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Date : 20070629

Dossier : IMM-6049-06

Référence : 2007 CF 685

Ottawa (Ontario), le 29 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

MARJORIE ELLEN MATHEW

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le ministre) visant à annuler la décision de la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (le tribunal) rendue le 25 octobre 2006, qui a accueilli, en vertu de l’article 65 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi), l’appel en matière de parrainage interjeté par Marjorie Ellen Mathew (l’appelante) à l’encontre de la décision d’un agent des visas à Nairobi au Kenya. Le 18 mars 2005, l’agent des visas a rejeté la demande que Marjorie Ellen Mathew avait présentée en vue de parrainer Gilbert Kiriagoh Mathew Mogusuh (le demandeur) – qu’elle a épousé le 30 avril 1999 au Kenya – afin qu’il obtienne le statut de résident permanent.

[2]               La décision de rejet de l’agent des visas est fondée sur l’alinéa 40(1)a) de la Loi, lequel dispose : « Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants : directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ».

 

[3]               En appel, l’avocat du ministre a ajouté, avec l’autorisation du tribunal, un deuxième motif fondé sur l’article 4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), qui prévoit que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux « si le mariage n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi ».

 

[4]               Les articles 40, 65, 66 et 67 de la Loi ainsi que l’article 4 du Règlement sont reproduits à l’annexe A du présent jugement.

 

Contexte

 

[5]               Marjorie Mathew (l’appelante), enseignante à la retraite, est maintenant âgée de 69 ans. Elle est une fervente croyante qui a consacré temps et argent à l’aide des populations en Afrique. Elle a fait la connaissance de M. Mogusuh, maintenant âgé de 35 ans, en 1991 à Mombassa au Kenya, après avoir travaillé au Swaziland pour Carrefour canadien international pendant 10 mois.

 

[6]               Monsieur Mogusuh, devenu orphelin en bas âge, a été élevé par sa grand-mère puis par son oncle. Ayant abandonné l’école parce que son oncle et sa tante ne voulaient plus payer ses études secondaires, M. Mogusuh a rencontré l’appelante alors qu’il avait seulement achevé sa dixième année.

 

[7]               Après leur rencontre, l’appelante, dont le mari et père de ses deux enfants est décédé en 1974, a dit à M. Mogusuh qu’elle voulait le parrainer afin qu’il achève ses études. Elle lui a envoyé 500 $ en janvier 1992 et il est retourné à l’école. Elle a continué à financer ses études et ils sont restés en contact par lettre et par téléphone. Madame Mathew est retournée au Kenya en 1996 où, après avoir travaillé comme missionnaire à Nairobi, elle a revu le demandeur et c’est à ce moment‑là qu’ils ont commencé à parler de mariage.

 

[8]               L’appelante est retournée au Kenya en 1998 et en 1999. Lors de son séjour de 1999, elle a décidé d’accepter la demande en mariage de M. Mogusuh; ils se sont mariés au bureau du juge de paix le 30 avril 1999 en présence de quatre amis et ils ont par la suite donné une petite réception. Madame Mathew est rentrée au Canada un jour ou un peu plus après son mariage, mais est revenue au Kenya vers la fin de la même année pour sa lune de miel et est ensuite retournée au Canada. Elle a rendu visite M. Mogusuh et a habité avec lui pendant un à trois mois chaque année depuis 1999, excepté en 2006 où elle a suivi un traitement contre un cancer de la langue.

 

[9]               Après le mariage, Mme Mathew a payé les soins médicaux de son mari, lui a monté une entreprise et a acheté un immeuble à usage locatif.

[10]           En août 1999, Mme Mathew a présenté une demande en vue de parrainer son époux afin qu’il obtienne un visa de résident permanent, mais la demande a été rejetée pour des raisons médicales : M. Mogusuh est atteint du VIH et d’une tuberculose chimio-résistante. Madame Mathew savait que le demandeur était séropositif avant leur mariage. Un appel de cette décision a été déposé, mais a été ultérieurement retiré.

