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Date : 20071019

Dossier : T‑1644‑06

Référence : 2007 CF 1076

 

Ottawa (Ontario), le 19 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

 

ENTRE :

ALLAN BESNER

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

(SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA)

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 8 août 2006, par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne a rejeté la plainte de M. Besner dans laquelle il alléguait que son employeur avait agi de façon discriminatoire à son endroit et n’avait pas consenti aux adaptations raisonnables requises en raison de ses incapacités. La question centrale en litige est de savoir si la Commission a effectué une enquête approfondie sur cette plainte. Pour les motifs qui suivent, je conclus qu’il n’y a aucune raison d’intervenir à l’égard de la décision de la Commission, de sorte que la présente demande sera rejetée.

LE CONTEXTE

 

[2]               Le dossier de la présente affaire fait état d’une longue série d’événements qui ont conduit M. Besner à prendre sa retraite du Service correctionnel du Canada (le SCC) en 2002 pour des raisons de santé et à former ensuite une plainte portant que son départ à la retraite était attribuable à l’omission de l’employeur de consentir aux adaptations raisonnables requises en raison de ses incapacités. Bien qu’il n’appartienne pas à la Cour d’examiner cette plainte sur le fond, il s’avère nécessaire de récapituler les faits pour établir si l’enquête de la Commission était suffisamment approfondie.

 

[3]               M. Besner occupait un emploi de psychologue à l’Établissement Matsqui, situé en Colombie-Britannique. Il souffre depuis de nombreuses années de névrose obsessionnelle‑compulsive et de dépression. En raison de ces troubles, il lui était difficile de remplir certaines tâches dans les délais demandés. Il était notamment incapable de préparer des évaluations psychologiques dans les délais voulus, incapacité avec laquelle il déclare avoir pu composer au début parce que sa charge de travail était diversifiée et que d’autres tâches moins difficiles pour lui contrebalançaient celle de rédaction de rapports d’évaluation.

 

[4]               En 1994, alors qu’il était encore employé à l’Établissement Matsqui, M. Besner a été affecté au Centre régional de réception et d’évaluation (le CRRE), où sa tâche principale consistait à rédiger des évaluations psychologiques. Il a alors protesté contre cette affectation en invoquant plusieurs raisons, formulées dans une note au directeur de la prison, mais sans révéler que la nature du travail ferait problème du fait de son incapacité. S’étant avéré incapable de remplir les exigences de rendement de sa nouvelle affectation, il a dû prendre des congés de maladie de longue durée liés au stress. Le dossier révèle que son inaptitude à établir les évaluations psychologiques dans les délais prescrits ainsi que ses activités syndicales, qui exigeaient aussi de longues absences du travail, sont à l’origine de tensions avec la direction de la prison.

 

[5]               En juillet 1997, après plusieurs congés de maladie de longue durée, M. Besner a demandé de retourner au travail selon un horaire réduit de trois jours, suivant la recommandation de son psychiatre, le Dr Pole. La lettre où le Dr Pole formule cette recommandation est muette sur la nature des tâches que M. Besner pouvait ou ne pouvait pas exécuter, et le psychiatre n’aborde pas non plus cette question dans une lettre de suivi adressée à Santé Canada en décembre 1997. M. Besner soutient que son superviseur était au courant du problème que lui causait la rédaction d’évaluations psychologiques.

 

[6]               Par lettre en date du 23 juillet 1997, le chef par intérim du service du personnel de l’Établissement Matsqui a demandé au Dr. I. Forbes, des Services d’hygiène du travail de Santé Canada, d’effectuer une évaluation indépendante de l’aptitude au travail de M. Besner. Cette lettre présentait les tâches de M. Besner comme étant : la prestation de services de diagnostic et d’évaluation psychologiques des détenus, la thérapie individuelle et de groupe, la fourniture de services de consultation aux équipes de gestion de cas et de gestion de l’établissement concernant le traitement des détenus dans le cadre des programmes, ainsi que la formation tant du personnel que des détenus. Cette liste concorde avec l’exposé des objectifs du poste de M. Besner, que celui‑ci a signé le 16 janvier 1996, préparé par le sous-directeur de la prison.

