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Date : 20071113

Dossier : IMM-5917-06

Référence : 2007 CF 1178

Toronto (Ontario), le 13 novembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

DILYANA TODOROVA GIDIKOVA

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse est une citoyenne adulte bulgare. Elle est titulaire d’une maîtrise en économie d’une université bulgare et elle a présenté une demande de résidence permanente au Canada dans la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés en tant que directrice commerciale et publicitaire ou économiste.

 

[2]               La demanderesse a été informée par lettre datée du 15 juillet 2006 de la Section de l’immigration de l’ambassade du Canada en Roumanie qu’il avait été déterminé qu’elle ne remplissait pas les conditions requises pour pouvoir immigrer au Canada. La lettre en question était signée par un dénommé S.C. Bailey, conseiller en immigration, qui était censé aviser la demanderesse que la décision avait été prise par quelqu’un d’autre, en l’occurrence une certaine S. Auger, qui avait reçu la demanderesse en entrevue le 14 mars 2005. Aucune raison n’a été donnée pour expliquer pourquoi Mme Auger n’avait pas elle-même écrit la lettre ou si la décision avait été prise par elle à un autre moment pour être ensuite consignée par écrit ou, si la décision avait été enregistrée ou non et comment elle avait été communiquée à S.C. Bailey.

 

[3]               Comme la demanderesse a présenté sa demande en 2000, alors que la Loi sur l’immigration était encore en vigueur, elle a été évaluée tant sous le régime du Règlement sur l’immigration de 1978 que sous celui du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (2002) (le Règlement IPR).  Sa demande a été refusée en vertu des deux Règlements. S’agissant du Règlement de 1978, elle ne satisfaisait pas à la condition exigeant qu’elle ait accumulé au moins un an d’expérience, car l’agente n’était pas convaincue que l’expérience qu’elle avait acquise dans son emploi antérieur satisfaisait aux critères de la Classification nationale des professions (CNP). Pour ce qui est du Règlement IPR, il lui manquait quatre points pour remplir les conditions minimales requises.

 

 

[4]               Une ordonnance de notre Cour a permis à la demanderesse d’être représentée par son oncle, qui réside au Canada. Le mémoire de la demande n’est pas aussi clair ou concis qu’il pourrait l’être, mais il semble que les deux questions suivantes soient soulevées dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire :

1. En appliquant le Règlement de 1978, l’agente a‑t‑elle commis une erreur en concluant que l’expérience de la demanderesse était insuffisante?

 

2. En appliquant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (2002), l’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse ne remplissait pas les critères qui lui auraient permis d’obtenir la résidence permanente, notamment dans la catégorie linguistique et dans celle des études?

 

 

[5]               La première question n’exige pas un examen poussé de la part de notre Cour, étant donné que la décision prise sous le régime du Règlement de 1978 n’est pas sérieusement contestée.

 

[6]               Aux termes du Règlement de 1978, les personnes qui présentent une demande dans la catégorie des travailleurs qualifiés doivent obtenir au moins un point pour la « demande professionnelle » (paragraphe 11(1)), et un point pour l’« expérience », à moins qu’elles n’aient un emploi réservé au Canada, ce que la demanderesse n’avait pas. Dans ses notes d’entrevue, l’agente S. Auger explique que les directeurs commerciaux et publicitaires ne sont pas en demande. La demanderesse obtenait donc automatiquement 0 point et ne pouvait être admise sur le fondement de cette profession. L’agente a également conclu que la demanderesse n’avait aucune expérience comme économiste, une conclusion qui ne semble pas être contestée. La demanderesse n’a par conséquent obtenu aucun point pour son expérience comme économiste, et elle n’a pas obtenu le nombre minimal de points nécessaires, ce qui a entraîné le rejet de sa demande.

