du principe du mérite doit être considéré comme une question mixte de droit et de fait. Voir aussi la décision Gawlick c. Canada (Procureur général), 2004 CF 656, [2004] A.C.F. n° 795, paragraphe 20. La décision raisonnable est donc la norme de contrôle qui s’applique, et la Cour n’interviendra que si la décision du président n’est pas autorisée par des motifs qui puissent résister à un examen assez poussé : voir l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick, précité, au paragraphe 55.

 

[23]           S’agissant des questions de fait, l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7, dispose que la Cour ne peut intervenir que si elle considère que l’office fédéral « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » : arrêt Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40, [2005] A.C.S. n° 39, paragraphe 38. Cette norme a été assimilée à la décision manifestement déraisonnable : Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Ltd., (1997), 208 N.R. 329, [1997] A.C.F. n° 115, aux paragraphes 6 et 7 (C.A.F.). Une décision manifestement déraisonnable est une décision clairement irrationnelle ou de toute évidence non conforme à la raison. « Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir » : arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick, précité, au paragraphe 52.

 

[24]           Mon rôle ici n’est pas de substituer la position que j’aurais adoptée à la décision du comité d’appel, mais plutôt de voir si cette décision était raisonnable, compte tenu de la preuve, ou si elle était abusive ou arbitraire.

 

            La réévaluation a‑t‑elle été équitable et transparente?

 

[25]           Le comité d’appel a d’abord conclu que le jury de sélection avait fait une réévaluation favorable du demandeur, conforme aux mesures correctrices, mais qu’il avait revu ses conclusions parce qu’il avait de sérieux doutes sur l’intégrité du demandeur après avoir constaté les écarts entre sa déclaration solennelle et la note qu’il avait adressée à M. Myers.

 

[26]           Selon le demandeur, les courriels échangés entre les membres du jury de sélection et d’autres personnes alors que la réévaluation se déroulait entre les mois de juin et octobre 2003 sont la preuve que la réévaluation n’a pas été équitable et transparente. Le comité d’appel a eu l’avantage d’entendre le témoignage du président du jury de sélection, Pat Laverty, sur cette question et sur d’autres. Le président du comité d’appel écrivait ce qui suit, à la page 111 de ses motifs :

[traduction] Le fait qu’il y ait eu communication entre plusieurs des gestionnaires ministériels, qui comprenaient Mme Morrin et M. Vrieswyk, après que le premier appel fut accueilli, ne semble pas malencontreux. Le concours en cause visait à pourvoir des postes à divers endroits, pas seulement à l’établissement de Joyceville. Des communications entre les gestionnaires dans le domaine seraient donc parfaitement normales. Évidemment, M. Vrieswyk avait des doutes qui s’expliquaient par le rôle qu’il avait joué dans l’audition du premier appel. Cependant, cela ne suffit pas à l’éliminer de toute communication portant sur le concours.

 

[27]           Je relève que, de par les mesures correctrices, le jury devait s’abstenir de tenir compte des observations du sous‑directeur Vrieswyk. Selon moi, cette directive portait sur les observations qu’il avait faites dans l’attestation considérée lors de l’évaluation initiale. M. Laverty a témoigné que, lorsque le jury de sélection a procédé à la réévaluation de la manière que précisaient les mesures correctrices, le jury n’a pas tenu compte de l’évaluation antérieure. Il a plutôt obtenu les nouveaux renseignements qu’on lui avait dit d’obtenir, il les a évalués, puis il a attribué des points. S’agissant de courriels échangés entre d’autres personnes, mais dont copie lui avait été envoyée, M. Vrieswyk a exprimé l’avis qu’ils lui avaient été envoyés pour information uniquement. Il avait refusé de participer à une réunion parce qu’il avait pensé que sa présence risquerait d’influer sur la réévaluation.

 

[28]           Il semble que le jury de sélection était disposé, ainsi que l’atteste le courriel de M. Laverty en date du 27 août 2003, à confirmer son évaluation selon laquelle le demandeur était qualifié, alors même que le jury savait que le demandeur avait adressé la note de service à M. Myers, et en dépit des inquiétudes de la directrice Morrin et du sous‑directeur Vrieswyk à propos des pressions inopportunes exercées par le demandeur.

 

[29]           Les courriels échangés traduisent en effet un certain niveau d’inquiétude de la part du ministère à propos de la procédure du jury de sélection, mais ils ne me semblent pas attester clairement des [traduction] « tractations d’arrière‑boutique » au point que l’on puisse dire que des gestionnaires ministériels, dont le sous‑directeur Vrieswyk, ont influé d’une manière inopportune sur la réévaluation. Un courriel du sous‑directeur Vrieswyk, portant la date du 25 août 2003, mentionne que le demandeur est [traduction] « reçu », en dépit de la divulgation de la lettre de 2001 adressée à Lynn Myers. Le jury de sélection est demeuré bien disposé jusqu’au 22 octobre 2003 envers le demandeur dans sa réévaluation. C’est à cette date, semble‑t‑il, qu’il en est venu à considérer l’incidence de la déclaration solennelle du demandeur.