 

[7]               Une liste de contrôle intitulée [TRADUCTION] Lignes directrices concernant l’analyse des tâches – Services d’hygiène du travail (l’analyse des tâches) était jointe à la lettre. Cette liste comprenait une estimation de la fréquence des facteurs de stress physique, mental et environnemental liés à l’emploi. Une brève description manuscrite des tâches en question figurait à l’égard des facteurs notés comme fréquents ou constants. Seuls deux facteurs sont définis comme constants : counseling/entretiens et évaluations psychologiques/recommandations. Selon les observations communiquées par le défendeur à la Commission, on entend par le terme « constant » une proportion de 67 à 100 % de la journée de travail. On trouve la remarque suivante sous le titre « Observations » :

[TRADUCTION] Les psychologues employés dans les prisons fédérales fournissent des services psychologiques et de counseling aux délinquants, effectuent des évaluations de risques, formulent des recommandations concernant la gestion des risques, l’aptitude au transfert et le danger pour soi ou pour les autres et apportent leur aide en matière de gestion du stress causé par des incidents critiques dans l’établissement.

 

[8]               En réponse à la demande d’évaluation indépendante, le Dr  Forbes a écrit qu’il appuyait la proposition de retour au travail sur la base de la recommandation du Dr Pole, bien qu’il ait déclaré qu’il n’avait pu établir une évaluation médicale complète parce que M. Besner ne consentait pas à ce qu’il consulte ses médecins. Les lettres ultérieures du Dr Forbes versées au dossier indiquent que M. Besner a continué pendant un certain temps à refuser de donner son consentement à cet égard. M. Besner explique dans des documents déposés devant la Commission qu’il cherchait, dans ses rapports avec le Dr Forbes, à protéger sa vie privée et à limiter les renseignements personnels que l’employeur pourrait acquérir à son sujet. Il estimait être parvenu à un accord avec le Dr Forbes sur la nature des informations pertinentes aux fins de l’évaluation.

 

[9]               Le demandeur a repris le travail le 1er août 1997 et a été de nouveau affecté au CRRE, avec un horaire de trois jours par semaine et une charge de travail réduite de moitié. Pourtant, il a continué à avoir du mal à satisfaire aux exigences de rendement de la direction. Le 27 janvier 1998, M. Besner a été convoqué par son superviseur à un entretien où étaient aussi présents le chef intérimaire du service du personnel, un directeur adjoint de l’établissement et un représentant syndical. Dans une lettre de réprimande adressée au demandeur en date du 20 février 1998, le superviseur qualifie cette réunion d’« audience disciplinaire » rendue nécessaire par l’incapacité de M. Besner à établir les rapports d’évaluation initiale des détenus dans les délais prescrits.

 

[10]           La seule trace écrite contemporaine de la réunion de janvier 1998 consiste en une note de service manuscrite de quelques pages rédigée par le représentant syndical de M. Besner. Le document indique que le superviseur du demandeur a expliqué qu’on avait confié à ce dernier le travail d’évaluation psychologique, considéré comme une tâche à court terme, principalement en raison de ses congés de maladie fréquents et de ses activités syndicales. Il n’était pas possible d’affecter M. Besner à une unité résidentielle, comme il le voulait, s’il ne pouvait travailler à plein temps. Le document indique également que M. Besner a déclaré qu’il serait difficile pour lui de préparer des évaluations de risques dans les délais, mais qu’il était disposé à essayer.

 

[11]           Dans une lettre en date du 26 février 1998 envoyée au Dr Forbes, le chef intérimaire du service du personnel de l’Établissement Matsqui a de nouveau demandé la confirmation que M. Besner était apte au travail. Il y notait que M. Besner était réticent à consentir à ce qu’on puisse examiner l’ensemble de son dossier médical et souhaitait que l’information communiquée se limite aux éléments relatifs à sa situation actuelle pour garantir la confidentialité de ces dossiers. On lit aussi dans cette lettre que M. Besner s’était entretenu du problème avec son médecin et avait demandé à celui‑ci de contacter le Dr Forbes pour lui expliquer son état. L’administrateur du personnel a conclu sa lettre en demandant au Dr Forbes de lui laisser savoir si M. Besner avait consenti à la communication de renseignements suffisants pour terminer son évaluation de son aptitude au travail et, dans l’affirmative, de répondre à la question de savoir s’il y avait lieu de limiter ou de modifier sa charge de travail ou s’il était capable de remplir les tâches d’un poste à plein temps.

