Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20070703

Dossier : IMM-4648-06

Référence : 2007 CF 681

Ottawa (Ontario), le 3 juillet 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

GERARDA CARRANZA BERMUDEZ

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

INTRODUCTION

[1]               Dans sa décision, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que Mme Gerarda Carranza Bermudez n’avait pas réussi à réfuter la présomption de protection de l’État. Le Costa Rica n’est pas un pays en état de guerre civile, d’invasion ou d’effondrement interne. Le gouvernement exerce un contrôle effectif sur son territoire et possède des autorités militaires, civiles et policières. Il ressort de la preuve que le gouvernement du Costa Rica prend le problème de la violence conjugale très au sérieux et qu’il fait des efforts réels pour protéger les victimes.

 

En ce qui a trait à la protection de l’État au Costa Rica, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu ce qui suit :

Ni la preuve documentaire ni l’expérience des membres de sa famille en ce qui concerne les autorités ne soutiennent les allégations de la demandeure d’asile selon lesquelles elle ne pouvait pas bénéficier de la protection de l’État. Selon la preuve documentaire, le Costa Rica est une démocratie constitutionnelle dirigée par le président et une chambre législative unicamérale dont les membres sont élus directement dans le cadre d’élections multipartites libres se tenant tous les quatre ans. Les documents indiquent que le Costa Rica s’est doté d’un certain nombre de mesures de recours (évaluations, poursuites et mesures de redressement) pour le cas où les organismes d’exécution de la loi manquent à leurs obligations.

 

                Le même document révèle aussi ce qui suit :

                                [Traduction]

En août, le bureau de l’ombudsman avait reçu 47 rapports concernant des abus de pouvoir ou des inconduites de la part des forces policières. De ce nombre, 34 rapports faisaient toujours l’objet d’une enquête, un cas avait été jugé légitime et 12 avaient été jugés sans fondement.

 

Selon le document, chaque ministère comprend une unité interne de discipline qui est chargée de faire enquête lorsque ses agents sont accusés d’abus ou de corruption. Tous les nouveaux policiers suivent, dans le cadre de leur formation de base, un cours de sensibilisation aux droits de la personne. Cela montre que, s’il y a inconduite ou abus de la part d’un policier, il existe divers mécanismes efficaces de présentation de plaintes, dans les cas de violation des droits civils et des droits de la personne.

 

 

[2]               Dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux paragraphes 49, 50 et 52, la Cour suprême du Canada a statué qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, l’État est réputé être en mesure de protéger ses citoyens. Le risque que cette présomption s’applique de façon trop large est atténué par l’obligation de présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants. Pour démontrer une telle incapacité, le demandeur pourrait témoigner au sujet de personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne et qui n’ont pu compter sur la protection de l’État, raconter des incidents personnels passés où la protection de l’État ne s’est pas matérialisée ou encore relater son expérience personnelle. Le demandeur peut également soumettre des documents au sujet de la situation qui existe dans le pays concerné pour réfuter la présomption que l’État est capable de protéger ses citoyens (on cite également la décision Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, [2006] A.C.F. no 439 (QL), aux paragraphes 27 à 32).

 

[3]               Dans la décision Xue c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1728, le juge Marshall E. Rothstein a jugé qu’il n’est pas fautif de conclure qu’une preuve « claire et convaincante » requiert une norme de preuve plus élevée que l’extrémité inférieure du vaste registre de la « prépondérance des probabilités ». Plus exactement, il a déclaré ce qui suit :

[12]         Compte tenu du point de vue exprimé par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Oakes, savoir que dans certaines circonstances il faut un degré plus élevé de probabilité, ainsi que de la règle énoncée dans l’arrêt Ward, qu’il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection, je suis d’avis qu’on ne peut dire que la Commission a commis une erreur en déterminant la norme de preuve applicable en l’instance. Si la Commission avait abordé la question en exigeant d’être convaincue hors de tout doute (absolument), ou même hors de tout doute raisonnable (la norme criminelle), elle aurait commis une erreur. Toutefois, il faut replacer les termes utilisés par la Commission dans le contexte de la citation de l’arrêt Ward qu’elle paraphrasait. Bien que la Commission ne renvoie aucunement aux arrêts Oakes et Bater, et même si elle aurait pu être plus précise et indiquer qu’elle devait être convaincue selon la prépondérance des probabilités, il semble clair que ce qu’elle a voulu faire c’est imposer au demandeur, aux fins de réfuter la présomption de la protection de l’État, le fardeau d’un plus grand degré de probabilité aligné sur l’exigence de clarté et de conviction énoncée dans l’arrêt Ward. Ce faisant, je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur.

