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Date : 20071030

Dossier : T-414-07

Référence : 2007 CF 1120

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 30 octobre 2007

En présence de monsieur le protonotaire Kevin R. Aalto

 

ENTRE :

DENNIS BOISSONNEAULT

demandeur

et

 

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une requête présentée par le demandeur, conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, visant à obtenir une ordonnance l’autorisant à déposer un autre affidavit sous la forme de projet d’affidavit dans le dossier de requête du demandeur. Le demandeur sollicite également l’autorisation de la Cour de permettre à M. Rodney L. Hoff de le représenter dans les présentes procédures, de même qu’une prorogation du délai de dépôt du dossier de la demande.

 

[2]               Après examen des dossiers de requête du demandeur et de la défenderesse ainsi que de la réplique écrite du demandeur en réponse au dossier de requête, il est évident que l’affidavit est peu fondé et que son dépôt ne devrait pas être autorisé. Il n’existe également aucun motif sérieux d’autoriser M. Hoff à représenter le demandeur.

 

[3]               Dans la présente demande, le demandeur cherche à obtenir l’annulation d’un règlement intervenu avec la Commission canadienne des droits de la personne, et demande que l’affaire soit tranchée par la Cour fédérale. Le demandeur, qui se représente lui-même, a déposé un affidavit de neuf pages ainsi que vingt pièces au soutien de son avis de demande. Il demande maintenant l’autorisation de déposer un autre affidavit, qui, soutient-il, vise à répondre à l’affidavit de réponse déposé par la défenderesse. De même, cette demande soulève des questions subséquentes au règlement en cause. La défenderesse s’oppose au dépôt de l’affidavit principalement au motif qu’il contient des affirmations et des énoncés osés, abusifs, préjudiciables, non pertinents, sans importance, qui prêtent à la controverse et qui n’aideront pas la Cour à trancher la question en litige. Par conséquent, l’affidavit proposé ne respecte pas les exigences du paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, ainsi libellé :

 

81. (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête, auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

 

81. (1) Affidavits shall be confined to facts within the personal knowledge of the deponent, except on motions in which statements as to the deponent’s belief, with the with the grounds therefore, may be included.

[4]               Après examen de l’affidavit proposé, il est bien évident que ce dernier contient une grande part d’énoncés abusifs, préjudiciables, prêtant à la controverse et qui ne serviront pas les intérêts de la justice. Le paragraphe 10 est un bon exemple. La première partie du paragraphe 10 est ainsi rédigée :

[traduction]
« Le paragraphe 30 de l’affidavit ASSERMENTÉ de la défenderesse a délibérément MODIFIÉ UN ÉLÉMENT DE PREUVE pour répondre à son vil besoin; jusque-là le demandeur savait que la défenderesse avait contourné à son propre avantage les règles du devoir de la convention collective de s’adapter à la loi et aux lois sur la protection de la vie privée, ce qui est un trait constant chez Postes Canada. Comme on le verra, le fait de modifier maintenant les éléments de preuve pour répondre à ses besoins est inacceptable et mérite d’être fermement condamné! La pièce 2, à la page 13, jette totalement le discrédit sur le témoignage de Postes Canada! Cela est totalement ignoble et ne peut que corroborer les bassesses que cette société est prête à commettre pour empêcher que ce litige soit entendu par la Cour fédérale. Ce fait à lui seul devrait servir à discréditer tout ce que Postes Canada a tenté de faire pour brouiller la vérité et minimiser les souffrances et la perte que le demandeur a subies à cause d’elle... » 

 

[5]               Il existe beaucoup d’autres exemples de ce type de propos exagérés. Il existe également de nombreux exemples de déclarations qui sont de la rhétorique pure et simple ([traduction] « c’est ce qu’on appelle “agir de mauvaise foi”. Rien n’arrêtera Postes Canada » [paragraphe 14]; ... « c’est grotesque, Postes Canada fait volte-face »... [paragraphe 2]); ou qui sont abusifs et préjudiciables ([traduction] « encore une entorse aux règles pour satisfaire Postes Canada » [paragraphe 7]; « modifié un élément de preuve » [paragraphe 10]; « à lui seul, le fait que Postes Canada modifie les éléments de preuve devrait ébranler toute personne raisonnable! » [paragraphe 17]; « et ce, même si Postes Canada modifie la preuve dans son intérêt! » [paragraphe 31]). En outre, l’affidavit traite de questions subséquentes au règlement en cause. Tout bien considéré, une lecture objective de l’ensemble de l’affidavit proposé mène à la conclusion que l’affidavit ne respecte pas les exigences de l’article 81 des Règles et n’est pas conforme à la jurisprudence de la Cour. Comme l’a souligné le protonotaire Hargrave dans la décision Hughes c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), [2004] ACF 1285, au paragraphe 7 :

