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Date : 20070606

Dossier : T-1394-06

Référence : 2007 CF 606

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE STRAYER

ENTRE :

WILLIAM GIFFORD

demandeur

 

et

 

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

 

INTRODUCTION

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision en date du 5 juillet 2006 par laquelle une présidente indépendante d’un tribunal disciplinaire de l’établissement de Matsqui a reconnu le demandeur coupable de l’infraction prévue à l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. 1992, ch. 20. Le demandeur sollicite un bref de certiorari en vue de faire annuler la décision et un bref de mandamus pour obliger le défendeur à se conformer à certains principes juridiques et à supprimer tous les renseignements concernant sa déclaration de culpabilité relativement à cette infraction.

 

LES FAITS

 

[2]               Il est utile de rappeler d’abord le cadre législatif régissant la présente instance. Voici un extrait de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition :

39. Seuls les articles 40 à 44 et les règlements sont à prendre en compte en matière de discipline.

 

40. Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

 

a) désobéit à l’ordre légitime d’un agent;

[…]

 

f) agit de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent au point de compromettre l’autorité de celui-ci ou des agents en général;

 

41. (1) L’agent qui croit, pour des motifs raisonnables, qu’un détenu commet ou a commis une infraction disciplinaire doit, si les circonstances le permettent, prendre toutes les mesures utiles afin de régler la question de façon informelle.

 

(2) À défaut de règlement informel, le directeur peut porter une accusation d’infraction disciplinaire mineure ou grave, selon la gravité de la faute et l’existence de circonstances atténuantes ou aggravantes.

42. Le détenu accusé se voit remettre, conformément aux règlements, un avis d’accusation qui mentionne s’il s’agit d’une infraction disciplinaire mineure ou grave.

 

 

43. (1) L’accusation d’infraction disciplinaire est instruite conformément à la procédure réglementaire et doit notamment faire l’objet d’une audition conforme aux règlements.

[…]

 

(3) La personne chargée de l’audition ne peut prononcer la culpabilité que si elle est convaincue hors de tout doute raisonnable, sur la foi de la preuve présentée, que le détenu a bien commis l’infraction reprochée.

 

39. Inmates shall not be disciplined otherwise than in accordance with sections 40 to 44 and the regulations.

 

40. An inmate commits a disciplinary offence who

 

 

(a) disobeys a justifiable order of a staff member;

 

(f) is disrespectful or abusive toward a staff member in a manner that could undermine a staff member’s authority;

 

 

41. (1) Where a staff member believes on reasonable grounds that an inmate has committed or is committing a disciplinary offence, the staff member shall take all reasonable steps to resolve the matter informally, where possible.

 

(2) Where an informal resolution is not achieved, the institutional head may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, issue a charge of a minor disciplinary offence or a serious disciplinary offence.

42. An inmate charged with a disciplinary offence shall be given a written notice of the charge in accordance with the regulations, and the notice must state whether the charge is minor or serious.

 

43. (1) A charge of a disciplinary offence shall be dealt with in accordance with the prescribed procedure, including a hearing conducted in the prescribed manner.

 

 

(3) The person conducting the hearing shall not find the inmate guilty unless satisfied beyond a reasonable doubt, based on the evidence presented at the hearing, that the inmate committed the disciplinary offence in question.

 

 

[3]               Le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620, prévoit notamment ce qui suit :

24. (1) Le ministre doit nommer :

 

a) à titre de président indépendant chargé de procéder à l'audition des accusations d'infraction disciplinaire grave, une personne qui connaît le processus de prise de décisions administratives et qui n'est pas un agent ou un délinquant;

[…]

 

25. (1) L’avis d’accusation d’infraction disciplinaire doit contenir les renseignements suivants :

 

a) un énoncé de la conduite qui fait l’objet de l’accusation, y compris la date, l’heure et le lieu de l’infraction disciplinaire reprochée, et un résumé des éléments de preuve à l’appui de l’accusation qui seront présentés à l’audition;

 

 

b) les date, heure et lieu de l’audition.

