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Date : 20071005

Dossier : IMM-5568-06

Référence : 2007 CF 1026

Ottawa (Ontario), le 5 octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

 

 

ENTRE :

ABDULVEHAP DUNDAR

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Section de la protection des réfugiés (la Commission), selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une « personne à protéger ». La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve crédibles justifiant sa demande.

 

 

 

L’HISTORIQUE DES FAITS

[2]               Le demandeur prétend qu’il est Kurde alévi. Lorsqu’il était étudiant à l’université, il a commencé à s’intéresser à la politique et à appuyer le Parti de la démocratie du peuple (HADEP) en 1996.

 

[3]               Plus particulièrement, il allègue qu’en décembre 1998, en juillet 2003 et en juillet 2004, il a été placé en détention par la police, interrogé et maltraité pendant plusieurs jours de suite.

 

[4]               Le demandeur a ensuite décidé de quitter la Turquie et a obtenu un visa d’étudiant le 1er septembre 2004. Il a quitté la Turquie pour venir au Canada le 12 octobre 2004.

 

[5]               L’audience concernant le statut de réfugié du demandeur a été tenue le 21 août 2006, lors de laquelle il a fait part de sa crainte d’être persécuté par les autorités turques en raison de son origine ethnique et de ses opinions politiques.

 

[6]               La Commission a conclu que le demandeur n’avait pas donné d’éléments de preuves crédibles et dignes de foi justifiant sa demande.

 

[7]               La Commission a estimé que bien que le demandeur ait fait preuve de collaboration pendant son témoignage, il avait donné des réponses générales concernant ses activités politiques de gauche.

 

[8]               De plus, la Commission a affirmé que le demandeur n’avait pas présenté de documents dignes de foi concernant son appui des activités politiques. La Commission a conclu que le motif invoqué par le demandeur pour expliquer pourquoi il n’avait pas obtenu de lettre confirmant sa participation aux activités politiques de gauche était insuffisant. La Commission a également fait remarquer qu’il n’y avait aucune documentation objective digne de foi concernant les allégations de mauvais traitements soulevées par le demandeur. D’après la preuve documentaire, il n’y avait eu aucune occurrence de mauvais traitements infligés à des alévis pendant la période de janvier 2002 à avril 2005.

 

[9]               La Commission a aussi fondé sa décision sur la déclaration solennelle de l’agent d’audience quant à une « deuxième entrevue » avec le demandeur. La déclaration révèle qu’au cours de l’entrevue, le demandeur a admis avoir donné de faux renseignements dans son Formulaire de renseignements personnels et que son prétendu engagement auprès du HADEP avait été inventé pour appuyer sa demande d’asile.

 

[10]           Malgré l’explication du demandeur selon laquelle il avait été soumis à des pressions et à l’intimidation au cours de la deuxième entrevue, qu’il n’avait pas entièrement compris la situation et qu’il n’avait pas eu d’autre choix que de rétracter ses allégations antérieures, la Commission a accordé une grande importance à la déclaration solennelle. 

 

[11]           En résumé, le témoignage superficiel du demandeur, son manque de diligence quant à l’obtention de documents et les renseignements contenus dans la déclaration solennelle de l’agent d’audience ont amené la Commission à conclure que, selon la prépondérance de la preuve, le demandeur ne s’était pas engagé dans des activités politiques qui auraient été à l’origine de mauvais traitements de la part des autorités turques.

 

[12]           Les conclusions de crédibilité sont des questions de fait et, par conséquent, la norme de contrôle qui leur est applicable est la décision manifestement déraisonnable (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1993) 160 N.R. 315 (QL); Asashi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 102, [2005] A.C.F. no 129 (QL), au paragraphe 6; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Elbarnes, 2005 CF 70, [2005] A.C.F. no 98 (QL), au paragraphe 19). Les conclusions susceptibles d’un contrôle selon cette norme ne sont pas modifiées sauf si elles sont « clairement irrationnelle[s] » ou « de toute évidence non conforme[s] à la raison » (Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, à la page 963). 

 

[13]           Bien que le demandeur ait présenté cette question comme une question de crédibilité, le fait que la Commission ait accepté en preuve la déclaration solennelle est, à mon avis, une question d’équité procédurale.

 

[14]           La jurisprudence de la Cour fédérale révèle qu’un demandeur doit soulever ses allégations en matière d’équité procédurale à la première occasion qui lui est donnée. Cette occasion est définie comme suit dans la décision Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, [2006] A.C.F. no 631 (QL), au paragraphe 220 :

[…] lorsque le demandeur est informé des renseignements pertinents et qu’il est raisonnable de s’attendre à ce qu’il soulève une objection.

 

Ainsi, il incombe aux demandeurs de soulever toute objection quant aux manquements à l’équité procédurale dès qu’ils surviennent.

