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Date : 20070823

Dossier : IMM-108-07

 

Référence : 2007 CF 852

Montréal (Québec), le 23 août 2007

En présence de Monsieur le juge Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

ELIOT OSAGIE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, visant une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 18 décembre 2006. La Commission a décidé que M. Osagie (le demandeur) n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger.

Les faits

[2]               M. Osagie est un citoyen du Nigéria dont les problèmes auraient commencé lorsque sa famille a soupçonné qu’il était homosexuel, malgré ses efforts pour garder secrète son orientation sexuelle. Le prêtre de l’endroit, qui avait les mêmes soupçons, s’est rendu près de la maison de la famille du demandeur et a procédé à une incantation religieuse. Il a laissé entendre que M. Osagie allait être sacrifié afin que la communauté soit purifiée de la honte qu’il avait jetée sur elle.

[3]               M. Osagie a ensuite été battu par d’autres membres de la communauté et a été ligoté. Après avoir réussi à se libérer, il s’est enfui chez un ami, Friday Obasuyi, avec lequel il a commencé à vivre. M. Osagie allègue que lui et Friday ont été battus à un certain nombre de reprises lorsqu’ils étaient ensemble en public et que, à une occasion, en septembre 2005, ils ont été attaqués dans leur propre maison. M. Osagie s’est enfui et lui et Friday se sont séparés.

[4]               M. Osagie a décidé de quitter le Nigéria à cause de ces menaces constantes. Il a rencontré un agent appelé « John », qui s’est occupé des préparatifs de voyage pour son compte et qui est venu avec lui à Montréal via l’Italie.

[5]               John a disparu après leur arrivée à l’aéroport international Pierre‑Elliott‑Trudeau et M. Osagie, qui était perdu, a passé deux jours à errer dans l’aéroport. À un certain moment, il a commencé à suivre d’autres passagers et il a été intercepté par un employé de l’aéroport qui l’a aidé avant qu’il demande l’asile le 24 octobre 2005.

La décision de la Commission

[6]               La Commission a résumé les allégations de M. Osagie. Elle a surtout mis en évidence les prétendues agressions dont il aurait été victime de la part de membres de la communauté qui auraient découvert son homosexualité, ses tentatives infructueuses d’échapper à la persécution en vivant avec son ami Friday et les préparatifs de voyage dont John s’est ensuite occupé.

[7]               La Commission n’était toutefois pas convaincue que M. Osagie avait établi de façon concluante son identité. Elle a pris quatre documents en considération : une carte d’identité nationale, un affidavit du frère de M. Osagie attestant l’âge de ce dernier, un acte de naissance national et une carte de membre du Quarter Jack Club, l’endroit où le demandeur a rencontré John la première fois.

[8]               La Commission a conclu que seule la carte d’identité nationale pouvait à la rigueur être considérée comme un document officiel et digne de foi. Elle a cependant fait remarquer que l’information figurant sur la carte ne correspondait pas à celle contenue dans le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur :

§         M. Osagie a affirmé dans son témoignage que, en 2002, il aidait son père à la ferme et travaillait à l’occasion comme ouvrier de la construction, alors que selon sa carte d’identité il était [traduction] « dans les affaires »;

§         il a affirmé dans son témoignage qu’il ne connaissait pas sa taille ni son groupe sanguin. Or, il est indiqué sur la carte qu’il mesure 170 cm et que son groupe sanguin est A+;

  • il a déclaré dans son témoignage que, en 2002, il vivait avec son père au 13, rue St-Manuel, Ugeudu, Bénin, État d’Edo, alors que selon sa carte d’identité son adresse était 26, rue Alawode, Ikaje, Surulere, Lagos. La même divergence existait relativement à son père désigné comme son plus proche parent.

[9]               Un document de cette importance devrait renfermer des données véridiques et non fabriquées. La Commission a rejeté l’explication de M. Osagie selon laquelle il avait donné une adresse différente parce qu’il vivait temporairement avec sa sœur lorsqu’il a présenté sa demande. Elle a aussi souligné que M. Osagie n’avait pas expliqué comment sa taille et son groupe sanguin pouvaient être indiqués sur sa carte alors qu’il prétendait ne pas les connaître.

