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Date : 20071001

Dossier : IMM-424-07

Référence : 2007 CF 981

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BEAUDRY

 

 

ENTRE :

BOUALEM DJERROUD

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) relativement à une décision en date du 11 janvier 2007 par laquelle un agent chargé d’examiner les risques avant le renvoi (l’agent) a refusé la demande de résidence permanente présentée par le demandeur sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[2]               Les questions en litige sont les suivantes :

1.      L’agent a-t-il manqué à l’obligation d’agir avec équité à laquelle il était tenu envers le demandeur lors de son examen de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire?

2.      L’agent a-t-il commis une erreur justifiant l’annulation de sa décision en estimant qu’il n’existait pas de raisons d’ordre humanitaire suffisantes pour faire droit à la demande du demandeur?

 

[3]               La Cour répond par la négative à ces deux questions. La présente demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

 

CONTEXTE

[4]               Né le 7 juillet 1973, le demandeur est un citoyen de l’Algérie. Il est arrivé au Canada le 31 août 1994 ou vers cette date après avoir transité par divers pays européens. Il voyageait sous une autre identité et il était muni d’un passeport français. Le 21 septembre 1994, il a revendiqué le statut de réfugié aux bureaux de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Montréal. 

 

[5]               Entre 1994 et 1996, le demandeur a eu des démêlés avec la justice : deux procès ont été intentés contre lui pour agression sexuelle. Il y a toutefois eu par la suite un désistement total dans l’une de ces poursuites. Il a également été condamné pour une fraude de moins de 5 000 $ et a été condamné à une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis et à deux ans de probation.

 

[6]               Le 1er août 1996, la Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention.

 

[7]               Le 27 juillet 1997, le demandeur a épousé une citoyenne canadienne. Ils ont déposé conjointement le 8 septembre 1997 une demande de parrainage en vue de lui permettre d’obtenir la résidence permanente. Cette demande a été refusée le 28 juillet 1997 car les fonctionnaires chargés d’examiner cette demande n’étaient pas convaincus de l’authenticité de ce mariage. Le demandeur a divorcé en 2002.

 

[8]               Entre 1998 et 1999, CIC a tenté à plusieurs reprises d’expulser le demandeur en Algérie. À l’époque, les renvois vers l’Algérie faisaient l’objet d’une suspension, mais CIC a été autorisée par la Direction générale du règlement des cas à expulser le demandeur. Les tentatives de renvoi ont échoué. La première tentative n’a pas réussi parce que le demandeur n’avait pas soumis son passeport. Il n’avait également pas présenté les bonnes pièces d’identité au consulat algérien pour  obtenir de nouveaux titres de voyage. 

 

[9]                Le 20 janvier 2003, le demandeur a déposé une nouvelle demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Cette demande a été refusée le 1er mai 2003.

 

[10]             CIC a essayé de nouveau de renvoyer le demandeur. Cette fois-ci, le demandeur avait soumis des copies de son passeport, qui était toutefois expiré depuis 2000. Le 18 septembre 2003, CIC a signé une demande visant à obtenir des titres de voyage pour le demandeur. Le consulat algérien a toutefois refusé de délivrer ces documents car la réglementation algérienne avait changé. 

 

[11]           Le 23 décembre 2004, le demandeur a obtenu un pardon de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

 

[12]           Le demandeur a soumis une autre demande de résidence permanente fondée sur des raisons d’ordre humanitaire le 16 avril 2005. L’examen de cette demande a commencé en octobre 2006 et des renseignements complémentaires ont été réclamés au demandeur, qui a soumis une demande mise à jour en novembre 2006.

 

[13]           Le 20 décembre 2006, un autre agent d’immigration a téléphoné au demandeur pour lui demander s’il était en couple et pour savoir quels étaient ses projets d’avenir.

 

[14]           Le 11 janvier 2007, l’agent P. Passaglia a adressé au demandeur une lettre portant refus de sa demande.