 

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[4]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, d’une décision en date du 28 juin 2006 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé de reconnaître à la demanderesse la qualité de réfugiée au sens de la Convention ou celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR.

 

CONTEXTE

[5]               La demanderesse, Mme Bermudez, est une citoyenne du Costa Rica de 40 ans. Elle demande l’asile du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir celui des femmes victimes de violence conjugale. Sa demande est fondée sur l’article 96 de la LIPR. Elle prétend aussi avoir la qualité de personne à protéger puisqu’elle ferait face au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités prévus au paragraphe 97(1) de la LIPR si elle devait retourner au Costa Rica.

 

[6]               Mme Bermudez affirme que son conjoint de fait est devenu violent lorsqu’elle était enceinte, en 1986. Elle explique aussi que son comportement s’est amélioré en 1989, mais qu’il s’est à nouveau détérioré en mai 2003, lorsqu’elle l’a confronté au sujet de mauvais traitements qu’il aurait infligés à sa fille de 19 ans issue d’une union précédente.

 

[7]               Ensuite, la demanderesse explique que son conjoint a réussi à la convaincre de faire une promenade à moto avec lui et qu’il a provoqué un accident. Elle est tombée de la moto et a perdu conscience. Elle déclare que son conjoint avait menacé de la tuer avant ce présumé accident. Après cet incident, la fille de la demanderesse a déménagé chez sa sœur.

 

[8]               Mme Bermudez affirme aussi que son conjoint était à la tête d’un réseau de trafiquants de drogues. Elle s’est toutefois abstenue de fournir cette information aux autorités parce que son conjoint la menaçait. Elle explique également qu’elle craignait de demander l’aide de la police parce que son conjoint « avait beaucoup d’argent [et] entretenait de très bonnes relations avec la police ».  

 

[9]               En mars 2004, la demanderesse est entrée au Canada et a demandé l’asile dès son arrivée.

 

DÉCISION CONTRÔLÉE

[10]           Dans la décision qu’elle a rendue le 28 juin 2006, la Commission a estimé que la demande d’asile de Mme Bermudez ne contenait pas un fondement objectif selon l’un des motifs prévus dans la Convention. Elle a par conséquent statué que la demanderesse n’était pas une réfugiée au sens de la LIPR. Elle a également conclu que le renvoi de la demanderesse au Costa Rica ne l’exposerait pas personnellement au risque d’être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[11]           (1) La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion sur la protection de l’État?

(2) La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve?

(3) La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion au sujet de la crédibilité?

 

RÉGIME LÉGISLATIF

[12]           L’article 96 de la LIPR est libellé comme suit :

96.      A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

96.      A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

 

[13]           Le paragraphe 97(1) de la LIPR dispose :

97.      (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

97.      (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

NORME DE CONTRÔLE

[14]           En ce qui a trait à la protection de l’État, dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 193, [2005] A.C.F. no 232 (QL), au paragraphe 11, la juge Danièle Tremblay-Lamer a expliqué, après avoir procédé à une analyse pragmatique et fonctionnelle, que l’appréciation de la question de la protection de l’État suppose l’application du droit aux faits, ce qui constitue une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Cela étant dit, il n’y a aucune raison de s’écarter de cette norme dans le cas qui nous occupe. En ce qui concerne la protection de l’État, la conclusion tirée par la Commission ne sera pas infirmée si elle s’appuie sur des motifs qui peuvent résister à un examen assez poussé (Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc.), [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56).

 

[15]           S’agissant des conclusions relatives à la crédibilité, il est de jurisprudence constante que la Commission possède une compétence bien établie pour trancher des questions de fait, en particulier en ce qui concerne l’évaluation de la crédibilité du demandeur. Saisie d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour n’interviendra pour modifier les conclusions de fait tirées par la Commission que s’il est démontré que ces conclusions sont déraisonnables ou arbitraires, qu’elles sont entachées de mauvaise foi ou qu’elles ne sont pas étayées par la preuve (Aguebor c. (Canada) Ministre de l’Emploi et de l’Immigration (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732 (QL), au paragraphe 4); (Wen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 907 (QL), au paragraphe 2); Giron c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 481 (QL); He c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1107 (QL); Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 839, [2006] A.C.F. no 1064 (QL), paragraphe 27).

