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Date : 20070904

Dossier : IMM‑6199‑06

Référence : 2007 CF 880

 

Ottawa (Ontario), le 4 septembre 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

FIDÈLE NDEREREHE, LÉOCADIE MUKANTAGARA,

JEAN LÉON NDERABAKUNZI, MARIE HÉLÈNE MUNDERE,

INNOCENT NDERERIMANA (représenté par son tuteur à l’instance, FIDÈLE NDEREREHE), MARIE FRANCOISE NDERABAREZI (représentée par

son tuteur à l’instance, FIDÈLE NDEREREHE)

et LE DIOCÈSE CATHOLIQUE ROMAIN DE PETERBOROUGH

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dans cette demande de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision d’une agente des visas, le défendeur a admis que la décision devrait être annulée et que la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs devrait être renvoyée à un autre agent pour réexamen. L’affaire a été instruite en référé, par consentement des parties, à la suite d’une requête en ce sens déposée par les demandeurs le 4 juillet 2007.

[2]               L’agente des visas a produit un affidavit sous serment le 16 août 2007 et a été contre‑interrogée par téléconférence le 21 août 2007. Après le contre‑interrogatoire, le défendeur a consenti au réexamen de la décision au motif que deux pages de la demande de résidence permanente étaient absentes du dossier certifié et du dossier original de demande. Lors de l’audience tenue le 28 août, les points litigieux restants entre les parties étaient celui de savoir si la Cour devrait fixer un délai ultime pour la décision finale sur la demande de droit d’établissement, et celui de savoir si des « raisons spéciales » existaient qui justifiaient la condamnation du défendeur aux dépens.

 

[3]               Les demandeurs sont M. Fidèle Ndererehe, son épouse Léocadie Mukantagara, leur fils Jean Léon Nderabakunzi et leurs filles Marie Hélène Mundere et Marie Françoise Mderabarezi, ainsi que le fils de Marie Hélène, Innocent Ndererimana. Tous les demandeurs sont de nationalité rwandaise, à l’exception d’Innocent Ndererimana, qui est Zambien de naissance.

 

[4]               La famille a sollicité l’asile en Zambie en avril 1993 avant le génocide qui a eu lieu au Rwanda. M. Ndererehe était auparavant un haut fonctionnaire du gouvernement rwandais, qui était à l’époque opposé au Front patriotique rwandais (FPR). L’actuel gouvernement rwandais comprend parmi ses responsables de nombreux anciens membres du FPR. La preuve produite par les demandeurs donne à penser que ceux qui étaient opposés au FPR durant la période qui a conduit au génocide sont persécutés au Rwanda.

 

[5]               Les demandeurs n’ont pas accès au statut de résidents permanents en Zambie et ils disent être victimes de discrimination et de harcèlement dans ce pays. La preuve montre que, même si certains réfugiés rwandais retournent volontairement dans leur pays d’origine, il y a un risque d’expulsion par la force. M. Ndererehe a été enseignant durant de nombreuses années en Zambie, mais ses contrats ont été annulés, semble‑t‑il parce qu’il n’est pas de nationalité zambienne. D’autres avis publiés pour des postes vacants semblables énumèrent parmi les conditions de candidature la nationalité zambienne. Il travaille actuellement pour une organisation non gouvernementale qui se consacre à l’aide humanitaire. Grâce à ce travail, il a été mis en contact avec une communauté religieuse de Peterborough (Ontario), qui parraine la réinstallation de la famille au Canada. Leur demande de résidence permanente au Canada en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention se trouvant à l’étranger, ou en tant que membres de la catégorie des personnes protégées pour motifs d’ordre humanitaire se trouvant à l’étranger, a été déposée en janvier 2005. Elle a été refusée par lettre de l’agente des visas en date du 5 octobre 2006.

 

[6]               La preuve par affidavit déposée au soutien de la requête en application d’un processus accéléré contenait des renseignements relayés par des membres de la communauté religieuse. Selon ces renseignements, la famille avait été récemment forcée de fuir son domicile après avoir reçu ce qui semblait être des menaces proférées par des inconnus. Leur domicile avait été perquisitionné, des photographies avaient été emportées, mais pas d’objets de valeur, et le chien de la famille avait été empoisonné. La famille a sollicité la protection de la police, puis s’est cachée.

