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Date : 20070921

Dossier : T-836-07

Référence : 2007 CF 949

ENTRE :

LAWRENCE WONG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

 

I.   Introduction

 

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition de l’appel, interjeté en vertu de l’article 51 des Règles des Cours fédérales[1] (les Règles), de l’ordonnance en date du 8 août 2007 par laquelle le protonotaire Roger R. Lafrenière a rejeté la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur.

 

[2]               L’ordonnance du protonotaire Lafrenière, qui incorpore de brefs motifs, est jointe aux présents motifs en annexe.

 

II.   La demande de contrôle judiciaire

[3]               Le demandeur sollicitait des brefs de certiorari et de mandamus à l’égard de la décision suivante :

 

[traduction] Le greffier de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le Tribunal) persiste à refuser d’accorder au demandeur l’accès à certains dossiers de la Section d’appel de l’immigration et de la Section de l’immigration qui font partie du dossier public du tribunal. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada est un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Le ministre défendeur est le ministre responsable de cet office.

 

 

La demande indiquait qu’elle était introduite en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales2.

 

III.   Les questions en litige

[4]               Dans ses observations écrites et orales présentées à la Cour dans le cadre du présent appel, le demandeur, avocat pratiquant à Vancouver, en Colombie-Britannique, qui s’est lui‑même représenté devant la Cour, a soulevé deux questions. Premièrement, le protonotaire Lafrenière avait‑il compétence pour rejeter sa demande de contrôle judiciaire? Et, deuxièmement, la décision du protonotaire Lafrenière était‑elle erronée en droit parce qu’elle ne reposait pas sur les éléments de preuve présentés?

 

[5]               Au début de l’audience, la Cour a soulevé avec les avocats la question de la norme de contrôle applicable dans un tel appel. Bien qu’aucun des avocats n’ait soulevé la question de la norme de contrôle dans les documents qu’ils ont présentés à l’audience, ils s’entendent sur la norme appropriée.

 

IV.   Analyse

            A.   La norme de contrôle et la compétence du protonotaire Lafrenière

[6]               La compétence de la Cour pour radier une procédure dont elle est saisie, notamment une demande de contrôle judiciaire, est résumée succinctement dans le premier paragraphe suivant les attendus de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière. Le protonotaire a statué qu’il était « évident et manifeste » que la demande de contrôle judiciaire en cause n’était pas fondée parce qu’elle était irrégulièrement formée et qu’à ce titre, il était approprié de la radier avant d’examiner le fond de la demande.

 

[7]               La compétence des protonotaires à l’égard de requêtes comme la requête en radiation qui était présentée au protonotaire Lafrenière est prévue au paragraphe 50(1) des Règles et, élément pertinent aux fins qui nous occupent, elle ne peut être restreinte que de la façon décrite à l’alinéa 50(1)a) des Règles. Pour plus de commodité, voici la partie introductive du paragraphe 50(1) des Règles et son alinéa a) :

 

50. (1) Le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des présentes règles — à l’exception des requêtes suivantes — et rendre les ordonnances nécessaires s’y rapportant :

 

a) une requête pour laquelle un juge a compétence expresse en vertu des présentes règles ou d’une loi fédérale;

 

 

50. (1) A prothonotary may hear, and make any necessary orders relating to, any motion under these Rules other than a motion

 

 

 

(a) in respect of which these Rules or an Act of Parliament has expressly conferred jurisdiction on a judge;

 

[8]               Les avocats des parties n’ont mentionné à la Cour aucune disposition des Règles ou d’une loi fédérale qui attribue à un juge une compétence expresse à l’égard d’une demande de contrôle judiciaire, comme celle qui est en litige en l’espèce, introduite en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

 

[9]               Je suis convaincu que la Cour et en particulier que le protonotaire Lafrenière, qui a agi au nom de la Cour, avaient compétence pour examiner et trancher la requête présentée.

 

[10]           Je vais examiner l’objet du présent appel de novo puisque j’estime devoir le faire étant donné l’influence manifestement déterminante de la décision du protonotaire Lafrenière sur l’issue de la cause3.