 

[11]           Une deuxième demande de parrainage a été déposée le 28 janvier 2004. Un agent des visas a interrogé le demandeur le 6 janvier 2005. L’agent des visas a rejeté cette demande aux motifs de fausses déclarations intentionnelles. Le bureau des visas a reçu une lettre anonyme contenant une photo représentant M. Mogusuh assis tout près d’une femme dans une robe de mariée, et signant un document. Au cours de l’entrevue, l’agent des visas lui a demandé des explications. Lorsqu’il a rejeté la demande de résidence permanente parrainée par Mme Mathew, l’agent des visas a écrit :

« J’en suis arrivé à cette décision parce qu’au moment de notre entrevue, le 6 janvier 2004, notre bureau avait en sa possession une photographie dans laquelle vous sembliez participer à une cérémonie de mariage avec une autre femme que votre répondante. Quand je vous ai montré cette photographie, vous avez hésité un long moment avant d’expliquer qu’elle représentait le mariage de votre frère, dont vous étiez le témoin. Vous avez affirmé pouvoir le prouver, et je vous ai dit que je vous donnerais l’occasion de le faire avant de prendre une décision à votre sujet. Le 25 janvier 2005, nous avons reçu de vous une enveloppe de photos et d’autres documents. Dans cette enveloppe se trouvait une série de photos censées représenter le mariage de votre frère. Une des photos était exactement la même que celle qui vous avait été montrée à l’entrevue, sauf que votre tête avait été remplacée par la tête d’un autre homme. Les autres photos de cette série avaient des lignes de balayage visibles et des problèmes d’éclairage et de perspective.

 

Cette présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait a entraîné ou risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi parce que si un agent avait été convaincu du fait que votre relation avec votre répondante était authentique, il aurait pu déclarer à tort que vous apparteniez à la catégorie du regroupement familial.

 

[12]           Madame Mathew a interjeté appel de la décision de l’agent des visas au tribunal. Elle a témoigné en personne, M. Mogusuh a témoigné par liaison télévisuelle depuis le Kenya. Deborah, fille de Mme Mathew âgée de 44 ans, a témoigné au soutien de l’appel. Ils ont été contre-interrogés par l’avocat du ministre.

 

[13]           Un appel devant le tribunal en matière de parrainage est une audience de novo et le tribunal peut tenir compte d’éléments de preuve supplémentaires dont ne disposait pas l’agent des visas. Il incombe à l’appelant de s’acquitter du fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[14]           Devant le tribunal, l’avocat du ministre a déclaré qu’il n’y avait [traduction] « aucun doute quant à l’authenticité du mariage aux yeux de la répondante ». Il s’est concentré sur M. Mogusuh. Il a déclaré qu’en ce qui concerne M. Mogusuh, le mariage était un mariage de convenance et visait l’obtention de l’admission du demandeur au Canada à titre de résident permanent.

 

[15]           Après avoir entendu les témoins, le tribunal a demandé des observations écrites; ce que les deux avocats ont fourni. Les longues observations du ministre (55 paragraphes sur 27 pages) portaient essentiellement sur la crédibilité de M. Mogusuh.

 

La décision du tribunal

[16]           Le tribunal avait formulé les conclusions importantes suivantes :

1.    Tout en reconnaissant que « c’est avec quelques difficultés que j’essaie de déterminer qui a altéré les photos », le tribunal a estimé probable que, étant confronté par les autorités de l’immigration au sujet des photos du mariage de son frère (cousin), M. Mogusuh, « pour se protéger et éviter d’être accusé à tort, s’est arrangé pour faire trafiquer les négatifs ». Le tribunal a dit que « [l]es photos trafiquées étaient une tentative simpliste de la part du demandeur d’éviter d’être accusé à tort d’avoir contracté un deuxième mariage »;

 

