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Date :  20071018

Dossier :  IMM-291-07

Référence :  2007 CF 1063

Ottawa (Ontario), le 18 octobre 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

ABDRAMANE DIALLO

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA

SÉCURITÉ ET DE LA PROTECTION CIVILE

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

AU PRÉALABLE

[1]               Il appartient à l’agent d’Examen des risques avant renvoi (ERAR) d’apprécier la preuve présentée :

[15]      Malgré les efforts valables de l'avocat du demandeur afin d'établir que la conclusion de l'agente est déraisonnable, la preuve documentaire n'est pas sans équivoque. Les questions de poids et de crédibilité de la preuve dans un examen des risques relèvent totalement du pouvoir discrétionnaire de l'agent ERAR et, habituellement, la Cour ne doit pas substituer son analyse à celle de l'agent (Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.S.C. 2; Ferroequus Railway Co. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2003] A.C.F. no 1773, au paragraphe 14, (C.A.F.) (QL); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 974, au paragraphe 4 (1re inst.) (QL)).

 

[…]

 

[17]      [...] Il suffit de dire qu'il existe une preuve documentaire qui étaye la conclusion de l'agente. Il existe peut-être une preuve documentaire qui présente une position quelque peu différente, mais je ne suis pas disposé à dire, en l'espèce, que le fait de ne pas mentionner précisément cette preuve a pour effet de modifier la conclusion générale de l'agente selon laquelle le demandeur ne serait pas personnellement menacé de persécution.

 

(Sidhu  c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 FC 39, [2004] A.C.F. no 30 (QL).) 

 

INTRODUCTION

[2]               Il s’agit d’une demande d’autorisation à l’encontre d’une décision, rendue le 29 novembre 2006, par l’agent décideur, monsieur C. Rebaza, refusant à monsieur Abdramane Diallo, le demandeur, sa demande ERAR.

 

FAITS

[3]               Monsieur Diallo est âgé de 29 ans et est célibataire. Il a vécu depuis l’âge de 9 ans au Mali et est retourné en Guinée en 1999. Il a deux frères qui, selon les observations, seraient en Guinée avec sa mère.

 

[4]               Monsieur Diallo vivait à N’Zérékoré, en Guinée et il effectuait le commerce de céréales avec son père et son grand frère Modibo.

 

[5]               En septembre 2000, les menaces des rebelles du Front Uni Révolutionnaire auraient fait fuir les habitants du village de monsieur Diallo. En février 2001, il aurait réussi à quitter la région avec sa mère et son petit frère pour se diriger vers Conarky. Monsieur Diallo aurait alors quitté seul pour l’étranger, faute de moyens pour que sa mère et son frère l’accompagnent. Ils seraient alors partis vers le Mali, tandis que son père et son grand frère seraient restés en Guinée.

 

[6]               Il aurait quitté son pays en raison de « l’opposition des rebelles au gouvernement en place, plus particulièrement, au pouvoir conféré au Président actuel M. Lassane Conte ». Il est arrivé au Canada le 6 avril 2001 et a revendiqué le statut de réfugié le 23 avril 2001.

 

[7]               L’audience devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) s’est déroulée le 29 août 2002. Monsieur Diallo allègue une crainte de persécution en raison de son appartenance à un groupe social particulier, un risque de torture et de menace à sa vie et un risque d’être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités. Il explique craindre d’être recruté malgré lui par les rebelles et il allègue aussi craindre l’armée.

 

[8]               Le 23 septembre 2002, la SPR rejette la demande d’asile de monsieur Diallo en raison du manque de crédibilité de son témoignage. Le tribunal considère que l’incapacité de monsieur Diallo à prouver son identité a un effet direct sur la crédibilité de la requête et conclut qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

[9]               Monsieur Diallo allègue la persécution « en raison de la dégradation de la situation actuelle de la Guinée, et du recrutement forcé ». Il affirme aussi craindre « les menaces à sa vie et sa sécurité en raison des risques d’agression et des risques des situations de détresse et de dénouement et autres difficultés excessives ». Il craint aussi la pauvreté qui règne dans le pays ainsi que d’être victime d’agressions car il serait perçu comme un étranger à son arrivée.

 

DÉCISION CONTESTÉE

[10]           L’agent ERAR a soigneusement analysé les allégations de risque invoquées par monsieur Diallo pour les motifs suivants :

·        En ce qui concerne la situation générale difficile en Guinée invoquée par le demandeur, l’agent ERAR a conclu que le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer qu’il y encourait un risque personnel. Le risque invoqué par le demandeur constitue un risque généralisé, ce qui ne correspond pas aux critères des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi).

·        L’agent a conclu que le demandeur n’a pas établi être ciblé par un groupe spécifique, faire partie d’un groupe ciblé ou posséder le profil d’une personne susceptible de l’être. Selon la preuve documentaire objective, le demandeur n’a pas démontré qu’il possédait le profil de personnes particulièrement ciblées.