 

ANALYSE

  (1) La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion sur la protection de l’État?

[16]           Mme Bermudez soutient que la Commission a mal énoncé les règles de droit applicables en ce qui concerne la protection de l’État offerte aux victimes de violence conjugale au Costa Rica.

 

[17]           Il convient de signaler que, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, précité, aux paragraphes 49, 50 et 52, la Cour suprême du Canada a statué qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger ses citoyens. Le risque que cette présomption s’applique de façon trop large est atténué par l’obligation de présenter une preuve claire et convaincante de l’incapacité de l’État de protéger ses ressortissants. Pour démontrer une telle incapacité, le demandeur pourrait témoigner au sujet de personnes se trouvant dans une situation semblable à la sienne et qui n’ont pu compter sur la protection de l’État, raconter des incidents personnels passés où la protection de l’État ne s’est pas matérialisée ou encore relater son expérience personnelle. Le demandeur peut également soumettre des documents au sujet de la situation qui existe dans le pays concerné pour réfuter la présomption que l’État est capable de protéger ses citoyens (on cite également la décision Avila, précitée, aux paragraphes 27 à 32).

 

[18]           De plus, dans la décision Xue, précitée, le juge Marshall E. Rothstein a jugé qu’il n’est pas fautif de conclure qu’une preuve « claire et convaincante » requiert une norme de preuve plus élevée que l’extrémité inférieure du vaste registre de la « prépondérance des probabilités ». Plus exactement, il a déclaré ce qui suit :

[12]         Compte tenu du point de vue exprimé par le juge en chef Dickson dans l’arrêt Oakes, savoir que dans certaines circonstances il faut un degré plus élevé de probabilité, ainsi que de la règle énoncée dans l’arrêt Ward, qu’il faut confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection, je suis d’avis qu’on ne peut dire que la Commission a commis une erreur en déterminant la norme de preuve applicable en l’instance. Si la Commission avait abordé la question en exigeant d’être convaincue hors de tout doute (absolument), ou même hors de tout doute raisonnable (la norme criminelle), elle aurait commis une erreur. Toutefois, il faut replacer les termes utilisés par la Commission dans le contexte de la citation de l’arrêt Ward qu’elle paraphrasait. Bien que la Commission ne renvoie aucunement aux arrêts Oakes et Bater, et même si elle aurait pu être plus précise et indiquer qu’elle devait être convaincue selon la prépondérance des probabilités, il semble clair que ce qu’elle a voulu faire c’est imposer au demandeur, aux fins de réfuter la présomption de la protection de l’État, le fardeau d’un plus grand degré de probabilité aligné sur l’exigence de clarté et de conviction énoncée dans l’arrêt Ward. Ce faisant, je ne peux conclure que la Commission a commis une erreur.

 

 

[19]           Dans sa décision, la Commission a conclu que Mme Bermudez n’avait pas réussi à réfuter la présomption de la protection de l’État. Le Costa Rica n’est pas un pays en état de guerre civile, d’invasion ou d’effondrement interne. Le gouvernement exerce un contrôle effectif sur son territoire et possède des autorités militaires, civiles et policières. Il ressort de la preuve que le gouvernement du Costa Rica prend le problème de la violence conjugale très au sérieux et qu’il fait des efforts réels pour protéger les victimes. En ce qui a trait à la protection de l’État au Costa Rica, la Commission a conclu ce qui suit :

Ni la preuve documentaire ni l’expérience des membres de sa famille en ce qui concerne les autorités ne soutiennent les allégations de la demandeure d’asile selon lesquelles elle ne pouvait pas bénéficier de la protection de l’État. Selon la preuve documentaire, le Costa Rica est une démocratie constitutionnelle dirigée par le président et une chambre législative unicamérale dont les membres sont élus directement dans le cadre d’élections multipartites libres se tenant tous les quatre ans. Les documents indiquent que le Costa Rica s’est doté d’un certain nombre de mesures de recours (évaluations, poursuites et mesures de redressement) pour le cas où les organismes d’exécution de la loi manquent à leurs obligations.