2.    Le tribunal a conclu que M. Mogusuh n’a pas contracté un deuxième mariage le 30 août 2002. Pour tirer cette conclusion, le tribunal s’est fondé sur une copie du certificat de mariage du cousin que le demandeur [M. Mogusuh] avait signé en qualité de témoin. Le tribunal s’est également appuyé sur une lettre des parents de la nouvelle mariée qui disait que leur fille n’était pas mariée avec M. Mogusuh, mais avec Mohamed Shaban. La conclusion selon laquelle M. Mogusuh ne s’est pas marié une deuxième fois a amené le tribunal à déclarer « qu’il doit y avoir quelqu’un qui essaie de lui créer des ennuis, peut‑être l’auteur de la lettre anonyme »;

 

3.    Il a conclu qu’il y avait en preuve une copie certifiée conforme de l’enregistrement du mariage entre Mme Mathew et M. Mogusuh. Le tribunal a dit que l’avocat du ministre n’a pas contesté la validité de ce mariage, antérieur au mariage du « cousin »; 

 

4.    Le tribunal a évoqué un recours dont disposait l’appelante dans cette affaire, à savoir la prise de mesures spéciales pour motifs discrétionnaires, citant la décision Chirwa, Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1970) 4 A.I.A. 388, où les motifs d’ordre humanitaire sont définis comme étant « […] des faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne […] ». Le tribunal a ajouté qu’ « [i]l faut également tenir compte de l’intérêt d’un enfant qui pourrait être touché par l’issue de cet appel et de tout autre facteur soulevé à l’audience. Le tribunal a également tenu compte de la crédibilité des témoins. Il convient de remarquer qu’aucun de ces facteurs n’est déterminant en soi, mais qu’il faut apprécier toutes les circonstances dans le contexte des questions que le tribunal doit trancher. »;

 

5.    Bien que n’admettant pas les déclarations fausses qu’a faites M. Mogusuh aux autorités de l’immigration, le tribunal a déclaré qu’ « il semble que ce soit une présentation erronée intentionnelle qui n’entraînerait pas d’erreur dans l’application de la Loi, car je ne crois pas, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur s’est marié une deuxième fois » [non souligné dans l’original.];

 

6.    Le tribunal a estimé « qu’il existe des motifs d’ordre humanitaire pour faire droit à l’appel malgré les photos trafiquées. Je suis d’avis plus précisément que les parties ont un mariage authentique, quoique inhabituel, pour les motifs suivants ». [Non souligné dans l’original.] Le tribunal a alors énuméré les facteurs suivants qui l’ont amené à tirer cette conclusion :

 

L’avocat du ministre est d’avis que Mme Mathew a une relation authentique avec M. Mogusuh;

 

Il y a des documents en preuve établissant que Mme Mathew a visité M. Mogusuh au moins cinq fois depuis le mariage et qu’ils ont cohabité chaque fois, un fait qui n’a pas été contesté et qui est corroboré par des photos où on les voit tous;

 

Il y a suffisamment de preuves de contact écrit et téléphonique entre les parties depuis de nombreuses années;

 

• Madame Mathew a changé de nom, le nom sur ses biens, elle a modifié son testament et a conclu avec M. Mogusuh une entente matrimoniale après le mariage établissant leurs droits et obligations à l’égard de leur mariage. Le tribunal avait auparavant estimé que d’après cette entente, datée du 9 février 2000, la plupart des biens de Mme Mathew, qui sont considérables, reviendraient à ses enfants à sa mort;

 

• Mme Mathew a fourni une aide financière importante pour la subsistance de M. Mogusuh et ses médicaments;

 

Même si elle reconnaît qu’il existe une grande différence d’âge et de culture entre eux, Mme Mathew semble avoir dépassé ces différences et être vraiment dévouée à l’égard du demandeur. Il y a des lettres en preuve à l’appui de leur relation affectueuse et également des lettres des enfants de l’appelante, de ses trois sœurs et de son frère, d’une nièce âgée de 48 ans et du pasteur de son église. Le tribunal a ajouté qu’il semble que l’appelante prend bien soin du demandeur, financièrement et affectivement, ce dernier étant orphelin et ayant peu d’espoir en l’avenir en raison de son travail comme coolie. Le tribunal a conclu ces facteurs pourraient bien compenser les inconvénients de leur relation dus aux différences d’âge et de culture;