 

[30]           Le président du comité d’appel était persuadé que M. Laverty et les autres membres du jury de sélection étaient résolus, dans l’accomplissement de leurs tâches, à agir d’une manière indépendante. Ce n’est qu’après avoir pris connaissance de tous les renseignements nécessaires, y compris la déclaration solennelle, qu’ils ont clos leur réévaluation. Les motifs exposés par le président pour justifier cette conclusion résistent à un examen assez poussé et, compte tenu de la preuve qu’il avait devant lui, il n’était pas déraisonnable pour le président d’arriver à cette conclusion.

 

            La réévaluation était‑elle fondée sur une information exacte et complète?

 

[31]           Selon le demandeur, le comité d’appel a commis une erreur en confirmant que le jury de sélection pouvait s’en rapporter à l’attestation de la directrice Donna Morrin. La directrice Morrin n’avait rempli que certaines parties du formulaire d’attestation, et cela signifiait, compte tenu du temps qui s’était écoulé depuis qu’elle avait été à l’établissement de Joyceville, que son attestation était incomplète et inexacte. Le jury de sélection ne s’était donc pas conformé aux mesures correctrices fixées par le premier comité d’appel.

 

[32]           Le président a estimé que, compte tenu des circonstances, il n’était pas déraisonnable pour la directrice Morrin d’avoir fourni une attestation. Le concours portait sur une promotion à un poste de supervision au sein du Service correctionnel. Dans son processus d’évaluation pour chacun des candidats, le jury demandait l’opinion d’une personne qui était soit un directeur d’établissement, soit un sous‑directeur d’établissement. Le réservoir de ces personnes était restreint. Selon le témoignage de M. Laverty, si le jury n’avait pas recouru à Mme Morrin, il n’y aurait pas eu d’autres directeurs ou sous‑directeurs qui eussent été en mesure de fournir une attestation à propos du demandeur.

 

[33]           La directrice Morrin avait été directrice de l’établissement de Joyceville de 1996 à 2002, et elle avait travaillé avec le demandeur durant cette période. Par conséquent, elle avait certainement une connaissance relativement récente des qualités personnelles du candidat. Il n’était donc pas déraisonnable pour le président du comité d’appel de dire que le jury de sélection était fondé à considérer son attestation.

 

[34]           Le président a estimé que la preuve produite durant l’audition de l’appel n’avait pas montré que Mme Morrin avait des préventions contre le demandeur. Tout au plus avait‑elle exprimé une certaine contrariété pour avoir dû composer avec les conséquences de certains échanges entre le demandeur et des personnes extérieures à son établissement. La crédibilité de la directrice Morrin a été mise en doute quant à son témoignage selon lequel le demandeur s’était engagé à ne pas entretenir de telles relations sans l’en informer au préalable, un engagement que le demandeur avait démenti. Le président a conclu qu’il ne lui appartenait pas de résoudre ce conflit. Cependant, il semble avoir perdu de vue cette conclusion puisqu’il évoque plus loin dans ses motifs l’[traduction]« engagement » du demandeur. Ce n’est pas là, à mon avis, une erreur fatale car elle n’a nullement influé sur les points essentiels à décider.

 

[35]           Quoi qu’il en soit, le président a conclu que la question de l’attestation de la directrice Morrin était devenue théorique car la conclusion du jury de sélection selon laquelle le demandeur était inapte à occuper le poste était fondée sur un autre élément, à savoir l’écart qu’il avait constaté entre la note adressée à M. Myers et la déclaration solennelle du demandeur. L’attestation de Mme Morrin n’était donc pas une cause directe de la décision du jury de sélection de ne pas inclure le demandeur dans le concours. En fait, si le jury de sélection avait fondé sa décision sur l’ensemble de la preuve, sauf la déclaration solennelle, mais y compris l’attestation de Mme Morrin, le demandeur aurait obtenu une note suffisante qui l’aurait qualifié pour le poste.

 

[36]           Je suis d’avis que le président Ojalammi avait devant lui une preuve qui l’autorisait à dire que la réévaluation reposait sur une information complète et exacte.

 

Le comité d’appel a‑t‑il tiré des conclusions de fait manifestement déraisonnables?

 

[37]           Selon le demandeur, le comité d’appel a commis une erreur parce qu’il a accepté les conclusions de fait manifestement déraisonnables tirées par le jury de sélection sous deux aspects : a) le demandeur savait que M. Myers était un parlementaire et b) en communiquant avec M. Myers, le demandeur voulait exercer des pressions sur lui. Le demandeur fait valoir que le comité d’appel a commis une erreur en confirmant la conclusion du jury de sélection fondée sur ces conclusions de fait, selon laquelle il y avait de graves divergences entre sa déclaration solennelle et sa note adressée à M. Myers.