[10]           En ce qui concerne l’acte de naissance, la Commission a rappelé que, lors d’une audience relative à sa détention, M. Osagie avait affirmé qu’il ne pouvait pas récupérer son acte de naissance parce que ce document se trouvait toujours chez ses parents. Cette affirmation contredisait son témoignage selon lequel il n’avait jamais eu d’acte de naissance et n’avait jamais dit à l’agent de détention qu’il en possédait un. En conséquence, la Commission a aussi rejeté l’affidavit du frère de M. Osagie qui aurait servi à obtenir un acte de naissance. Si M. Osagie avait eu un acte de naissance dans le passé, un tel affidavit n’aurait pas été nécessaire. Rappelant qu’il est facile de falsifier des documents au Nigéria, la Commission n’a accordé aucune valeur probante à l’acte délivré sur la foi d’un affidavit.

[11]           En ce qui concerne la carte de membre, la Commission l’a également rejetée parce qu’elle ne comportait aucune caractéristique de sécurité garantissant sa fiabilité.

[12]           Ayant conclu que M. Osagie n’avait pas établi son identité, la Commission a déclaré que cela suffisait pour rejeter la demande. Elle a tout de même ensuite examiné le témoignage de M. Osagie et a indiqué qu’il n’était pas digne de foi à cause de plusieurs omissions dans son FRP et dans ce témoignage et de plusieurs contradictions entre eux. La Commission n’a pas cru que M. Osagie ne savait ni lire ni écrire de sorte qu’il n’avait pas pu remplir lui‑même son FRP. M. Osagie avait six ans de scolarité au niveau primaire et sa signature n’était pas celle d’une personne qui ne sait pas écrire.

[13]           M. Osagie a écrit dans son FRP qu’il avait quitté le Nigéria en octobre 2002, sans toutefois préciser de dates. Même s’il a apporté plusieurs corrections à son FRP avant l’audience, il n’a pas donné toutes les dates exactes de voyage. Il a indiqué en particulier qu’il avait quitté Lagos le 20 octobre 2005, qu’il s’était rendu au Bénin puis en Italie et qu’il était arrivé à Montréal le 24 octobre 2005. M. Osagie a corrigé une deuxième fois la date d’arrivée pour la fixer au 22 ou au 23 octobre 2005.

[14]           La Commission a considéré que M. Osagie n’avait pas été en mesure d’expliquer de manière satisfaisante comment il était possible qu’il n’ait pu se rappeler les dates de départ et les points de transit lorsqu’il a rempli son FRP, mais qu’il ait pu s’en souvenir juste avant l’audience. M. Osagi ayant obtenu l’aide d’un conseil lorsqu’il a rempli son FRP, la Commission ne pouvait pas accepter son explication selon laquelle John avait insisté pour qu’il ne révèle pas son trajet ou la date de son départ.

[15]           En outre, M. Osagie a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait jamais franchi le contrôle de l’immigration et qu’il avait passé deux jours dans l’aéroport, où il avait dormi dans les toilettes publiques. La Commission n’a tout simplement pas cru que sa conduite n’avait pas été remarquée par le personnel de sécurité. En outre, le témoignage de M. Osagie contredisait les déclarations qu’il avait faites au cours de son entrevue au point d’entrée. Il avait affirmé que lui et John avaient rencontré différents agents des douanes canadiennes, ce qui indiquerait qu’ils avaient quitté l’aire d’arrivée. Il avait aussi déclaré que John lui avait dit de se rendre au contrôle de l’immigration et qu’il était parti en emportant tous les documents de voyage. Pourtant, M. Osagie a indiqué dans son témoignage que John l’avait abandonné avant qu’ils ne rencontrent les agents des douanes. M. Osagie n’a pas expliqué de façon raisonnable toutes ces contradictions.

[16]           La Commission a aussi relevé des incohérences au regard de la persécution dont M. Osagie aurait été victime. Plus précisément, M. Osagie a écrit dans son FRP qu’il avait travaillé à la ferme de son père jusqu’en 2003. Il a cependant corrigé son FRP avant l’audience afin d’y indiquer qu’il avait cessé de travailler en février 2003. Il était inconcevable que M. Osagie n’ait pas pu se rappeler cette date lorsqu’il a rempli son FRP vu qu’il a déclaré dans son témoignage qu’il avait cessé de travailler lorsqu’il a été attaqué dans son village.