 

 

[7]               Quant à la seconde question, il semble que la demanderesse ait obtenu une note de zéro pour ses connaissances linguistiques en anglais. La demanderesse admet qu’elle n’a aucune connaissance du français. La demanderesse soutient qu’elle aurait dû recueillir au moins six points, ou même huit points sur un maximum de 24 pour ses aptitudes linguistiques en anglais. Si elle avait obtenu six points, elle aurait recueilli le nombre minimal de points requis pour remplir les conditions nécessaires pour pouvoir immigrer au Canada en vertu du Règlement IPR (2002).

 

NORME DE CONTRÔLE

[8]               Bien que l’évaluation d’une demande de résidence permanente dans la catégorie fédérale des travailleurs qualifiés est une décision discrétionnaire susceptible de révision selon la norme de la décision manifestement déraisonnable (Kniazeva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2006), 288 F.T.R. 282, au paragraphe 15), la conclusion tirée par un agent des visas au sujet des aptitudes linguistiques est susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable simpliciter (Al-Kassous c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 541, au paragraphe 12).

 

Règlement IPR (2002)

[9]               Le paragraphe 79(1) du Règlement IPR (2002) exige, pour ce qui est de la compétence linguistique, que le travailleur qualifié indique dans sa demande de visa de résident permanent la langue — français ou anglais — qui doit être considérée comme sa première langue officielle au Canada et :

a) soit fait évaluer ses compétences dans cette langue par une institution ou organisation désignée;

b) soit fournit une autre preuve écrite de sa compétence dans cette langue.

[10]           La demanderesse a vraisemblablement opté pour la seconde solution et a produit les documents suivants :

·        Un diplôme d’études secondaires délivré par le ministère bulgare des Sciences et de l’Éducation attestant qu’elle avait suivi avec succès un certain nombre de cours, dont un cours d’anglais, pour lequel elle avait obtenu la note la plus élevée, soit « excellent – 6 ».

 

·        Un certificat de l’École Pharos des langues et de l’informatique de Bulgarie  attestant que la demanderesse avait suivi avec succès tous les cours du niveau intermédiaire-supérieur en anglais.

 

[11]           La demanderesse a été reçue en entrevue par S. Auger le 14 mars 2005. Dans les notes qu’elle a prises lors de cette entrevue, l’agente écrit ce qui suit au sujet de la facilité d’expression de la demanderesse en anglais dans le contexte de l’ancienne Loi sur l’immigration :

[traduction]

 

Écrit : bien, comme elle l’a déclaré. N’a pas subi de test.

Lit : bien, comme elle l’a déclaré. N’a pas subi de test.

Parle : bien.

6 points.

 

 

[12]           La décision finale qui a vraisemblablement été prise par S. Auger et qui a été communiquée par S. C. Bailey accordait zéro point pour les connaissances linguistiques. La preuve versée au dossier soulève plusieurs problèmes :

·        Pourquoi Mme Auger n’a-t-elle pas communiqué la décision à la demanderesse?  Dans quelles circonstances M. Bailey est-il entré en scène et a-t-il écrit à la demanderesse à la place de Mme Auger?

 

·        Qui a pris la décision finale : Mme Auger ou M. Bailey?

 

·        Pourquoi ne trouve-t-on aucune mention dans les notes versées au STIDI ou ailleurs dans le dossier de l’importance, s’il en est, qui a été accordée au diplôme d’études secondaires ou au certificat de l’école de langues? L’avocat du ministre rappelle que, suivant la Directive OP 6 concernant les travailleurs qualifiés (fédéral), l’agent ne doit tenir aucun compte des résultats de tout test linguistique effectué par un « organisme non agréé ». Sur ce point, la Directive ne s’accorderait pas avec l’alinéa 79(1)b), qui exige de tenir compte de toute autre « preuve écrite ». On ne peut tout simplement ignorer les autres preuves. Il faut en tenir compte. Le dossier ne nous renseigne pas, en l’espèce, sur l’importance, s’il en est, qui a été accordée aux éléments de preuve écrite ou sur les raisons pour lesquelles on les a ignorés, si tel est le cas.