 

LA DÉCISION À L’EXAMEN

[15]           L’agent a examiné la situation du demandeur et a examiné les raisons d’ordre humanitaire invoquées dans son cas. Dans ses motifs, l’agent a d’abord rappelé en détail l’histoire du demandeur au Canada. Il reprenait en partie les renseignements contenus dans le dossier du demandeur. Quoique plus détaillé, son exposé était semblable au récit des faits qui vient d’être fait. Les faits en question étaient articulés séparément des facteurs sur lesquels l’agent s’était fondé pour en arriver à sa décision défavorable. Voici les motifs que l’agent a donnés pour conclure que les raisons d’ordre humanitaire invoquées dans le cas du demandeur étaient insuffisantes :

 

·                Le demandeur avait expliqué que des circonstances indépendantes de sa volonté l’avaient empêché de présenter sa demande de résidence permanente depuis l’étranger, ce qui l’avait amené à s’établir au Canada. L’agent a toutefois conclu que l’incapacité du demandeur de quitter le Canada était largement attribuable à ses propres actes parce que :

                                          a)      le demandeur n’avait pas été forcé de demeurer au Canada parce qu’il n’était pas muni de titres de voyage, puisqu’il avait un passeport qui était valide jusqu’en 2000. Il avait refusé de le présenter à CIC lorsque CIC avait tenté de l’expulser en 1999. Rien ne permettait de penser qu’il avait soumis même des photocopies du passeport, qui lui auraient permis d’obtenir des titres de voyage; pourtant, il a présenté des copies de son passeport à CIC en 2003, alors que ce passeport était déjà expiré;

                                         b)      loin de collaborer avec les autorités, le demandeur a, ainsi que le dossier le démontre, refusé systématiquement d’obtempérer aux demandes de production des pièces qui lui auraient permis de quitter le Canada;

                                          c)      au départ, c’est le demandeur qui a choisi de venir au Canada et d’essayer de s’y établir car, avant d’arriver au Canada, il avait transité par plusieurs autres pays signataires de la Convention après avoir quitté l’Algérie;

                                         d)      il exerçait un contrôle sur d’autres facteurs qui avaient retardé son renvoi du Canada, tels que la nécessité de s’occuper de sa condamnation pour fraude et de déposer sa demande de parrainage de sa conjointe;

·                malgré le fait qu’il vit au Canada depuis 1994, qu’il compte de nombreux amis et qu’il fréquente une petite amie depuis longtemps, le demandeur n’avait pas créé de liens solides au Canada. Marié en 1997, il est maintenant divorcé et n’a pas de famille immédiate au Canada. La plupart des membres de sa famille se trouvent toujours en Algérie, à l’exception d’un frère, qui vit aux États-Unis, et d’un autre, qui habite en France; 

·                bien qu’il soit tout à son crédit d’avoir observé une bonne conduite et d’avoir obtenu son pardon et qu’il ait eu une adresse fixe pendant un certain temps et qu’il ait fait du bénévolat, rien ne permet de penser que le demandeur a cherché à améliorer ses compétences ou qu’il ait été à la recherche d’occasions d’améliorer ses chances d’emploi;

·                suivant le rapport psychologique qui a été soumis, le demandeur a souffert d’anxiété à la suite du refus des autorités de lui accorder un statut au Canada. Ce facteur ne s’est cependant pas vu accorder beaucoup de poids étant donné que sa situation n’était pas différente de celle des autres immigrants se trouvant dans la même situation;

·                les risques que courait le demandeur en cas de retour en Algérie n’étaient pas extrêmes. Les renseignements que le demandeur avait fournis étaient les mêmes que ceux que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié avait considérés comme manquant de crédibilité. Une de ses principales affirmations était qu’il serait exposé à des risques s’il retournait en Algérie parce que lui et son père avaient travaillé pour la police. Outre le fait qu’aucun nouvel élément de preuve n’avait été soumis pour étayer cette affirmation, le père du demandeur avait depuis pris sa retraite et vivait toujours en Algérie avec quelques-uns des membres de la famille du demandeur;

·                depuis la dernière fois que CIC avait tenté d’expulser le demandeur, des rapports d’Amnistie International Reports montraient que la situation s’était améliorée en Algérie et que CIC avait levé la suspension des renvois vers l’Algérie.

