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Date : 20070606

Dossier : T-973-06

Référence : 2007 CF 587

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

DONG BING MA

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel formé en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1995, ch. C-29 (la Loi), à l’encontre de la décision qu’une juge de la citoyenneté a rendue le 9 mai 2007 par laquelle elle a rejeté la demande de citoyenneté canadienne du demandeur.

 

LES FAITS PERTINENTS

[2]               M. Dong Bing Ma (le demandeur) est un citoyen chinois âgé de 39 ans et il est marié à une citoyenne chinoise, Mme Xiao Qing Chen. Le couple n’a pas d’enfants ni de proches parents au Canada.

 

[3]               En mars 1999, tant le demandeur que son épouse sont arrivés au Canada en provenance de la Chine en tant qu’immigrants admis, dans la catégorie des investisseurs, et sont donc des résidents permanents. Le demandeur a établi la société Anfu Enterprises (Canada) Ltd. en juin 1999 dans le but de faire mieux connaître les ressources canadiennes et d’établir des relations d’affaires entre la Chine et la Colombie‑Britannique, particulièrement dans le domaine de l’industrie gazière. Étant donné la profession du demandeur, il doit faire beaucoup de voyages en Chine.

 

[4]               Le demandeur a déposé sa demande le 21 octobre 2003. Dans son tableau révisé relatif aux absences, le demandeur a affirmé à la juge de la citoyenneté qu’il s’était absenté du Canada pendant neuf cent vingt et un (921) jours en tout au cours de la période de quatre ans précédant le dépôt de sa demande. Par conséquent, le demandeur n’a été présent au Canada que pendant cinq cent trente‑neuf (539) jours au cours de la période de quatre ans pertinente, ce qui n’équivaut même pas à la moitié (50 %) des mille quatre‑vingt‑quinze (1095) jours prévus à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, où il est établi qu’un demandeur doit avoir résidé au Canada pendant au moins trois ans (1095 jours) au cours des quatre ans qui ont précédé la date de sa demande pour obtenir la citoyenneté. C’est pourquoi la juge de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté.

 

LA QUESTION EN LITIGE

[5]               La seule question à examiner dans la présente affaire consiste à savoir si la juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que le demandeur ne remplissait pas les conditions prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté.

 

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES APPLICABLES

Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

[…]

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

 

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

[…]

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[6]               À mon avis, la norme de contrôle applicable dans le présent appel en matière de citoyenneté est la décision raisonnable simpliciter. Dans la décision Zeng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1752, le juge Richard Mosley a conclu ce qui suit aux paragraphes 9 et 10 :

Appliquant la méthode pragmatique et fonctionnelle à l’examen des décisions des juges de la citoyenneté portant sur la condition de résidence prévue par la Loi, plusieurs juges de la Cour fédérale ont récemment conclu qu’une norme plus adéquate serait celle de la décision raisonnable simpliciter : Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1693, [2004] A.C.F. n° 2069; Rasaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1688, [2004] A.C.F. n° 2051; Gunnarson c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1592, [2004] A.C.F. n° 1913; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chen, 2004 CF 848, [2004] A.C.F. n° 1040; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fu, 2004 CF 60, [2004] A.C.F. n° 88; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Chang, 2003 CF 1472, [2003] A.C.F n° 1871.

 

Je reconnais que le point de savoir si une personne a rempli la condition de résidence prévue par la Loi est une question mixte de droit et de fait et que les décisions des juges de la citoyenneté appellent une certaine retenue, parce que ces juges ont l’expérience et la connaissance des affaires qui leur sont soumises. Par conséquent, j’admets que la norme de contrôle devant s’appliquer est celle de la décision raisonnable simpliciter et que, ainsi que le disait la juge Snider dans la décision Chen, précitée, au paragraphe 5, « dans la mesure où ont été démontrées une connaissance de la jurisprudence et une appréciation des faits et de la manière dont ils s’appliquent en regard du critère de la loi, il convient de faire preuve de retenue ».

 

[Non souligné dans l’original.]

 

ANALYSE

[7]               Le demandeur laisse entendre que la juge de la citoyenneté n’a pas examiné avec soin le dossier qui lui a été présenté et qu’elle a mal apprécié les faits. Le demandeur soutient également que le critère ou les facteurs que la juge de la citoyenneté a appliqué pour rejeter sa demande ne ressortaient pas clairement de la décision.  

 

[8]               Quant au défendeur, il soutient que pour rendre sa décision, la juge de la citoyenneté a nettement appliqué le critère de présence physique en matière de résidence établi dans la décision Re Pourghasemi, [1993] A.C.F. no 232 (QL). Compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés, la juge a conclu que le demandeur n’avait pas été présent physiquement au Canada pendant au moins trois ans (1095 jours) au cours des quatre ans qui avaient précédé la date de sa demande de citoyenneté. À ce titre, le défendeur soutient que la juge de la citoyenneté a appliqué l’un des critères en matière de résidence acceptés par la Cour, et qu’elle l’a appliqué correctement.