 

(2) L’agent doit établir l’avis d’accusation disciplinaire visé au paragraphe (1) et le remettre au détenu aussitôt que possible.

 

 

[…]

 

27 (2) L’audition relative à une infraction disciplinaire grave doit être tenue par un président indépendant sauf que, dans les cas exceptionnels où le président indépendant ne peut tenir l’audition et ne peut être remplacé par un autre président indépendant dans un délai raisonnable, le directeur du pénitencier peut la tenir à sa place.

 

[…]

 

30 (3) Lorsque le président indépendant conclut qu’une accusation d’infraction grave se rapporte plutôt à une infraction mineure, il doit modifier l’accusation et soit tenir l’audition disciplinaire, soit renvoyer l’affaire au directeur du pénitencier.

 

24. (1) The Minister shall appoint

 

(a) a person, other than a staff member or an offender, who has knowledge of the administrative decision-making process to be an independent chairperson for the purpose of conducting hearings of serious disciplinary offences;

 

25. (1) Notice of a charge of a disciplinary offence shall

 

 

 

(a) describe the conduct that is the subject of the charge, including the time, date and place of the alleged disciplinary offence, and contain a summary of the evidence to be presented in support of the charge at the hearing; and

 

(b) state the time, date and place of the hearing.

 

(2) A notice referred to in subsection (1) shall be issued and delivered to the inmate who is the subject of the charge, by a staff member as soon as practicable.

 

 

27 (2) A hearing of a serious disciplinary offence shall be conducted by an independent chairperson, except in extraordinary circumstances where the independent chairperson or another independent chairperson is not available within a reasonable period of time, in which case the institutional head may conduct the hearing.

 

30 (3) Where the independent chairperson determines that a charge of a serious offence should proceed as a charge of a minor offence, the independent chairperson shall amend the charge and shall conduct the hearing or refer the matter to the institutional head.

 

 

 

[4]               La Directive du Commissaire numéro 580 prévoit aussi :

15. Le directeur de l’établissement doit étudier chaque rapport d’infraction et peut, selon la gravité de la faute présumée et l’existence de tout facteur atténuant ou aggravant, porter une accusation d’infraction disciplinaire mineure ou grave. Si tel est le cas, il doit préciser en vertu de quel alinéa de l’article 40 de la LSCMLC l’accusation est déposée.

 

16. Le directeur de l’établissement peut déléguer ces pouvoirs à un employé désigné à cette fin (lequel occupe normalement un poste équivalent ou supérieur à celui de gestionnaire d’unité ou chef d’équipe ou de coordonnateur des opérations correctionnelles), soit expressément, soit en fonction du poste qu’il occupe, dans des ordres permanents de l’établissement.

15. The Institutional Head shall review each offence report and may, depending on the seriousness of the alleged conduct and any aggravating or mitigating factors, lay a charge of a minor or serious disciplinary offence, specifying under which paragraph of section 40 of the CCRA the charge is laid.

 

 

 

16. The Institutional Head may delegate this authority to a staff member, normally not below the level of Unit Manager/Team Leader or Coordinator of Correctional Operations, designated by name or position for that purpose in institutional Standing Orders.

 

[5]               L’infraction reprochée aurait été commise le 19 mai 2006. L’agent Forseth a dressé le rapport suivant :

[traduction] À la date et à l’heure susmentionnées, le soussigné se tenait debout près de la porte no 3 de la passerelle. Le détenu Gifford s’approchait. Il ne portait pas la tenue réglementaire. Le soussigné a tenté de régler la question de façon informelle en permettant au détenu de regagner son unité pour se changer. Le détenu n’a fait aucun cas des tentatives faites par le soussigné pour régler la question et il a poursuivi sa route en disant : « Je m’en vais à l’infirmerie ». Le soussigné lui a répété qu’il devait regagner sa cellule et se changer. Il a ensuite reçu trois fois de suite l’ordre de s’arrêter, ordre dont il n’a absolument pas tenu compte. À son retour, il s’est arrêté à la cuisine pour prendre son petit déjeuner. Lorsqu’il est sorti de la cuisine, il a été informé que des accusations seraient portées contre lui. Il a déclaré qu’il s’en foutait. Des accusations ont été transmises avec le présent constat au SC et à l’ARS.