 

[16]           L’agent a conclu que, compte tenu de ces facteurs, l’établissement du demandeur n’était pas attribuable exclusivement à des circonstances indépendantes de sa volonté et qu’en tout état de cause, les liens en question n’étaient pas importants. De plus, le demandeur ne serait pas exposé à un risque personnalisé s’il devait retourner en Algérie. L’agent n’était par conséquent pas convaincu que le fait qu'il doive se soumettre à la procédure habituelle pour obtenir la résidence permanente en présentant sa demande hors du Canada ne causerait pas au demandeur des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives.

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[17]           Les dispositions relatives aux raisons d’ordre humanitaire qui peuvent être invoquées pour immigrer au Canada sont énoncées au paragraphe 25(1) de la Loi, qui dispose :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Humanitarian and compassionate considerations 25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[18]           Les dispositions dont l’agent s’est servi pour examiner la demande présentée en l’espèce par le demandeur se trouvent au chapitre IP-05 du Guide de l’immigration. Ce guide énumère les facteurs dont l’agent peut tenir compte pour évaluer le degré d’établissement au Canada.

5.1 Motifs d’ordre humanitaire

Il incombe au demandeur de prouver au décideur que son cas particulier est tel que la difficulté de devoir obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada serait

(i) soit inhabituelle et injustifiée;

(ii) soit excessive.

Le demandeur peut exposer les faits qu’il juge pertinents, quels qu’ils soient.

5.1. Humanitarian and compassionate grounds

Applicants bear the onus of satisfying the decision-maker that their personal circumstances are such that the hardship of having to obtain a permanent resident visa from outside of Canada would be

(i) unusual and undeserved or

(ii) disproportionate.

Applicants may present whatever facts they believe are relevant.

11.2 Évaluation du degré d’établissement au Canada

Le degré d’établissement du demandeur au Canada peut être un facteur à considérer dans certains cas, particulièrement si l’on évalue certains types de cas comme les suivants :

• parents/grands-parents non parrainés;

• séparation des parents et des enfants (hors de la catégorie du regroupement familial);

• membres de la famille de fait;

• incapacité prolongée à quitter le Canada aboutissant à l’établissement;

• violence familiale;

• anciens citoyens canadiens; et

• autre cas.

[…]

11.2 Assessing the applicant’s degree of establishment in Canada

The applicant’s degree of establishment in Canada may be a factor to consider in certain situations, particularly when evaluating some case types such as:

• parents/grandparents not sponsored;

• separation of parents and children (outside the family class);

de facto family members;

• prolonged inability to leave Canada has led to establishment;

• family violence;

• former Canadian citizens; and

• other cases.

 

[…]

 

[19]           Bien que ces directives n’aient pas force de loi, les tribunaux ont reconnu que le public peut les consulter et qu’elles peuvent être très utiles au tribunal (Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358 (C.A.) (Legault)).

 

ANALYSE

Norme de contrôle

[20]           Il est de jurisprudence constante qu’il n'est pas nécessaire de recourir à l'analyse pragmatique et fonctionnelle lorsque la Cour examine des allégations de déni de justice naturelle ou de manquement à l'équité procédurale car, en pareil cas, la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte. Si la Cour arrive à la conclusion que, par ses agissements, le tribunal administratif a manqué à son devoir d’équité, elle n'est pas tenue de faire montre de déférence. Toutefois, le contenu de l’obligation d’agir avec équité dépend des circonstances de l’espèce et du type de décision en cause (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, (Baker), aux paragraphes 32, 33 et 34; Ren c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 C.F. 766, [2006] A.C.F. no 994, au paragraphe 8).