[17]           En outre, il a affirmé dans son témoignage qu’il n’avait pas travaillé de février 2003 à octobre 2005, alors que son FRP et d’autres documents d’immigration indiquaient qu’il avait travaillé dans le secteur de la construction à Ugeudu de 2003 à octobre 2005.

[18]           Finalement, la preuve de M. Osagie concernant son lieu de résidence était contradictoire. Dans son FRP, il a indiqué qu’il habitait sur la rue St‑Manuel, à Ugeudu, jusqu’en février 2003. Il a dit ensuite qu’il s’était caché à différents endroits jusqu’à la fin de 2003, lorsqu’il a déménagé dans les environs du village d’Aho, où il a habité jusqu’en septembre 2005. Finalement, il a dit qu’il avait déménagé à Aduwawa, où John a insisté pour qu’il reste dans un hôtel jusqu’à son départ du Nigéria, ce qu’il a fait.

[19]           Le FRP de M. Osagie indique toutefois qu’il a vécu au 26, rue Alawade, à Ugeudu, de 2004 à septembre 2005. Selon l’exposé circonstancié contenu dans son FRP, il a déménagé avec Friday dans une autre partie du village après avoir été attaqué en février. Or, il a affirmé dans son témoignage que Friday ne vivait pas en fait à Ugeudu, mais à Aho, un village complètement différent. Il a aussi dit que Friday n’avait pas d’adresse et que l’adresse du 26, rue Alawade était en fait située à Lagos.

[20]           De plus, M. Osagie a affirmé dans son témoignage qu’il s’était caché tout le temps après avoir déménagé avec Friday, fuyant les activités publiques et limitant ses sorties à de brèves promenades à pied autour de la maison. Il a toutefois écrit dans son FRP qu’il avait tenté d’avoir une vie normale, mais en vain.

[21]           En conséquence, la Commission a conclu que M. Osagie n’avait pas établi son identité ou les prétentions sur lesquelles sa demande était fondée et, pour cette raison, elle a refusé d’accorder du poids aux documents présentés à l’appui de sa demande. La Commission a aussi refusé de tenir compte d’un article paru sur Internet selon lequel Friday avait été tué et M. Osagie avait pris la fuite parce qu’il avait peur. M. Osagie n’ayant pas établi son identité, la Commission ne pouvait pas dire avec certitude à qui cet article faisait référence. De toute façon, la preuve documentaire indiquait qu’il est facile d’acheter des documents au Nigéria, même les plus officiels, et la Commission a conclu en conséquence qu’il était certainement possible également de faire rédiger et publier un article moyennant un pot‑de‑vin.

Les questions en litige

[22]           Le demandeur soulève les quatre questions suivantes :

- La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l’identité de M. Osagie n’avait pas été établie?

- La Commission a-t-elle commis une erreur en exagérant des contradictions qui n’étaient pas importantes au regard de la demande d’asile?

- La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant de manière générale une preuve présentée à des fins de corroboration?

- La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve?

La norme de contrôle

[23]           La première question soulevée par le demandeur concerne son identité et devrait être assujettie à la norme de la décision manifestement déraisonnable : Umba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 17. Les trois autres questions ont toutes trait à la façon dont la Commission a apprécié la preuve relative à la crédibilité de M. Osagie. La même norme devrait s’appliquer à ces trois questions.

Les prétentions et l’analyse

[24]           Dans ses prétentions, le ministre reprend presque intégralement la décision de la Commission, sans présenter aucun argument à l’appui. Le seul argument qu’il invoque est le fait qu’il n’est pas nécessaire que la Cour procède à une analyse plus approfondie étant donné qu’il a été décidé que M. Osagie n’avait pas établi son identité. Le fait de faire un résumé des prétentions du ministre constituerait simplement une reprise de la décision de la Commission et du résumé précédemment fait par la Cour en l’espèce.

[25]           La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que l’identité de M. Osagie n’avait pas été établie?