 

            B.   Erreur de droit

[11]           Le protonotaire Lafrenière a conclu que la demande de contrôle judiciaire en cause aurait dû être introduite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) et non de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales puisqu’il s’agit d’un contrôle judiciaire par la Cour d’une « mesure […] prise dans le cadre » de la LIPR. Ainsi, elle aurait dû être introduite par la présentation d’une demande d’autorisation et, comme la demande de contrôle judiciaire n’avait pas été présentée en vertu de la LIPR et que l’autorisation n’avait donc pas été demandée, elle était entachée d’un vice de procédure et ne saurait donc être accueillie, qu’elle soit ou non fondée.

 

[12]           Pour plus de commodité, je reproduis le paragraphe 72(1) de la LIPR :

 

72. (1) Le contrôle judiciaire par la Cour fédérale de toute mesure — décision, ordonnance, question ou affaire — prise dans le cadre de la présente loi est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation.

 

72. (1) Judicial review by the Federal Court with respect to any matter — a decision, determination or order made, a measure taken or a question raised — under this Act is commenced by making an application for leave to the Court.

 

[13]           L’avocat du demandeur soutient que la demande de contrôle judiciaire ne vise pas « une mesure […] prise dans le cadre » de la LIPR, étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une décision, ordonnance, question ou affaire prise dans le cadre de la LIPR. Je rejette cet argument. Je suis convaincu que la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire en cause vise une décision, ordonnance, question ou affaire prise dans le cadre de la LIPR n’est pas déterminante. Je suis d’avis que ces mots ne définissent pas mais illustrent plutôt l’expression « mesure […] prise dans le cadre de ». Le pouvoir du greffier de la CISR de rejeter la demande du demandeur découle de la LIPR même si l’exercice de ce pouvoir peut être interdit par la Loi sur l’accès à l’information4.

 

[14]           J’estime que l’objet de la demande de contrôle judiciaire en cause est une « mesure […] prise dans le cadre de » la LIPR et non pas une affaire plus directement liée à la Loi sur l’accès à l’information ou au principe de la « publicité des débats judiciaires » qui, selon le demandeur, est en conflit avec la longue série de décisions visées par le contrôle et devrait prévaloir.

 

V.   Conclusion

[15]           Pour ces brefs motifs, et après exercice de mon pouvoir discrétionnaire de novo, j’en arrive à la même conclusion que le protonotaire Lafrenière, essentiellement pour les mêmes motifs, et, par conséquent, à l’instar du protonotaire Lafrenière, je suis d’avis de faire droit à la requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire en cause présentée par le défendeur pour le seul motif qu’elle est irrégulièrement formée sur le plan procédural et qu’elle ne pourrait donc pas être accueillie.

 

[16]           Dans le dernier paragraphe de ses motifs, joints aux présentes, le protonotaire Lafrenière mentionne un argument présenté pour le compte du défendeur au sujet de l’existence d’un recours subsidiaire adéquat. Il écrit : [traduction] « Il n’est pas nécessaire que j’examine cette question ». Il poursuit très brièvement en laissant entendre qu’il pourrait y avoir un recours subsidiaire adéquat qui empêcherait de demander une réparation directement à la Cour. Je souscris à ce commentaire du protonotaire Lafrenière qui n’est manifestement pas un élément essentiel de sa décision. Je n’examinerai pas davantage la question de l’existence d’un recours subsidiaire adéquat.

 

[17]           Par conséquent, je rejetterai l’appel.

 

VI.   Les dépens

[18]           Le demandeur sollicite les dépens dans le présent appel et, dans le cours normal des choses, les dépens suivraient l’issue de la cause, ce qui veut dire que le défendeur aurait droit aux dépens.

 

[19]           L’avocat du demandeur soutient que la Cour ne devrait pas adjuger de dépens, puisque la question sous‑jacente aux faits de la présente affaire est une question d’intérêt public, à savoir un conflit entre le « principe de la publicité des débats judiciaires » et le refus persistant du greffier de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié d’accorder au demandeur l’accès à des documents en possession de la Commission.

 

[20]           Jusqu’à mon ordonnance en l’espèce, l’instance a concerné une question procédurale, à savoir ce que le protonotaire Lafrenière et moi avons jugé être une erreur procédurale de la part du demandeur dans la façon dont il a présenté le conflit sous‑jacent à la Cour.