 

[38]           Le défendeur rétorque que la question de savoir si le demandeur connaissait la fonction de M. Myers était sans rapport avec la décision du jury de sélection, et que le comité d’appel a eu raison de ne pas infirmer la décision du jury de sélection. Le comité d’appel n’a pas agi d’une manière manifestement déraisonnable en confirmant la conclusion du jury de sélection selon laquelle les écarts entre la déclaration solennelle du demandeur et sa note de service adressée à M. Myers autorisaient le jury à dire que le demandeur n’était pas personnellement apte à occuper un poste de supervision.

 

[39]           Comme je l’ai dit précédemment, la preuve autorisait le comité d’appel à conclure que le jury de sélection était disposé à ajouter le demandeur sur la liste d’admissibilité en vue d’une promotion, et cela jusqu’à ce que le jury soit en possession de sa déclaration solennelle et la confronte avec la note de service. Il s’ensuit donc que l’examen de faits antérieurs à la confrontation de la déclaration solennelle et de la note de service du demandeur adressée à M. Myers n’est qu’un faux problème.

 

[40]           Le demandeur a choisi de rédiger et présenter la déclaration solennelle niant qu’il savait que M. Myers était un parlementaire et niant que, par sa note de service adressée à celui‑ci, il recherchait un soutien pour le programme USI. Cela pourra sembler surprenant, mais il n’est pas inconcevable qu’un employé d’un ministère fédéral ne sache pas que le secrétaire parlementaire du ministre responsable de son ministère est également un député fédéral. On peut imaginer que la carte de visite présentée au demandeur par l’adjoint de M. Myers contenait les mots « député fédéral » après le nom de M. Myers, mais il est plausible que ces mots aient échappé au demandeur.

 

[41]           Il est plausible aussi que le demandeur n’ait pas voulu tromper le premier comité d’appel lorsqu’il a témoigné à propos de M. Milliken, établissant ainsi une communication avec ce député en tant qu’homme de paille, communication qu’il pouvait sans peine réfuter. Mais tout cela n’était qu’histoire ancienne, pour employer une formule imagée, jusqu’à ce que le demandeur produise sa déclaration solennelle. Il est regrettable que l’intégrité du demandeur ait été mise en doute par la même occasion. Mais il s’est mis lui‑même dans cette situation.

 

[42]           Le demandeur ne savait peut‑être pas que M. Myers était un parlementaire. Mais il est évident qu’il savait que M. Myers occupait une charge importante en tant que secrétaire parlementaire du ministre. En présentant sa note de service à l’adjoint de M. Myers, le demandeur voulait tirer parti de leurs brefs échanges. Dans sa déclaration solennelle, le demandeur disait qu’il n’avait pas écrit à M. Myers pour plaider en faveur de l’USI ou du programme Riverhill, mais cela était de toute évidence faux, comme l’ont constaté le jury de sélection et le président du comité d’appel. Le président écrit d’ailleurs dans ses motifs que le demandeur l’a reconnu dans son témoignage durant l’audition de l’appel. Il apparaît clairement, à la lecture de la note de service, que le demandeur voulait à la fois défendre le programme et son propre intérêt. La conclusion selon laquelle il y avait une grave contradiction entre les deux documents peut donc être aisément confirmée.

 

DISPOSITIF

 

[43]           Le président a soigneusement passé en revue la preuve et l’a appliquée à chacun des points soulevés par le demandeur. Ce faisant, il n’a commis aucune erreur qui autoriserait la Cour à infirmer sa décision et à la renvoyer au comité pour réexamen. Je suis d’avis que le comité d’appel n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que les mesures correctrices avaient été validement appliquées et que la réévaluation avait été équitable, transparente et fondée sur une information exacte et complète. Le comité d’appel n’a pas tiré de conclusions de fait manifestement déraisonnables. Au vu de la preuve qu’il avait devant lui, je suis d’avis que la décision du comité d’appel, considérée globalement, était raisonnable. La demande de contrôle judiciaire de M. Wreggitt est donc rejetée.

 

[44]           Le défendeur n’a pas sollicité de dépens dans ses observations écrites, mais il les a demandés au cours de l’audience. Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’ai décidé de ne pas adjuger de dépens.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’est pas adjugé de dépens.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 

 


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                             T‑1435‑05

 

INTITULÉ :                                                            DAVID M. WREGGITT

 

                                                                                 ET

 

                                                                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                      OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                    LE 5 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                           LE 21 NOVEMBRE 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Christopher J. Edwards                                             POUR LE DEMANDEUR

 

Jennifer Francis                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

CHRISTOPHER J. EDWARDS                               POUR LE DEMANDEUR

Templeman Menninga LLP

Kingston (Ontario)

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

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