 

[12]           Par lettre en date du 2 avril 1998, le Dr Forbes a indiqué qu’il avait examiné de nouveau les renseignements médicaux relatifs à M. Besner et que ce dernier avait passé un entretien aux bureaux des services de santé. [TRADUCTION] « En dépit d’efforts considérables, notait‑il, je n’ai pas réussi cette fois non plus à obtenir le consentement éclairé de M. Besner, de sorte que je me suis de nouveau trouvé dans l’incapacité d’établir une évaluation complète. » Il déclarait ensuite que M. Besner était médicalement apte à remplir toutes les tâches de son poste, mais que, pour des raisons de santé, il ne devrait travailler que trois jours par semaine.

 

[13]           Les lettres de janvier et de mars 1999 que le Dr Pole a envoyées au Dr Forbes, qui attestaient que les absences de M. Besner étaient attribuables à des motifs médicaux, ne font état d’aucune tâche de substitution qu’il aurait pu accomplir, mais indiquent simplement qu’il était [TRADUCTION]« exposé à de la pression et à du stress au travail ». Le 7 mai 1999, le Dr Pole a informé l’employeur, par écrit, que M. Besner était inapte à l’emploi pour des raisons médicales et qu’il serait incapable de reprendre son travail pendant une période indéfinie. Le demandeur n’est pas retourné au travail, a été mis en congé non payé et a présenté une demande de prestations d’invalidité de longue durée, qui a été accueillie en décembre 1999. Selon une évaluation médicale indépendante préparée par le Dr Kline en octobre 1999 pour l’assureur, M. Besner souffrait d’invalidité totale, mais il pourrait peut-être retourner au travail si l’employeur était en mesure de l’affecter à d’autres tâches comme l’élaboration de programmes ou les thérapies. Il semble que cette évaluation n’ait pas été communiquée à l’employeur avant l’introduction de la présente instance. Quoi qu’il en soit, l’employeur n’a pas proposé de tâche de substitution au demandeur.

 

[14]           Le 12 juillet 2001, conformément à la politique du Conseil du Trésor touchant les congés de longue durée non rémunérés, l’employeur a avisé M. Besner qu’il serait mis fin à son emploi s’il ne rentrait pas au travail dans les deux semaines. Sur le conseil de son syndicat et, selon sa perception, sous la contrainte, M. Besner a alors demandé qu’on le mette à la retraite pour des raisons de santé. Le Dr Pole a fourni à l’appui de cette demande un avis médical détaillé, daté du 5 mars 2002, où il a conclu que M. Besner souffrait [TRADUCTION] « d’invalidité totale (...) [et était] invalide depuis environ quatre ans [...], ce qui l’empêch[ait] d’occuper tout emploi raisonnablement indiqué eu égard à ses études, sa formation et son expérience [...] ». En février 2003, on a informé M. Besner qu’il serait rétrospectivement mis à la retraite pour des raisons de santé à compter de mai 2002.

[15]           Dans la plainte qu’il a déposée devant la Commission le 27 août 2004, M. Besner soutenait que son employeur avait fait preuve de discrimination à son égard entre mai 2002 et le 7 juin 1994 en le traitant d’une façon différente et défavorable en raison de son incapacité, qu’il n’avait pas effectué les adaptations requises en raison de cette incapacité et que ces actions et omissions avaient mené à la cessation de son emploi. Le défendeur a contesté la procédure au motif que la plainte avait été déposée après l’expiration du délai d’un an que prévoit la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Le défendeur a en outre nié avoir fait preuve de discrimination envers le plaignant en l’ayant traité de façon différente et défavorable, en ne lui ayant pas consenti les adaptations requises en raison de son incapacité ou en ayant mis fin à son emploi.

 

[16]           Le 10 février 2005, la Commission a déclaré la plainte recevable et a nommé une enquêteuse. Par envois en date du 15 novembre 2005 et du 10 mars 2006, le représentant syndical de M. Besner a communiqué à l’enquêteuse une quantité considérable de pièces à l’appui de la plainte ainsi qu’un document détaillé, préparé conjointement avec M. Besner, réfutant la réponse de l’employeur. Le demandeur reconnaît dans ce document  qu’il était extrêmement difficile pour lui de rédiger des rapports dans les délais voulus en raison de la nature de son incapacité et que la plupart des tâches qu’on peut confier à un psychologue comportent une part importante de rédaction de rapports, mais il soutient qu’il aurait pu continuer à travailler de manière productive pour le SCC si celui‑ci avait pris la mesure d’adaptation consistant à diversifier ses fonctions de manière que l’exécution et l’élaboration de programmes contrebalancent la préparation d’évaluations.

