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Date : 20070706

Dossier : IMM-165-07

Référence : 2007 CF 711

Ottawa (Ontario), le 6 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

 

 

ENTRE :

SAMUELA DESRONVILLES

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), visant la décision datée du 19 décembre 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la CISR) a conclu que Samuela Desronvilles (la demanderesse) n’est ni une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger suivant les articles 96 et 97, respectivement, de la LIPR, parce qu’elle n’était pas crédible.

 

I. Les faits

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne d’Haïti. 

 

[3]               La demanderesse allègue qu’elle possédait et exploitait un salon de coiffure, « Sami Coiffure », à Haïti entre août 2001 et mai 2005. Elle prétend qu’elle a été persécutée en Haïti parce que son père était ami avec des membres des partis d’opposition dans ce pays. La demanderesse dit que des amis de son père qui étaient actifs sur la scène politique venaient fréquemment à son salon, de sorte qu’elle a eu des contacts avec eux et qu’elle et son père étaient considérées comme des opposants au gouvernement haïtien.

 

[4]               La demanderesse allègue que son père a commencé à recevoir des menaces en 2002. Son salon aurait été vandalisé au cours de la même année. En outre, selon la demanderesse, son père s’est disputé avec deux policiers dans son salon le 21 août 2002. Au cours de la dispute, l’un des policiers a qualifié le salon de « sale opposant ». Le père de la demanderesse a été tué par des inconnus quatre jours plus tard.

 

[5]               Comme elle était convaincue que son père avait été tué par les policiers avec lesquels il s’était disputé le 21 août 2002, la demanderesse a décidé de dénoncer l’assassinat de son père et a multiplié les démarches à cette fin entre 2002 et 2005.

 

[6]               La demanderesse prétend que son salon de coiffure a été vandalisé une nouvelle fois en 2005, de même que sa résidence, et que les deux ont été détruits. Elle se serait rendue au poste de police pour porter plainte et les policiers lui auraient dit que sa famille méritait ce qui lui arrivait.

 

[7]               La demanderesse prétend également qu’elle a été convoquée par la police haïtienne en mai 2005. Au poste de police, elle aurait été interrogée et insultée par les policiers. Après l’interrogatoire, les policiers lui ont appris que la licence d’exploitation de son salon de coiffure était suspendue jusqu’à nouvel ordre. La demanderesse a ensuite été relâchée.

 

[8]               La demanderesse a obtenu un faux passeport français et a quitté Haïti à destination du Canada le 31 janvier 2006, soit plus de six mois après son interrogatoire par la police haïtienne. Elle a demandé l’asile au Canada le 1er février 2006.

 

II. Les questions en litige

(1)   Quelle norme de contrôle s’applique aux conclusions défavorables de la SPR concernant la crédibilité?

(2)   La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible était‑elle manifestement déraisonnable?

 

III. L’analyse

 

(1) Quelle norme de contrôle s’applique aux conclusions défavorables de la SPR concernant la crédibilité?

 

[9]               La jurisprudence de la Cour est claire : la Cour ne modifiera pas les conclusions de la SPR concernant la crédibilité, sauf si celles‑ci sont manifestement déraisonnables. La Cour a répété à maintes reprises que la SPR est mieux placée qu’elle pour tirer des conclusions concernant la crédibilité parce que la SPR est un tribunal spécialisé et qu’elle a la possibilité d’observer les demandeurs d’asile pendant qu’ils témoignent (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 140 N.R. 315 (C.A.F.); Ahortor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 705 (1re inst.); Tekin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 357).

 

(2) La conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible était‑elle manifestement déraisonnable?

 

 

[10]           La SPR a conclu que l’exposé circonstancié et les prétentions de la demanderesse n’étaient pas crédibles. Elle a relevé plus particulièrement les contradictions suivantes :

 

a)      la demanderesse a omis de nommer deux de ses « demi‑frères » dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP), même si elle avait déposé en 2001 une demande de visa de visiteur (la demande de visa de visiteur) pour rendre visite à l’un de ces frères qui réside au Canada (dossier du tribunal, transcription de l’audience de la SPR, aux pages 141 et 142);

 

b)      la demanderesse a écrit qu’elle n’était pas mariée dans son FRP, mais qu’elle était mariée dans sa demande de visa de visiteur. Interrogée au sujet de cette contradiction, la demanderesse a répondu qu’elle n’était pas mariée, mais qu’elle vivait avec un homme, Charles Pierre. Selon elle, cette relation aurait pris fin en décembre 2001. La SPR a mis en doute cette explication car la demanderesse avait écrit dans sa demande de visa de visiteur qu’elle était mariée avec un certain « Joseph Ismael ». Pour expliquer cette contradiction, la demanderesse a dit à la SPR qu’elle vivait avec M. Pierre et M. Ismael (dossier du tribunal, transcription de l’audience de la SPR, aux pages 156 à 159);

