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Date : 20070711

Dossier : IMM-2244-06

Référence : 2007 CF 740

Ottawa (Ontario), le 11 juillet 2007

En présence de Monsieur le juge Blanchard

 

ENTRE :

JANY DOUGLAS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

1.         Introduction

[1]               La demanderesse, Jany Douglas, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 18 avril 2005 par laquelle une agente d’immigration (l’agente) a établi que la demanderesse n’avait pas fait la preuve qu’il y avait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour qu’il soit justifié de lever à son profit l’obligation prévue à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de présenter de l’extérieur du pays les demandes de résidence permanente au Canada. Plus particulièrement, l’agente a conclu que la demanderesse n’avait pas satisfait aux exigences prévues par la « nouvelle » politique publique concernant les époux et les conjoints de fait adoptée conformément au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) en lien avec la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada et par le paragraphe 25(1) de la Loi.

 

2.         Les faits

[2]               La demanderesse est une citoyenne du Commonwealth de la Dominique née le 22 juin 1971. Elle est arrivée au Canada le 8 juillet 1999 et a présenté une demande de statut de réfugiée au sens de la Convention, demande qui a été rejetée.

 

[3]               En décembre 2001, elle a rencontré Nana Yaw Asomaning, un immigrant ayant obtenu le droit d’établissement, qu’elle a épousé le 25 mai 2003. Peu après, la demanderesse a présenté alors qu’elle était au Canada une demande de résidence permanente, parrainée par M. Asomaning, en invoquant des motifs d’ordre humanitaire. La demanderesse et son époux ont eu un enfant, Josh Asomaning, né le 1er août 2003.

 

[4]               Dans une lettre datée du 13 septembre 2005, on informait la demanderesse qu’elle remplissait les conditions d’admissibilité pour pouvoir demander la résidence permanente à titre de membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada.

 

[5]               Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a reçu le 23 décembre 2005 une lettre censément signée par M. Asomaning, dans laquelle ce dernier exprimait le souhait de retirer l’offre de parrainage de sa femme puisqu’elle et lui étaient désormais séparés et ne vivaient plus ensemble.

 

[6]               Le 10 février 2006, CIC a demandé à la demanderesse des renseignements additionnels afin de l’éclairer au sujet de la lettre du 23 décembre 2005. Par suite, M. Asomaning a signé le 10 mars 2006 un affidavit dans lequel il déclarait ce qui suit :

[traduction]

Je déclare et confirme par la présente ne pas avoir envoyé, ni autorisé quiconque à envoyer en mon nom, une telle lettre de retrait de parrainage. Je déclare et confirme en outre que ma femme et moi sommes toujours mariés et que je souhaite respecter l’engagement que j’ai pris en son nom en septembre 2003.

 

 

[7]               L’agente a comparé la signature de M. Asomaning figurant sur la lettre de retrait avec sa signature apposée sur d’autres documents au dossier, et elle a conclu que toutes les signatures semblaient être parfaitement identiques.

 

[8]               Le 13 avril 2006, l’agente a téléphoné à la résidence de la demanderesse pour discuter de l’incompatibilité apparente entre la teneur de la lettre de retrait et la teneur de l’affidavit. La demanderesse a alors déclaré que son mari était au travail et elle a dit, au moins à deux reprises, que son mariage n’était pas rompu. L’agente a ensuite demandé le numéro de téléphone au travail de M. Asomaning afin de pouvoir procéder avec lui à une entrevue téléphonique. Pendant que la demanderesse fournissait ce numéro de téléphone, la communication téléphonique entre celle-ci et l’agente a été abruptement interrompue. L’agente a alors rappelé trois fois la demanderesse, sans obtenir la moindre réponse.

 

[9]               L’agente a ensuite téléphoné au dernier lieu de travail connu de M. Asomaning, soit chez Aliments Maple Leaf. L’employeur de M. Asomaning a confirmé que celui-ci travaillait toujours au sein de l’entreprise, mais pendant le quart de nuit de sorte que l’agente ne pouvait lui parler tout de suite.

 

[10]           Dans un affidavit produit au soutien de sa demande, la demanderesse déclare ne pas avoir trompé l’agente, et que son mari se trouvait réellement au travail, mais dans une épicerie africaine où il venait de décrocher un emploi à temps partiel. La demanderesse ajoute ne pas avoir mis fin à la communication avec l’agente, l’appel ayant en fait été interrompu en raison d’une défectuosité de l’appareil téléphonique, provoquée plus tôt par son fils Josh qui l’avait plongé dans l’eau.

 

3.         La décision contestée

[11]           Dans une lettre datée du 18 avril 2006, l’agente a informé la demanderesse de la décision défavorable rendue quant à la dispense prévue par la politique publique, en faisant état d’une lettre transmise à CIC en vue du retrait de parrainage. L’agente informait en outre la demanderesse que sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire avait également été rejetée après examen.