En effet, le juge Evans a signalé dans l’arrêt Mazhero, précité, que

«... le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels devrait être exercé avec une grande circonspection », puis il a repris un passage de la décision Deigan c. Canada (1999) 168 F.T.R. 277, p. 278 :

 

Les nouvelles Règles de la Cour fédérale permettent le dépôt d’un affidavit et d’un dossier supplémentaires; cependant, cela ne doit être permis que dans un nombre restreint de cas et dans des circonstances exceptionnelles : en faisant autrement, on violerait l’esprit de l’instance de contrôle judiciaire, qui a été conçue en vue d’accorder rapidement une réparation par l’entremise d’une procédure sommaire. Bien que le critère général applicable au dépôt de tels documents supplémentaires soit de savoir si le fait de déposer de tels documents sera dans l’intérêt de la justice, aidera la Cour, et ne causera pas de préjudice grave à la partie adverse, il est également important que tout affidavit ou dossier supplémentaire ne porte pas sur des documents qui auraient pu être communiqués à une date antérieure et ne retarde pas indûment l’instance.

La Section de première instance a confirmé la décision Diegan (1999) 165 F.T.R. 12). Dans l’arrêt Atlantic Engraving, précité, le juge Nadon a précisé les principes qui devraient guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour d’admettre des éléments de preuve supplémentaires, à la p. 246. :

 

                        i) Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

            ii) Les éléments de preuve aideront la Cour;

iii) Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse (voir Eli Lilly and Co. c. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 15 (1re inst.); Robert Mondavi Winery c. Spagnol’s Wine & Beer Making Supplies Ltd., (2001) 10 C.P.R. (4th) 331 (1re inst.).

 

La Cour a également ajouté dans cet arrêt l’exigence qu’il soit démontré qu’il n’a pas été possible d’obtenir les documents complémentaires avant le contre-interrogatoire, car une partie ne peut avoir recours à l'article 312 des Règles pour scinder sa preuve. Chaque partie est tenue de présenter la meilleure preuve dont elle dispose dès que cela est possible :

 

De plus, lorsqu’il sollicite l’autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu’il cherche à produire n’étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de l'article 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible (voir Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 181 F.T.R. 146, C.P.R. 4th) 491 (1re inst.); Inverhuron & District Ratepayers Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement) (2000), 180 F.T.R. 314 (1re inst.)).

 

[6]               Il existe d’autres précédents en ce sens : voir, par exemple, Innovation and Development Partners/IDP Inc. c. Canada, [1993] A.C.F. no 602 et Expressvu Inc. c. NII Norsat International Inc. (faisant affaire sous le nom de Aurora Distributing), [1997] A.C.F. no 276. La demande d’autorisation de déposer l’affidavit proposé est donc rejetée.

 

[7]               Le demandeur sollicite également l’autorisation de la Cour de permettre à M. Hoff de le représenter dans les présentes procédures. Une correspondance dans le dossier de requête indique que M. Hoff se décrit comme étant le mandataire et le fondé de pouvoir de M. Boissonneault. M. Hoff n’est pas avocat. L’article 119 des Règles exige qu’une personne puisse soit agir seule, soit se faire représenter par un avocat. Aucune règle n’autorise une partie aux procédures à être représentée par une personne qui n’est pas un avocat. La jurisprudence des Cours fédérales a confirmé cette règle de façon constante : voir Scheuneman c. Canada (Procureur général), [2003] C.A.F. 439; et Erdmann c. Canada, [2001] C.A.F. 138. Il est possible de soutenir que la Cour, uniquement dans les cas les plus inhabituels, s’écartera de l’exigence liée à l’autoreprésentation ou à la représentation par avocat [voir, par exemple, Parmar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2000] A.C.F. no 1000; Morrisroe v. Canada (Minister of Justice), [1996] A.C.F. no 1178; Giagnocavo v. Canada, [1995] A.C.F. no 1355 (C.A.F.); et Moss c. Canada, [2006] A.C.F. no 1415]. Dans la décision Moss, le juge Russel a fait remarquer ce qui suit :