 

[9]               Dans sa décision, la juge de la citoyenneté a déclaré ce qui suit :

[traduction] Vous avez été convoqué à une audience visant à déterminer si vous remplissiez les conditions de résidence prévues par la Loi sur la citoyenneté. Un interprète vous a accompagné. L’alinéa 5(1)c) de la Loi exige que le demandeur ait résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, c’est‑à‑dire au moins 1095 jours, au cours des quatre ans qui ont précédé la date de sa demande. Dans votre première demande, vous avez déclaré 879 jours d’absence et 581 jours pour lesquels vous étiez physiquement présent au Canada, ce qui n’est pas conforme aux conditions de résidence.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[10]           À mon avis, ce paragraphe démontre que la juge de la citoyenneté avait une bonne connaissance des conditions légales de résidence exposées dans les motifs rendus par le juge Francis Muldoon dans l’affaire Re Pourghasemi, susmentionnée, et qu’elle a apprécié la preuve dont elle disposait dans l’application du critère en question, qui nécessite une interprétation stricte du mot « résidence » selon l’alinéa 5(1)c) de la Loi. En appliquant le critère en matière de résidence établi dans la décision Re Pourghasemi, susmentionnée, le juge de la citoyenneté doit déterminer si le demandeur a été présent physiquement au Canada pendant le nombre de jours requis. En d’autres mots, la présence physique de la personne au Canada est le facteur essentiel quant à savoir si les conditions de résidence énoncées dans le critère ont été remplies.

 

[11]           Il s’agit d’un critère objectif qui exige strictement le calcul du nombre de jours pendant lesquels le demandeur s’est absenté du Canada. C’est un critère « objectif » dans le sens que la preuve en soi démontrera si la personne remplit les conditions de résidence. Tout ce que la juge de la citoyenneté a à faire, c’est d’établir la période de quatre ans applicable en fonction de la date à laquelle le demandeur a déposé sa demande et de soustraire le nombre de jours pendant lesquels le demandeur se trouvait à l’extérieur du Canada au cours de cette période. Elle pourra ainsi décider si le nombre total de jours pendant lesquels le demandeur était présent physiquement au Canada équivaut au nombre de jours requis, soit 1095 jours, au sens de l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[12]           Dans ses observations, le demandeur fait mention de la décision Sio c. Canada, [1999] A.C.F. no 422 (QL), dans laquelle le juge en chef Allan Lutfy a affirmé qu’il était loisible au juge de la citoyenneté de suivre la démarche établie soit dans la décision Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (centralisation du mode de vie habituel), soit dans la décision Re Pourghasemi, susmentionnée (calcul strict du nombre de jours d’absence physique), et non les deux partiellement.

 

[13]           Le juge en chef déclare ce qui suit dans le paragraphe 10 de la décision Sio, susmentionnée :

Cette observation fait référence aux décisions de notre Cour qui font suite à la jurisprudence Papadogiorgakis et qui tolèrent les absences momentanées dans le cas où la vie du demandeur est, à d’autres égards, centrée au Canada. Cependant, la juge de la citoyenneté s’est encore longuement référée à Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.), où il a été jugé, par stricte interprétation de l’alinéa 5(1)c), que la période requise de trois ans est « le temps minimum pour se canadianiser ». L’évocation, simultanée et sans autre explication, de deux jurisprudences contradictoires dans la lettre portant décision peut trahir une mauvaise compréhension du point de droit à la lumière duquel elle doit juger le cas du demandeur. À mon avis, cette méprise constitue un motif d’appel valide.

 

[14]           Après avoir examiné la décision de la juge de la citoyenneté, je suis convaincu qu’elle n’a pas commis l’erreur de combiner les deux courants d’opinions dont il était question dans la décision Sio, susmentionnée, car elle n’a pas évoqué simultanément les deux jurisprudences contradictoires dans sa décision, comme c’était le cas dans l’affaire Sio, susmentionnée, ce qui aurait pu indiquer une mauvaise compréhension de sa part du critère juridique qui s’applique aux faits particuliers de l’espèce. À mon avis, il est clair que la juge de la citoyenneté comprenait bien la loi et qu’elle a appliqué correctement le critère de son choix aux faits de l’espèce. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un motif d’appel valable.

 

[15]           Je ne crois pas non plus qu’elle ait tenté d’appliquer le critère établi dans la décision Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), car elle n’a pas cherché à savoir si le Canada était le lieu où le demandeur vivait régulièrement, normalement ou habituellement ou le pays où il avait centralisé son mode d’existence.

 

[16]           Il est évident qu’il existe des opinions judiciaires divergentes quant à l’interprétation des conditions de résidence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi, comme la jurisprudence de la Cour en témoigne. Néanmoins, il est clair que les deux interprétations, stricte et libérale, du paragraphe en question sont acceptables, et qu’un juge de la citoyenneté n’a pas tort simplement pour avoir choisi d’appliquer une interprétation plutôt que l’autre.

 

[17]           Dans l’ensemble, je suis convaincu que la juge de la citoyenneté a appliqué correctement le critère choisi en matière de résidence, qui est évidemment le critère établi dans la décision Re Pourghasemi, susmentionnée, et qu’après avoir examiné le dossier du demandeur, elle n’a pas mal apprécié les faits comme le demandeur l’avait présumé.

 

[18]           À mon avis, les motifs de la juge démontrent qu’elle comprenait bien la loi, et sa conclusion selon laquelle le demandeur n’était pas admissible alors à la citoyenneté était juste, compte tenu des faits de l’espèce. Si l’on se fonde strictement sur le calcul du nombre de jours de présence physique au Canada, il est clair que le demandeur ne remplissait pas les conditions de résidence prévues par la Loi en raison du nombre de jours pendant lesquels il s’était trouvé à l’étranger. Par conséquent, il ne pouvait pas obtenir la citoyenneté canadienne.

 

[19]           Pour les motifs susmentionnés, je n’hésite aucunement à conclure que l’intervention de la Cour n’est pas justifiée en l’espèce et que, par conséquent, l’appel doit être rejeté.  


JUGEMENT

 

            1.         L’appel est rejeté.

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Annie Beaulieu

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        T-973-06

 

INTITULÉ :                                       DONG BING MA c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (C.-B.)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 24 mai 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 6 juin 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

M. Lawrence Wong

 

POUR LE DEMANDEUR

Mme Hilla Aharon

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wong Pederson Law Offices

Vancouver (C.-B.)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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