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Date : 20071120

Dossier : IMM-1630-07

Référence : 2007 CF 1215

Ottawa (Ontario), le 20 novembre 2007

En présence de monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

SAIRA GHAFFAR

partie demanderesse

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

partie défenderesse

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

I.   Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) rendue le 29 mars 2007. Dans cette décision, la CISR a conclu que la demanderesse n’avait pas la qualité de « réfugiée » au sens de la Convention ou de « personne à protéger » conformément à l’article 97 de Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

II.   Contexte factuel

[2]               La demanderesse est née le 12 décembre 1962 à Madi Bahauddin, province du Punjab au Pakistan, et détient la citoyenneté de ce pays. Elle est mariée à monsieur Abdul Ghaffar depuis le 10 mai 1990 et a trois enfants, dont deux fils et une fille.

 

[3]               La demanderesse soutient qu’elle est tombée amoureuse d’un dénommé Arshad et qu’ils étaient amants. Le 20 décembre 2004, les beaux-parents de la demanderesse, accompagnés d’un Imam (monsieur Allah Rakha) ont vu Arshad quitter la maison de la demanderesse. Ils ont frappé et menacé la demanderesse de mort si elle ne modifiait pas son comportement. Bien qu’elle soit allée voir la police, ils ont refusé d’enregistrer la plainte.

 

[4]               Le 10 janvier 2005, alors que la demanderesse et Arshad étaient ensemble chez elle, ses beaux-parents et l’Imam sont entrés en fracassant la porte. Arshad s’est sauvé par la porte arrière alors que la demanderesse fut battue, accusée d’adultère, et menacée de mort. Elle a réussi à se sauver et a trouvé refuge chez une amie.

 

[5]               Le 12 janvier 2005, elle dit avoir appris que l’Imam aurait annoncé à la mosquée qu’elle et Arshad avaient commis l’adultère et qu’ils méritaient de se faire lapider.

 

[6]               Le 15 janvier, selon la demanderesse, des accusations d’adultère ont été déposées contre elle par les autorités policières.

 

[7]               Avec l’aide de son frère et un agent de voyage, la demanderesse quitte le Pakistan et arrive au Canada le 11 février 2005. Le 16 février 2005, la demanderesse présente une demande pour protection en tant que réfugiée au motif qu’elle craignait être tuée par sa belle-famille.

 

[8]               La demanderesse est allée vivre avec sa sœur, Qaisar, qui habite à Montréal. Qaisar est mariée à monsieur Tariq Harif et ils ont une fille, Tahmina. Sa sœur et nièce détiennent la citoyenneté canadienne.

 

[9]               Le 13 juillet, 2005, le Ministre de la sécurité publique avisa la CISR qu’il désirait intervenir à la lumière des documents suivants :

1)         Une saisie postale concernant la demanderesse datée du 3 mai 2005;

2)         Une lettre de dénonciation, non datée, concernant la demanderesse envoyée par Qaisar Harif;

3)         Une lettre de dénonciation, non datée, concernant la demanderesse envoyée par Tahmina Harif.

 

[10]           Le 23 décembre 2005, l’avocat pour la demanderesse a communiqué avec la CISR l’informant qu’il avait reçu une lettre non-sollicitée d’un médecin pakistanais, écrit à la main en date du 14 décembre 2005. La lettre en question affirmait que la demanderesse souffrait de dépression majeure et était suivie par un médecin. De plus, la lettre affirmait que la demanderesse avait « perdu contact avec la réalité » et suggérait qu’on lui nomme un représentant afin de l’assister. En raison de cette preuve, la CISR nomma monsieur Robert Naylor comme représentant.

 

[11]           Le 17 août 2006, l’avocat de la demanderesse demande à la CISR d’assigner les auteures des lettres de dénonciation comme témoins, soit Tahmina et Quaisar Harif, afin d’expliquer les lettres.

 

[12]           L’audience devant le CISR est cédulée pour le 21 juin 2006. Toutefois, les assignations requises n’avaient pas été effectués aux deux témoins. L’audience est ajournée et des instructions sont émises à ce que les assignations en question soient effectuées.