[26]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable que la Commission déclare que sa carte d’identité nationale n’était pas légitime étant donné que l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a considéré que cette carte était authentique. Tout en reconnaissant que la Commission peut rejeter des pièces d’identité d’un demandeur, le demandeur en l’espèce soutient qu’elle ne devrait le faire que lorsque ces documents se contredisent ou semblent être falsifiés. Il soutient également que non seulement sa carte d’identité nationale a été considérée comme un document authentique, mais que la Commission n’a pas tenu compte de l’évaluation de l’ASFC et a fait référence seulement aux documents qui avaient été remplis avant cette décision.

[27]           Le demandeur soutient également que, en ce qui concerne l’identité d’un demandeur, il ne faut pas tenir compte seulement des documents eux‑mêmes, mais également du passé et du lieu de résidence du demandeur. Dans le même ordre d’idées, la Commission aurait dû être plus sensible à certaines difficultés que le demandeur a éprouvées lorsqu’il a tenté d’expliquer les documents étant donné que son interprète parlait un différent dialecte edo, la langue d’interprétation.

[28]           La Cour rappelle que, le 24 novembre 2005, M. Osagie a été mis en liberté par Rolland Ladouceur, un membre de la Section de l’immigration de la Commission, en attendant l’audition de sa demande d’asile. M. Ladouceur a alors mentionné ce qui suit :

Compte tenu du fait que votre carte d’identité a été jugée authentique à l’issue d’une analyse par des experts, Immigration Canada est maintenant convaincu de votre identité. Votre conseil a également fourni un certificat de naissance. Toutefois, l’Agence des services frontaliers du Canada n’est toujours pas satisfaite des renseignements concernant la façon dont vous êtes arrivé au Canada, mais croit néanmoins qu’une solution de rechange à la détention devrait être offerte, compte tenu du fait que vous demandez l’asile.

[29]           Le demandeur soutient que, vu cette décision, la Section de la protection des réfugiés aurait dû considérer sa carte d’identité nationale comme un document authentique.

[30]           Il est vrai que la Commission n’est pas légalement et rigoureusement tenue de suivre les conclusions de fait auxquelles un autre membre est arrivé. Toutefois, la Cour a récemment déclaré ce qui suit dans Siddiqui c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 6 :

[18] Ce qui nuit à la décision de la Commission c’est l’omission de s’exprimer sur les conclusions contradictoires de la décision Memon. Il se pourrait bien que le commissaire ne fût pas d’accord avec les conclusions de la décision Memon et il pourrait avoir de bonnes et solides raisons pour cela. Toutefois, le demandeur a droit, pour des raisons d’équité, à une décision complète, à une explication sur les raisons pour lesquelles le commissaire en cause, après avoir analysé les mêmes documents portant sur la même question, a pu parvenir à une conclusion différente.

[31]           Dans l’affaire Siddiqui, un membre de la Commission avait expliqué en détail pourquoi il reconnaissait qu’il existait des motifs raisonnables de croire qu’une organisation s’était livrée à des actes de terrorisme, en se fondant sur la même preuve documentaire sur la foi de laquelle un autre membre avait tiré une conclusion différente. Dans l’affaire Siddiqui, le juge Phelan a néanmoins décidé que la Commission, même si elle avait exposé ses propres motifs, avait commis une erreur manifestement déraisonnable en omettant de reconnaître et d’analyser l’autre décision de la Commission.

[32]           En l’espèce, un membre de la Section de l’immigration avait conclu précédemment que la carte d’identité nationale de M. Osagie était authentique. La Commission pouvait s’écarter de cette conclusion après avoir examiné la preuve, ce qu’elle a fait. Toutefois, vu l’existence de la décision antérieure, elle devait expliquer pourquoi elle s’écartait de la conclusion de la Section de l’immigration. Comme elle ne l’a pas fait, sa décision est discordante et arbitraire.

[33]           La Commission a-t-elle commis une erreur en exagérant des contradictions qui n’étaient pas importantes au regard de la demande d’asile?

