Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date :  20071016

Dossier :  IMM-1190-07

Référence :  2007 CF 1047

Ottawa (Ontario), le 16 octobre 2007

En présence de Monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

demandeur

et

 

PALUMBO, Vincenzo

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

APERÇU

[1]               La décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, a été prise sans respectant le paragraphe 26(3) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS-2002-230 (Règles de la SAI), qui exige que les parties soient avisées lorsque ce tribunal entreprend de réviser un appel de sa propre initiative. En plus d’une violation de ses propres règles, ce manquement constitue une violation des règles d’équité procédurale et de justice naturelle.

[2]               Il importe de signaler que dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Charabi, 2006 CF 996, [2006] A.C.F. no 1272 (QL), le juge Pierre Blais a cassé une autre décision semblable du même commissaire.

 

[3]               Dans cette affaire, malgré avoir donné avis aux parties qu’elle allait procéder au réexamen périodique du sursis, la SAI, a privé le demandeur du droit d’être entendu puisque l’avis donné ne constituait pas un avis suffisant de la nature de l’audience devant le commissaire qui a procédé à l’annulation du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du défendeur et fait droit à l’appel de ce dernier.

 

[4]               En l’espèce, la violation des droits des parties est encore plus flagrante en ce qu’elles n’ont même pas été avisées par la SAI qu’elle allait procéder au réexamen périodique du sursis.

 

INTRODUCTION

[5]               Il s’agit d’une Demande d’autorisation et Demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la SAI, rendue par le commissaire, Me Robert Néron, le 21 février 2007, dans le dossier MA5-02237, réexaminant et modifiant les termes du sursis de la mesure de renvoi qui avait été accordé au défendeur, le 31 mai 2006.

 

[6]               Le demandeur conteste cette décision puisque le commissaire Néron a ouvert le dossier de son propre chef et a procédé unilatéralement à sa révision sans en aviser les parties. Il y a eu violation des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale.

[7]         [17]      Je fais maintenant référence à un peu de doctrine et de jurisprudence. Plus précisément, dans l'ouvrage intitulé Administrative Law, troisième édition, David J. Mullan cite ce qui suit à la page 240, au paragraphe 111 :

 

[TRADUCTION]

 

Un préavis suffisant exige que le décisionnaire fournisse aux personnes qui ont droit à ce préavis suffisamment de renseignements sur la nature de la procédure et qu'elles soient suffisamment prévenues de l'intention de rendre une décision, ce qui leur permettra de préparer les éléments de preuve et les arguments qu'elles présenteront et de répondre aux éléments de preuve et aux arguments de ceux qui tiennent une position contraire, ainsi que de comparaître et participer de manière efficace à n'importe quelle audience. Dans les procédures auxquelles prennent part des parties opposées, cette obligation peut aller jusqu'à exiger que chacune des parties révèle à l'autre les points qu'elle entend faire valoir à l'audience.

 

[18]      En outre, dans l'arrêt Confederation Broadcasting (Ottawa) Ltd. c. Canada (Canadian Radio-Television Commission), [1971] R.C.S. 906, la Cour suprême du Canada a décrété ce qui suit :

 

Il est très clair que la justice naturelle exige qu'une personne connaisse parfaitement et complètement les accusations portées contre elle et qu'elle ait l'occasion de répondre à ces accusations. Cette Cour a affirmé dans deux décisions récentes : Regina v. Quebec Labour Relations Board, ex parte Komo Construction Inc., [1968] R.C.S. 172, 1 D.L.R. (3d) 125, et Quebec Labour Relations Board v. Canadian Ingersoll Rand Co. Ltd. et al, [1968] R.C.S. 695, 1 D.L.R. (3d) 417, que la justice naturelle ne va pas jusqu'à exiger la tenue d'audiences de façon habituelle. À mon avis, les arrêts ci-dessus, cités par le procureur de l'intimé en l'espèce, sont de peu de conséquence sur le point en litige, vu qu'une audience a été tenue; cependant, il est clairement dit dans ces deux arrêts que "l'obligation est de fournir à la partie l'occasion de faire valoir ses moyens" (arrêt Komo) et que "l'obligation est de donner aux parties l'occasion de faire valoir leurs moyens" (arrêt Canadian Ingersoll Rand).