 

[17]           L’enquêteuse a terminé son rapport le 30 mars 2006 et a recommandé le rejet de la plainte aux motifs suivants :

·        La preuve n’étayait pas l’affirmation du plaignant selon laquelle l’employeur l’avait traité de façon différente et défavorable en raison de son incapacité.

·        La preuve indiquait que le défendeur avait offert au plaignant des adaptations fondées sur les avis médicaux.

·        La preuve indiquait en outre que le plaignant était incapable d’exercer quelque activité professionnelle que ce soit et qu’il n’y avait pas de motifs raisonnables de penser qu’il serait un jour en mesure de travailler à nouveau.

 

[18]           Dans la partie analyse de son rapport, l’enquêteuse a formulé comme suit sa principale conclusion :

[TRADUCTION] (...) la preuve médicale n’étaye pas la thèse que le plaignant ne pouvait pas accomplir ses tâches d’évaluation pour des raisons médicales puisque tant le Dr Pole que le Dr Forbes n’ont recommandé qu’une réduction de sa semaine de travail à trois jours. Si le plaignant a lui-même établi quelles étaient ses limitations sur le plan médical et quelles mesures d’adaptation on aurait dû prendre à cet égard, ni le Dr Forbes ni le Dr Pole n’ont relevé de telles limitations ou déclaré qu’il était incapable d’accomplir certaines tâches précises.

 

[19]           On a communiqué le rapport de l’enquêteuse à M. Besner le 10 avril 2006 et on l’a invité à y répondre, ce qu’a fait en son nom un représentant du syndicat le 2 mai de la même année. Cette réponse était centrée sur deux aspects du rapport : l’enquête sur les actes de l’employeur et l’usage des avis médicaux. Le représentant syndical relevait notamment le silence du rapport quant à l’omission du SCC d’envisager la mesure d’adaptation nécessaire, à savoir la modification des tâches de manière à réduire la part de préparation d’évaluations psychologiques.

 

[20]           Dans une lettre datée du 25 avril 2006 adressée à la Commission, le Dr Pole a déclaré que l’insistance que l’employeur avait mise à vouloir que [TRADUCTION] « le travail de M. Besner consiste uniquement à préparer des évaluations [avait] entraîné une détérioration de sa santé et mené, au bout du compte, à son invalidité ». Il a ajouté que M. Besner [TRADUCTION] « aurait pu continuer d’occuper son emploi si on lui avait attribué des tâches convenant à son état [...] avant la détérioration de sa santé jusqu’à l’invalidité totale ».

[21]           La décision de la Commission, communiquée à M. Besner par lettre en date du 8 août 2006, portait que les commissaires avaient examiné le rapport de l’enquêteuse et les observations déposées en réponse. Leur décision de rejeter la plainte s’appuyait sur les mêmes motifs que ceux que l’enquêteuse avait formulés dans sa recommandation. Les parties conviennent que le rapport de l’enquêteuse constitue l’exposé des motifs de la décision de la Commission aux fins de la présente espèce.

 

Les questions en litige

 

[22]           Les questions à trancher qui se dégagent des conclusions respectives des parties sont à mon avis les suivantes :

1) La Commission a‑t‑elle mené son enquête en respectant son obligation d’équité procédurale?

            2) La Commission a‑t‑elle rendu une décision raisonnable en concluant que la preuve n’étayait pas l’affirmation de M. Besner selon laquelle il aurait été traité de façon différente et défavorable en raison de son incapacité?

 

Analyse

           

            La norme de contrôle

 

[23]           Dans Sketchley c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 404, la Cour d’appel fédérale a effectué une analyse pragmatique et fonctionnelle pour établir les normes de contrôle applicables au rejet d’une plainte analogue par la Commission canadienne des droits de la personne. Elle fait observer au paragraphe 111 que cette approche analytique ne s’applique pas à la question de savoir si une enquête a été suffisamment approfondie. Cette question en est une d’équité procédurale qui ne commande aucune retenue judiciaire. Le manquement à l’équité procédurale est depuis longtemps considéré comme une faute grave de la part de n’importe quel tribunal administratif, de sorte qu’il appartient aux tribunaux judiciaires de donner une réponse juridique à toute question de cette nature : Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, au paragraphe 100.