 

c)      la demanderesse a écrit dans son FRP qu’elle n’avait pas d’enfant, alors que, selon sa demande de visa de visiteur, elle avait un fils prénommé Kemuel Joseph, né le 14 janvier 2001. Lorsqu’elle a été interrogée par la SPR au sujet de cette contradiction, la demanderesse a répondu qu’il s’agissait de l’enfant de M.  Ismael, mais qu’elle l’avait adopté et qu’elle ne pensait pas, dans ce cas, qu’elle devait l’inscrire dans son FRP (dossier du tribunal, transcription de l’audience de la SPR, aux pages 159 et 160). La SPR a souligné dans sa décision qu’il est expressément indiqué dans le FRP que les enfants adoptés doivent être mentionnés;

 

d)      la demanderesse a mentionné dans son FRP et dans son témoignage qu’elle travaillait comme coiffeuse dans le salon de coiffure « Coiffure Samy » dont elle était propriétaire. Dans sa demande de visa de visiteur, elle a toutefois écrit qu’elle était bouchère dans un commerce appelé « Samuela Boucherie Charcuterie ». Interrogée au sujet de cette contradiction, elle a dit à la SPR qu’elle n’avait jamais travaillé comme bouchère, mais qu’elle avait fait du travail de comptabilité pour le commerce de son père (Samuela Boucherie Charcuterie) entre 1997 et décembre 2001 (dossier du tribunal, transcription de l’audience de la SPR, aux pages 161 et 162). La demanderesse a aussi modifié son FRP afin d’inscrire, dans la section intitulée « Expérience professionnelle », qu’elle avait occupé un emploi d’aide‑comptable;

 

e)      la demanderesse s’appelait « Joseph Samuela Desronvilles » selon sa demande de visa de visiteur, mais « Samuela Desronvilles » selon son FRP. Elle a subséquemment apporté une modification à son FRP afin d’y inscrire « Samuela Joseph Desronvilles »;

 

f)        selon le document présenté par la demanderesse à la SPR pour prouver l’existence de son salon (Certificat de Patente), le nom de celui‑ci était « Samie Studio Beauté », alors que la demanderesse a dit à la SPR que le nom était « Sami Coiffure »;

 

g)      la demanderesse a affirmé que son père avait été tué à 14 h, mais le certificat de décès indique plutôt que son père a été assassiné à 21 h (dossier du tribunal, acte de décès de Joseph Chanco Desronvilles, à la page 125). À l’audience, la demanderesse a dit que son père avait été tué par un inconnu alors qu’il était assis devant la maison. Elle a toutefois écrit dans son FRP que son père se trouvait avec des policiers lorsqu’il est décédé et que l’un de ces derniers avait tiré sur lui;

 

h)      le certificat de décès du père de la demanderesse indique qu’il est décédé à l’âge de 57 ans, alors que la demanderesse a écrit dans son FRP que son père avait 56 ans lorsqu’il est mort;

 

i)        la demanderesse prétendait avoir reçu un « avis de convocation » et un « mandat d’amener » de la police haïtienne le 3 mai 2005. Or, le « mandat d’amener » est daté du 5 mai 2005. Interrogée au sujet de cette contradiction évidente, elle a répondu qu’elles avait reçu les deux documents le 3 mai 2005, même si l’un était daté du 5 mai 2005 (dossier du tribunal, transcription de l’audience de la SPR, aux pages 164 à 168). La SPR n’a accordé aucun poids aux deux documents parce que les déclarations de la demanderesse concernant leur réception n’étaient pas crédibles. En conséquence, la SPR n’a pas jugé nécessaire de demander l’opinion d’un expert sur l’authenticité des documents.

 

[11]           Je ne trouve pas convaincantes les explications données par la demanderesse au regard des contradictions évidentes entre son FRP, son témoignage et sa demande de visa de visiteur. Les prétentions de la demanderesse selon lesquelles les contradictions concernant le décès de son père sont attribuables à des problèmes de traduction ne sont pas convaincantes non plus. La SPR souligne dans sa décision que la demanderesse répondait aux questions sans attendre la traduction et que son représentant a soulevé la question des [traduction] « problèmes de traduction » seulement lorsqu’il a été question du décès du père de la demanderesse, et seulement après s’être rendu compte que le témoignage de celle‑ci était différent de ce qui figurait dans son FRP. La transcription de la partie pertinente de l’audience de la SPR est reproduite ci‑dessous :

COMMISSAIRE : Quoi?