 

• Le tribunal a renvoyé à deux lettres présentées en preuve, l’une d’un partenaire d’affaires de M. Mogusuh, et l’autre d’une autre personne, tous les deux ayant eu personnellement connaissance des célébrations du sixième anniversaire de mariage de l’appelante et du demandeur, qu’elle a estimé crédibles;

 

• Bien que le mariage de l’appelante et du demandeur ait été célébré civilement et que les enfants de l’appelante n’y aient pas assisté, le tribunal a estimé que « ce n’est pas un facteur significatif, compte tenu de l’âge de l’appelante et du fait que le mariage a eu lieu au Kenya, loin de sa famille. Je pense que l’appelante elle‑même sentait qu’elle pouvait avoir de la difficulté à faire accepter à sa famille le fait qu’elle avait épousé le demandeur ».

 

 

 

 

Analyse

 

La position du ministre

 

[17]           L’avocat du ministre a présenté des arguments sur quatre points dans le présent contrôle judiciaire.

 

[18]           Premièrement, il a fait remarquer que le tribunal a appliqué le mauvais critère sous le régime de l’article 65 de la Loi. Il déclare que l’article requiert une décision en deux étapes : le tribunal devait d’abord être convaincu que M. Mogusuh est un membre de la catégorie du regroupement familial, autrement dit qu’il est effectivement le mari de Mme Mathew et après cela, déterminer s’il existe des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier d’exempter M. Mogusuh, de tout critère ou obligation applicable aux termes de la Loi. L’avocat du ministre a essentiellement fait observer que le tribunal a assimilé la question de l’authenticité du mariage à celles des facteurs d’ordre humanitaire lorsqu’il s’est appuyé sur les motifs relatifs à l’authenticité du mariage comme preuve de l’existence de facteurs d’ordre humanitaire.

 

[19]           Deuxièmement, s’agissant des motifs d’ordre humanitaire, l’avocat du ministre a soutenu que le tribunal n’a pas tenu compte d’un facteur important – les difficultés qu’éprouve M. Mogusuh –, invoquant la décision de la Cour fédérale Canada (MCI) c. Ibraheem (2006) CF 1197 et le Guide - Traitement des demandes à l’étranger.

 

[20]           Troisièmement, l’avocat du ministre soutient que le tribunal n’a pas pris en compte tous les éléments de preuve présentés avant d’arriver à une conclusion sur la question de la crédibilité. L’avocat du ministre déclare qu’en l’espèce il y a deux allégations de fausses déclarations et que le tribunal n’a pas tenu compte de la seconde qui découle de la comparaison entre ce que M. Mogusuh a dit à l’agent d’immigration et ce qu’il a déclaré au tribunal. L’avocat du ministre affirme qu’à l’entrevue M. Mogusuh a dit à l’agent des visas qu’il n’avait jamais vu la photographie et qu’il ne connaissait pas les personnes qui y figuraient. Mais, confronté à ce sujet, il a reconnu être la personne sur la photo. À l’audience, M. Mogusuh a affirmé n’avoir jamais nié devant l’agent des visas qu’il était la personne représentée sur la photo. L’avocat du ministre fait valoir que ce qu’il a déclaré au tribunal contredit directement le compte-rendu de l’entrevue fait par l’agent des visas dans les notes versées dans le STIDI. Il soutient que quelqu’un ment, soit M. Mogusuh, soit l’agent des visas. Il déclare que si M. Mogusuh ment, cela constitue une fausse déclaration distincte et minerait sérieusement sa crédibilité. Cet aspect a été souligné au tribunal dans les observations écrites, mais dans ses motifs le tribunal lui-même n’en fait nulle mention. L’avocat du ministre fait valoir que le tribunal avait l’obligation d’examiner la possibilité que M. Mogusuh ait fait une autre fausse déclaration, car cette question était très pertinente à l’égard de sa crédibilité qui était déjà en jeu. En guise de conclusion, il a déclaré que l’omission du tribunal d’examiner cette preuve relative à la crédibilité de M. Mogusuh, à savoir si ce dernier a délibérément menti au tribunal, constitue une erreur susceptible de contrôle.