 

[24]           La question de savoir si l’employeur doit prendre des mesures précises et raisonnables pour se renseigner auprès de médecins sur les limitations fonctionnelles invoquées par l’employé est une question de droit, à laquelle s’applique la norme de la décision correcte : Sketchley, précité, aux paragraphes 63 à 70.

 

[25]           Sauf manquement à l’obligation d’équité procédurale ou erreur de droit, la cour de révision ne devrait intervenir que dans le cas où le caractère déraisonnable de la décision de la Commission est démontré : Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier (C.A.), [1999] 1 C.F. 113. Les lacunes dont pourrait être entaché le rapport d’un enquêteur ne vicient pas la décision de la Commission, pourvu qu’elles ne soient pas à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne suffisent pas à y remédier. Dans un contrôle judiciaire, lorsque la Commission n’a pas, comme en l’espèce, fourni de motifs détaillés, le rapport de l’enquêteur peut être considéré comme constituant les motifs de la décision de la Commission. Voir Sketchley, au paragraphe 38.

 

            Le caractère suffisant de l’enquête

 

[26]           Comme la Cour le faisait observer au paragraphe 49 de Ruckpaul c. Canada (Ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 149, [2004] A.C.F. no 177, « l’objectif d’une enquête sur une plainte en matière de droits de la personne est d’obtenir les faits pertinents afin de donner à la Commission un fondement de preuve équitable pour la décision qu’elle doit prendre quant à la suite de l’affaire ». Dans ce contexte, la Commission remplit une fonction de criblage, reposant en grande partie sur ce fondement de preuve qui lui sert à établir s’il y a lieu de porter l’affaire devant un tribunal pour enquête.

 

[27]           Bien que la plainte de M. Besner s’applique à la période allant de 1994, année où on lui a assigné la tâche de préparer des évaluations au CRRE, à son départ à la retraite, j’estime que la période à considérer aux fins de la présente demande commence à la réunion de janvier 1998 où l’on a examiné son rendement au travail et où M. Besner a révélé à l’employeur que son incapacité à préparer les évaluations psychologiques était attribuable à des raisons de santé. Les parties conviennent que la nécessité de prendre des mesures d’adaptation pour répondre aux besoins de M. Besner a été reconnue à partir de cette réunion.

 

[28]           M. Besner affirme que son employeur a ensuite omis de décrire de manière raisonnable et exacte les exigences réelles de son poste lorsqu’il a demandé un avis médical de son aptitude à accomplir les tâches. À l’époque pertinente, sa principale tâche consistait à préparer des évaluations psychologiques, soit le travail qu’il trouvait le plus difficile en raison de ses incapacités. Il fait valoir que l’employeur a décidé de communiquer à l’évaluateur médical des renseignements reposant sur une description de poste normalisée et l’analyse de risques pour expliquer la nature des tâches qu’il devait remplir. Cette analyse, qui englobait l’ensemble des fonctions des psychologues du SCC, était inexacte et propre à induire en erreur dans la mesure où elle était censée décrire ses obligations professionnelles réelles. À cause de cette analyse erronée, l’employeur n’a pas, selon le demandeur, répondu à ses besoins spéciaux par la mesure d’adaptation nécessaire, à savoir la diversification de ses tâches. La réduction de sa semaine de travail et l’allégement de sa charge ne constituaient pas une adaptation raisonnable puisque c’était la nature même du travail qu’on lui demandait qui aggravait ses incapacités.

 

[29]           Il ressort clairement de la jurisprudence que les enquêteurs en matière de droits de la personne sont tenus d’effectuer une enquête approfondie : Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne) (1994), 73 F.T.R. 161, [1994] 2 C.F. 574 (1re inst.), conf. par (1996), 205 N.R. 383 (C.A.) (Slattery). Le demandeur soutient que, dans la présente espèce, le rapport de l’enquêteuse était défectueux parce qu’il se fondait sur des évaluations médicales établies à partir de la description de poste inexacte communiquée par le SCC à l’évaluateur. L’enquêteuse n’a effectué aucun travail d’analyse pour établir si ces renseignements étaient exacts et adéquats. Or, une telle analyse était nécessaire pour avoir une enquête véritablement approfondie.