REVENDICATRICE : Non seulement qu’ils ont écrit sur les murs du salon, ils se sont déguisés pour venir me menacer.

[…]

CONSEILLER : Je comprends un peu le créole, mais je le parle pas […] Elle a dit « des menaces à peine déguisées », ils se sont pas déguisés.

COMMISSAIRE : Okay, c’est des menaces qui sont déguisées.

[…]

INTERPRÈTE : C’est quoi que vous dites, Maître?

CONSEILLER : Apparemment, elle a dit des menaces?

INTERPRÈTE : Apparemment?

[…]

COMMISSAIRE : Attendez, je […] O.K., on s’arrête s’il vous plaît, s’il vous plaît. On a une interprète ici, Madame l’interprète, c’est vous l’experte. Dites-moi, est-ce qu’elle a dit que les gens sont venus déguisés ou c’étaient les menaces qui étaient déguisées?

INTERPRÈTE : Les gens sont venus déguisés.

[…]

COMMISSAIRE : C’était ça que vous avez dit, Madame?

REVENDICATRICE : Ils ont fait des menaces à peines déguisées. 

COMMISSAIRE : O.K. par ce que l’interprète vient de me dire, puis j’ai pas de raison de douter de sa parole, que vous avez dit que les gens se sont déguisés

[…]

Je vais analyser ça, d’accord? Alors, vous dites…

CONSEILLER : Je m’excuse là, j’avais […] j’avais pas bien suivi la [...] sa phrase, mais il me semble qu’elle a dit «menaces déguisées», mais je m’excuse, je parle pas le créole.

COMMISSAIRE : Bon. Alors, si vous parlez par le créole, Monsieur, je vous demanderais de pas intervenir parce que ça dérange l’interprète qui est là vraiment pour nous éclaircir.

[…]

Parce que c’est vrai que c’est écrit dans le texte « menaces à peine déguisées ».

 

Cela étant dit, je constate que la SPR a cru la demanderesse lorsqu’elle a dit que son père avait été tué. Elle n’a cependant pas cru son témoignage sur les circonstances entourant ce décès.

 

[12]           L’avocat de la demanderesse a prétendu, à l’audience, que la preuve objective relative à Haïti était suffisante pour justifier la demande de la demanderesse. Je ne suis pas de cet avis. La demanderesse n’a pas été en mesure d’étayer son récit puisqu’elle a été jugée non crédible. Elle n’a donc pas été en mesure de justifier sa demande d’asile. Je ne vois pas comment la documentation objective sur Haïti pourrait avoir une incidence sur la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’est pas crédible. La documentation objective peut tout au plus démontrer qu’un demandeur a une crainte objective de persécution. Il incombe aux demandeurs de faire la preuve de leur crainte subjective de persécution. En l’espèce, il était impossible d’ajouter foi à l’exposé circonstancié de la demanderesse et aux faits qu’elle invoquait à l’appui de sa demande. Par conséquent, la demanderesse ne pouvait pas établir une crainte subjective de persécution, ni qu’elle avait besoin d’être protégée.

 

[13]           À mon avis, compte tenu du nombre de contradictions figurant dans l’exposé circonstancié et dans le témoignage de la demanderesse et du fait que la plupart d’entre elles se rapportent directement aux éléments fondamentaux de sa demande, la décision de la SPR n’est pas manifestement déraisonnable. Ayant examiné minutieusement l’ensemble de la preuve, pris en considération les éléments de preuve pertinents et lu avec attention la décision de la SPR, je crois que cette décision est fondée en ce qui a trait à la crédibilité de la demanderesse. 

 

IV. Conclusion

 

[14]           Pour les motifs exposés ci‑dessus, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

[15]           Les parties ont été invitées à proposer une question à des fins de certification, mais aucune question n’a été proposée.

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

 

(1)   La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

(2)   Aucune question n’est certifiée. 

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM-165-07 

 

INTITULÉ :                                                           SAMUELA DESRONVILLES

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 4 JUILLET 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                 LE JUGE SIMON NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 6 JUILLET 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey Platt                                                               POUR LA DEMANDERESSE

 

Jocelyne Murphy                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey Platt                                                               POUR LA DEMANDERESSE

1410, rue Guy

Bureau 21 

Montréal (Québec)

H3H 2L6

 

John H. Sims, c.r.                                                     POUR LE DÉFENDEUR

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