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Date : 20070605

Dossier : IMM-4750-06

Référence : 2007 CF 592

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HUGHES

 

 

ENTRE :

BERNARD BOATENG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un homme adulte qui allègue être un citoyen du Rwanda. Il est actuellement connu sous le nom de Bernard Boateng. Dans une décision datée du 14 août 2006, un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a rejeté la demande de résidence permanente au Canada du demandeur. J’accueille la demande présentée relativement à cette décision, j’annule cette dernière et je renvoie l’affaire à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

[2]               L’histoire personnelle du demandeur n’est pas très claire. Il allègue être né au Rwanda et y avoir été baptisé sous le nom Bernard Darois. À un moment donné, il allègue avoir quitté le Rwanda pour se rendre au Ghana où il a adopté le nom de Bernard Boateng. Par la suite, il aurait travaillé en Libye et en Taïwan. Il est arrivé au Canada en 1994 sous le nom John Duke Qwansah, alléguant être un citoyen du Kenya. À l’époque, il avait en sa possession un certain nombre de faux documents.

 

[3]               Depuis son arrivée au Canada, le demandeur a marié une citoyenne canadienne avec qui il a eu un enfant. Rien ne révèle que le demandeur possède un casier judiciaire. Il allègue qu’il a travaillé comme mécanicien à quelques endroits dans la région de Vancouver.

 

[4]               En juin 2000, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente au Canada fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, invoquant son mariage et la naissance de son enfant. Depuis ce temps, il y a eu l’échange de nombreuses lettres entre le demandeur, son avocate et CIC, portant principalement sur l’incapacité du demandeur de fournir un passeport rwandais. Le dossier du tribunal contient une lettre datée du 19 juin 2000 dans laquelle l’ambassadeur du Rwanda au Canada indique que les documents fournis ne semblent pas appuyer l’allégation du demandeur selon laquelle il est citoyen rwandais et, par conséquent, qu’aucun passeport ne peut être délivré. Néanmoins, l’échange de correspondance semble s’être poursuivi, notamment avec l’ambassade du Rwanda à Washington D.C.

 

[5]               Les représentants de CIC étaient bien entendu préoccupés par le fait que le demandeur ne pouvait ni fournir de passeport ni d’autres documents, tels que ceux énumérés aux articles 50 et 178 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement), qui les convaincraient de son identité. Le dossier du tribunal fait état d’un échange intense de correspondance entre l’avocate du demandeur et CIC de novembre 2000 à juin 2005. L’avocate du demandeur a sollicité et a reçu un certain nombre de prorogations de délai dans le but de répondre aux questions et aux demandes de renseignements de CIC.

 

[6]               Le 2 juin 2005, l’avocate du demandeur a présenté à CIC un affidavit d’un membre du clergé résidant en Afrique qui alléguait connaître le demandeur et avoir été présent à son baptême au Rwanda. Curieusement, et à la différence de la correspondance antérieure, CIC n’a pas fourni de réponse immédiate à l’avocate. Le 11 juillet 2006, environ treize mois après avoir reçu l’affidavit, CIC a plutôt écrit à l’avocate du demandeur l’avisant que l’affidavit était inadmissible, sauf si une preuve d’identité supplémentaire du membre du clergé, désignée aux articles 50 et 178 du Règlement, était fournie d’ici un mois. Le 11 août 2006, l’avocate du demandeur a sollicité une prorogation du délai jusqu’au 30 octobre 2006 dans le but de présenter une réponse. Cette demande a été rejetée. Entre-temps, la décision qui fait l’objet de la présente demande a été rendue par lettre en date du 14 août 2006.

 

[7]               Voici un extrait important de cette décision :

 

[traduction]

J’ai reçu la télécopie de Mme Sas datée du 11 août 2006. Cette dernière demandait une prorogation du délai jusqu’au 30 octobre 2006. Je refuse de lui accorder cette prorogation. CIC vous a demandé à plusieurs reprises durant les six dernières années de fournir une preuve d’identité. Nous n’avons reçu aucune explication suffisante au sujet de votre incapacité d’obtenir cette information et aucun motif suffisant nous laissant croire que vous allez l’obtenir d’ici la fin du mois d’octobre.

 

[…]

 

Vous n’avez pas satisfait aux exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et à son Règlement qui vous demandent de fournir une preuve d’identité acceptable. Je rejette donc votre demande de résidence permanente.

 

[8]               Aucune explication n’a été fournie par CIC pour justifier son retard de treize mois dans l’envoi d’une réponse quant à l’affidavit. Aucune explication n’est fournie pour justifier le refus d’accorder une prorogation de deux mois au demandeur pour qu’il puisse répondre à CIC, malgré la procédure établie pour fournir de telles réponses.

 

[9]               La présente décision doit être annulée sur le seul fondement d’un manquement à l’obligation d’équité procédurale.

 

[10]           Il existe un autre fondement justifiant l’annulation de la décision du 14 août 2006. Le paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR) exige qu’en examinant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, le ministre tienne compte de « l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ou […] l’intérêt public ». Le demandeur est marié à une Canadienne avec qui il a eu un enfant né au Canada.

 

[11]           Rien dans la décision du 14 août 2006 n’indique qu’on a tenu compte de l’enfant ou de l’intérêt public. Le paragraphe 25(1) de la LIPR accorde le large pouvoir au ministre de « lever tout ou partie des critères et obligations applicables », ce qui s’appliquerait à tout document ou renseignement fourni en application des articles 50 et 178 du Règlement. L’agent du ministre était manifestement au courant des difficultés éprouvées par le demandeur pour ce qui était de fournir les documents requis. Le rejet de façon péremptoire de la demande du demandeur après un délai de treize mois accusé par CIC et le refus d’accorder la courte prorogation sollicitée, ainsi que l’omission de tenir compte de l’enfant ou de l’intérêt public, sont tout simplement inacceptables.

 

[12]           Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question aux fins de certification.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS,

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande est accueillie;

2.                  La décision rendue le 14 août 2006 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il statue à nouveau sur elle;

3.                  Il n’y a aucune question aux fins de certification;

4.                  Aucuns dépens ne sont adjugés.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                              IMM-4750-06

 

INTITULÉ :                                                                             BERNARD BOATENG

                                                                                                  c. MCI          

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                                      VANCOUVER

                                                                                                  (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                                     LE 31 MAI 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                                   LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                                           LE 5 JUIN 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lorne Waldman

POUR LE DEMANDEUR

 

Caroline Christians

 

                               POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

a/s Catherine Sas

Avocate

501-134 Abbott Street

Vancouver (Colombie-Britannique)

                               POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

                             POUR LE DÉFENDEUR

 

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