[34]           Le demandeur soutient que les incohérences et les contradictions ayant trait à son voyage au Canada ont été exagérées et sont fondées sur le fait que l’on a supposé à tort qu’il savait lire et écrire. Il soutient également qu’il est déraisonnable et contraire au sens commun de ne pas croire que, comme il le prétend, il ne sait ni lire ni écrire malgré ses six ans de scolarité au niveau primaire. Il soutient en outre que la Commission n’a pas l’expertise nécessaire pour affirmer que sa signature est celle d’une personne qui sait écrire.

[35]           Le demandeur soutient que son conseil a essayé de donner des précisions à l’audience au sujet de la date de son voyage en indiquant que le 24 octobre 2005 était la date la plus probable de son arrivée à Montréal puisque c’est à cette date qu’il a déposé sa demande d’asile. Le conseil a toujours soutenu que M. Osagie ignorait la date exacte de son voyage, car il avait passé plusieurs jours dans l’aéroport.

[36]           La Cour constate que le demandeur a écrit dans son FRP qu’il est arrivé au Canada en [traduction] « en octobre 2005 », sans préciser la date. Avant l’audience, il a modifié son FRP afin d’y indiquer qu’il était arrivé le 24 octobre 2005. Comme son conseil l’a expliqué à l’audience, M. Osagie n’a jamais su la date exacte de son arrivée et a indiqué le 24 octobre comme la date la plus probable. À l’incitation de la Commission à l’audience, une deuxième modification a été apportée au FRP afin d’y indiquer que le demandeur était arrivé au Canada le 22 ou le 23 octobre 2005, ce qui concordait davantage avec ses allégations.

[37]           Même si la Cour reconnaît que le fait d’omettre un fait important dans le FRP peut entraîner une conclusion défavorable concernant la crédibilité, la Commission est tenue, lorsque le demandeur offre une explication, d’examiner cette explication avant de tirer une telle conclusion : Bayrami c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1167. En outre, la Commission doit être attentive aux cas où des détails importants sont effectivement omis et où le demandeur se contente d’ajouter des détails supplémentaires à sa déclaration écrite : Ahangaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 168 F.T.R. 315.

[38]           Le demandeur a fourni deux explications à l’égard des omissions dans son FRP concernant la date de son arrivée et les points de transit. Premièrement, comme il ne sait ni lire ni écrire, il a été incapable de remplir le formulaire de manière détaillée et, deuxièmement, ce n’est pas lui, mais un agent d’immigration, qui a rempli le formulaire. La Commission a rejeté ces deux explications parce qu’elle ne croyait pas que le demandeur ne savait ni lire ni écrire et parce qu’il avait déjà obtenu l’aide d’un conseil.

[39]           Ces deux conclusions de la Commission sont déraisonnables car les allégations d’un demandeur d’asile sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité : Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302.

[40]           Le simple fait que le demandeur a fréquenté l’école primaire ne prouve pas de manière concluante qu’il sait lire et écrire. En l’espèce, la Commission ne disposait d’aucune preuve sur laquelle fonder sa conclusion, et elle s’est appuyée sur des suppositions. En outre, l’affirmation de la Commission selon laquelle la signature de M. Osagie démontre qu’il sait écrire est tout simplement dénuée de sens, en particulier parce que cette signature ressemble à un gribouillage.

[41]           La Commission affirme que M. Osagie comprenait quels renseignements il devait fournir et qu’il n’avait aucune raison de ne pas dire la vérité étant donné qu’il avait déjà obtenu l’aide d’un conseil.

[42]           En ce qui concerne son voyage, M. Osagie n’a produit aucune preuve contradictoire. En fait, avant l’audience, son conseil a essayé de fournir des détails additionnels dans le but d’aider la Commission. La suggestion de la Commission selon laquelle M. Osagie s’était tout à coup et fort à propos rappelé les dates de son voyage juste avant l’audience ne concorde pas avec la transcription de l’audience. Toutefois, il ressort clairement du dossier du tribunal que M. Osagie et son conseil n’ont jamais laissé entendre que ces dates étaient exactes, mais qu’ils essayaient seulement d’être plus précis.