               

Le même document révèle aussi ce qui suit :

 

            [Traduction]

 

En août, le bureau de l’ombudsman avait reçu 47 rapports concernant des abus de pouvoir ou des inconduites de la part des forces policières. De ce nombre, 34 rapports faisaient toujours l’objet d’une enquête, un cas avait été jugé légitime et 12 avaient été jugés sans fondement.

 

                Selon le document, chaque ministère comprend une unité interne de discipline qui est chargée de faire enquête lorsque ses agents sont accusés d’abus ou de corruption. Tous les nouveaux policiers suivent, dans le cadre de leur formation de base, un cours de sensibilisation aux droits de la personne. Cela montre que, s’il y a inconduite ou abus de la part d’un policier, il existe divers mécanismes efficaces de présentation de plaintes, dans les cas de violation des droits civils et des droits de la personne.

 

                En ce qui concerne en particulier la violence conjugale, le document fait état de ce qui suit […]

 

(Décision de la Commission, à la page 3)

 

 

[20]           En conséquence, la Commission n’a pas commis d’erreur déraisonnable dans en tirant ses conclusions sur la protection de l’État au Costa Rica.

 

(2) La Commission a-t-elle commis une erreur en omettant de tenir compte d’éléments de preuve?

[21]           Contrairement à ce que prétend Mme Bermudez, la Commission n’a pas omis ou négligé de soupeser les éléments de preuve dont elle disposait. Il est de jurisprudence constante qu’on peut présumer, jusqu’à preuve du contraire, que la Commission est présumée avoir examiné et soupesé l’ensemble de la preuve, à moins que le contraire ne soit démontré. La Cour a également jugé à de nombreuses reprises que la Commission a toute latitude pour écarter les éléments de preuve qui ne sont pas importants dans l’affaire dont elle est saisie. La décision de la Commission de refuser d’admettre certains des éléments de preuve portés à sa connaissance ou de mentionner chacun des éléments de preuve ne constitue pas une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire (Yushchuk c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1324 (QL), au paragraphe 17).

 

[22]           En fait, la Commission jouit d’une grande latitude en ce qui a trait aux éléments de preuve dont elle peut tenir compte. Elle n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve et elle peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision (LIPR, alinéas 173c) et d); Thanaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 349, [2004] A.C.F. no 395 (QL), au paragraphe 7).

 

[23]           La preuve documentaire indiquant qu’il existe des problèmes avec le régime de protection des victimes de la violence conjugale n’aide pas Mme Bermudez étant donné que la Commission a reconnu qu’il y avait des problèmes de violence conjugale au Costa Rica :

[traduction] Le gouvernement continue de reconnaître que la violence familiale contre les femmes et les enfants est un problème sociétal grave qui prend de l’importance […]

 

(Décision de la Commission, à la page 4)

 

 

[24]           Néanmoins, après avoir examiné la situation particulière de Mme Bermudez, la Commission a conclu qu’elle n’avait pas démontré, au moyen d’éléments de preuve clairs et convaincants, qu’elle ne pourrait pas obtenir la protection de l’État. La Commission n’a pas conclu que le Costa Rica était un État qui ne voulait pas ou ne pouvait pas protéger les victimes de violence conjugale. Elle a au contraire conclu ce qui suit :

En l’espèce, les documents fournis par la demandeure d’asile elle‑même montrent que, une fois la plainte déposée contre son conjoint au sujet de mauvais traitements à l’égard de sa fille et de son fils, le système judiciaire a entamé des procédures.

 

[Traduction]

 

                Il est ordonné que l’ensemble des éléments de preuve soit envoyé au bureau local du procureur général aux fins d’une enquête sur un crime à caractère sexuel commis par […] contre […], personne mineure. De plus, l’ensemble des éléments de preuve sera envoyé à la Fondation nationale pour les enfants, à Guipales, qui procédera de la manière qui convient.

 

                […]

 

                Lorsque les mesures de protection ordonnées seront arrivées à échéance, et si la partie intéressée ne demande pas la prolongation de la période d’effet, le dossier pourra être fermé.

 

Cela illustre bien que la Loi sur la violence familiale a été appliquée et que des mesures de protection ont été accordées pour six mois.