 

ANALYSE

            Fardeau et norme prévue en vertu des articles 96 et 97 de la Loi

 

[11]           La Cour d’appel fédérale a décidé que la norme de preuve aux fins de l’article 97 de la Loi est celle de la prépondérance des probabilités, tout comme c’est le cas pour l’article 96 de la Loi. Quant au degré de risque de torture requis selon l’expression « motifs sérieux de croire : en vertu de l’alinéa 97(1)a), la Cour a estimé que le risque doit être plus probable que le contraire. Le même degré de risque est exigé en vertu de l’alinéa 97(1)b). (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 1, [2005] A.C.F. no 1 (QL) aux par. 14, 36 et 39.)

 

[12]           Monsieur Diallo devait démontrer un risque personnel en cas de retour :

[28]      Ceci étant dit, l'appréciation du risque que pourrait courir le demandeur d'être persécuté s'il devait être retourné dans son pays doit être personnalisé. Ce n'est pas parce que la preuve documentaire démontre que la situation dans un pays est problématique du point de vue du respect des droits de la personne que l'on doit nécessairement en déduire un risque pour un individu donné (Ahmad c. M.C.I., [2004] A.C.F. no. 995 (C.F.); Gonulcan c. M.C.I., [2004] A.C.F. no. 486 (C.F.); Rahim c. M.C.I., [2005] A.C.F. no 56, 2005 CF 18 (C.F.). (La Cour souligne.)

 

(Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409, [2005] A.C.F. no 506 (QL); également, Rizkallah c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 412 (QL).)

 

[13]           La détermination d’un risque de retour est largement une question de fait. Cette Cour ne devrait donc intervenir que si la conclusion de l’agent ERAR est manifestement déraisonnable, ce qui n’est pas le cas présent. (Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39, [2003] A.C.F. no 108 (QL).)

 

L’agent ERAR a considéré la crainte de recrutement forcé du demandeur

 

[14]           Monsieur Diallo dit craindre d’être recruté de force s’il devait retourner en Guinée. Selon lui, l’agent ERAR aurait omis de considérer les documents relatifs à cette crainte et n’aurait pas analysé cette crainte.

 

[15]           Or, il est expressément fait mention de cette crainte dans les motifs de l’agent ERAR (Motifs, page 2 : Dossier du demandeur, p. 7.)

 

[16]           L’agent a noté dans sa décision que monsieur Diallo a déposé de nombreux documents, mais qu’ils sont de nature générale et qu’il n’a pas démontré de quelle façon ceux-ci s’appliquaient à son cas (Motifs, page 4.)

 

[17]           Il est bien établi qu’il appartient à l’agent ERAR, à titre de décideur, de déterminer le poids qui doit être accordé au témoignage et à la preuve documentaire déposée au soutien d’une demande. (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1329 (QL), par 3.)

 

[18]           C’est à la lumière de la preuve documentaire que l’agent a conclu que monsieur Diallo n’a pas établi être ciblé par un groupe spécifique, faire partie d’un groupe ciblé ou posséder le profil d’une personne susceptible de l’être.

 

[19]           L’agent est présumé avoir considéré toute la preuve au dossier. Il était en droit de préférer la preuve qu’il cite à celle de monsieur Diallo. (Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL); Zhou c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1087 (C.A.F.) (QL).)

 

[20]           En l’espèce, l’agent a conclu que monsieur Diallo n’avait pas déposé d’éléments de preuve suffisants pour établir un risque de persécution, de torture, de menace à la vie ou risques de mauvais traitements ou peines cruelles comme l’exigent les articles 96 et 97 de la Loi.

 

[21]           La lecture de la preuve documentaire au dossier ne nous permet aucunement de conclure que l’agent aurait erré dans l’évaluation de celle-ci.

 

L’agent ERAR a considéré la crainte du demandeur en tant que

ressortissant revenant du Canada

 

[22]           En ce qui concerne la crainte de monsieur Diallo en tant que ressortissant revenant du Canada, il appert que l’agent ERAR a considéré cette crainte. Il a toutefois noté que rien dans la preuve documentaire ne confirme celle-ci.

 

[23]           Monsieur Diallo se plaint qu’il n’a pas considéré son affidavit et celui d’un ami faisant état de cette crainte.

 

[24]           La jurisprudence de cette Cour indique que le tribunal est présumé avoir pris connaissance de toute la preuve. Également, le tribunal est en droit de s’appuyer sur la preuve documentaire par préférence au témoignage de monsieur Diallo. (Florea, ci-dessus; Zhou, ci-dessus.)

 

L’agent ERAR n’a pas erré dans son analyse de l’article 96

[25]           L’agent a conclu que monsieur Diallo n’a pas établi être ciblé par un groupe spécifique, faire partie d’une groupe ciblé ou posséder le profil d’une personne susceptible de l’être.