[43]           Le fait que l’on souligne l’incapacité d’un demandeur d’asile d’offrir un témoignage cohérent quant à la date de son voyage et au mode de transport utilisé ne constitue pas nécessairement un examen microscopique de la preuve. En fait, les moyens utilisés par un demandeur d’asile pour soi‑disant fuir la persécution et le moment où il l’a fait sont très pertinents. En l’espèce cependant, la Cour ne considère pas que la Commission pouvait, compte tenu de la preuve dont elle disposait, conclure à des contradictions et à des omissions importantes.

[44]           La Commission a-t-elle commis une erreur en rejetant de manière générale une preuve présentée à des fins de corroboration?

[45]           La Commission a rejeté l’article de journal concernant la mort du partenaire de M. Osagie, Friday, en appliquant aux articles de journaux la preuve documentaire relative à l’authenticité douteuse des documents délivrés par les autorités publiques. En agissant ainsi, elle a écarté un document pertinent confirmant l’identité de M. Osagie. La preuve documentaire indiquait que tous les documents, y compris un document officiel comme un passeport, un permis de conduire ou un acte de naissance, peuvent être achetés. Se fondant sur cette preuve, la Commission a conclu qu’un faux article de journal pouvait aussi certainement être acheté.

[46]           La Commission ne précise pas de quels documents produits en preuve elle a tenu compte pour en arriver à sa conclusion. Toutefois, la Réponse à la demande d’information NGA43280.EF intitulée « Présence de documents frauduleux au Nigéria ou émanant de ce pays » traite de la falsification de documents au Nigéria. Dans ce document qui semble être le plus pertinent, on rappelle la multitude de cas dans lesquels des documents délivrés par les autorités publiques, en particulier des pièces d’identité, peuvent être fabriqués. Toutefois, il n’est nulle part question dans ce document de la possibilité qu’on puisse payer pour faire écrire ce qu’on veut dans un article de journal. Aussi, si le même argument est invoqué à nouveau devant la Commission, le ministre devrait produire des documents qui prouvent qu’il est possible de payer pour faire écrire ce qu’on veut dans des journaux.

[47]           La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte de tous les éléments de preuve?

[48]           Le demandeur soutient que la Commission n’a pris en considération aucun des éléments de preuve relatifs à son orientation sexuelle ou à la persécution, lesquels constituent le fondement de sa demande. Il affirme que la Commission a reconnu qu’il avait été torturé lorsqu’on a refusé qu’il montre ses cicatrices comme il proposait de le faire au cours de l’audience et qu’il a été dit : [traduction] « D’accord, je le crois. »

[49]           Le demandeur ajoute que la Commission a rejeté son allégation selon laquelle il est homosexuel en ne tenant pas compte des lettres de soutien écrites par des groupes communautaires de Montréal et de la présence de représentants de ces groupes à l’audience. Il insiste sur le fait que la Commission ne l’a jamais interrogé directement au sujet de son orientation sexuelle, qu’elle n’a jamais traité de la crédibilité de ces documents et qu’elle n’a pas fait référence aux éléments de preuve contradictoires qu’ils renfermaient. Selon le demandeur, la Commission s’est plutôt attardée à des contradictions mineures en marge de sa demande et n’a accordé aucune considération à la cohérence de la substance de sa demande.

[50]           Le ministre prétend que, comme la Commission a eu raison de conclure que l’identité de M. Osagie n’avait pas été établie, il n’était pas nécessaire d’analyser davantage la preuve : Bhuiyan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 290. La Commission a néanmoins poursuivi son examen de la demande de M. Osagie en l’espèce. Le simple fait qu’elle n’était pas obligée de le faire n’est pas une raison suffisante pour maintenir ses conclusions.

[51]           La Commission a essentiellement accepté le fondement des allégations de torture du demandeur au cours de l’audience. Ayant reconnu la véracité de ces allégations, elle a commis une erreur en n’accordant aucune considération à la substance de la demande présentée par M. Osagie en tant qu’homosexuel et en s’appuyant plutôt sur des contradictions mineures et sur des aspects accessoires pour mettre en doute sa crédibilité.