(Décision de la Commission, à la page 5)

 

 

[25]           De plus, la décision de la Commission démontre qu’elle a tenu compte des observations de la demanderesse qui a déclaré avoir entrepris des démarches pour obtenir une ordonnance de protection contre son conjoint, mais qu’on lui avait répondu que son dossier avait été fermé. La Commission a toutefois estimé que la demanderesse n’avait fourni aucun document à l’appui de sa prétention selon laquelle elle avait pris tous les moyens nécessaires pour demander une prolongation de l’ordonnance de protection. Ainsi, l’allégation de la demanderesse suivant laquelle elle ne peut se réclamer de la protection de l’État au Costa Rica était injustifiée, compte tenu de la preuve sur la situation au pays suivant laquelle l’État s’attaque au problème de la violence conjugale et poursuit les auteurs de ces crimes.

 

[26]           Il incombait à Mme Bermudez de présenter des éléments de preuve clairs et convaincants pour démontrer qu’elle ne pourrait compter sur la protection de l’État. L’existence de documents laissant entendre que la situation au Costa Rica n’est pas parfaite ne constitue pas, en soi, une confirmation claire et convaincante que les ressortissants de ce pays ne peuvent compter sur la protection de l’État, d’autant plus qu’il existe beaucoup d’autres documents indiquant que l’on peut compter sur cette protection. La Cour a écrit, dans la décision Pehtereva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1491 (QL) :

[12]           En outre, je ne suis pas persuadé que le tribunal a méconnu la preuve documentaire présentée par la requérante. Le tribunal n’a pas expressément fait état de cette preuve, composée d’articles de presse et d’autres articles avec des traductions vers l’anglais lorsque cela était nécessaire mais, dans sa décision, il a consigné son accord avec les observations de l’agent d’audience selon lesquelles l’élément de preuve le plus digne de foi provenait de sources objectives indépendantes telles que Human Rights Watch, Amnistie internationale, et les Country Reports du ministère américain des Affaires étrangères, par opposition à des articles anecdotiques, à des articles de presse. Les sources mentionnées par le tribunal sont des sources régulièrement invoquées par les tribunaux connaissant des revendications du statut de réfugié parce qu’elles fournissaient des renseignements généralement objectifs sur les conditions du pays d’origine. Le recours à ces sources ne saurait être qualifié d’erreur. Même si les articles soumis par la requérante donnaient des exemples qui étayaient indirectement sa revendication, il est établi que le poids à attribuer à des documents donnés ou à d’autres éléments de preuve relève de la compétence du tribunal en cause. Même si la cour de révision avait pu donner un poids différent ou tirer d’autres conclusions qui ne lui permettent pas d’intervenir lorsqu’il n’est pas établi que le tribunal a été abusif ou arbitraire ou que ses conclusions ne sont pas raisonnablement étayées par les éléments de preuve, je ne suis pas persuadé que les conclusions du tribunal puissent être classées dans cette catégorie.

[13]          En dernier lieu, la décision du tribunal ne précise pas pourquoi il a préféré certaine preuve documentaire à d’autres éléments de preuve, mais cela ne constitue pas une erreur. En l’espèce, la préoccupation de la requérante portait principalement sur le fait que la preuve documentaire et autre présentée par l’AA avait été invoquée sans qu’on précise pourquoi celle de la requérante ne l’avait pas été. Mais cette préférence du tribunal se rapportait à la preuve de la situation générale au sein de l’Estonie, dont l’expérience de la requérante n’était qu’un exemple. La situation générale fondée sur la preuve documentaire provenant de sources reconnues permettait d’apprécier objectivement la crainte exprimée par la requérante. À mon avis, le tribunal n’a pas eu tort de méconnaître la preuve présentée par la requérante, ni d’omettre de donner les motifs de sa préférence pour d’autres sources de preuve, particulièrement dans la recherche d’un aperçu de la situation en Estonie. Je ne suis pas non plus persuadé que le tribunal a mal interprété ou mal exposé les preuves de la requérante d’une façon qui influe, dans une grande mesure, sur sa conclusion définitive que la requérante n’était pas une réfugiée au sens de la Convention, parce qu’il n’a trouvé aucune sérieuse possibilité ni aucun risque possible qu’elle soit persécutée, dans l’éventualité de son retour, pour un motif énuméré dans la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

[27]           La Cour estime que la Commission a bien évalué les aspects objectif et subjectif de la demande d’asile de la demanderesse. En conséquence, aucune erreur n’a été commise sur ce point.