 

Dans la présente cause, on ne se plaint pas de ce qu'une audience n'ait pas été tenue, mais de l'omission, de la part de l'intimé, de faire connaître d'une façon ou d'une autre la question qui serait étudiée à l'audience.

 

[19]      Dans la décision Stocking, précitée, le juge Nadon déclare ce qui suit au paragraphe 16 : La lettre en date du 21 août 1997 de la section d'appel, qui est citée intégralement plus haut, ne constitue pas un avis suffisant ou raisonnable donné au demandeur. Si la section d'appel avait l'intention de réexaminer le dossier du demandeur afin de décider s'il convenait de prolonger le sursis, comme le lui permettait le paragraphe 74(3) de la Loi, elle pouvait et aurait dû en informer le demandeur. Ce dont le demandeur a été avisé, c'est que la section d'appel s'assurerait qu'il avait respecté les conditions du sursis. Comme l'a constaté la présidente de l'audience, la preuve a révélé que le demandeur avait respecté les conditions qui lui avaient été imposées. À mon avis, ce fait aurait dû être suffisant pour trancher la question soumise à la section d'appel le 20 octobre 1997. Dans les circonstances, je suis donc d'avis que les règles de justice naturelle exigent que la décision de la section d'appel soit annulée. Si la Commission désire réexaminer le sursis initial, elle a compétence pour le faire, mais les règles de justice naturelle exigent que le demandeur soit avisé de l'intention de la Commission et ait la possibilité d'être entendu.

 

(Charabi, ci-dessus.)

 

FAITS

[8]               Pour les faits de l’espèce, le demandeur se base entièrement, et réfère aussi la Cour, sur l’affidavit de la Conseillère Principale de l’Agence des services frontaliers du Canada, madame Nathalie Bélanger.

 

[9]               Le défendeur, monsieur Vincenzo Palumbo, est un citoyen de l’Italie. Il est arrivé au Canada le 11 avril 1981 et est devenu résident permanent ce même jour.

 

[10]           Le 22 novembre 2004, il a été déclaré coupable de deux infractions prévues au Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46, et à la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, 1996, ch. 19, et condamné à neuf mois de prison, soit pour complot de commettre l’acte criminel de trafic de cocaïne et possession de cocaïne en vue d’en faire le trafic.

 

[11]           Le 22 mars 2006, il a fait l’objet d’un rapport d’interdiction de territoire aux termes de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) pour grande criminalité aux termes de l’alinéa 36(1)a) de la même loi et le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a déféré l’affaire à la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié pour enquête.

 

[12]           Le 18 mai 2005, la SI a ordonné l’expulsion du défendeur du Canada.

 

[13]           Le défendeur a porté en appel cette décision devant la SAI invoquant des raisons d’ordre humanitaires.

 

[14]           Le 31 mai 2006, le commissaire, Me Tony Manglaviti, de la SAI, a ordonné un sursis de la mesure de renvoi pour une période de sept ans, moyennant certaines conditions, tel qu’il appert de la pièce « B » de l’affidavit de madame Bélanger.

 

[15]           La SAI a aussi prévu, dans sa décision, qu’un examen provisoire du cas du défendeur pourrait, au besoin, avoir lieu le ou vers le 2 août 2007.

 

[16]           Le 21 février 2007, le commissaire Néron, a révisé le cas et ordonné le maintien du sursis aux même conditions que celles figurant dans l’ordonnance du 31 mai 2007, mais l’a réduit de trois ans.

 

[17]           Le greffe de la SAI confirme que le dossier ne contenait aucune demande de réexamen ou de révision du sursis de la part du défendeur et que les parties n’ont jamais été avisées de l’intention du tribunal de réexaminer et de modifier le sursis.

 

POINT EN LITIGE

[18]           Est-ce que les règles de justice naturelle et d’équité procédurale ont été respectées par la SAI?

 

ANALYSE

[19]           Il est indéniable en l’espèce que les règles d’équité procédurale et de justice naturelle n’ont pas été respectées par la SAI.

 

[20]           Le processus d’appel devant la SAI est régi par les articles 62 à 71 de la LIPR et par les articles 26 et 27 des Règles de la SAI.

