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Date : 20070621

Dossier : IMM-4061-06

Référence : 2007 CF 664

Toronto (Ontario), le 21 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

JOAO REIS NETO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Joao Reis Neto est un jeune homme homosexuel du Brésil qui allègue craindre d’être persécuté par son grand-père qui l’a maltraité dans le passé. Il allègue aussi craindre la police et la société brésiliennes de façon générale, car les deux sont, d’après lui, extrêmement homophobes.

 

[2]               Bien qu’elle ait reconnu que M. Neto est homosexuel, et qu’il avait en effet été victime de mauvais traitements et de violence sexuelle pendant qu’il vivait au Brésil, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a néanmoins rejeté sa demande sur le fondement qu’il existait une protection de l’État adéquate dont il pouvait se réclamer dans ce pays.

 

[3]               M. Neto conteste maintenant cette décision au motif que la conclusion de la Commission était fondée sur une lecture sélective des renseignements sur la situation du pays. Il allègue aussi que la Commission a commis une erreur en refusant d’accorder une valeur probante aux renseignements sur la situation du pays qu’il avait fournis à l’appui de sa demande.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que l’analyse de la Commission sur la protection de l’État était manifestement déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire sera donc accueillie.

 

La norme de contrôle

[5]               Bien que je sois convaincue que la décision de la Commission ne peut résister à un examen poussé, même selon la norme de la décision manifestement déraisonnable préconisée par le défendeur, je suis néanmoins convaincue qu’une conclusion de la Section de la protection des réfugiés, selon laquelle une protection adéquate de l’État est offerte au demandeur dans son pays d’origine, en est une qui peut à juste titre faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable. À ce titre, j’adopte l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée par la juge Tremblay-Lamer dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 232, 2005 CF 193.

 

 

 

L’analyse

[6]               Il y a trois différents problèmes dans l’analyse de la Commission relativement à la question de la protection de l’État.             

 

[7]               Bien qu’elle disposait d’une preuve documentaire abondante sur la situation des gais et lesbiennes au Brésil, la Commission a limité son analyse à deux documents de la CISR, notamment la partie sur le Brésil du « World Legal Survey » publié par l’Association lesbienne et gay internationale et un communiqué de presse de la Latin America Press.

 

[8]               Dans son analyse, la Commission a cité une série d’extraits tirés de ces documents qui portaient surtout sur l’affirmation générale selon laquelle le Brésil fait des efforts sérieux, principalement par l’adoption de lois, pour augmenter le niveau de protection dont peuvent se réclamer les gais et lesbiennes dans ce pays.

 

[9]               Cependant, bien qu’elle ait consacré beaucoup de temps à analyser les efforts législatifs effectués par le Brésil pour lutter contre l’homophobie, la Commission n’a pas vraiment examiné si ces mesures avaient en fait permis d’assurer une protection adéquate dont pouvaient se réclamer les gais et lesbiennes dans ce pays. Il s’agit d’une erreur : voir, par exemple, la décision Franklyn c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1249, aux paragraphes 21 et 24.

 

[10]           Par ailleurs, dans les extraits de preuve documentaire cités par la Commission, on trouve à l’appui de sa conclusion selon laquelle une protection adéquate de l’État était offerte à M. Neto au Brésil une déclaration voulant que, « bien que l’homosexualité ne soit pas illégale, la police utilise le prétexte de “protéger la moralité et la décence publique” et d’“empêcher un comportement scandaleux” pour arrêter les gais et les traduire en justice ».

 

[11]           Même si elle semble avoir reconnu que la police brésilienne avait joué un rôle dans la persécution des homosexuels, la Commission a conclu que la protection de l’État était néanmoins offerte aux gais et lesbiennes. À mon avis, la conclusion de la Commission selon laquelle la protection de l’État peut être assurée par la police doit être expliquée plus en détail, compte tenu que la Commission semble avoir reconnu que la police était elle-même un agent de persécution.

 

[12]           Enfin, et peut-être le fait le plus flagrant, la Commission a rejeté d’emblée toute la preuve documentaire relative à la situation du pays présentée par M. Neto, qui donnait un aperçu de la nature et de l’étendue des dangers auxquels sont exposés les gais et lesbiennes au Brésil. En se faisant, la Commission a conclu :

Le tribunal a tenu compte de la preuve documentaire soumise par le conseil au nom du demandeur d’asile de même que de ses observations et convient, dans une certaine mesure, que des préjudices contre les homosexuels existent effectivement au Brésil comme dans beaucoup de pays partout dans le monde. La preuve documentaire invoquée par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) en l’espèce provient de diverses sources fiables et indépendantes, dont aucune n’a un intérêt direct dans la question de savoir si oui ou non le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention. Le tribunal accorde une valeur probante beaucoup plus grande à cette preuve documentaire, dans la mesure où les sources de cette preuve sont sans parti pris.

 

 

[13]           Il faut d’abord souligner que la preuve en question ne se rapporte pas expressément à la situation personnelle de M. Neto et qu’elle n’a pas été présentée par des membres de sa famille, des amis ou d’autres personnes qui auraient sans doute pu avoir au moins un « intérêt direct dans la question de savoir si oui ou non le demandeur d’asile a qualité de réfugié au sens de la Convention ». Plus précisément, la preuve constitue plutôt le même genre de preuve documentaire (à savoir des études par des ONG et des communiqués de presse) que celle qui a été fournie par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié elle-même. 

 

[14]           Cependant, ce qui est le plus problématique est le fait qu’un des documents sur lequel se fondait M. Neto était un rapport de l’Association lesbienne et gay internationale décrivant le Brésil comme le [traduction] « champion du monde pour le meurtre d’homosexuels ». En toute déférence, il était tout simplement abusif de la part de la Commission de reconnaître la fiabilité d’un rapport de l’Association lesbienne et gay internationale fourni par la CISR et de rejeter un deuxième rapport de la même association fourni par M. Neto, au motif qu’il ne provenait pas d’une source fiable et indépendante.

 

[15]           Bien qu’il ait reconnu que la conclusion de la Commission à cet égard était « problématique », le défendeur allègue que la demande de contrôle judiciaire devrait tout de même être rejetée, puisque tout réexamen de cette demande mènerait inévitablement au même résultat.

 

[16]           Je ne suis pas de cet avis. Même si la demande de M. Neto pose sans doute des problèmes, je ne peux pas affirmer que l’issue de la cause est libre de tout doute au point de rendre une nouvelle audience inutile : voir les arrêts Yassine c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 949 (C.A.F.) et Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202.

 

La conclusion

[17]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

La certification

[18]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé une question aux fins de certification et aucune n’est soulevée en l’espèce.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

2.                  Aucune question sérieuse de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

                                                                                                                     « Anne Mactavish »

                                                                                                                                                           

                                                                                                                           Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                              IMM-4061-06

 

 

INTITULÉ :                                                                             JOAO REIS NETO c.

                                                                                                  LE MINISTRE DE LA

                                                                                                  CITOYENNETÉ ET DE

                                                                                                  L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                      TORONTO (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                     LE 20 JUIN 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                   LA JUGE MACTAVISH

 

 

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 21 JUIN 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Karina A.K. Thompson

 

POUR LE DEMANDEUR

Vanita Goela

                              POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Blanshay

Avocat

Toronto (Ontario)

 

                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                            POUR LE DÉFENDEUR

                                               

 

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