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Date : 20070709

Dossier : IMM-4224-06

Référence : 2007 CF 730

Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O'REILLY

 

 

ENTRE :

GEDION WOSSEN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les parties conviennent que le tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a commis plusieurs erreurs dans la décision par laquelle il a rejeté la demande d’asile de M. Gedion Wossen. Le défendeur soutient toutefois que la décision peut quand même être confirmée, tandis que M. Wossen affirme qu’il a droit à une nouvelle audience. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, malgré les erreurs commises par la Commission, la décision reposait dans l’ensemble sur la preuve.

I.  Question en litige

[2]               Les erreurs commises par la Commission au sujet des faits justifient-elles un nouvel examen de la demande de M. Wossen?

II.  Analyse

a) Contexte factuel

 

[3]               M. Wossen explique qu’il était chauffeur de taxi à Addis-Abeba, en Éthiopie, pendant les troubles sociaux de 2005. Il a vu des civils se faire tuer par la police. La police lui a dit de ne pas souffler mot de ce qu’il avait vu et lui a donné l’ordre de retourner au travail. Il raconte que, troublé par ce dont il avait été témoin, il n’était pas en état de conduire son taxi. Sa désobéissance lui a valu de se faire arrêter. Il a été interrogé, battu et torturé pendant le mois qui a suivi. Quelques mois plus tard, il a de nouveau été arrêté et menacé par la police. Il a décidé de s’enfuir de l’Éthiopie. Il a passé dans la clandestinité et a ensuite fait de l’auto-stop jusqu’à Nairobi, au Kenya. De là, un agent a fait le nécessaire pour lui permettre de se rendre au Canada avec de faux documents.

b) Décision de la Commission

 

[4]               La Commission a refusé d’ajouter foi à de larges extraits de la version des faits de M. Wossen. Voici un résumé de ses conclusions :

(i)                  La Commission a conclu que M. Wossen n’avait pas prouvé qu’il avait été chauffeur de taxi à Addis-Abeba. Il a produit une lettre de son employeur, mais il n’avait pas de carte d’identité, de permis de conduire ou de permis de chauffeur de taxi. La Commission n’a pas trouvé convaincante l’explication donnée par M. Wossen pour justifier l’absence de documents corroborants, d’autant plus qu’il avait été chauffeur de taxi pendant huit ans.

 

(ii)                La Commission a douté que M. Wossen serait recherché par les forces de sécurité. Il ne s’occupait pas du tout de politique. Il ne faisant pas partie non plus du syndicat des chauffeurs de taxi, qui avait été associé à des activités politiques. La Commission a estimé peu probable que M. Wossen soit pris pour cible simplement parce qu’il avait été témoin d’une fusillade et qu’il avait refusé de retourner au travail. De plus, la Commission s’est demandée pourquoi M. Wossen ne s’était pas tout simplement éloigné après qu’on lui eut donné l’ordre de retourner au travail.

 

(iii)               La Commission a conclu que les explications fournies par M. Wossen au sujet de la grève des chauffeurs de taxi n’étaient pas confirmées par des sources indépendantes. Elle a signalé que les chauffeurs de taxi avaient débrayé pour appuyer les manifestants le jour où M. Wossen affirme avoir été témoin de la fusillade. Pourtant, M. Wossen est allé travailler comme à l’accoutumée. La Commission a estimé peu probable que M. Wossen soit pris pour cible s’il ne manifestait pas et n’était pas en grève ce jour-là. La police réagissait à des manifestants qui lançaient des pierres et non à des spectateurs innocents.

 

(iv)              La Commission a dit douter que M. Wossen reprenne tout bonnement son travail de chauffeur de taxi après avoir été arrêté, battu, torturé et placé en isolement cellulaire pendant un mois. Il n’a produit aucun rapport médical pour corroborer les mauvais traitements qu’il affirmait avoir subis en prison. De plus, il a attendu plusieurs mois avant de quitter l’Éthiopie.