[52]           La déclaration de la commissaire est particulièrement problématique. La commissaire a fait cette déclaration après une longue discussion avec le demandeur, au cours de laquelle ce dernier a expliqué qu’entre huit et dix personnes l’avaient agressé avec des bâtons, des bouteilles et des couteaux, lui infligeant des coupures au dos, à la jambe et à la main. L’échange suivant a eu lieu après cette description :

[traduction]

LE CONSEIL (au demandeur) :

Q.        Avec les… Vous avez toujours quelques cicatrices?

R.         Oui.

LA PRÉSIDENTE DE L’AUDIENCE (au demandeur) :

Q.        Non, c’est… Je le crois. Je veux seulement que le demandeur en fasse une description.

[53]           Il semble malgré tout que la commissaire n’était pas parfaitement convaincue des allégations de M. Osagie. Après plusieurs autres questions concernant l’agression, elle lui a fait part de ses préoccupations :

[traduction]

Q.        D’accord. Parce que, vous savez, quand vous me dites que de huit à dix personnes vous ont agressé avec un bâton, des bouteilles et des coutelas pendant deux ou trois heures, je me demande comment vous avez pu survivre à cela.

R.        La façon… Les choses ne se sont pas passées de la façon dont je vous le dis. Je ne peux pas expliquer comment cela s’est passé, comment cela m’est arrivé, je ne peux pas tout vous expliquer, parce que j’étais là, j’étais seul, personne n’était là avec moi.

Q.        Non. C’est pour cela que je vous pose la question, Monsieur.

R.         (Inaudible) Je vous le dis maintenant.

Q.        Dites‑le‑moi du mieux que vous le pouvez parce que je me demande comment vous avez pu survivre à cela. Des personnes, dix, de huit à dix, vous ont battu aussi sauvagement durant deux, trois heures?

[54]           Il ressort de cet échange que la Commission a reconnu que M. Osagie portait des cicatrices à cause des coups qu’il avait reçus, mais qu’elle avait des doutes quant à son souvenir de l’importance de l’agression.

[55]           Le demandeur prétend que, comme la Commission a reconnu l’agression, sa conclusion selon laquelle il n’était pas un homosexuel ne peut s’appuyer sur une conclusion relative à la crédibilité fondée sur des aspects accessoires et sur des contradictions mineures et non pertinentes, compte tenu en particulier des documents canadiens à l’appui.

[56]           La transcription montre clairement que la commissaire a cru que le demandeur avait des cicatrices à cause des coups qu’il avait reçus, mais elle n’indique pas que la commissaire a reconnu l’homosexualité du demandeur, ni de manière générale ni comme cause de l’agression, et ce, même si une discussion a eu lieu avant que l’agression soit décrite en détail.

[57]           De plus, certaines des conclusions de la Commission concernant la crédibilité n’étaient pas liées à des aspects accessoires de la demande de M. Osagie. Par exemple, la Commission a mentionné que M. Osagie avait affirmé dans son témoignage que lui et Friday ne pouvaient pas sortir, alors qu’il a écrit dans son FRP qu’ils avaient tenté de vivre normalement. De plus, son témoignage concernant l’endroit où il vivait caché pour ne pas être persécuté en raison de son orientation sexuelle n’était pas cohérent.

[58]           Par conséquent, même si la Commission semblait être convaincue que M. Osagie avait probablement été agressé, elle n’a jamais reconnu expressément la cause de l’agression ou l’importance de celle‑ci, ce qui ne l’empêchait pas de mettre en doute la crédibilité du demandeur sur d’autres aspects fondamentaux de sa demande, ce qu’elle a fait.

[59]           La Cour conclut que les erreurs commises par la Commission justifient son intervention et que la demande de contrôle judiciaire devrait être accueillie.

[60]           Les parties ont été invitées à proposer des questions importantes à des fins de certification, mais elles ont refusé de le faire.

 


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens.
  2. L’affaire est renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu’une nouvelle décision soit rendue.

3.      Aucune question n’est certifiée.

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-108-07

 

INTITULÉ :                                                           ELIOT OSAGIE

                     c.

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                     ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 10 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE SUPPLÉANT LAGACÉ

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 23 AOÛT 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Annick Legault

 

              POUR LE DEMANDEUR

Diane Lemery

 

              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Annick Legault

Montréal (Québec)

 

              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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