 

 

[6]               L’avocat du défendeur affirme ─ ce que le demandeur ne conteste pas ─ que la « tenue non réglementaire » que le demandeur portait et qui a attiré l’intervention de l’agent était un tee-shirt gris. Suivant le règlement de l’établissement, il aurait dû porter un tee-shirt blanc. Le 31 mai 2006, un gestionnaire d’unité, qui était vraisemblablement la personne à qui le pouvoir avait été délégué, a étudié le rapport de l’agent Forseth et a porté des accusations en vertu de l’alinéa 40a) de la Loi précité. Le demandeur a été accusé d’avoir « désobéi à l’ordre légitime d’un agent ».

 

[7]               L’accusation a été instruite devant la présidente Dow le 5 juillet 2006. Le demandeur était assisté d’un autre détenu, Brian West. L’agent Forseth n’était pas disponible, mais M. West a accepté la procédure d’instruction. À ce moment‑là, la thèse du demandeur était qu’il n’avait tout simplement pas entendu l’ordre parce qu’il portait des écouteurs pendant qu’il écoutait son baladeur. En conséquence, comme l’agent Forseth ne pouvait pas savoir si le demandeur avait entendu ou non l’ordre qu’il lui avait donné, son témoignage n’était pas nécessaire. La présidente a accepté de procéder de cette façon et elle a interrogé le demandeur. Elle lui a demandé de lui expliquer ce qui s’était passé. Voici ce que ce dernier lui a répondu :

[traduction]

 

R.         Et j’avais mon – j’avais mis mon baladeur dans ma poche arrière, comme je le fais toujours dans le corridor, les écouteurs dans les oreilles et je marchais. Pendant que je marchais, j’ai remarqué, juste devant moi, un gars qui portait des shorts, puis un autre avec un sweat-shirt à capuchon.

 

Q.        D’accord.

 

R.         Ils marchaient – ils étaient à une quarantaine de pieds devant moi. Je suis passé devant lui et j’ai pensé – je veux dire je l’ai entendu dire – je n’ai pas vraiment entendu ce qu’il a dit. Je me suis dit : Bon, je savais que c’était à propos de mon tee-shirt gris et qu’il [Forseth] me disait de retourner me changer parce que ce gars, j’ai eu affaire à lui très souvent dans le passé et on dirait qu’il m’a pris en grippe, vous comprenez? Je sais qu’il ne m’aime pas.

 

Alors, j’ai continué à marcher, à marcher. Et j’imagine qu’il était encore derrière moi à courir après moi ou quelque chose du genre. Mais je ne savais pas – je savais qu’il disait quelque chose, OK, mais je pensais que ça concernait seulement le tee-shirt gris.

 

Q.        Oui.

 

R.         Je… je ne voulais pas enlever les écouteurs. Je venais juste de me réveiller. Je – j’étais – je craignais qu’il n’y ait une dispute, une vive dispute, et c’était le matin. Ce gars m’avait déjà fait un rapport, un rapport négatif, alors je me suis contenté de continuer à marcher.

 

           

[8]               Après un échange de questions et de réponses, la présidente a dit ce qui suit :

[traduction]

 

LA PRÉSIDENTE DOW :       D’accord.

 

BRIAN WEST :                       Il était 7 h 30 le matin lorsque cela s’est passé.

