Ottawa (Ontario), le 19 juin 2007
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON
ENTRE :
et
LA COMMISSION D’EXAMEN DE L’ÉQUITÉ FISCALE
DE REVENU CANADA
MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Pendant bon nombre d’années, M. Grosh a produit ses déclarations de revenus avec du retard ou n’a pas acquitté en totalité ses cotisations. Il a donc accumulé des intérêts et des pénalités. En vertu de l’article 220 et des articles suivants de la Loi de l’impôt sur le revenu, le ministre peut renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs, ou l’annuler en tout ou en partie. Des lignes directrices, souvent désignées sous l’expression Dossier Équité, ont été communiquées au public en 1992. Sans viser l’exhaustivité, ces lignes directrices exposent les circonstances normalement prises en considération. En 2002, M. Grosh a demandé au ministre de renoncer aux intérêts et aux pénalités dus à l’égard des années d’imposition 1993 à 1996 au motif de difficultés financières. L’Agence du revenu du Canada n’a pas acquiescé, mais elle a supprimé en totalité tous les intérêts en souffrance pour une période de cinq mois, étant donné qu’elle avait été lente dans le traitement de sa demande.
[2] Les lignes directrices prévoient aussi que si le contribuable estime que le pouvoir discrétionnaire n’a pas été exercé d’une manière juste et raisonnable, il peut demander au directeur d’un bureau régional ou d’un centre fiscal d’examiner la situation. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.
[3] Au moment où l’affaire a fini par être soumise à l’examen de Carl Balestreri, directeur adjoint du Recouvrement au Bureau des services fiscaux de Toronto-Nord de l’Agence du revenu du Canada, qui était autorisé à effectuer l’examen, la situation de M. Grosh s’était détériorée. M. Grosh avait été victime d’un accident foudroyant en 2003, ce qui avait fortement réduit ses revenus annuels. Par lettre datée du 1er février 2006, M. Balestreri a informé M. Grosh qu’il annulerait tous les intérêts dus depuis la date de l’accident, mais ne renoncerait pas pour le reste aux intérêts et aux pénalités payables pour les années d’imposition 1993 à 1996. Il s’agit donc du contrôle judiciaire de cette décision.
LE CADRE LÉGAL
[4] Comme M. Grosh s’est représenté lui-même à l’audience, je tenterai d’expliquer la procédure sans recourir au jargon que les avocats et les juges emploient si volontiers.
[5] La révision qu’a faite M. Balestreri de la décision antérieure n’était pas une véritable révision. Il était habilité à étudier l’affaire d’un œil neuf et à exercer son propre pouvoir discrétionnaire. Il avait également le pouvoir de prendre en compte des circonstances nouvelles.
[6] Par contre, l’évaluation que je fais de la décision de M. Balestreri est une révision, un contrôle judiciaire. Cela signifie que je ne suis pas autorisé en droit à substituer ma propre opinion, mon propre pouvoir discrétionnaire au sien. Je ne puis modifier sa décision que si elle est déraisonnable. Ce point a été tranché par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lanno c. Canada (Agence des Douanes et du Revenu), qui a été publié et qui est accessible sur le site Web de la Cour d’appel fédérale sous le numéro de référence 2005 CAF 153. L’arrêt figure dans la documentation déposée par le ministre.
[7] Si je conclus que la décision était déraisonnable, je n’ai toujours pas le pouvoir de renoncer aux intérêts et aux pénalités qui restent. Je peux seulement renvoyer l’affaire à un nouveau fonctionnaire en vue d’un réexamen.
[8] Deux autres points doivent aussi guider mon raisonnement. Il ne suffit pas que le contribuable pense que le résultat est inéquitable. Diverses décisions des tribunaux se sont penchées sur la signification de l’équité. Second point, l’expression « caractère raisonnable » possède un sens objectif. En décidant si une décision est raisonnable, la Cour doit se demander « si, après un examen assez poussé, les motifs donnés, pris dans leur ensemble, étayent la décision ». La Cour examine le raisonnement du décideur. Elle n’élabore pas elle-même un nouveau raisonnement. La Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 43 et aux paragraphes suivants.
LES FAITS
[9] M. Grosh estime inéquitable qu’il doive acquitter des pénalités et des intérêts élevés pour les années 1993 à 1996. Il a toujours eu l’intention de payer ses dettes; à preuve, il a engagé des professionnels pour l’aider. Il estime que ces personnes ne lui ont pas apporté l’aide qu’il en attendait.
[10] Il a déclaré faillite en 1991 et n’a obtenu la libération qu’en 1996. Il ne sait pas pourquoi les choses ont tant tardé. Il pensait que le syndic de faillite produirait les déclarations de revenus courantes le concernant, ce qui n’a pas été le cas. Il a ensuite produit ses déclarations et après avoir reçu les avis de cotisation, il a présenté certaines objections. L’un de ses comptables était son père, qui aurait, semble-t-il, produit des déclarations incomplètes parce qu’il commençait à être sénile. Le demandeur a ensuite eu des problèmes avec un autre comptable agréé. Il a intenté une action auprès de la Cour de l’impôt et obtenu un certain redressement, mais partiel.
[11] Si les déclarations de revenus de M. Grosh ont été tardives ou incomplètes en raison de mauvais conseils ou d’une incompréhension entre lui et ses conseillers, c’est une affaire qui les regarde. Ce ne sont pas des questions que M. Balestreri a prises en considération. La décision de M. Balestreri à cet égard n’était pas déraisonnable. L’affaire Ryan, précitée, en est un parfait exemple. M. Ryan était un avocat qui avait été engagé par des clients pour intenter des poursuites. Il ne l’a pas fait dans le délai prescrit. La demande de ses clients a été rejetée. D’une certaine façon, c’est peut-être inéquitable, mais les clients devaient exercer leur recours à l’encontre de M. Ryan et non contre la partie qu’ils voulaient poursuivre.
[12] En outre, M. Grosh était en mesure, avant son accident, et il l’est toujours maintenant, d’acquitter le reste de ses dettes. Il a reçu des remboursements d’impôt assez élevés qu’il aurait pu affecter à l’élimination de sa dette. Il a également cotisé au maximum dans son régime enregistré d’épargne-retraite. Il dit avoir utilisé les remboursements pour déménager de Vancouver en vue de revenir dans la région de Toronto et avoir versé la cotisation maximale dans son REER sur le conseil de son comptable. Néanmoins, la décision de M. Balestreri de ne pas prendre ces facteurs en considération n’était pas déraisonnable.
[13] De plus, le ministre s’est montré disposé à consentir des modalités raisonnables de remboursement.
[14] Pour ces motifs, je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire. Toutefois, je n’accorderai pas de dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire de la décision de Carl Balestreri, en date du 1er février 2006, soit rejetée sans dépens.
« Sean Harrington
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-385-06
INTITULÉ : DAVID ASHER GROSH c.
LA COMMISSION D’EXAMEN DE L’ÉQUITÉ FISCALE DE REVENU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 14 JUIN 2007
ET ORDONNANCE : LE JUGE HARRINGTON
DATE DES MOTIFS
ET DE L’ORDONNANCE : LE 19 JUIN 2007
COMPARUTIONS :
David Asher Grosh
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LE DEMANDEUR SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME
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Maria Vujnovic
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
David Asher Grosh Thornhill (Ontario)
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LE DEMANDEUR SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME |
John H. Sims, c.r. Sous-procureur général du Canada
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POUR LA DÉFENDERESSE |