En ce qui a trait à sa volonté de se faire représenter par son mari, elle fait maintenant valoir qu’[traduction] « il y a des précédents selon lesquels mon mari pourrait parler en mon nom parce que je suis incapable de me représenter moi-même, pas plus que je n’ai les moyens d’engager un avocat, étant donné que je vis d’une pension d’invalidité ». Cependant, la demanderesse ne présente pas d’arguments relatifs aux articles 119 ou 121 des Règles, et elle n’explique pas comment la Cour pourrait autoriser son mari à la représenter dans une action ni ne cite la jurisprudence sur laquelle elle se fonde.

 

[8]               La situation en l’espèce est semblable. Il n’y a aucun précédent sur lequel le demandeur s’appuie ni aucun motif énoncé qui pourrait permettre à la Cour d’accorder la réparation demandée. Les documents de requête ne reposent sur aucun fondement factuel ou juridique étayant la décision d’autoriser M. Hoff à représenter le demandeur. Cet aspect de la requête est également rejeté.

 

[9]               Enfin, le demandeur cherche à obtenir une prorogation du délai pour signifier et déposer le dossier du demandeur. Puisque la présente demande a connu un assez mauvais départ en désignant la mauvaise partie comme défenderesse (erreur qui a depuis été corrigée), dans les circonstances, le demandeur devrait disposer de plus de temps pour signifier et déposer le dossier du demandeur. Le délai sera prorogé jusqu’au 16 novembre 2007.

 

[10]           La défenderesse réclame les dépens. La défenderesse a eu en grande partie gain de cause dans sa contestation de la requête. Aux fins de l’adjudication des dépens, il convient également de noter que le demandeur plaide sans avocat. Cependant, comme le juge Hugessen l’a souligné dans l’affaire Scheuneman c. Canada, [2003] CFPI  37, au paragraphe 4 :

Le manque de formation juridique du demandeur ne lui confère pas de droits additionnels et s’il insiste pour agir pour son propre compte, il doit se soumettre aux mêmes règles qui s’appliquent à tous.

           

            L’une de ces règles veut que les dépens suivent généralement l’issue de la cause. Ils sont discrétionnaires. Le paragraphe 400 (1) des Règles est ainsi libellé :

 

400. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer.

 

400. (1) The Court shall Have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

 

           

[11]           Puisque l’affidavit proposé ne respecte pas les exigences des affidavits présentés devant la Cour fédérale et qu’aucun fondement n’appuie le droit d’être représenté par une personne qui n’est pas un avocat, il est juste que les dépens soient adjugés en faveur de la défenderesse. En soupesant tous les faits et en tenant compte des

facteurs énoncés au paragraphe 400(2) des Règles, il convient d’accorder un montant de 500 $ au titre des dépens, que le demandeur versera à la défenderesse dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.


ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

 

1.      Dans la mesure où la présente requête vise à déposer un autre affidavit du demandeur, la requête est rejetée.

 

2.      Dans la mesure où la présente requête vise à autoriser M. Rodney L. Hoff à représenter le demandeur dans

      les présentes procédures, la requête est rejetée.

 

3.      Le demandeur se voit accorder une prorogation de délai jusqu’au 16 novembre 2007 afin de signifier et de déposer 

      le dossier du demandeur.

 

4.      Le délai dans lequel les prochaines démarches doivent être entreprises est prorogé de manière à courir à compter de la date de

      signification à la défenderesse du dossier du demandeur.

 

5.      Le demandeur doit verser à la défenderesse des dépens de 500 $, incluant la TPS

      dans les 30 jours suivant la date de la présente ordonnance.

 

 

« Kevin R. Aalto »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    T-414-07

 

INTITULÉ :                                                   DENNIS BOISSONNEAULT

                                                                                                                                           demandeur

et

 

LA SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                                        défenderesse

 

AFFAIRE EXAMINÉE À TORONTO,

(ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                           LE PROTONOTAIRE AALTO

 

DATE DES MOTIFS :                                                          LE 30 OCTOBRE 2007

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :                                

 

Dennis Boissonneault                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

Frances R. Gallop

Natasha L. Savoline                                                                  POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dennis Boissonneault                                                                POUR LE DEMANDEUR

a/s Rodney L. Hoff

 

Filion Wakely Thorup Angeletti SRL                                         POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)

 

 

 

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