 

LA PRÉSIDENTE DOW :       Bon. Voici ce que je vais faire. Voici ce que je vais faire. Je vais modifier l’appellation de l’accusation de a) à f), en l’occurrence « agir de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent [inaudible] l’autorité de celui-ci »

 

Je ne crois pas que votre témoignage … et là encore, on pourrait, bien sûr, faire témoigner l’agent, mais ce que je retiens, c’est bien un agent qui vous parle. On ne sait pas, l’agent aurait pu essayer de vous dire, par exemple, « Arrêtez, il y a une altercation en cours par là. Vous devez sortir par ici » ou autre chose du genre. Pourtant, vous avez choisi, à mon avis, d’agir de manière irrespectueuse en gardant vos écouteurs et en continuant à marcher. Est-ce une explication juste de ce qui s’est passé? Je m’en tiens à ce que vous avez dit. J’ai un dilemme.

 

R. Je n’ai pas entendu [inaudible], donc [inaudible].

 

LA PRÉSIDENTE DOW :       Mais vous saviez qu’il vous adressait la parole. Et même de votre propre aveu – je n’invente rien, n’est-ce pas? vous avez dit : « Vous savez, j’ai compris qu’il allait me parler de ma tenue ».

 

[9]               Plus loin, la transcription (p. 16) indique que la présidente a déclaré le demandeur coupable de l’infraction prévue à l’alinéa 40f), en l’occurrence d’avoir agi « de manière irrespectueuse ou outrageante envers un agent au point de compromettre l’autorité de celui-ci ou des agents en général ». Le demandeur a été condamné avec sursis à une amende de 35 $.

 

[10]           Le demandeur invoque deux moyens pour contester cette condamnation. Premièrement, il soutient que la présidente n’avait pas compétence pour modifier l’accusation en remplaçant l’infraction prévue à l’alinéa 40a) de la Loi par celle prévue à l’alinéa 40f). Deuxièmement, il soutient que, même si elle avait ce pouvoir, elle n’aurait pas dû le condamner en vertu de l’alinéa 40f) parce qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve pour établir les éléments nécessaires de l’infraction, c’est‑à‑dire qu’il avait agi « de manière à compromettre l’autorité d’un agent ».

 

[11]           Le défendeur soutient essentiellement qu’à l’instar de tout autre tribunal administratif, la présidente est maître de sa propre procédure et qu’il s’agissait uniquement d’une question de procédure. La seule limite à laquelle était astreinte la modification de l’accusation était que cette mesure ne devait pas avoir pour effet de bafouer le droit du demandeur à l’équité. À cet égard, l’avocat du défendeur rappelle que c’est le demandeur lui-même qui, de son plein gré, a précisé qu’il était conscient que l’agent lui adressait la parole, mais qu’il ne souhaitait pas engager la conversation avec lui, démontrant ainsi son manque de respect pour un agent dont il savait qu’il lui adressait la parole. Le témoignage du demandeur en ce sens a été cité plus haut.

 

ANALYSE

 

[12]           Si je siégeais en appel en qualité de juge d’un tribunal pénal et que j’étais investi du pouvoir de confirmer des déclarations de culpabilité malgré les irrégularités légales mineures qui ont entaché le déroulement de la procédure en première instance mais dans laquelle aucune erreur judiciaire grave ne s’est produite (voir, par exemple, le Code criminel, L.R.C.,ch. C-34, sous‑alinéa 686(1)b)(iii)), je serais porté à rejeter la demande. Les procédures disciplinaires devant un président indépendant sont censées être expéditives et informelles et elles sont de nature inquisitoire et non contradictoire. Voir, par exemple, la décision Canada (Service correctionnel) c. Plante, 1995 A.C.F. no 1509 (C.F. 1re inst.) et la jurisprudence qui y est citée. Le demandeur a reconnu de son plein gré qu’il savait que l’agent lui parlait et il a admis avoir choisi de ne pas enlever ses écouteurs pour l’écouter ou lui répondre. Ces faits permettaient raisonnablement à la présidente de reconnaître le demandeur coupable de l’infraction prévue à l’alinéa 40f). Quant à l’argument du demandeur suivant lequel la décision de la présidente ne reposait sur aucun élément de preuve tendant à démontrer qu’il avait « agi de manière à compromettre l’autorité d’un agent », j’estime qu’il était loisible à la présidente de tirer cette inférence des faits de l’espèce. Il convient par ailleurs de signaler que l’infraction était banale et que la peine qui a effectivement été infligée (une amende de 35 $, avec sursis) était modeste, indépendamment de ce qu’on pourrait dire des incidences futures d’une telle peine pour le demandeur.