 

[30]           Le défendeur fait valoir de son côté que la Cour devrait prendre en considération les aptitudes respectives des parties à corriger les prétendues omissions d’un rapport pour décider s’il y a lieu d’intervenir : Slattery, aux paragraphes 60 et 61. Dans la présente instance, la preuve montre que le SCC n’a pas dissimulé la nature du poste de M. Besner à Santé Canada lorsqu’il a demandé une évaluation médicale. Il n’est pas vrai que l’enquêteuse n’a pas tenu compte d’éléments de preuve cruciaux. Le demandeur s’est vu offrir la possibilité de présenter ses observations sur l’enquête et la Commission a renvoyé, dans sa décision, à ces observations, qui portent expressément sur la question du caractère adéquat des renseignements fournis au médecin évaluateur.

 

[31]           La Cour suprême a examiné la question des obligations respectives des parties lors d’une enquête relative aux adaptations raisonnables en matière d’emploi dans le récent arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, [2007] A.C.S. no 4 (Centre universitaire de santé McGill). La juge Deschamps formule les observations suivantes au paragraphe 22 de cet arrêt :

Tout au long de la relation d’emploi, l’employeur doit s’efforcer d’accommoder l’employé. Cela ne signifie pas pour autant que les contraintes afférentes à l’accommodement doivent nécessairement être à sens unique. Dans O’Malley (p. 555) et dans Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, la Cour a reconnu que, lorsque l’employeur fait une proposition qui est raisonnable, il incombe à l’employé d’en faciliter la mise en œuvre. Si l’absence de coopération de l’employé est à l’origine de l’échec du processus d’accommodement, sa plainte pourra être rejetée. [Non souligné dans l’original.]

 

[32]           Mon collègue le juge Michael Phelan a fait la remarque suivante au paragraphe 21 de Lowe c. Landmark Transport Inc., 2007 CF 217, [2007] A.C.F. no 284 :

L’allégation du manquement à l’obligation d’accommodement doit en outre être envisagée à la lumière des renseignements à la disposition de l’employeur ou du syndicat, ou encore des deux.

 

[33]           Pour revenir à la présente instance, il appert que M. Besner disposait de renseignements qui n’ont pas été communiqués ni l’employeur ni au médecin évaluateur de ce dernier aux moments pertinents. Les recommandations du psychiatre même de M. Besner, le Dr Pole, et celles du Dr Forbes, qui se fondent sur l’avis du Dr Pole, prévoyaient la réduction de la semaine de travail plutôt que la modification des tâches. Se fondant sur ces recommandations, l’employeur a offert à M. Besner une mesure d’adaptation que ce dernier a acceptée. Avec le recul, une fois qu’on a pris connaissance des observations formulées par le Dr Kline dans le contexte de la demande de prestations d’invalidité en octobre 1999 et du contenu de la lettre d’avril 2006 où le Dr Pole donne son avis médical, il paraît évident que cet arrangement était voué à l’échec étant donné la nature des incapacités de M. Besner. Mais il n’est pas évident que l’employeur aurait pu prévoir cet échec à partir des renseignements dont la direction du SCC disposait à l’époque pertinente.

 

[34]           M. Besner souhaitait limiter les renseignements sur son état de santé communiqués à son employeur et à l’évaluateur médical chargé par ce dernier d’apprécier son aptitude à accomplir son travail. Il a décidé de ne pas offrir son entière coopération au Dr Forbes alors que celui‑ci l’a invité plusieurs fois à lui fournir les renseignements qu’il estimait nécessaires pour une évaluation adéquate. C’était là son droit, mais en choisissant de l’exercer, il n’a pas fourni sa coopération à l’employeur pour trouver un accommodement adapté à son incapacité. Il ressort de la note de service manuscrite sur la réunion de janvier 1998 que la direction du SCC essayait de trouver un tel accommodement. Comme l’a constaté l’enquêteuse, l’aménagement proposé par l’employeur se fondait sur l’avis médical qu’on lui avait fourni.