[21]           Dans les circonstances, je ne vois aucune raison justifiant la Cour de déroger au principe suivant lequel les dépens suivent l’issue de la cause. Par conséquent, les dépens seront adjugés au défendeur.

 

« Frederick E. Gibson »

Juge

 

 

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 21 septembre 2007

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.


[traduction]

ANNEXE

Date : 20070808

Dossier : T-836-07

Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 août 2007

EN PRÉSENCE DE MAÎTRE ROGER L. LAFRENIÈRE

PROTONOTAIRE

 

ENTRE :

LAWRENCE WONG

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

ORDONNANCE

 

            VU LA REQUÊTE en date du 24 juillet 2007 jugée sur dossier et déposée pour le compte du défendeur en vue d’obtenir une ordonnance rejetant la demande de contrôle judiciaire du demandeur;

 

            ET APRÈS lecture des dossiers de requête déposés pour le compte du défendeur et du demandeur ainsi que des observations écrites déposées par le défendeur en réponse;

 

            Il est bien établi qu’un acte de procédure ne devrait pas être radié et une instance rejetée, à moins qu’il ne soit « évident et manifeste » qu’ils sont complètement dénués de fondement : Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959. De plus, si la Cour a compétence pour rejeter une demande qui ne saurait être accueillie, le défendeur doit, en règle générale, présenter ses arguments lors de l’audition de la demande même plutôt que présenter une requête interlocutoire en radiation : David Bull Laboratories (Canada Inc.) c. Pharmacia, [1995] 1 C.F. 588 (CAF). Il y a toutefois lieu de décourager les procédures irrégulièrement formées, en particulier celles qui ne relèvent pas de la compétence de la Cour.

 

            Le demandeur conteste la décision par laquelle le greffier de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (CISR) a refusé de lui accorder l’accès à certains dossiers de la Section d’appel de l’immigration et de la Section de l’immigration. Il sollicite une ordonnance annulant la décision et enjoignant au défendeur d’accorder au demandeur l’accès à tous les dossiers ne concernant pas des réfugiés. Le défendeur soutient que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande, étant donné que le demandeur n’a pas présenté de demande d’autorisation de contrôle judiciaire conformément à l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR).

 

            Le paragraphe 72(1) de la LIPR énonce qu’il faut demander une autorisation pour contester toute mesure, définie largement comme étant une « décision, ordonnance, question ou affaire » prise dans le cadre de la LIPR. Tant la jurisprudence que la logique indiquent que la Cour n’a pas compétence pour entendre la demande si le demandeur n’a pas demandé et obtenu l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire. Adoptant les termes employés par le juge Mahoney de la Cour d’appel fédérale dans Mahabir c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 133, je conclus que la réparation recherchée par le demandeur « concerne certainement » la LIPR puisqu’elle vise certaines procédures de la CISR qui tire de cette Loi le pouvoir de rendre des décisions ou des ordonnances. Il n’est tout simplement pas loisible au demandeur de se soustraire à l’exigence de demander une autorisation.

 

            Le défendeur soutient également que la Cour fédérale, même si elle a compétence pour examiner la demande de contrôle judiciaire du demandeur, devrait refuser de le faire parce que le demandeur dispose d’un recours subsidiaire adéquat pour obtenir l’accès à l’information qu’il recherche en présentant une demande aux termes de la Loi sur l’accès à l’information (LAI). Comme j’ai conclu que la présente instance n’a pas été régulièrement introduite, il n’est pas nécessaire que j’examine cette question. Le régime légal prévu par la LAI concernant l’accès aux dossiers en la possession de divers organismes fédéraux, y compris la CISR, empêcherait cependant, semble‑t‑il, de demander une réparation directement à la Cour.

 

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

 

                                                                                                            « Roger R. Lafrenière »

Protonotaire

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-836-07

 

INTITULÉ :                                                   LAWRENCE WONG             c. M.C.I.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 17 SEPTEMBRE 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE GIBSON

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 21 SEPTEMBRE 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lawrence Wong

 

POUR LE DEMANDEUR

Helen Park

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Cabinet d’avocats Wong Pederson Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 



[1] DORS/98-106.

2 R.C.S. 1985, ch. F-7.

3 Voir Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.).

4 L.R. 1985, ch. A-1.

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