 

LA DÉCISION DE L’AGENTE DES VISAS

 

[7]               L’agente des visas, basée au Haut‑ Commissariat du Canada à Pretoria, en Afrique du Sud, a procédé à l’examen de la demande le 22 décembre 2005. Selon les notes versées par elle dans le dossier, la demande d’asile devait être soigneusement étudiée en raison de l’ancien poste occupé par M. Ndererehe dans le gouvernement rwandais, et des certificats d’approbation policière seraient requis. Une entrevue a eu lieu avec M. Ndererehe à Lusaka le 27 mars 2006. L’agente a produit ses notes d’entrevue avec un logiciel de traitement de texte, puis, à son retour à Pretoria, elle les a mémorisées dans le système informatisé appelé STIDI. Les notes d’entrevue reprennent en détail les réponses données par M. Ndererehe. Elles ne disent nulle part que sa crédibilité a été mise en doute. En contre‑interrogatoire, l’agente a déclaré qu’elle n’avait aucune préoccupation quant à la véracité du récit que M. Ndererehe avait fait durant l’entrevue. Les certificats d’approbation policière ont été remis au Haut‑Commissariat le 18 mai 2006.

 

[8]               Il y a dans les notes du STIDI du 8 juin 2006 une brève inscription destinée à corriger une erreur du compte rendu de l’entrevue. En dehors de cela, jusqu’au 18 juillet 2006, il n’y a pas d’autre inscription dans les notes informatisées. À cette date, le bureau de Pretoria a reçu d’un agent d’immigration des bureaux de CIC à Oshawa une demande de renseignements où l’agent précisait que des observations avaient été reçues du « parrain du groupe » selon lesquelles on avait promis au demandeur en mars 2006 qu’il serait informé des résultats dans un délai de trois semaines. Il s’était écoulé près de quatre mois, et le client n’avait entendu parler de rien. L’agente des visas a alors inséré la note suivante :

[traduction] J’ai examiné attentivement les documents versés au dossier, la demande et les déclarations faites par le demandeur durant l’entrevue. Je ne suis cependant pas persuadée que le demandeur ou les membres de sa famille répondent à la définition d’un réfugié.

 

[9]               Le 24 juillet 2006, comme l’indique le STIDI, l’agente a prié une adjointe de rédiger une lettre de refus renfermant ce qui suit :

[traduction] Je ne suis pas persuadée que vous avez été personnellement et gravement affecté par la guerre civile, un conflit armé ou une violation massive de vos droits. Je ne suis pas persuadée que vous avez une crainte fondée de persécution.

 

[10]           Comme l’indique le STIDI, rien d’autre ne fut fait jusqu’au 3 octobre 2006, date à laquelle l’adjointe a prié l’agente des visas de rédiger une lettre d’entrevue, en affirmant qu’elle n’était pas [TRADUCTION] « certaine que les trois lignes ci‑dessus suffisent à refuser cette demande ». L’agente des visas a répondu le lendemain, priant à nouveau l’adjointe de préparer la lettre de refus en y insérant l’extrait susmentionné.

 

[11]           La lettre remise aux demandeurs le 5 octobre 2006, qui rejetait leur demande, comprenait essentiellement les renvois habituels aux dispositions légales et réglementaires définissant les catégories au titre desquelles les demandeurs avaient soumis leur cas, mais elle comprenait aussi les trois lignes susmentionnées que l’adjointe avait mises en doute. Le dossier certifié ne renferme rien d’autre pouvant expliquer les raisons qu’avait l’agente de rejeter la demande.

 

[12]           Dans l’affidavit souscrit le 16 août 2007, l’agente décrivait sa formation, la nature de son travail ainsi que le contexte régional, et elle en disait davantage sur les motifs qu’elle avait eus de conclure que les demandeurs n’avaient pas été « personnellement et gravement affectés par la guerre civile, un conflit armé ou une violation massive de [leurs] droits » et qu’ils n’étaient pas de véritables réfugiés, ainsi que sur les raisons qu’elle avait de dire qu’ils disposaient, en tout état de cause, d’une solution durable en Zambie. Durant la téléconférence du 21 août, l’agente fut contre‑interrogée en détail sur les raisons qu’elle avait d’arriver à telles conclusions, sur sa connaissance des conflits rwandais et sur les sources d’information auxquelles elle avait puisé.

