Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20070611

Dossier : IMM-5986-06

Référence : 2007 CF 619

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 11 juin 2007

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

ESTHER VICTOR OBATTA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

 

[1]               La question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la Cour devrait intervenir dans une décision administrative de ne pas reporter une ordonnance de renvoi qui de toute façon ne peut pas être appliquée à l’heure actuelle parce qu’un sursis légal de cette ordonnance est déjà en vigueur. La réponse est non, du moins à la lumière des faits de l’espèce.

 

[2]               Mme Obatta, apparemment citoyenne nigériane, est arrivée à Montréal à bord d’un vol Air France en provenance de Paris. Elle voyageait grâce à un passeport britannique volé. Les autorités canadiennes avaient été alertées et l’attendaient. Elle a tenté, sans succès, de duper les autorités pour entrer au Canada. Elle a été déclarée interdite de territoire au Canada et une mesure de renvoi a été prise contre elle. Le but était de la faire remonter à bord de l’avion pour Paris.

 

[3]               Toutefois, son discours a changé. Elle a dit qui elle était vraiment, et déclaré qu’elle était enceinte. Elle voulait protéger sa fille à naître de mutilations génitales. Elle a également soutenu avoir des contractions. Elle est restée au Canada ce soir-là puisque le pilote n’a pas voulu la prendre à bord. Elle a été envoyée à un hôpital de la région. Elle a accouché dans les délais prévus. Puisque Mme Obatta faisait déjà l’objet d’une ordonnance de renvoi, il était trop tard pour qu’elle présente une demande d’asile. Sa fille est cependant citoyenne canadienne et ne fait pas l’objet d’un renvoi. Elle a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la mesure de renvoi à son encontre. Sa demande a été refusée.

 

[4]               Cependant, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) l’autorisait à présenter une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) et une demande de résidence permanente depuis le Canada pour des motifs d’ordre humanitaire. Elle a fait les deux. Aucune décision n’a été rendue à l’égard de ces deux demandes.

 

[5]               Une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire ne peut donner lieu au sursis d’une mesure de renvoi par le simple effet de la loi. Si un demandeur d’asile débouté présente une demande d’ERAR, normalement la demande déclenche automatiquement un sursis de toute mesure de renvoi. Cependant, conformément à l’article 166 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, lorsqu’une ordonnance de renvoi est prise à un point d’entrée à la suite d’un constat d’interdiction de territoire, une demande d’ERAR ne génère pas automatiquement un sursis. Un sursis peut être obtenu auprès d’un agent d’immigration grâce à un processus administratif, ou auprès de la Cour, au moyen d’un processus judiciaire.

 

[6]               Elle a demandé à l’agente des renvois de surseoir, au moyen d’un processus administratif, à son départ dans l’attente de l’issue de sa demande d’ERAR et de sa demande pour motifs d’ordre humanitaires. L’agente a refusé. Cette décision fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

DÉCISION SOUS-JACENTE

[7]               Les motifs de la décision de l’agente se trouvent dans une note au dossier du 8 novembre 2006, ainsi que dans les notes antérieures du 2 novembre et du 6 novembre. Un certain nombre de motifs ont été précisés. Le premier, que je considère comme étant pertinent, est qu’aucune date n’a encore été fixée pour son renvoi. Le deuxième est qu’en cas de renvoi, Mme Obatta avait l’intention d’emmener sa fille avec elle. Elle attendait la délivrance d’un passeport canadien pour son bébé. Le troisième est qu’un sursis légal s’appliquait au renvoi de Mme Obatta parce qu’elle faisait l’objet d’accusations criminelles. Cela a donné lieu à un sursis automatique en vertu de l’article 50 de la LIPR.

 

[8]               D’autres motifs ont été donnés, mais n’avaient que peu de poids, voire aucun. L’un d’eux est que Mme Obatta devait obtenir un document de voyage avant que les risques avant renvoi puissent être évalués. Le Haut-commissariat du Nigéria a toutefois indiqué qu’un document serait délivré sur demande. Un autre motif était que l’agente a dit qu’elle avait pris l’intérêt de l’enfant en compte. Il s’agissait d’une simple déclaration et aucun détail n’a été fourni.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[9]               Au nom de Mme Obatta, il est soutenu que l’agente des renvois n’a pas fourni de motifs suffisants et n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire.

 

[10]           Le ministre convient que ce sont des questions pertinentes, mais soutient que l’agente des renvois a agi de façon appropriée. Il soutient en outre que la demande devrait être rejetée en raison de son caractère théorique et aussi parce que la demanderesse ne se présente pas à la Cour en étant sans reproche.

 

[11]           J’ajoute un autre problème : la mesure dans laquelle il convient de faire référence à des documents dont l’agente des renvois ne disposait pas.