 

     (3) La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa conclusion au sujet de la crédibilité?

[28]           Mme Bermudez soutient que la Commission a tiré une conclusion erronée au sujet de la crédibilité. La Cour n’est pas de cet avis, estimant plutôt que la Commission était justifiée d’en arriver à cette conclusion et qu’elle a fourni des motifs clairs à l’appui de sa décision.

 

[29]           La Commission a relevé d’importantes divergences dans le témoignage de Mme Bermudez. Premièrement, la Commission a qualifié de vagues et sans lien avec les questions qui lui étaient posées les réponses données par la demanderesse pour expliquer pourquoi elle n’avait pas mentionné que son conjoint l’avait menacée de mort avant l’accident. Voici ce qu’elle a déclaré à ce propos :

Peu après, le conjoint de la demandeure d’asile aurait réussi à la convaincre de faire une promenade à moto avec lui. Il a causé un accident qui a fait tomber la demandeure d’asile de la moto et lui a fait perdre conscience. Pendant son témoignage de vive voix, la demandeure d’asile a affirmé qu’il l’avait menacée de la tuer. Toutefois, cette information ne figure pas dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire de renseignements personnels (FRP). Elle a eu à plusieurs occasions la possibilité d’expliquer pour quelle raison elle n’avait pas mentionné, ni dans l’exposé circonstancié de son FRP original, ni dans la version modifiée, que son conjoint l’avait menacée, avant cet accident, de la tuer, mais ses réponses sont restées vagues et sans lien avec les questions.

 

(Décision de la Commission, aux pages 1 et 2)

 

 

[30]      Deuxièmement, la Commission a jugé incompatibles avec son récit écrit les explications de la demanderesse concernant la raison pour laquelle elle avait omis de préciser dans son exposé circonstancié que son conjoint de fait avait beaucoup d’argent, qu’il entretenait de très bonnes relations avec la police et qu’il était à la tête d’un réseau de trafiquants de drogues. Voici ce que la Commission a écrit à cet égard :

 

La demandeure d’asile a déclaré que son conjoint avait beaucoup d’argent, qu’il entretenait de très bonnes relations avec la police et qu’elle avait trop peur de lui pour recourir aux autorités. Quelques éléments ont été ajoutés à l’exposé circonstancié contenu dans le FRP de la demandeure d’asile. Le plus important concerne le fait que, dix années plus tôt, la demandeure d’asile a appris que son conjoint était à la tête d’un réseau de trafiquants de drogue.

 

Priée d’expliquer pourquoi elle n’avait pas indiqué ce fait dans son exposé circonstancié, la demandeure d’asile a répondu qu’elle avait peur que quelqu’un en parle à son conjoint. Le tribunal considère que la façon dont elle a expliqué cette omission est incompatible avec son récit écrit, qui contient déjà d’autres détails d’une nature très délicate.

 

Comment avait-elle appris que son conjoint dirigeait un réseau de trafiquants de drogue? La demandeure d’asile a dit avoir entendu des gens l’appeler [traduction] « chef » au téléphone, et sait qu’il [a donné] à son père une grande maison; elle les a aussi entendu parler de personnes qui [traduction] « disparaissaient ». Elle n’a pas fourni cette information aux autorités parce qu’il la menaçait. En premier lieu, le tribunal juge que la façon dont elle a déduit que son conjoint était impliqué dans le trafic de drogue était fondée sur des hypothèses. Mais, fait plus important, si elle a réellement cru pendant dix ans que son conjoint dirigeait un réseau de narcotrafiquants, qui parlait d’éliminer des gens, cette connaissance aurait dû lui donner plus de pouvoir pour signaler aux autorités que son conjoint était violent.

 

[31]      En conséquence, vu l’ensemble de la preuve présentée, la Cour estime que la Commission n’a pas commis d’erreur dans sa conclusion sur la crédibilité.

 

DISPOSITIF

[32]      Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4648-06

 

INTITULÉ :                                       GERARDA CARRANZA BERMUDEZ

c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               18 juin 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      3 juillet 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Belinda Bozinovski

 

POUR LA DEMANDERESSE

Greg G. George

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

GERARDA CARRANZA BERMUDEZ

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.