 

[13]      Dans le jugement Bellido c. Canada (MCI), 2005 CF 452, spécialement au paragraphe 11, la juge Snider, de notre Cour, a déclaré que le paragraphe 79(1) du Règlement IPR exige que l’évaluation des compétences linguistiques soit faite sur la base de preuves écrites. L’évaluation faite sur le fondement de ces preuves ne devrait pas simplement justifier de n’accorder aucun point. Les notes du 1er juin 2005 qui ont été consignées au STIDI indiquent que l’agente n’était pas convaincue que les renseignements soumis par la demanderesse étaient suffisants pour satisfaire à l’exigence de l’« autre preuve écrite » prévue à l’alinéa 79(1)b).  La demanderesse s’est vue accorder une autre possibilité de produire des résultats de tests linguistiques et elle a été informée que, si elle n’en soumettait pas, elle ne se verrait accorder aucun point pour ses compétences linguistiques. Elle n’a pas produit de résultats de tests linguistiques.

 

 

[14]      Dans l’affaire Shaker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 185, le juge Beaudry examinait une situation factuelle semblable, dans laquelle l’auteur d’une demande de visa avait soumis des pages écrites de sa main et une preuve de son utilisation de l’anglais au travail. La Cour a jugé, au paragraphe 40, qu’il aurait peut-être été préférable que le demandeur présente les résultats d'un test pour établir son niveau de compétence en anglais, mais que les six pages écrites à la main qu'il avait soumises auraient dû permettre à l'agente de mesurer ses compétences. Le juge Beaudry a poursuivi en concluant que, même si, suivant la preuve, la maîtrise de l’anglais du demandeur n’était pas spectaculaire, rien ne justifiait que ne lui attribue aucun point :

42          Les nombreuses erreurs que présente le manuscrit du demandeur et les mauvaises notes qu'il a obtenues en anglais à l'école ne justifient certes pas qu'on lui alloue tous les points, mais j'estime qu'il était manifestement déraisonnable que l'agente ne lui en attribue aucun. La preuve du demandeur révèle qu'il possède une expérience de travail considérable en anglais et même si sa connaissance de la langue n'est certes pas parfaite, il a néanmoins une certaine compétence en anglais.

 

[15]      Il était déraisonnable de la part de l’agente de faire ce qu’elle a vraisemblablement fait en l’espèce. L’agente était tenue d’évaluer les compétences en se fondant sur les pièces produites par la demanderesse qui, selon ce qu’on pourrait prétendre, auraient pu la conduire à lui attribuer au moins six points.

 

[16]      Il est évident soit que l’agente a mal compris à l’époque les exigences à respecter, soit qu’il y a eu un problème de communication entre l’agente S. Auger et la personne qui a écrit la lettre du 16 juillet 2006, S. C. Bailey. La présente affaire devrait être renvoyée pour être examinée de nouveau par un autre agent que S. Auger ou S. C. Bailey qui devrait être conscient du fait que, même si les documents précis que l’agent aurait aimé recevoir ne sont pas soumis, l’agent a le devoir de procéder à une évaluation en se fondant sur les documents effectivement soumis.

 


 

JUGEMENT

 

POUR LES MOTIFS exposés :

LA COUR :

                        1.         ACCUEILLE la demande;

2.         RENVOIE l’affaire pour qu’elle soit examinée de nouveau par un autre agent que S. Auger ou S.C. Bailey;

3.         DIT qu’aucune question n’est certifiée;

4.         N’ADJUGE aucuns dépens.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-5917-06

 

INTITULÉ :                                                   DILYANA TODOROVA GIDIKOVA

demanderesse

                                                                        et

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 13 NOVEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 13 NOVEMBRE 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Slavtcho Detchev

 

                        POUR LA DEMANDERESSE

Negar Hashemi

 

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dilyana Todorova Gidikova

Stoney Creek (Ontario)

 

                        POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

                        POUR LE DÉFENDEUR

 

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