 

[21]           En quatrième et dernier lieu, l’avocat du ministre soutient que le tribunal a commis une erreur lorsqu’il a conclu que M. Mogusuh était crédible, une décision qui a une incidence sur la conclusion selon laquelle le mariage est authentique. Il affirme que le tribunal a finalement conclu que, malgré les fausses déclarations intentionnelles, le mariage était authentique. Il fait valoir que cette conclusion, à la lumière de la preuve dont était saisi le tribunal, est arbitraire et manifestement déraisonnable. Il soutient que le fait que M. Mogusuh ait délibérément menti à l’agent des visas lorsqu’il a déclaré n’avoir jamais vu la photographie et qu’il ait aussi trafiqué les cinq photographies en remplaçant la tête de l’homme sur la photo par celle d’une autre personne est crucial et doit miner sa crédibilité. Conclure autrement constitue une décision arbitraire. Selon l’avocat du ministre, la conclusion finale selon laquelle le mariage est authentique est fondée sur cette conclusion erronée quant à la crédibilité.

 

La norme de contrôle

 

[22]           L’application du mauvais critère ou l’ignorance d’un facteur pertinent dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire constituent des questions de droit qui ne relèvent pas de l’expertise du tribunal et qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, aucune retenue ne s’imposant.

 

[23]           Suivant la jurisprudence constante de la Cour, une conclusion du tribunal relative à la crédibilité est une conclusion de fait susceptible de contrôle sur le fondement prévu à l’alinéa 18.1(4)d), à savoir s’il s’agit d’une conclusion tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose. Ce motif de contrôle est analogue à la norme de la décision manifestement déraisonnable, que le ministre a reconnu comme étant la norme applicable.

 

 

Conclusions

 

[24]           Après avoir pris connaissance du dossier certifié du tribunal contenant les notes d’audience et pour les motifs ci-dessous, je conclus que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. Toutefois, avant d’exposer ces motifs, je vais citer deux principes juridiques dont j’ai tenu compte pour rendre ma décision :

1.      Il ne faut pas examiner et analyser les motifs d’un tribunal administratif à la loupe. Comme l’a déclaré le juge Laskin, alors juge de la Cour suprême, dans l’arrêt Boulis c. Canada (Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration), [1974] R.C.S. 874 à la page 885, « [i]l ne faut pas examiner ses motifs à la loupe, il suffit qu’ils laissent voir une compréhension des questions que l’art. 15(1)b) soulève et de la preuve qui porte sur ces questions, sans mention détaillée. Le dossier est disponible pour fin de contrôle des conclusions de la Commission. »

 

2.      Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, à la page 844, la juge L’Heureux-Dubé, s’exprimant au nom de la Cour suprême du Canada, a déclaré que les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve d’un tribunal administratif.

 

[25]      L’article 65 de la Loi requiert manifestement une analyse en deux étapes. Premièrement, il faut déterminer que M. Mogusuh est le mari de Mme Mathew. Le ministre a formulé des réserves au sujet de l’authenticité du mariage en ce qui concerne M. Mogusuh. Cette question doit d’abord être tranchée. Selon mon interprétation de la décision du tribunal, tel n’a pas été le cas. Au contraire, comme le souligne l’avocat du ministre, ce n’est qu’au stade de l’examen des motifs d’ordre humanitaire que le tribunal a conclu à l’authenticité du mariage. Cette conclusion découle inévitablement de la décision elle-même où le tribunal déclare : « J’estime qu’il existe des motifs d’ordre humanitaire pour faire droit à l’appel malgré les photos trafiquées. Je suis d’avis plus précisément que les parties ont un mariage authentique… » [Non souligné dans l’original.]