 

[15]           Étant donné que le demandeur n’a pas présenté d’objection au cours de l’audience concernant le statut de réfugié, quelle que soit l’existence d’une obligation quelconque de la part de la Commission d’exiger que les transcriptions et les enregistrements de la deuxième entrevue soient disponibles, le demandeur ne peut maintenant plus soulever cet argument.

 

[16]           En réalité, au début de l’audience, le commissaire a expressément demandé à l’avocat du demandeur s’il s’opposait à la communication de la déclaration solennelle; il a obtenu une réponse négative. Par conséquent, le demandeur a renoncé à son droit de soulever cette question lors du contrôle judiciaire.

 

[17]           Quant à la décision défavorable au sujet de la crédibilité, il est bien établi que « [l’]évaluation de la crédibilité d’un demandeur constitue l’essentiel de la compétence de la Commission » (R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, [2003] A.C.F. no 162 (QL), au paragraphe 7). Par conséquent, la Cour ne peut pas substituer à la légère ses décisions au sujet de la crédibilité à celles de la Commission.

 

[18]           Il revient au demandeur d’établir les éléments de sa demande d’asile (Gill c. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2004 CF 1498, [2004] A.C.F. no 1828, au paragraphe 25). Dans la décision Samseen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 542, [2006] A.C.F. no 727 (QL), au paragraphe 14, la Cour a statué que ce principe comportait l’obligation de « répondre de façon sincère, cohérente et non évasive à des questions de base au sujet d’incidents qui lui seraient arrivés et qui servent de fondement à sa demande. […] ».

 

[19]           De plus, au moment d’évaluer le bien‑fondé d’une revendication du statut de réfugié, « […] la Commission [a] le droit de tenir compte du peu d’efforts que le demandeur [a] déployés pour obtenir une preuve corroborant [les éléments de sa demande] et de tirer une conclusion défavorable au sujet de sa crédibilité pour cette raison » (décision Samseen, susmentionnée, au paragraphe 30). Par conséquent, bien qu’une preuve corroborante ne soit pas déterminante en ce qui concerne une revendication du statut de réfugié, la Commission a le droit de se demander pourquoi aucune preuve n’a été fournie.

 

[20]           À vrai dire, ce principe provient directement de l’article 7 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228, qui prévoit ce qui suit :

Le demandeur d'asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S'il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s'en procurer.

 

[21]           Dans la décision Amarapala c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 12, [2004] A.C.F. no 62 (QL), au paragraphe 10, le juge Kelen a abordé cette question lorsqu’il a fait valoir ce qui suit :

Il est bien établi qu'un tribunal ne peut tirer de conclusions négatives du seul fait qu'un demandeur d'asile n'a pas transmis de documents extrinsèques pour corroborer sa demande. Cependant, lorsqu'un tribunal a des motifs valables de douter de la crédibilité d'un demandeur, le fait que celui-ci n'ait pas transmis de documents corroborants est un facteur dont il peut à bon droit tenir compte s'il n'accepte pas l'explication du demandeur quant à la raison pour laquelle il n'a pas transmis ces documents.

 

[22]           Je suis d’accord avec le juge Kelen quant à son approche en matière de preuve corroborante. Lorsqu’il existe des motifs valables de douter la crédibilité d’un demandeur, la Commission peut tirer des conclusions défavorables quant à sa crédibilité s’il ne présente pas de documents corroborants. Cependant, à mon avis, ces conclusions peuvent seulement être tirées lorsque le demandeur n’a également pas été en mesure d’expliquer pourquoi il n’a pas fourni de documents corroborants.

 

[23]           En l’espèce, la Commission a affirmé qu’elle avait d’autres motifs valables pour douter des allégations du demandeur. Les réponses de nature générale fournies par le demandeur dans son témoignage à l’égard de ses activités politiques et de son engagement ainsi que la déclaration solennelle révélant qu’il avait inventé certains éléments de sa revendication du statut de réfugié, sans mentionner le motif inadéquat qu’il avait invoqué pour expliquer pourquoi il n’avait pas présenté de documents corroborants, suffisaient pour entacher sa crédibilité en l’espèce. Cette conclusion est d’autant plus raisonnable que la preuve documentaire objective donne à penser que les alévis ne sont pas persécutés en Turquie et que les Kurdes ne sont pas persécutés uniquement parce qu’ils sont Kurdes.

 

[24]           Le demandeur ne m’a pas convaincue qu’il existe une raison justifiant l’intervention de la Cour. Les conclusions sont fondées sur la preuve et la Commission a exposé ses motifs de façon claire et non équivoque.

 

[25]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

 

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5568-06

 

INTITULÉ :                                      ABDULVEHAP DUNDAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 3 octobre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :           La juge Tremblay-Lamer

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 5 octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alex Billingsley

 

POUR LE DEMANDEUR

Kareena Wilding

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cintosun & Associates

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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