 

[21]           L’article 68 de la LIPR prévoit, entre autres, que la SAI peut, sur demande ou de sa propre initiative, annuler, modifier ou réviser un sursis :

 

Sursis

 

68.      (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

 

Effet

 

(2) La section impose les conditions prévues par règlement et celles qu’elle estime indiquées, celles imposées par la Section de l’immigration étant alors annulées; les conditions non réglementaires peuvent être modifiées ou levées; le sursis est révocable d’office ou sur demande.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Suivi

 

(3) Par la suite, l’appel peut, sur demande ou d’office, être repris et il en est disposé au titre de la présente section.

 

 

 

Classement et annulation

 

 

(4) Le sursis de la mesure de renvoi pour interdiction de territoire pour grande criminalité ou criminalité est révoqué de plein droit si le résident permanent ou l’étranger est reconnu coupable d’une autre infraction mentionnée au paragraphe 36(1), l’appel étant dès lors classé.

Removal order stayed

 

68.      (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

Effect

 

(2) Where the Immigration Appeal Division stays the removal order

 

(a) it shall impose any condition that is prescribed and may impose any condition that it considers necessary;

 

(b) all conditions imposed by the Immigration Division are cancelled;

 

(c) it may vary or cancel any non-prescribed condition imposed under paragraph (a); and

 

(d) it may cancel the stay, on application or on its own initiative.

 

 

Reconsideration

 

(3) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order, it may at any time, on application or on its own initiative, reconsider the appeal under this Division.

 

Termination and cancellation

 

(4) If the Immigration Appeal Division has stayed a removal order against a permanent resident or a foreign national who was found inadmissible on grounds of serious criminality or criminality, and they are convicted of another offence referred to in subsection 36(1), the stay is cancelled by operation of law and the appeal is terminated.

 

[22]           La décision de la SAI a été prise sans respectant le paragraphe 26(3) des Règles de la SAI, qui exige que les parties soient avisées lorsque ce tribunal entreprend de réviser un appel de sa propre initiative. En plus d’une violation de ses propres règles, ce manquement constitue une violation des règles d’équité procédurale et de justice naturelle :

26.      [...]

 

Reprise de l'appel par la Section de sa propre initiative

 

(3) Dans le cas où la Section reprend l'appel de sa propre initiative, elle en avise les parties. Chaque partie transmet, à la Section et à l'autre partie, dans le délai fixé par la Section, une déclaration écrite portant sur le respect ou non, par la personne en cause, des conditions du sursis.

26.      …

 

Reconsideration on Division's own initiative

 

 

(3) If the Division reconsiders an appeal on its own initiative, the Division must notify the parties. The parties must provide to the Division and each other, within the time period specified by the Division, a written statement of whether the subject of the appeal has complied with the conditions of the stay.

 

[23]           Il importe de signaler que dans Charabi, ci-dessus, en 2006, le juge Blais a cassé une autre décision semblable du même commissaire.

 

[24]           Dans cette affaire, malgré avoir donné avis aux parties qu’elle allait procéder au réexamen périodique du sursis, la SAI a privé le demandeur du droit d’être entendu puisque l’avis donné ne constituait pas un avis suffisant de la nature de l’audience devant le commissaire qui a procédé à l’annulation du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du défendeur et fait droit à l’appel de ce dernier.

 

[25]           En l’espèce, la violation des droits des parties est encore plus flagrante en ce qu’elles n’ont même pas été avisées par la SAI qu’elle allait procéder au réexamen périodique du sursis.

 

[26]           L’omission d’aviser les parties, invalide la décision de la SAI.

 

CONCLUSION

[27]           Cette Cour résume les propos du juge Blais dans Charabi, ci-dessus, pour faire valoir que, si la SAI avait l’intention de procéder au réexamen et la modification du sursis, elle n’avait qu’à simplement donner un avis approprié aux parties de cette intention.

 

[28]           Le défaut de l’avoir fait constitue un manquement aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale nécessitant l’intervention de cette Cour.


 

JUGEMENT

 

Compte tenu qu’une question grave a été soulevée et que la situation démontre que la cause est raisonnable et défendable,

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée à l’encontre de la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et que l’affaire soit retournée pour redétermination par un panel autrement constitué.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1190-07

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION c.

                                                            PALUMBO, Vincenzo

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 20 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 16 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Evan Liosis

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Carmine Mercadante

(Par lettre qu’elle ne conteste pas les arguments du demandeur)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

EVAN LIOSIS, Avocat

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.