 

[13]           Or, le commissaire a pris sa retraite et l’affaire est revenue de novo devant un nouveau commissaire le 21 janvier 2007. À cette date, les assignations n’avaient toujours pas eu lieu. La CISR décide d’entendre la cause à cette même date avec l’entente que l’audition serait ajournée afin de permettre l’émission des assignations. Toutefois, le 8 février 2007, on informe la CISR que les individus faisant l’objet des assignations n’habitaient plus à l’adresse qui se trouvait au dossier. Ainsi, la CISR décide de rendre une décision à la lumière de la preuve écrite et orale présentée.

 

III.   Décision contestée

A.        Preuve

[14]           Il est utile de faire un survol de certains éléments de preuve devant la CISR, soit les lettres de Tahmina et Qaisar Harif ainsi que les lettres vierges envoyées par Abdul Ghaffar.

 

 

(1)        Lettre de Tahmina Harif

[15]           La nièce de la demanderesse a envoyé une lettre (sans date) affirmant que la demande pour le statut de réfugié était frauduleuse. Les allégations contenues dans cette lettre se résument ainsi :

1)         La demanderesse n’a pas commis l’adultère et est heureuse dans son mariage avec Abdul Ghaffar;

 

2)         La demanderesse et Abdul Ghaffar ont essayé de venir au Canada dans le passé mais sans succès;

 

3)         La demanderesse allègue faussement avoir trois enfants; soit Talha, Aisha et Ammar;

 

4)         En octobre 2002, Abdul Ghaffar a, par l’entremise du cabinet Brownstein and Brownstein, tenté d’immigrer au Canada en tant que professionnel. Seulement le nom de Talha figurait sur la demande. Sa demande fut refusée;

 

5)         La demanderesse a fabriqué l’histoire d’adultère;

 

6)           Son amant Arshad n’existe pas;

 

7)         Le fils de la demanderesse (Talha) habite présentement avec sa mère et frères;

 

8)         La demanderesse a soudoyé les gens de son village afin d’assurer la « véracité » de son histoire;

 

9)         La demanderesse a un seul fils. Les noms d’Aisha et Ammar, les enfants de son frère, furent ajoutés afin qu’elle puisse bénéficier d’une allocation familiale plus généreuse;

 

10)       La demanderesse a eu une hystérectomie en 1994 et par conséquent, aurait été incapable de donner naissance à Ammar en 1997;

 

11)       Elle a falsifié les certificats de naissance pour Ammar et Aisha;

 

12)       La demanderesse envisage pleurer lors de l’audition afin d’obtenir la sympathie de la  CISR;

 

13)       La demanderesse reçoit une allocation dont elle garde 300 $ et envoie le reste au Pakistan à son mari et fils.

 

 

(2)        Lettre de Qaisar Harif et les lettres vierges

 

[16]           La lettre rédigée par Qaisar Harif est également sans date et fut envoyée à l’Agence des services frontaliers du Canada. La lettre était accompagnée des documents suivants :

1)         une enveloppe envoyée par Abdul Ghaffar et adressée à Qaisar Harif;

2)         une lettre vierge avec l’en-tête « Babu Muhammad Yamin of the Advocate High Court, Dist. Courts Mandi, Bahaudinn, Legal Advisor » avec le sceau de l’avocat;

3)         une lettre vierge avec l’en-tête du docteur Muhammad Iftikar avec le sceau du médecin.

 

Dans sa lettre, Qaisar explique qu’elle ne sait pas pourquoi elle a reçu ces documents. De plus, elle ne veut pas être associée à la demande pour statut de réfugié de sa sœur (la demanderesse).

 

B.         Crédibilité

[17]           La CISR arrive à une conclusion négative concernant la crédibilité de la demanderesse. D’abord, elle se demande pourquoi une femme, accusée d’adultère, dont le mari est furieux et veut sa mort, tente de l’aider dans sa démarche quant à l’obtention du statut de réfugié en lui envoyant des lettres vierges d’un médecin et d’un avocat? De plus, si elle a quitté le Pakistan en cachette, comment se fait-il que son mari est au courant qu’elle a quitté le pays, qu’elle se trouve au Canada, connaît son adresse postale et son numéro de téléphone?