 

LES POINTS EN LITIGE

 

[13]           Les points en litige soulevés à l’origine par les demandeurs dans leur demande d’autorisation étaient que l’agente avait commis une erreur dans l’application des dispositions légales et réglementaires, qu’elle avait laissé de côté ou mal interprété la preuve et qu’elle n’avait pas motivé suffisamment sa décision.

 

[14]           Dans leur exposé complémentaire des faits et du droit déposé après le contre‑interrogatoire de l’agente, et après la décision du défendeur de consentir à un réexamen de la demande, les demandeurs disent que les faits de ce dossier donnent sérieusement à penser que la décision était arbitraire et qu’elle contrevenait à l’équité et aux principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Ils sollicitent une ordonnance leur accordant un nouvel examen accéléré de la demande, la décision devant être rendue dans un délai fixé, ainsi qu’une ordonnance leur accordant les dépens avocat‑client.

 

[15]           L’exposé d’arguments déposé par le défendeur le 24 août 2007 mentionne que le défendeur consent au réexamen de la demande uniquement parce qu’il a été constaté, durant le contre‑interrogatoire de l’agente des visas, que deux pages de la demande de résidence permanente présentée par les demandeurs ne figurent pas dans le dossier original ni dans le dossier certifié. Hormis cette faille, pour laquelle il n’y a pas d’explication apparente, le défendeur dit que la décision et les motifs de l’agente résistent à l’examen.

 

[16]           Lors de l’instruction de cette affaire le 28 août 2007, les avocats des parties ont dit qu’ils étaient près de s’entendre sur un calendrier de réexamen de la demande, y compris sur la convocation d’une nouvelle entrevue dans un délai de deux à quatre mois. Les demandeurs voudraient une décision finale à l’intérieur de ce délai. L’avocat du défendeur a dit que, même si des dispositions pouvaient être prises pour l’examen du dossier et la conduite d’une nouvelle entrevue, il était impossible de garantir que tous les contrôles requis pourraient être faits à l’intérieur d’un délai aussi serré, notamment les examens médicaux et les vérifications de sécurité. Les avocats ont été à même, après l’audience, de proposer le texte d’une ordonnance afin que le processus de réexamen de la décision se déroule aussi rapidement que possible. Il restait la question de savoir s’il existe des « raisons spéciales » de condamner le défendeur aux dépens.

 

ANALYSE

 

[17]           Les Règles des Cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002‑232, renferment la restriction suivante en matière d’adjudication de dépens :

22. Sauf ordonnance contraire rendue par un juge pour des raisons spéciales, la demande d’autorisation, la demande de contrôle judiciaire ou l’appel introduit en application des présentes règles ne donne pas lieu à des dépens.

22. No costs shall be awarded to or payable by any party in respect of an application for leave, an application for judicial review or an appeal under these Rules unless the Court, for special reasons, so orders.

 

[18]           Selon les demandeurs, il y a des raisons spéciales d’adjuger des dépens dans cette affaire, à savoir :

a)                  les lacunes flagrantes des motifs exposés par l’agente;

b)                  le refus de l’agente de modifier sa lettre de décision après avoir été mise au fait de ses lacunes;

c)                  le recours incongru du défendeur à l’affidavit de l’agente pour tenter de corriger lesdites lacunes;

d)                  l’incapacité de l’agente d’étayer les affirmations péremptoires contenues dans son affidavit par des faits ou des preuves durant son contre‑interrogatoire;

e)                  le refus du défendeur de consentir à la demande bien qu’il eût de bonnes occasions de le faire plutôt, alors qu’il connaissait la situation désespérée des demandeurs; et

f)                    les épreuves que les demandeurs ont traversées depuis que leur demande a été refusée et que la procédure de contrôle judiciaire a été introduite.