 

[12]           Dans ses notes du STIDI, l’agente a écrit qu’elle concluait que la signature apposée sur la lettre de retrait semblait être celle de M. Asomaning, et qu’elle estimait, par suite de la conversation téléphonique avec la demanderesse et de discussions postérieures avec l’employeur de M. Asomaning, que cette dernière n’était pas digne de foi. L’agente a conclu, par conséquent, que le mariage n’était pas un mariage véritable.

 

[13]           L’agente ajoute dans ses notes que la demande a également été examinée en fonction de motifs d’ordre humanitaire. Elle relève qu’il a été décidé que la demanderesse n’était pas une réfugiée. L’agente conclut également que la demanderesse compte en Dominique des parents et une sœur qui pourront, à son retour, lui fournir le soutien psychologique et pécuniaire requis. En ce qui concerne le fils de deux ans et demi de la demanderesse, l’agente a dit qu’elle croyait qu’il s’intégrerait bien à la société, quelle qu’elle soit, où résiderait sa mère, et que son intérêt supérieur consistait à demeurer auprès d’elle.

 

4.         Les questions en litige

[14]           Les questions suivantes sont soulevées dans le cadre de la présente demande :

1.         L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas digne de foi?

2.         L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant que le mariage n’avait pas un caractère véritable?

3.         L’agente a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il n’existait pas de motifs suffisants pour que soit justifié le traitement au Canada de la demande de résidence permanente?

 

5.         La norme de contrôle

[15]           Dans Sadiki Ouafae c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 459, mon collègue le juge de Montigny a procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour établir la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision d’un agent des visas mettant en cause l’application à une situation particulière des principes généraux de la Loi ou du Règlement. Le juge a déclaré qu’à l’égard de telles questions mixtes de fait et de droit, la norme de contrôle appropriée était celle de la décision raisonnable simpliciter. On a souligné également dans Ouafae que le choix de la norme applicable dépendra de la nature de la décision et du contexte dans lequel elle est prise. Dans cette perspective, les décisions d’agents des visas fondées sur une appréciation de faits appellent comme norme de contrôle celle de la décision manifestement déraisonnable. La Cour n’interviendra à l’égard d’une telle décision que s’il est démontré qu’elle se fondait sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire. Je souscris aux motifs et aux conclusions de mon collègue quant à la norme de contrôle applicable aux décisions d’agents des visas. La Cour d’appel fédérale a par la suite donné son aval aux motifs du juge de Montigny dans Bethouo Feliciano Eymard Boni c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CAF 68, au paragraphe 7.

 

[16]           Les deux premières questions en litige en l’espèce ont trait à une appréciation des faits. Il est de jurisprudence constante que la norme de contrôle applicable par la Cour à de telles conclusions de fait est celle de la décision manifestement déraisonnable.

 

[17]           La troisième question met en cause l’examen de conditions d’admissibilité énoncées au Règlement et l’application du paragraphe 25(1) de la Loi aux faits d’espèce. C’est là une question mixte de fait et de droit qui appelle la norme de la décision raisonnable.

 

6.         L’analyse

[18]           Le 7 septembre 2005, on avait conclu que la demanderesse satisfaisait aux conditions d’admissibilité à la résidence permanente en tant que membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. En raison de la lettre de retrait, l’agente a ensuite conclu que la demanderesse n’était pas digne de foi et que son mariage n’était pas un mariage véritable. L’agente a par conséquent conclu que la demanderesse ne remplissait pas alors les conditions d’admissibilité à la résidence permanente en tant que membre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada, et a ainsi rejeté sa demande de résidence permanente. Je vais maintenant examiner les conclusions de l’agente quant à la crédibilité et sa décision portant que le mariage n’avait pas un caractère véritable.

 

[19]           L’agente a estimé que la demanderesse n’était pas digne de foi du fait qu’elle avait déclaré lors de leur entretien téléphonique que son mari se trouvait au travail. Il est vrai que M. Asomaning ne se trouvait pas alors à son lieu de travail habituel, mais il se trouvait en fait au lieu de son travail à temps partiel. Cela, l’agente ne le savait pas au moment où elle a rendu sa décision. L’agente avait fait enquête auprès de l’employeur pour le poste à temps plein de M. Asomaning, qui l’avait informée que ce dernier n’était pas au travail à ce moment-là. Sur la foi de ce renseignement, l’agente a présumé à tort que le mari de la demanderesse ne se trouvait pas au travail, et elle a par conséquent conclu que cette dernière l’avait trompée. À mon avis, la conclusion de l’agente selon laquelle M. Asomaning ne se trouvait pas au travail au moment où la demanderesse avait affirmé qu’il y était se fondait sur des hypothèses et n’était pas étayée par la preuve. La question de la situation de travail du mari de la demanderesse aurait pu facilement être clarifiée si l’agente avait parlé à M. Asomaning. L’agente a ainsi commis une erreur en mettant en doute la crédibilité de la demanderesse sur le fondement de cette conclusion erronée.