 

[18]           La CISR répond à ces questions en affirmant que le mari a envoyé les documents afin d’assister la demanderesse dans ses démarches pour être reconnue comme réfugiée et rejette l’explication peu plausible du médecin qui affirme :

I hereby confirm that I never gave any letterhead with my seal to anyone in the past. A theft occurred in my office during March 2005, in which some of my letter pads were also lost. Maybe my letterhead with my stamp mailed to Saira Ghaffar is part of these stolen pads. (Je souligne.)

 

 

[19]           La CISR juge que :

1)         Le mari de la demanderesse sait qu’elle habite à Montréal;

2)         Son mari lui a envoyé des lettres vierges pour l’assister dans sa démarche pour être reconnue réfugiée;

3)         La demanderesse n’a pas commis l’adultère;

4)         La lettre de l’avocat affirmant qu’un mandat d’arrestation contre la demanderesse pour adultère est une fabrication;

5)         Le rapport du médecin est aussi une fabrication; et

6)         L’affidavit de Khalid Mahmood (à l’appui de la demande) est une fabrication.

 

[20]           La CISR a aussi noté certaines contradictions dans le témoignage de la demanderesse concernant ses enfants.

 

 

 

 

IV.   Questions en litige

[21]           1)         Est-ce que le Tribunal a contrevenu aux principes d’équité procédurale et aux principes de justice naturelle en tenant compte des deux dénonciations rédigées par la sœur et la nièce de la demanderesse?

2)         Est-ce que le tribunal a erré dans son appréciation de la preuve et ses conclusions portant sur la crédibilité de la demanderesse?

 

V.   Norme de contrôle

[22]           La norme de contrôle appropriée applicable à une décision sur la crédibilité et la pertinence de la preuve est celle de la décision manifestement déraisonnable (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 SCC 40, [2005] S.C.J. no 39, para. 38; Aguebor c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315, para. 4).

 

[23]           Une violation des principes d’équité procédurale non inconséquente et des principes de justice naturelle méritent en soi l’intervention de la Cour.

 

VI.   Analyse

[24]           La demanderesse soutient que le Tribunal n’aurait pas dû utiliser comme motif au soutien du refus les dénonciations envoyées au CIC contre la demanderesse puisque les témoins ne se sont pas présentés malgré les efforts déployés par la CISR pour assurer leur présence par émission de subpoenas.

 

[25]           Concernant les lettres, la demanderesse affirme que les allégations dans les lettres écrites par sa sœur et sa nièce sont fausses et exagérées. Elle raconte que c’est une famille très religieuse et qui veut qu’elle retourne au Pakistan pour « faire face à son destin pour avoir triché son mari » et « pour payer pour son péché. » Elle note que la lettre de la nièce contient « beaucoup de haine et un air de vengeance » et qu’elle « est attaquée dans tous les aspects de sa vie, au Canada et au Pakistan. » Ainsi, la demanderesse croit « que les membres de la famille de sa sœur ont fait venir ces fausses lettres dans le but de la discréditer et qu’ils lui ont dit clairement dès le début qu’elle devait retourner au Pakistan. »

 

[26]           La demanderesse souligne que les lettres ne sont pas assermentées, qu’elles ne portent pas de date et qu’on ignore les motivations des dénonciateurs. Elle maintient que les lettres en question n’ont aucune valeur probante tant et aussi longtemps que les auteures ne comparaissent pas afin de répondre aux questions du procureur de la demanderesse, et ce, sous serment. Sans donner l’occasion à la demanderesse de tester cette preuve, la demanderesse maintient que l’audience n’était pas juste et équitable et que la CISR a commis une erreur révisable en considérant lesdites lettres et en leur accordant une certaine valeur probante.