 

[19]           Selon les demandeurs, l’insécurité qu’ils connaissent en Zambie, et les épreuves qu’ils ont traversées, sont étayées dans le dossier de demande et le dossier de requête présentés à la Cour en vue d’obtenir rapidement une autorisation et une date d’audience. Le consentement du défendeur à la procédure accélérée, et l’ordonnance de la Cour leur accordant cette procédure, ne font que les confirmer, affirment‑ils. Ils reconnaissent que le défendeur a consenti, d’abord à l’audience accélérée d’autorisation, et aujourd’hui au réexamen. Ils affirment néanmoins que le défendeur a été à même plus tôt de constater les lacunes des motifs de l’agente et qu’il n’a rien fait pour les corriger, multipliant par le fait même les délais et les frais entraînés par l’obligation pour les demandeurs d’introduire la présente instance, en particulier la requête en demande d’un processus accéléré.

 

[20]           Selon les demandeurs, l’agente les a privés de l’équité à laquelle ils avaient droit, et cela parce qu’elle n’a pas motivé sa décision d’une manière qui leur eût permis de comprendre pourquoi leur demande était rejetée. La rédaction d’un affidavit récapitulant les événements et les motifs, plus d’un an après que la décision fut rendue, était manifestement une tentative de corriger ces lacunes. Les affirmations de l’agente dans son affidavit, et les réponses qu’elle a données durant son contre‑interrogatoire, attestent d’affirmer les demandeurs, d’une grave méconnaissance des faits intéressant le dossier des demandeurs, ainsi que d’une appréciation déraisonnable et abusive de la reconnaissance antérieure de leur statut de réfugiés au sens de la Convention, dans ce que cette reconnaissance a de valide et de pertinent.

 

[21]           Le défendeur dit qu’il a toujours agi de bonne foi et qu’il était fondé à défendre la décision de l’agente comme il le jugeait à propos. Il ajoute que le fait qu’il s’est fondé sur ses droits au regard de la loi ne constitue pas des raisons spéciales : Nicolae c. Canada (Secrétaire d’État) (1995), 90 F.T.R. 280. Même des erreurs de droit commises par l’agente des visas, ici déniées, ne seraient pas, sauf mauvaise foi, des raisons spéciales : Zheng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 54, [2003] A.C.F. n° 69.

 

[22]           En outre, de dire le défendeur, aucun élément n’a été produit régulièrement devant la Cour qui permette d’affirmer que les demandeurs ont subi des épreuves et, en tout état de cause, le défendeur dit qu’il ne saurait être blâmé pour les épreuves que les demandeurs ont pu traverser par suite de la lenteur de la décision finale relative à leur demande, si l’existence d’une erreur de droit ou de procédure est constatée.

 

[23]           S’agissant de savoir s’il y a des raisons spéciales d’adjuger des dépens, la Cour est fondée selon moi à considérer le dossier tout entier des procédures dont elle est saisie, y compris la preuve produite à l’appui de la requête en demande d’un processus accéléré. Je relève que le défendeur n’a pas contesté cette preuve ni produit sa propre preuve en réponse à la requête. Je conclus que la Cour a devant elle une preuve suffisante pour dire que la situation dans laquelle les demandeurs se trouvent en Zambie est oppressive et menaçante et qu’ils ont en réalité subi des épreuves depuis que leur demande a été refusée et que la présente procédure a été introduite.

 

[24]           La preuve produite dans la requête en demande d’un processus accéléré intéresse selon moi la question de savoir s’il existe des raisons spéciales de condamner le défendeur aux dépens. Cela ne veut pas dire que le défendeur peut être blâmé pour les épreuves que les demandeurs ont pu traverser durant la période postérieure au dépôt de leur demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Cependant, je crois que le défendeur aurait pu examiner plus tôt et plus attentivement les éléments de ce dossier et en hâter le dénouement.

 

[25]           Comme je l’ai dit, on a découvert, durant le contre‑interrogatoire de l’agente, qu’il manquait deux pages dans le dossier original de demande et le dossier certifié du tribunal. Les deux pages, qui sont reproduites dans le dossier de demande, sont des annexes du formulaire de demande dans lesquelles M. Ndererehe expliquait les raisons qu’il avait de craindre le sort qui lui serait réservé s’il retournait au Rwanda, et cela malgré le passage du temps. L’agente a dit durant son contre‑interrogatoire qu’elle avait connaissance de cette inquiétude. J’accepte l’affirmation du défendeur lorsqu’il dit que la décision de consentir à un réexamen est la conséquence de cette découverte, mais il n’en demeure pas moins que, selon moi, l’affaire a traîné inutilement en longueur.