 

[20]           L’agente a également douté de la crédibilité de la demanderesse du fait qu’elle avait [traduction] « refusé de prendre son appel » après avoir raccroché la ligne. Cette conclusion n’est pas non plus étayée par la preuve. La preuve révèle que la communication a été interrompue et que l’agente n’a pas pu par la suite joindre la demanderesse par téléphone. De nombreuses causes pouvaient conduire à ce résultat. L’agente a simplement conclu des faits que la demanderesse était impolie et peu coopérative; elle a commis une erreur en tirant une telle conclusion. À mon avis, il n’était pas indiqué pour l’agente de mettre en doute la crédibilité de la demanderesse en se fondant sur cette conclusion erronée.

 

[21]           Je suis d’avis que les conclusions défavorables de l’agente quant à la crédibilité étaient de nature hypothétique et non étayées par la preuve. Elles étaient par conséquent manifestement déraisonnables.

 

[22]           L’agente a également conclu que le mariage de la demanderesse n’était pas véritable. Elle a tiré cette conclusion parce qu’elle a prêté foi à la lettre de retrait. Elle a estimé cette lettre authentique malgré que la demanderesse ait affirmé de manière répétée que ce qu’on y alléguait était faux. L’agente disposait pourtant aussi du témoignage par affidavit de M. Asomaning selon lequel il n’avait pas envoyé la lettre de retrait, il était toujours marié avec la demanderesse et il avait toujours voulu et voulait toujours parrainer cette dernière. L’agente a estimé que la signature apposée sur la lettre de retrait semblait être celle de M. Asomaning, pour ainsi conclure que cette lettre était authentique. Je signale à cet égard qu’on n’a pas tenté d’obtenir une preuve d’expert pour étayer cette conclusion. L’agente a simplement déduit, par comparaison avec d’autres signatures au dossier de M. Asomaning, que ce dernier avait bel et bien signé la lettre de retrait.

 

[23]           À mon avis, il n’était pas loisible à l’agente de conclure que le mariage de la demanderesse n’était pas véritable. Je tire cette conclusion en me fondant sur l’ensemble de la preuve dont l’agente était saisie, tout particulièrement le témoignage par affidavit non contesté de M. Asomaning où ce dernier a déclaré ne pas être l’auteur de la lettre de retrait et a affirmé catégoriquement être toujours marié avec la demanderesse et souhaiter la parrainer. En l’espèce, le défendeur avait déjà établi que le mariage avait un caractère véritable. Ce n’est qu’après la réception de la lettre de retrait que la question du caractère véritable de la relation a été soulevée. La décision défavorable de l’agente découlait essentiellement de la lettre de retrait. En de telles circonstances, il était essentiel d’établir si cette lettre était ou non authentique. Vu l’importance de la preuve appuyant la version des faits de la demanderesse et en l’absence d’éléments de preuve clairs authentifiant comme étant celle de M. Asomaning la signature apposée sur la lettre de retrait, il était manifestement déraisonnable pour l’agente de conclure que le mariage n’avait pas un caractère véritable. En de telles circonstances, il aurait été souhaitable que l’agente poursuive son enquête, et à tout le moins parle directement avec M. Asomaning au sujet du parrainage, avant de conclure comme elle l’a fait.

 

[24]           Les conclusions erronées susmentionnées de l’agente constituaient un élément central de sa décision de rejeter la demande de résidence permanente de la demanderesse. La décision sera par conséquent annulée.

 

[25]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et l’affaire sera renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

 

[26]           Les parties ont eu l’occasion de soulever une question grave de portée générale, selon ce que prévoit l’alinéa 74d) de la Loi, mais elles ont choisi de n’en soulever aucune. Je suis d’avis qu’aucune question de portée générale ne résulte du présent dossier. Je n’ai pas l’intention de certifier une question.

 

 


 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

2.         L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu’il rende une nouvelle décision en conformité avec les présents motifs.

 

3.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Edmond P. Blanchard »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

 

D. Laberge, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2244-06

 

INTITULÉ :                                       JANY DOUGLAS c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 8 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE BLANCHARD

 

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                   LE 11 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Kweku Ackaah-Boafo                                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

Bernard Assan                                                                          POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Kweku Ackaah-Boafo                                                             POUR LA DEMANDERESSE Avocat

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

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