 

[27]           Je ne peux retenir les prétentions de la demanderesse. Une lecture attentive de la décision de la CISR démontre que les lettres de dénonciation n’étaient pas déterminantes et qu’au contraire, ce sont les lettres vierges provenant d’un avocat et d’un médecin pakistanais qui ont miné la crédibilité de la demanderesse. La CISR s’exprime comme suit à la page 15 de sa décision :

This I find, is the major reason why the claimant’s overall evidence lacks credibility and casts serious doubt on all of her evidence throughout this hearing. There are other matters which cast doubt on her credibility as well. When I questioned her whether her children were living with her mother or any of her brothers in Multan as alleged in Tahmina’s letter, she replied: --“No, they are not”. Then she stated under oath – they all live together with my brother’s friend”. However, she contradicts her evidence in her PIF narrative wherein she states – “My brother has made arrangements for my children to be hidden in Multant or in any other city.” (Emphase du défendeur.)

 

 

[28]           Je suis en accord avec la prétention du défendeur à l’effet que la décision négative de la CISR est fondée sur des éléments de preuve autre que les lettres de dénonciation. Les lettres vierges d’un médecin et d’un avocat, supposément envoyées par Abdul Ghaffar à la dernière adresse connue de la demanderesse, est un facteur important dans le présent dossier. Lorsqu’elle fut questionnée sur ce point, la demanderesse a indiqué que les documents étaient adressés à sa sœur et que la question devrait lui être posée. Or, je note que dans ses prétentions, la demanderesse soutient qu’il existe un mandat d’arrestation au Pakistan contre elle pour adultère. Elle affirme aussi qu’elle souffre de dépression majeure tel que rapporte la lettre du médecin pakistanais en date du 14 décembre 2005. Ces deux éléments constituent des éléments importants de sa demande pour le statut de réfugiée. Je suis d’avis qu’il n’était pas déraisonnable pour la CISR de conclure que l’envoi des lettres vierges scellées d’un médecin et d’un avocat ne pouvait servir à autre chose qu’assister la demanderesse à renforcer ses prétentions frauduleuses. Dans sa décision, la CISR a aussi déterminé que la crédibilité de la demanderesse était minée davantage par certaines contradictions dans son témoignage.

 

[29]           Nonobstant le fait que la CISR ne s’est pas basée sur les dénonciations de la part de la sœur et de la nièce de la demanderesse pour rejeter la demande, elle aurait été justifié de considérer la force probante de ces différents éléments de preuve en raison de sa discrétion. Il faut être conscient que le tribunal n’est pas lié par des règles de preuve formalistes et est maître de sa procédure (l’article 170g) de la LIPR). Une preuve extrinsèque peut être acceptée à condition qu’on donne au demandeur l’opportunité de fournir des explications; ce qui fut le cas dans le présent dossier lors de l’audition, en ce qui a trait aux lettres de dénonciations (Edobor v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) 2007 FC 883).

 

VII.  Conclusion

[30]           Je suis d’avis que la CISR n’a pas enfreint les principes de justice naturelle en considérant les lettres de dénonciation. La CISR n’a pas non plus erré dans son appréciation de la preuve ou dans ses déterminations de crédibilité. Il n’y a pas lieu d’intervenir dans la décision de la CISR.

 

[31]           Pour les motifs exposés ci-haut, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse doit être rejetée.

 

[32]           Les parties n’ont pas proposé la certification d’une question grave de portée générale telle qu’envisagée à l’alinéa 74d) de la LIPR. Je suis satisfait qu’une telle question ne soit soulevée en l’espèce. Aucune question ne sera donc certifiée.


 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

1.         la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse soit rejetée.

 

2.         aucune question n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1630-07

 

INTITULÉ :                                       SAIRA GHAFFAR c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 24 octobre 2007

 

MOTIFS ET ORDONNANCE :      le juge Blanchard

 

DATE DES MOTIFS

ET ORDONNANCE :                       le 20 novembre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Evelyne Fiset

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Andrea Shahin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Evenlyne Fiset

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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