 

[13]           Il ne s’agit cependant pas d’un appel, mais bien d’un contrôle judiciaire, et j’ai conclu que la présidente n’avait pas compétence pour modifier l’accusation en la portant en vertu de l’alinéa 40f) plutôt que de l’alinéa 40a). L’économie de la Loi, du Règlement et de la Directive du Commissaire semble confier au directeur de l’établissement ou à son délégué le choix des accusations à porter. Les diverses dispositions applicables ont été citées plus haut. L’article 41 de la Loi oblige l’agent à régler les problèmes disciplinaires de façon informelle, mais lorsqu’il ne le peut pas, c’est le directeur de l’établissement ou son délégué qui décide s’il y a lieu de porter des accusations pour une infraction disciplinaire mineure ou grave. Il ressort de l’alinéa 24(1)a) du Règlement que les présidents indépendants ne peuvent être des agents et, par conséquent, qu’ils ne peuvent être des délégués. En vertu de l’article 25 du Règlement, le détenu doit être avisé par écrit de l’accusation retenue par le directeur de l’établissement ou par son délégué et, en vertu de l’article 43 de la Loi, c’est cette accusation, et non une autre accusation, qui doit être instruite « conformément à la procédure réglementaire ». Nul ne prétend qu’il existe une procédure réglementaire qui permet au président de modifier l’accusation. Le seul pouvoir de cette nature que possède le président se trouve au paragraphe 30(3) du Règlement, qui l’autorise soit à modifier l’accusation lorsqu’il conclut qu’une accusation d’infraction grave se rapporte plutôt à une infraction mineure, soit à renvoyer l’affaire au directeur du pénitencier. Si j’ai bien compris, la même infraction prévue par la Loi peut être instruite soit comme une infraction grave, soit comme une infraction mineure, mais, dans un cas comme dans l’autre, il s’agit de la même accusation fondée sur la même disposition législative et non sur une autre.

 

[14]           Il ne m’appartient pas de dire si cette mesure est commode ou logique. L’avocat du défendeur a tiré des analogies avec les procès criminels. Il a souligné qu’en vertu du paragraphe 601(2) du Code criminel, un tribunal peut, lors du procès sur un acte d’accusation, modifier l’acte d’accusation afin de le rendre conforme à la preuve. Mais on ne trouve pas de disposition semblable dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition ou dans ses règlements d’application. Vu les dispositions expresses qui semblent indiquer que c’est au directeur de l’établissement ou à son délégué qu’il incombe de préciser la nature de l’accusation, je ne suis pas en mesure de conclure que la présidente possède un tel pouvoir implicite.

 

[15]           Même si, comme je l’ai dit, j’aurais du mal à qualifier la présente instance d’injuste pour le demandeur, ce dernier n’a pas tort d’affirmer que toute personne accusée d’une infraction devrait être mise au courant de la nature exacte de l’accusation contre laquelle elle doit se défendre. En l’espèce, le demandeur croyait que l’accusation qui lui était reprochée était celle d’avoir refusé d’obéir à un ordre; c’est la raison pour laquelle il a insisté pour dire qu’il n’avait pas entendu l’ordre. Mais, ce faisant, il a admis qu’il avait délibérément évité d’engager la conversation avec l’agent et ce, même s’il savait que ce dernier lui adressait la parole. La présidente a raisonnablement estimé que cette manière d’agir le rendait coupable d’une infraction dont la définition est un peu plus large, en l’occurrence le fait d’agir de manière irrespectueuse envers un agent, une infraction dont il était accusé sans le savoir et pour laquelle il avait par inadvertance admis sa culpabilité.