 

[21]           Notre Cour abonde dans le sens de la Cour suprême lorsqu’elle déclare, aux paragraphes 57 à 62 de l’arrêt Baker, précité, que la norme de contrôle appropriée lorsqu’on examine des décisions relatives à des raisons d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable simpliciter. Cet énoncé a été confirmé dans des décisions récentes et notre Cour a rappelé que la pondération des facteurs pertinents ne ressortit pas au tribunal appelé à contrôler l'exercice du pouvoir discrétionnaire ministériel (Agot c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 436, [2003] A.C.F. no 607 (C.F.), au paragraphe 8 (Agot); Sandrasegara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 498, [2007] A.C.F. no 671 (F.C.), au paragraphe 11).

 

[22]           Le demandeur avance plusieurs arguments au sujet de l’équité procédurale et du caractère raisonnable des décisions de l’agent. Nous les analyserons sous les rubriques qui suivent.

 

L’obligation d’agir avec équité

[23]           Suivant le demandeur, la décision de l’agent soulève une crainte raisonnable de partialité parce que l’agent a retenu contre le demandeur ses antécédents judiciaires, malgré le fait qu’il avait obtenu un pardon pour ces crimes. Le demandeur ajoute que l’agent aurait dû l’interroger au sujet de ses antécédents criminels s’il avait l’intention d’en tenir compte pour rendre sa décision et qu’il aurait dû lui donner la possibilité d’y répondre. Il soutient que le fait que ces questions n’ont pas été soulevées lors de la conversation téléphonique porte atteinte à son droit à un préavis raisonnable.

 

[24]           Pour déterminer s’il existe une crainte raisonnable de partialité, il faut examiner la décision de l’agent dans son ensemble, sans oublier le critère bien établi posé par le juge de Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’Énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, au paragraphe 394, et qui a été accepté dans des nombreuses affaires depuis (Baker, précité, au paragraphe 46) :

[…] la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique.

 

 

[25]           Il ressort des motifs de l’agent que les arguments du demandeur sont mal fondés. Ainsi que le défendeur le souligne, les motifs ne permettent pas de penser que l’agent a accordé quelque poids que ce soit aux antécédents judiciaires du demandeur. Certes, l’agent a mentionné les incidents criminels, mais il l’a fait surtout dans la partie de sa décision intitulée « Résumé » où ils rappelaient les grandes lignes de l’histoire relatée dans le dossier du demandeur et il ne s’est pas fondé sur ces faits dans la partie de sa décision intitulée « Décisions et Raisons ». Lorsque cette partie de l’histoire du demandeur est mentionnée ailleurs que dans le « Résumé », elle n’est pas évoquée en des termes négatifs; elle est plutôt mentionnée comme l’un des divers facteurs qui avaient eu pour effet de retarder le renvoi du demandeur du Canada. 

 

[26]           Un autre élément de preuve qui démontre que l’agent n’a pas considéré que les antécédents judiciaires du demandeur constituaient un facteur négatif est le fait que l’agent a expressément mentionné le fait que le demandeur avait obtenu son pardon. L’agent mentionne ce fait en tant que facteur favorable au demandeur à la page 3 de ses motifs :

Bien, qu’il soit tout à son crédit d’avoir observé une bonne conduite et d’avoir obtenu le pardon, […]

 

 

[27]           La façon dont l’agent parle du casier judiciaire du demandeur ne permet pas de penser que cet élément a vicié sa décision ou qu’il l’a considéré comme un facteur négatif lui permettant de conclure qu’il n’y avait pas de raisons d’ordre humanitaire suffisantes dans le cas du demandeur. L’existence des antécédents judiciaires constituait plutôt l’un des divers éléments que l’agent a retenus pour conclure que l’établissement du demandeur au Canada n’était pas attribuable à des circonstances indépendantes de sa volonté. Si l’on examine le dossier du demandeur, on y trouve de nombreux documents se rapportant aux antécédents criminels du demandeur. Il aurait été étrange que l’agent ne les mentionne pas dans son résumé du dossier.