 

[5]               Outre ces conclusions, la Commission a également signalé d’autres problèmes en ce qui concerne la preuve de M. Wossen :

•           M. Wossen prétendait qu’il était demeuré un observateur passif de la fusillade pendant quatre heures et qu’il n’avait jamais cherché à se protéger;

•           À un certain moment donné, il a dit qu’il se trouvait seul dans une cellule, alors qu’à un autre, il avait affirmé avoir été placé en isolement cellulaire, ce qui n’est pas la même chose;

•           Son témoignage comportait de nombreuses difficultés au sujet des dates;

•           Après avoir affirmé que sa mère lui avait envoyé des documents, il a plus tard soutenu que c’était le propriétaire du taxi qui les lui avait fait parvenir;

•           Dans sa lettre, le propriétaire du taxi insistait longuement pour lui dire de ne pas le contacter parce que les autorités pourraient le retrouver et, pourtant, l’enveloppe portait son nom et son adresse ainsi que ceux de M. Wossen. La Commission n’a par conséquent accordé aucune valeur à cette lettre.

 

[6]               Comme motif final justifiant le rejet de la demande d’asile de M. Wossen, la Commission a estimé que ses agissements étaient incompatibles avec une crainte subjective de persécution étant donné qu’il n’avait pas demandé l’asile au Kenya, où il avait passé un mois avant de venir au Canada.

 

c)  Justification des conclusions de la Commission

 

[7]               Les parties conviennent que la Commission a erré sur au moins trois points. Premièrement, le témoignage de M. Wossen ne comportait pas de problèmes de dates. Les difficultés s’expliquent par la transposition du calendrier éthiopien au calendrier occidental. Deuxièmement, la Commission a commis une erreur en concluant que le fait d’être emprisonné seul dans une cellule n’équivalait pas à l’isolement cellulaire. Troisièmement, M. Wossen avait toujours dit que c’était sa mère, et non le propriétaire du taxi, qui lui avait fait parvenir les documents à l’appui de sa demande d’asile.

 

[8]               M. Wossen soutient que les autres motifs que la Commission a invoqués pour mettre en doute son témoignage ne sont pas justifiés. En particulier, la Commission n’a pas cité son témoignage suivant lequel il était demeuré dans sa voiture pendant la fusillade. Il ajoute que c’est de façon injustifiée que la Commission a déclaré sans valeur la lettre de son employeur, qui était sa seule preuve qu’il était un chauffeur de taxi. Il signale en outre que la Commission a fait fi d’un rapport psychologique qui appuyait sa demande d’asile et qu’elle a ignoré les explications qu’il avait données pour justifier le fait qu’il n’avait pas demandé l’asile au Kenya. Le défendeur affirme que les conclusions clés de la Commission reposent sur la preuve et que la Cour ne devrait donc pas les modifier.

 

[9]               Lorsque la Commission commet, dans sa constatation des faits, des erreurs qui n’ont pas d’incidence sur l’essence de la demande d’asile, le tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire devrait confirmer sa décision, dès lors qu’il y a d’autres éléments de preuve à l’appui. Ayant examiné la preuve et la décision de la Commission, j’estime que les erreurs commises par la Commission sont accessoires par rapport à la demande d’asile de M. Wossen. Il était loisible à la Commission de tirer ses principales conclusions vu l’ensemble de la preuve dont elle disposait. Par exemple, M. Wossen n’avait pas présenté d’éléments de preuve satisfaisants pour démontrer qu’il était un chauffeur de taxi, et la Commission avait le droit de conclure que les explications qu’il avait données au sujet de ce manque de preuve n’étaient pas convaincantes. Il avait dit qu’il avait laissé les documents pertinents dans son appartement. Il a demandé au propriétaire du taxi de les récupérer, ce qui a été impossible parce que l’appartement avait été mis sous scellés. M. Wossen avait pourtant dit qu’il avait eu le temps de se faire payer et de rendre certains outils au propriétaire avant de quitter Addis-Abeba. Il était loisible à la Commission de se demander pourquoi M. Wossen laisserait son portefeuille dans son appartement et ne réussirait pas à obtenir d’autres documents qui auraient pu corroborer sa version des faits. De même, les autres conclusions tirées par la Commission au sujet de la probabilité que M. Wossen soit pris pour cible en vue d’être persécuté reposaient sur des inférences logiques tirées de la preuve. J’estime qu’il n’y a aucune raison qui justifie de les infirmer.

 

[10]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune des parties ne m’a proposé de question grave de portée générale et aucune n’est donc certifiée.

 

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« James W. O'Reilly »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4224-06

 

INTITULÉ :                                       GEDION WOSSEN c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 MAI 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 9 JUILLET 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Paul VanderVennen

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Me Rhonda Marquis

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Vandervennen Lehrer

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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