 

[35]           On peut lire ce qui suit au paragraphe 36 de la décision Guay c. Canada (Procureur général), 2004 CF 979, [2004] A.C.F. no 1205 : « La Cour n’a pas à analyser à la loupe le rapport de l’enquêteur ou à reprendre son travail. La demanderesse ne peut avoir gain de cause [...] que si les lacunes qu’elle a alléguées rendent le rapport de l’enquêteur manifestement déficient. » Dans cette affaire, l’intervention de la Cour se justifiait étant donné que l’enquêteur avait omis d’examiner un certain nombre d’allégations de la plaignante.

 

[36]           La Cour avait aussi constaté des défauts graves dans l’affaire Ruckpaul, précitée, comme l’omission d’interroger les témoins de la demanderesse ou de communiquer certaines observations de l’employeur. Mais il n’y a pas eu de manquement à l’obligation de communication dans la présente espèce. Il est vrai que plusieurs personnes qui avaient peut-être une connaissance directe des événements en question n’ont pas été interrogées, parce qu’elles avaient quitté le SCC ou pris leur retraite et que l’employeur n’avait plus leurs coordonnées. À mon avis, cette omission n’indique pas que l’enquêteuse n’avait pas effectué une enquête approfondie; elle ne doit être attribuée qu’au temps écoulé depuis les événements en cause.

 

[37]           Dans Singh c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 198, [2001] A.C.F. no 367, conf. par 2002 CAF 247, [2002] A.C.F. no 885, la Cour a conclu qu’on n’avait jamais vraiment enquêté sur le fond de la plainte. Ce n’est pas le cas dans la présente espèce.

 

[38]           Mon examen du rapport de l’enquêteuse et du dossier y afférent me convainc que l’enquête a porté comme elle le devait sur le fond de la plainte du demandeur et que les observations de celui‑ci ont été intégralement prises en considération et communiquées aux décideurs compétents.

 

[39]            M. Besner soutient que l’enquêteuse a omis d’examiner sa thèse selon laquelle il était en droit de présumer que l’employeur fournissait à l’évaluateur médical des renseignements complets et exacts sur la nature de ses tâches. L’avocat du demandeur exhorte la Cour à renvoyer l’affaire pour qu’on examine la nouvelle question de savoir à qui, de l’employeur ou de l’employé, il faut attribuer le fait que le Dr Forbes a été mal informé de la nature du travail de M. Besner. Je ne pense pas que l’enquêteuse était tenue d’examiner cette question dans son analyse puisqu’aucun avis médical ne donnait alors à penser que M. Besner était incapable de remplir l’une quelconque des tâches incombant à un psychologue du SCC selon la description de ce poste, y compris la préparation d’évaluations. L’élément important pour l’enquête était que ni le Dr Forbes ni le Dr Pole n’avaient recommandé pour M. Besner des mesures d’aménagement autres que la réduction de sa semaine de travail.

 

CONCLUSION

 

[40]           Il ressort des observations transmises à la Commission par M. Besner et des autres pièces du dossier qu’il a beaucoup souffert de ses incapacités et de ce qu’il estime être la ligne de conduite suivie par l’employeur quand il travaillait au SCC. Cependant, il n’appartient pas à la Cour d’examiner ces griefs sur le fond, mais plutôt d’établir si sa plainte de discrimination a fait l’objet d’une enquête suffisante et si la Commission a rendu une décision raisonnable à cet égard.

 

[41]           Vu le dossier dont je suis saisi, force m’est de conclure que l’enquêteuse a effectué une enquête suffisamment approfondie et qu’il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale envers le demandeur dans la préparation du rapport de ladite enquêteuse. L’analyse de cette dernière ne repose pas sur des facteurs dénués de pertinence, pas plus qu’elle ne se révèle arbitraire ou vexatoire. La Commission a eu raison de fonder sa décision sur le rapport de l’enquêteuse ainsi que sur les observations finales par lesquelles le demandeur y a répondu. En conséquence, je conclus que la décision de la Commission est raisonnable et qu’elle ne doit pas être annulée. Le défendeur n’a pas demandé de dépens, et aucuns dépens ne seront adjugés.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    T‑1644‑06

 

INTITULÉ :                                                   ALLAN BESNER

                                                                        c.

                                                                        LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                        (SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 19 OCTOBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Welchner

 

POUR LE DEMANDEUR

Lorne Ptack

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Steven Welchner

Welchner Law Office

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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