 

[28]           Le demandeur soutient par ailleurs qu’il a été victime d’un manquement à l’obligation d’agir avec équité parce que l’agent qui a rendu la décision n’était pas celui qui l’avait interrogé au téléphone le 12 décembre 2006. La jurisprudence citée par le demandeur sur ce point repose surtout sur l’existence de preuves contradictoires, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. Les notes qui ont été prises par un autre agent et qui se trouvent à la page 12 du dossier du tribunal ne contredisent pas celles qu’a rédigées l’agent qui a pris la décision. Voici la seule allusion à cette conversation téléphonique : « Lors d’une entrevue téléphonique, il mentionné (sic) avoir une liaison de longue date mais il n’a soumis aucune preuve. » (Dossier du tribunal, page 4, paragraphe 3).

 

[29]           La conclusion que l’agent n’a pas tenu compte du casier judiciaire du demandeur pour en arriver à sa décision répond aussi à l’argument que l’agent a manqué à son obligation d’équité en ne donnant pas un préavis suffisant au demandeur. L’arrêt Baker et le Guide IP utilisé pour guider les agents chargés de prendre des décisions sur le fondement de raisons d’ordre humanitaire exigent que l’agent avise le demandeur de tout facteur qui pourrait se traduire par une décision défavorable et qu’il permette au demandeur de répondre. Toutefois, comme les antécédents criminels du demandeur ne peuvent, en eux-mêmes, être considérés comme un facteur négatif, l’agent n’avait aucune raison de mentionner expressément ces facteurs au demandeur.

 

[30]           La Cour estime donc qu’une personne raisonnable qui examinerait la question ne conclurait pas à une crainte de partialité. 

 

Caractère raisonnable de la décision de l’agent

[31]           Les autres moyens qu’invoque le demandeur pour contester les décisions relatives aux raisons d’ordre humanitaire reposent sur l’argument que l’agent s’est fondé sur des éléments de preuve non pertinents et a tiré une conclusion de fait incorrecte qui ont influencé sa décision, rendant ainsi une décision déraisonnable.

 

[32]           Il est important de se rappeler, lorsqu’on examine ces arguments que, pour qu’une demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire soit accueillie, il incombe au demandeur de démontrer qu’il existe des raisons d’ordre humanitaire dans son cas (Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94, [2003] 3 C.F. 172, au paragraphe 11). Suivant le Guide IP-05, le demandeur doit démontrer que son cas particulier est tel que la difficulté de devoir obtenir un visa de résident permanent de l’extérieur du Canada serait inhabituelle, injustifié ou excessive. Si l’on tient compte de ce facteur, il est évident que les prétentions du demandeur visent la façon dont l’agent a soupesé et interprété la preuve. Rien ne permet de penser que l’agent a négligé des éléments de preuve importants ou qu’il a tiré des inférences déraisonnables. L’agent n’a tout simplement pas trouvé suffisamment de raisons d’ordre humanitaire pour justifier une décision favorable dans le cas du demandeur. 

 

[33]           La première erreur mentionnée par le demandeur est le fait que l’agent a déclaré que le demandeur était obligé de purger une peine d’emprisonnement de six mois, alors qu’en réalité il avait bénéficié d’un sursis de peine. Il est vrai que cette affirmation est incorrecte; toutefois, ainsi que je j’ai déjà signalé, l’agent ne s’est pas servi des antécédents criminels du demandeur pour justifier son rejet de la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire. Cette erreur n’est donc pas déterminante et elle n’a eu aucune incidence sur la décision qui s’en est suivi.

 

[34]           Le demandeur affirme par ailleurs que l’agent a commis une erreur en écrivant qu’il était muni d’un passeport en cours de validité jusqu’en 2000. Le demandeur affirme, dans son affidavit, qu’il n’a pris possession de ce passeport que récemment, lorsque son frère le lui a envoyé.

 

[35]           La question de savoir si le demandeur avait accès ou non à son passeport est un des facteurs dont l’agent a tenu compte pour conclure que la présence continue du demandeur au Canada n’échappait pas à sa volonté. Elle a aussi conduit l’agent à inférer que la collaboration du demandeur avec les autorités qui cherchaient à le renvoyer du Canada n’était pas authentique et que le demandeur n’avait pas respecté les lois canadiennes.