 

[16]           Le défendeur a invoqué une autre décision récente de la Cour, soit Latham c. Pénitencier de la Saskatchewan, [2005] A.C.F. no 355 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, le détenu avait d’abord été accusé, en vertu de l’alinéa 40h) de la Loi, d’avoir menacé de se livrer à des voies de fait. À l’audience, après avoir examiné la preuve, la présidente indépendante l’avait déclaré coupable, en vertu de l’alinéa 40g), d’avoir agi de manière irrespectueuse ou outrageante envers une personne au point d’inciter à la violence. Elle a qualifié l’infraction prévue à l’alinéa 40g) [traduction] d’« infraction incluse » à l’alinéa 40h). Lors du contrôle judiciaire, la juge des requêtes a annulé la déclaration de culpabilité au motif que la procédure suivie avait été injuste pour le détenu. La juge a ajouté que, lorsqu’elle avait décidé d’examiner l’autre infraction, la présidente aurait dû suspendre l’audience pour accorder au détenu la possibilité de se défendre contre la seconde accusation. La juge des requêtes n’a pas abordé la question qui m’est soumise, en l’occurrence celle de savoir si la présidente indépendante avait compétence pour modifier l’accusation comme elle l’a fait; il ne semble d’ailleurs pas que cette question ait été soulevée devant elle. En l’espèce, la question a été expressément soulevée et je dois y répondre. C’est non sans répugnance que j’en arrive à la décision que, même s’il serait commode, utile et logique de permettre à la présidente de modifier l’infraction à juger, la Loi ne permet pas une telle mesure à mon avis. La Loi ne mentionne pas non plus le concept des infractions incluses que prévoit le Code criminel (voir le Code criminel, précité, alinéa 662(1)a)).

 

[17]           Ayant tiré cette conclusion, il n’est pas nécessaire que j’examine la question de savoir si la présidente disposait de suffisamment d’éléments de preuve au sujet du second élément de l’infraction prévue à l’alinéa 40f). Il n’est pas nécessaire non plus que j’analyse les observations fouillées présentées par le demandeur au sujet de son droit aux dépens et ce, même s’il devait être débouté de la présente demande. Il n’a pas invoqué d’arguments qui justifieraient que j’exerce le pouvoir discrétionnaire qui pourrait me permettre de l’indemniser quelque peu pour le temps qu’il a consacré à se défendre lui-même. Je vais donc me limiter à l’indemniser pour ses débours.

 

DISPOSITIF

 

[18]           Je vais en conséquence annuler la déclaration de culpabilité prononcée le 5 juillet 2006 et renvoyer l’affaire au directeur de l’établissement à la condition que s’il porte de nouvelles accusations relativement aux mêmes faits, l’affaire soit instruite devant un autre président indépendant. Je vais adjuger les dépens au demandeur sous forme de paiement de ses débours.

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La déclaration de culpabilité du demandeur qui a été prononcée le 5 juillet 2006 en vertu de l’alinéa 40f) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition est annulée.

2.                  L’affaire est renvoyée au directeur de l’établissement à la condition que, s’il porte de nouvelles accusations contre le demandeur relativement aux mêmes faits, l’affaire soit instruite devant un autre président indépendant.

3.                  Les dépens sont adjugés au demandeur sous forme de paiement de ses débours.

« Barry L. Strayer »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                   T-1394-06

 

INTITULÉ :                                                  William Gifford

                                                                        c.

                                                                        PGC   

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                            Vancouver

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 10 mai 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :             LE JUGE STRAYER

 

DATE DES MOTIFS :                                 le 6 juin 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jennifer Metcalfe                                             POUR LE DEMANDEUR

Mark Redgwell

 

Graham Stark                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jennifer Metcalfe                                             POUR LE DEMANDEUR

Mark Redgwell

Abbotsford (C.-B.)

 

John H. Sims, c.r.                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (C.-B.)

 

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