 

[26]      L’intention du législateur est claire : avant de renoncer à invoquer un manquement à la Loi (fausses déclarations en l’espèce) pour des motifs d’ordre humanitaire, il fallait déterminer que le mariage, s’il est contesté comme c’était le cas en l’espèce, est authentique.

 

[27]      En arrivant à cette conclusion, je ne dis pas que les éléments d’un mariage authentique ne peuvent pas influer sur les motifs d’ordre humanitaire, il est évident qu’ils le peuvent. Par contre, les facteurs nécessaires à l’authenticité d’un mariage ne peuvent pas entièrement remplacer les motifs d’ordre humanitaire pertinents qui justifieraient l’annulation d’une décision par ailleurs valide d’un agent des visas, motifs qui visent une fin différente. J’arrive à cette conclusion parce que dans les directives du ministère, les facteurs qui permettent d’accueillir un appel pour des motifs d’ordre humanitaire en matière de parrainage diffèrent de ceux utilisés pour apprécier l’authenticité d’un mariage. On a besoin d’un élément de plus et cet élément n’est pas présent en l’espèce.

 

[28]      Je n’ai pas besoin d’émettre des commentaires sur les observations du ministre à l’égard de l’omission du tribunal de tenir compte du facteur relatif à la difficulté, si ce n’est pour dire que la difficulté ne compte pas parmi les facteurs énumérés dans le Guide pour les demandes à l’étranger (OP 21-Appels), mais qu’elle constitue un facteur important dans les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire présentées au Canada en vue d’obtenir une dispense d’application des exigences réglementaires au Canada, principe qui sous-tend la décision la Cour fédérale Irimie c. Canada (2000) A.C.F. nº 1906.

 

[29]      Deuxièmement, le tribunal a conclu au paragraphe 21 de ses motifs que M. Mogusuh a déclaré à l’entrevue qu’« il ne s’est d’abord pas reconnu dans la photo ». Cependant, comme l’a souligné l’avocat du ministre, M. Mogusuh a nié à l’audience avoir dit à l’agent des visas qu’il n’était pas la personne sur la photo. Sans le dire, le tribunal a estimé que M. Mogusuh avait menti une deuxième fois, mais il n’en a tiré aucune inférence quant à sa crédibilité ou aux motifs d’ordre humanitaire.

 

[30]      Troisièmement, j’estime que l’analyse du tribunal à l’égard de la crédibilité est lacunaire. En fait, il n’y a pas eu d’analyse de la crédibilité, mais uniquement cette déclaration : « [l]e tribunal a également tenu compte de la crédibilité des témoins », sans plus.

 

[31]      Le tribunal n’a pas examiné les arguments du ministre. Ces éléments sont précisés dans les observations écrites que l’avocat du ministre a présentées au tribunal lors de l’audience à savoir :

• La raison pour laquelle ce n’est qu’en 1998 que M. Mogusuh a dit à Mme Mathew qu’il était séropositif;

• La vraisemblance des circonstances qui l’ont poussé à utiliser des négatifs qui ont donné des photos « drôles » et la vraisemblance de l’incapacité de fournir des photos non altérées du mariage de son cousin qui étaient en la possession du beau-frère du marié;

 

• L’absence d’éléments de preuve corroborants dans bien des cas;

• La vraisemblance de la rencontre avec l’auteure de la lettre anonyme, leur présence au poste de police sans toutefois informer l’ambassade du Canada;

 

• Les raisons invoquées pour justifier le fait que la famille n’ait pas été informée avant la cérémonie du mariage, à savoir le coût de l’appel téléphonique.

 

 

[32]      Pour ces motifs, la décision du tribunal ne peut pas être confirmée.      