 

[36]           Cette inférence n’était pas fondée exclusivement sur la question de savoir si le demandeur avait le passeport original en sa possession au cours des tentatives faites en vue de le renvoyer en 1999. S’il avait produit des copies du passeport, on aurait alors pu procéder à son renvoi du Canada. Pourtant, il n’a fourni les copies en question qu’après l’expiration de son passeport, en 2000. Il ressort des documents du demandeur que ce dernier avait en sa possession des copies de son passeport en 2003 même si, comme il le prétend, il n’a obtenu l’original qu’une fois que son frère le lui a envoyé. C’est ce que l’examen de son dossier démontre, étant donné que des copies ont été soumises en 2003 avec la demande fondée sur des raisons d’ordre humanitaire présentée cette année‑là. De plus, même si son passeport avait été envoyé en Algérie alors qu’il était en détention, ainsi qu’il l’avait expliqué à un agent le 15 décembre 1998 (Dossier du tribunal, à la page 196), il aurait pu fournir des copies de son passeport aux autorités avant 2000. Il n’était donc pas déraisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur aurait été en mesure d’obtenir et de fournir des copies de ce passeport en 1999 lorsque les autorités cherchaient à le renvoyer.

 

[37]           Le demandeur fait par ailleurs valoir que l’agent n’aurait pas dû mentionner les raisons pour lesquelles il est venu au Canada à l’origine. Il affirme que ce fait n’était pertinent que pour trancher sa demande d’asile et qu’il n’aurait par conséquent pas dû être mentionné dans la décision.

 

[38]           L’agent se servait de ce renseignement dans le simple but de vérifier si le demandeur avait été forcé de demeurer au Canada en raison de circonstances indépendantes de sa volonté. Ce n’était pas un facteur déterminant. L’agent a simplement souligné que le demandeur n’avait pas été forcé de s’établir au Canada. Suivant l’arrêt Legault, précité, au paragraphe 29, l’agent chargé d’évaluer les facteurs d’ordre humanitaire peut tenir compte des agissements passés et actuels de l’intéressé. En conséquence, la façon dont l’agent s’est servi de ce fait dans sa décision était raisonnable.

 

 

[39]           En fin de compte, l’agent a conclu que les raisons d’ordre humanitaire invoquées par le demandeur n’étaient pas suffisantes pour justifier de lui octroyer le droit d’établissement au Canada sans suivre la procédure d’immigration habituelle. L’agent était de toute évidence conscient du critère juridique auquel le demandeur devait satisfaire et il a rigoureusement appliqué ce critère pour évalué l’histoire du demandeur au Canada et les circonstances entourant sa demande. La conclusion qu’il n’existait pas suffisamment de raisons d’ordre humanitaire était une conclusion que la preuve lui permettait raisonnablement de tirer et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée en l’espèce.

 

[40]           Le demandeur soumet la question suivante à certifier :

 

Dans le contexte d’une demande fondée sur l’article 25 de la LIPR, dans quelles circonstances, le cas échéant, y aurait-il violation du principe suivant lequel « la décision doit être rendue par celui qui a examiné l’affaire » si le demandeur est interrogé par un autre agent que celui qui a rendu la décision finale sur sa demande?

 

 

[41]           Le demandeur signale que la jurisprudence est contradictoire sur ce point et affirme qu’il serait utile pour les agents d’immigration d’avoir des directives claires sur cette question de la part de la Cour d’appel fédérale.

 

[42]           Le défendeur s’oppose à cette question. La Cour est d’accord avec lui pour dire que cette question ne permet pas de trancher la présente demande de contrôle judiciaire. Il s’agit davantage d’une question à poser dans le cadre d’un renvoi et, pour cette raison, elle ne sera pas certifiée.

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Aucune question n’est certifiée.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-424-07

 

INTITULÉ :                                                   BOUALEM DJERROUD et

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ  ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 5 septembre 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE BEAUDRY

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 1er octobre 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Diane N. Doray                                                           POUR LE DEMANDEUR

                                                                                  

 

Evan Liosis                                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Diane N. Doray                                                           POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John Sims, c.r.                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

 

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