[26]           Il a aussi conclu que le risque allégué est un risque auquel sont soumis tous les citoyens de la Guinée.

 

[27]           Par conséquent, les prétentions de monsieur Diallo selon lesquelles l’agent ERAR a appliqué erronément l’article 96 de la Loi sont dénuées de fondement.

 

Appréciation de la preuve

[28]           Rien dans les prétentions de monsieur Diallo ne démontre que l’agent ERAR a omis de considérer une preuve importante et déterminante, ou qu’il a erré dans son appréciation des faits invoqués par le demandeur.

 

[29]           En l’espèce, l’agent ERAR a examiné tous les éléments de preuve et les prétentions de monsieur Diallo et il a clairement indiqué les raisons pour lesquelles il ne pouvait tirer les conclusions voulues par monsieur Diallo de ces éléments de preuve.

 

[30]           Les prétentions de monsieur Diallo portent sur les inférences que le décideur aurait dû, selon lui, tirer de ces éléments de preuve, ce qu’il n’appartient pas à la Cour de réviser, et non sur le caractère manifestement déraisonnable des conclusions tirées par l’agent ERAR, qui est le seul critère selon lequel la Cour peut intervenir pour renverser les conclusions de faits. (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, par. 26 à 41.)

 

[31]           Le défendeur soutient qu’un décideur appelé à se prononcer sur les risques que court une personne dans un pays donné est en droit de soupeser la preuve et d’accorder plus de poids à des sources qu’il juge fiables et crédibles qu’à d’autres preuves. (Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 946 (QL); Tawfik c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 835 (QL); Marchant Andrade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 553 (QL); Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 681 (QL); Victorov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 900 (QL).)

 

[32]           Il appartenait donc à l’agent ERAR d’apprécier la preuve présentée :

[15]      Malgré les efforts valables de l'avocat du demandeur afin d'établir que la conclusion de l'agente est déraisonnable, la preuve documentaire n'est pas sans équivoque. Les questions de poids et de crédibilité de la preuve dans un examen des risques relèvent totalement du pouvoir discrétionnaire de l'agent ERAR et, habituellement, la Cour ne doit pas substituer son analyse à celle de l'agent (Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada, [1982] 2 R.S.C. 2; Ferroequus Railway Co. c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, [2003] A.C.F. no 1773, au paragraphe 14, (C.A.F.) (QL); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 974, au paragraphe 4 (1re inst.) (QL)).

[...]

 

[17]      [...] Il suffit de dire qu'il existe une preuve documentaire qui étaye la conclusion de l'agente. Il existe peut-être une preuve documentaire qui présente une position quelque peu différente, mais je ne suis pas disposé à dire, en l'espèce, que le fait de ne pas mentionner précisément cette preuve a pour effet de modifier la conclusion générale de l'agente selon laquelle le demandeur ne serait pas personnellement menacé de persécution. (La Cour souligne.)

 

(Sidhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 39, [2004] A.C.F. no 30 (QL).)

[33]           Il appartient à l’agent de jauger le poids à accorder aux allégations de monsieur Diallo à la lumière de la preuve documentaire sur la situation dans son pays. En l’absence d’une erreur manifestement déraisonnable dans l’appréciation de l’agent, il n’y a pas de motif donnant ouverture à l’intervention de la Cour.

 

[34]           Dans son argumentation, bien que monsieur Diallo exprime généralement son désaccord avec les notes de l’agent ERAR, il ne démontre pas en quoi la décision de l’agent serait manifestement déraisonnable.

 

[35]           Quant au climat d’insécurité qui règne en Guinée, il ressort clairement de la décision que l’agent en a tenue compte. À cet égard, l’agent a même tenu compte de la preuve documentaire très récente sur la situation en Guinée, tel qu’il appert de la liste de documents citée dans la décision ERAR. (Notes au dossier, pp. 6-7 de la décision ERAR.)

 

[36]           Cependant, l’agent ERAR a jugé, à bon droit, qu’il s’agissait d’un risque généralisé et non d’un risque personnel.

 

[37]           L’agent ERAR a même vérifié si monsieur Diallo faisait partie d’un groupe ciblé et en est arrivé à une conclusion négative.

 

 

 

CONCLUSION

[38]           Compte tenu de ce qui précède, les prétentions de monsieur Diallo ne sont pas de nature à convaincre cette Cour qu’il existe des motifs sérieux, susceptibles de lui permettre d’accueillir le recours qu’il cherche à introduire.

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que

1.         La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;

2.         Aucune question grave de portée générale soit certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-291-07

 

INTITULÉ :                                       ABDRAMANE DIALLO

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA

SÉCURITÉ ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 19 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 18 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Valérie Jolicoeur

 

POUR LA DEMANDERESSE

Me Liza Maziade

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

DOYON & ASSOCIÉS

Montréal (Quéebec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

 

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