 

[26]           Selon le défendeur, pour conclure qu’il y a des raisons spéciales de le condamner aux dépens il faut conclure qu’il a agi de mauvaise foi. Au vu des circonstances de cette affaire, ce n’est pas la conclusion à laquelle j’arrive. Il est évident que le défendeur a agi de bonne foi puisqu’il a consenti à la procédure accélérée d’autorisation, au calandrier des étapes restantes après que l’autorisation fut accordée, et au réexamen de la demande à la suite du contre‑interrogatoire de l’agente.

 

[27]           Cependant, je ne crois pas que la mauvaise foi soit le seul motif de conclure à l’existence de « raisons spéciales », même si j’admets que la Cour évoque souvent la notion de mauvaise foi comme motif déterminant pour statuer sur une demande d’adjudication de dépens.

 

[28]           Dans la décision Johnson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 1262, [2005] A.C.F. n° 1523, la juge Eleanor Dawson s’exprimait ainsi, au paragraphe 26 :

 

On peut conclure à des raisons spéciales si une partie a inutilement ou de façon déraisonnable prolongé l’instance ou lorsqu’une partie a agi d’une manière qui peut être qualifiée d’inéquitable, d’oppressive, d’inappropriée ou de mauvaise foi.

 

[29]           C’est là, je crois, un énoncé exact de ce que le gouverneur en conseil entendait par l’expression « raisons spéciales ». Il s’agit de quelque chose qui s’écarte considérablement des failles ou lenteurs administratives ordinaires dont peut souffrir le traitement de demandes d’asile ou de demandes de visa. En l’espèce, il ne s’agit pas de savoir si le défendeur a agi d’une manière que l’on pourrait qualifier d’inéquitable ou d’oppressive, mais de savoir si le défendeur a inutilement ou déraisonnablement prolongé la procédure. Comme je l’ai dit plus haut, je crois que le défendeur aurait dû hâter le dénouement de cette affaire.

 

[30]           L’avocat du défendeur a vaillamment maintenu, durant sa plaidoirie, que les motifs exposés par l’agente sont, pour reprendre le mot qu’il a employé, « défendables ». Je ne suis pas de cet avis.

 

[31]           Ce qui constitue des motifs suffisants varie selon les circonstances de l’affaire considérée. Le fait pour un décideur de ne pas motiver suffisamment sa décision peut constituer un manquement à l’équité procédurale : Via Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2001] 2 C.F. 25 (CAF).

 

[32]           En l’espèce, le dispositif de la lettre de décision de l’agente ne renferme rien de plus que le simple énoncé de sa conclusion et n’explique nulle part aux demandeurs pourquoi leur demande a été rejetée. L’obligation d’exposer des motifs aurait été remplie si une explication suffisante était apparue dans les notes de l’agente et avait été communiquée aux demandeurs sur demande. Mais les notes ne renferment aucune analyse ni n’indiquent les sources de renseignements consultées, se limitant à faire état de l’entrevue et de la décision. On n’y trouve pas de conclusions de fait, ni les preuves principales sur lesquelles elles ont pu être fondées.

 

[33]           Il est révélateur que l’adjointe ait reconnu que les trois lignes écrites par l’agente à titre d’explication ne suffisaient pas comme motifs d’un refus. L’adjointe travaillait pour le Haut‑Commissariat depuis de nombreuses années. Je sais que l’agente traite de nombreuses demandes, environ 500 par année. Cependant, il eût été prudent pour elle, qui occupait son poste depuis moins d’un an, de prêter attention à la recommandation de l’adjointe. Au lieu de cela, elle a ordonné à l’adjointe de suivre sa directive antérieure. Je suis d’avis que, en ne motivant pas sa décision, l’agente a manqué à l’équité procédurale envers les demandeurs.

 

[34]           L’affidavit de l’agente, produit quelque 17 mois après l’entrevue et 13 mois après sa décision de refuser la demande, ne saurait corriger le dossier factuel. Au mieux, l’affidavit aurait pu aider la Cour à déterminer si les motifs donnés étaient suffisants, en décrivant le contexte dans lequel la décision avait été prise et la procédure suivie. Par exemple, une explication complète du refus aurait peut‑être été donnée aux demandeurs selon d’autres voies en même temps que la lettre de refus leur était remise. En l’espèce, les demandeurs sont restés sans nouvelle de l’agente entre l’entrevue tenue en mars et la lettre d’octobre.