 

ANALYSE

[12]           Aucune des parties n’a vraiment tenu compte du principe général selon lequel le contrôle judiciaire d’une décision est fondé sur les documents dont disposait le décideur. Les deux parties se sont donné beaucoup de mal pour informer la Cour de ce qui s’est passé depuis la décision de novembre 2006. Le ministre fait valoir qu’aucune décision n’a été prise à l’égard de la demande d’ERAR ni, sans doute, à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, parce que Mme Obatta n’a pas coopéré pour obtenir la documentation appropriée. En outre, bien que les accusations criminelles pourraient être suspendues afin que l’article 50 de la LIPR ne constitue plus un obstacle, les accusations ne seront pas suspendues, car une deuxième accusation criminelle vient d’être portée contre elle.

 

[13]           Mme Obatta allègue que le ministre a fait preuve de négligence. Les décisions auraient maintenant déjà dû être rendues, surtout compte tenu du terrible risque auquel est exposée sa fille si elle devait retourner au Nigéria. Toutefois, Mme Obatta doit se rendre compte que même si elle a obtenu la citoyenneté canadienne pour sa fille en venant ici sous de faux prétextes, et que même si elle prenait des dispositions pour laisser sa fille ici, cela ne signifie pas nécessairement que l’intérêt supérieur de l’enfant soit que la mère reste également.

 

[14]           Toutefois, aucun de ces faits n’est cependant pertinent pour évaluer le caractère approprié de la décision rendue en novembre 2006.

 

[15]           Il était correct en droit que l’agente déclare que les accusations criminelles en instance entraînaient un sursis légal. Mme Obatta se livre à des considérations hypothétiques en soutenant que la Cour doit néanmoins poursuivre les procédures parce que ces accusations pourraient être suspendues.

 

[16]           L’agente a bien interprété la jurisprudence de notre Cour voulant qu’il soit prématuré de solliciter un sursis avant qu’une date de renvoi ait été fixée. Bien que le juge Rothstein ait fait référence à un sursis judiciaire plutôt qu’à un sursis administratif, un sursis ne devrait pas être accordé avant que le ministre ait fixé une date de renvoi. Il a exposé cette règle dans la décision Rajan v. Canada (Minister of Employment and Immigration) (1994), 86 F.T.R. 70, [1994] F.C.J no 1618 (QL), où il déclarait au paragraphe 12 :

[traduction]
Quant à la demande visant à obtenir une ordonnance interdisant au défendeur de contraindre le demandeur à quitter le Canada, j’estime qu’elle est prématurée. Si la requérante ne quitte pas le pays de son propre gré, comme je l’ai indiqué précédemment, elle pourra présenter une demande de sursis lorsqu’elle sera avisée par l’intimé de la date à laquelle elle doit partir. Ce volet de la demande de sursis doit donc lui aussi être rejeté.

 

[17]           En outre, l’agente a bien exercé un pouvoir discrétionnaire puisqu’elle n’a pas tenté de séparer Mme Obatta de son enfant, et a indiqué qu’il n’y aurait pas de renvoi avant qu’un passeport canadien soit délivré à l’enfant.

 

[18]           Par conséquent, j’en suis venu à la conclusion que la demande est à la fois prématurée et théorique. Je ne vois cependant aucune raison de ne pas exercer mon pouvoir discrétionnaire pour déterminer qu’il s’agit d’un aspect théorique.

 

[19]           On ne connaît pas l’issue des procédures relatives aux accusations criminelles ni si elles seront suspendues, ni quand ou comment les demandes d’ERAR et pour motifs d’ordre humanitaires feront l’objet de décisions. Lorsqu’une date de départ pour Mme Obatta est fixée, si jamais c’est le cas, et que les demandes d’ERAR et pour des motifs d’ordre humanitaires ne sont pas entièrement résolues, elle pourra alors demander à l’agente des renvois un sursis administratif. Ce sursis peut être accordé, comme il peut ne pas l’être. S’il n’est pas accordé, elle est alors en droit de faire une nouvelle demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, et de demander un sursis judiciaire entre-temps. À ce moment-là, une considération pourra être accordée à l’attitude « sans reproche » ou à la « négligence ». La demanderesse a jusqu’au mardi 19 juin 2007 pour soumettre une question de portée générale. Le défendeur aura jusqu’au vendredi 22 juin 2007 pour y répondre.

 

 

 

« Sean Harrington »

 

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-5986-06

 

INTITULÉ :                                       ESTHER VICTOR OBATTA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 5 JUIN 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 11 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mme Annick Legault

 

POUR LA DEMANDERESSE

Mme Michèle Joubert

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Annick Legault

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.