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire présentée est accueillie, la décision du tribunal est annulée et l’affaire est renvoyée à la Section d’appel de l’immigration pour nouvel examen devant un tribunal autrement constitué. Aucune question à certifier n’a été présentée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Aude Megouo

 


ANNEXE A

 

Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés

2001, ch. 27 I-2.5

 

Fausses déclarations

 

40. (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

 

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

 

b) être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations;

 

c) l’annulation en dernier ressort de la décision ayant accueilli la demande d’asile;

 

d) la perte de la citoyenneté au titre de l’alinéa 10(1)a) de la Loi sur la citoyenneté dans le cas visé au paragraphe 10(2) de cette loi.

 

Application

 

(2) Les dispositions suivantes s’appliquent au paragraphe (1) :

a) l’interdiction de territoire court pour les deux ans suivant la décision la constatant en dernier ressort, si le résident permanent ou l’étranger n’est pas au pays, ou suivant l’exécution de la mesure de renvoi;

 

b) l’alinéa (1)b) ne s’applique que si le ministre est convaincu que les faits en cause justifient l’interdiction.

 

 

 

 

 

 

Motifs d’ordre humanitaires

 

 

65. Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

 

 

Décision

 

66. Il est statué sur l’appel comme il suit :

 

a) il y fait droit conformément à l’article 67;

 

b) il est sursis à la mesure de renvoi conformément à l’article 68;

 

c) il est rejeté conformément à l’article 69.

 

Fondement de l’appel

 

67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

Effet

 

(2) La décision attaquée est cassée; y est substituée celle, accompagnée, le cas échéant, d’une mesure de renvoi, qui aurait dû être rendue, ou l’affaire est renvoyée devant l’instance compétente.

Immigration and Refugee Protection Act

2001, c. 27 I-2.5

 

Misrepresentation

 

40. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

 

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

 

(b) for being or having been sponsored by a person who is determined to be inadmissible for misrepresentation;

 

(c) on a final determination to vacate a decision to allow the claim for refugee protection by the permanent resident or the foreign national; or

 

(d) on ceasing to be a citizen under paragraph 10(1)(a) of the Citizenship Act, in the circumstances set out in subsection 10(2) of that Act.

 

Application

 

(2) The following provisions govern subsection (1):

(a) the permanent resident or the foreign national continues to be inadmissible for misrepresentation for a period of two years following, in the case of a determination outside Canada, a final determination of inadmissibility under subsection (1) or, in the case of a determination in Canada, the date the removal order is enforced; and

 

(b) paragraph (1)(b) does not apply unless the Minister is satisfied that the facts of the case justify the inadmissibility.

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

65. In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

 

Disposition

 

66. After considering the appeal of a decision, the Immigration Appeal Division shall

 

(a) allow the appeal in accordance with section 67;

 

(b) stay the removal order in accordance with section 68; or

 

(c) dismiss the appeal in accordance with section 69.

 

Appeal allowed

 

67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Effect

 

(2) If the Immigration Appeal Division allows the appeal, it shall set aside the original decision and substitute a determination that, in its opinion, should have been made, including the making of a removal order, or refer the matter to the appropriate decision-maker for reconsideration.

 

 

Le Règlement

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés

DORS/2002-227

 

Mauvaise foi

4. Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

Immigration and Refugee Protection Regulations

SOR/2002-227

 

Bad faith

4. For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        IMM-6049-06

 

INTITULÉ :                                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION c. MARJORIE ELLEN MATHEW

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 WINNIPEG (MANITOBA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               14 JUIN 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                      29 JUIN 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Omar Siddiqui

Ministère de la Justice

Winnipeg (Man)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

W. Brent Gough, c.r.

Saskatoon (Sask.)

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Hnatyshyn Gough

Avocat

601-402 21st Street East

Saskatoon SK S7K 0C3

Tél. : 306-653-5150

Télecop : 306-652-5859

 

 

POUR LE DEMANDEUR

 

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