 

[35]           Je reconnais avec le défendeur qu’un manquement à l’équité procédurale, ou autre erreur de droit, n’équivaudra pas à lui seul à des raisons spéciales justifiant une adjudication de dépens. En l’espèce cependant, je crois qu’il ressortait, après examen du dossier, que les motifs exposés par l’agente à l’appui de sa décision n’allaient pas résister à un contrôle judiciaire et que l’affaire aurait dû être menée à son terme rapidement. Il ne s’agit pas ici d’un cas où il était nécessaire d’attendre le dépôt d’un volumineux dossier du tribunal. La lettre de décision et les notes du STIDI ont été communiquées par le Haut‑Commissariat le 21 décembre 2006 en réponse à la demande prévue par l’article 9 des Règles de la Cour, et un double en a été envoyé à l’avocat du défendeur. Le doute qui entourait les motifs de la décision de l’agente fut alors mis en relief dans le dossier de demande déposé le 15 février 2007. Je crois qu’il serait légitime de présumer que le défendeur aurait dû, au moins à cette date, avoir connaissance des difficultés que soulevait ce dossier.

 

[36]           En raison des risques susmentionnés qu’ils couraient pour leur sécurité personnelle, les demandeurs ont été forcés de supporter des frais additionnels pour déposer une requête en vue d’obtenir rapidement une audience et une décision sur leur demande d’autorisation. L’avocat des demandeurs estime que les frais engagés à ce jour sont d’environ 11 000 $, y compris les honoraires et débours. La production de la transcription du contre‑interrogatoire de l’agente a coûté 1 400 $. Quant aux coûts additionnels du dépôt d’une nouvelle demande, il les chiffre entre 4 000 et 6 000 $.

 

[37]           Le défendeur est fondé à exercer son droit d’opposer comme il l’entend une défense à une procédure, mais il ne devrait pas se surprendre que la Cour puisse conclure qu’une telle défense a inutilement prolongé la procédure et obligé les demandeurs à supporter inutilement des frais additionnels. En l’espèce, je crois qu’il est légitime d’imputer au défendeur une partie des frais supportés par les demandeurs, compte tenu de ce qui, selon moi, est un retard inutile à régler la demande.

 

[38]           À mon avis, un chiffre raisonnable pour l’adjudication forfaitaire de dépens serait ici de 5 000 $, et c’est ce que j’ordonnerai au défendeur de payer. Aucune des parties n’a proposé que soit certifiée une question grave de portée générale, et aucune ne sera certifiée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

  1. la demande de contrôle judiciaire est accordée et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision;

 

  1. l’examen de la demande par l’agent des visas, et toute entrevue avec les demandeurs, seront terminées et une décision sera rendue sur l’admissibilité des demandeurs dans un délai de 120 jours après réception de la demande mise à jour des demandeurs;

 

  1. si les demandeurs sont déclarés admissibles, le défendeur rendra une décision finale et délivrera les visas dès que cela sera raisonnablement possible; et

 

  1. le défendeur est condamné à des dépens de 5 000 $, payables sur‑le‑champ.

 

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑6199‑06

 

INTITULÉ :                                       FIDÈLE NDEREREHE, LÉOCADIE MUKANTAGARA, JEAN LÉON NDERABAKUNZI, MARIE HÉLÈNE MUNDERE,

                                                            INNOCENT NDERERIMANA (représenté par son tuteur à l’instance FIDÈLE NDEREREHE)

                                                            MARIE FRANCOISE NDERABAREZI (représentée par son tuteur à l’instance FIDÈLE NDEREREHE) et LE DIOCÈSE CATHOLIQUE ROMAIN DE PETERBOROUGH

                                                            ET

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 28 AOÛT 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE MOSLEY

 

DATE DES MOTIFS :                      le 4 septembre 2007

 

COMPARUTIONS :

 

POUR LES DEMANDEURS

Andrew Brouwer

 

POUR LE DÉFENDEUR

Gregory G. George

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ANDREW BROUWER

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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