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Date : 20070510

Dossier : IMM‑4646‑06

Référence : 2007 CF 505

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DE MONTIGNY

 

ENTRE :

DRENY AMPARO GOMEZ BEDOYA ET JOSHUA MARANTE

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Dreny Amparo Gomez Bedoya (la demanderesse principale) et son fils Joshua Marante (le demandeur mineur) sont des citoyens de la Colombie, mais le demandeur mineur est également citoyen des États‑Unis. Ils sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 27 juillet 2006 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission). La Commission a conclu qu’ils n’avaient pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger, aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

LES FAITS

[2]               Mme Bedoya soutient que, le 24 octobre 2000, un homme non identifié avait demandé son admission au foyer pour personnes âgées qu’elle dirigeait dans la ville de Cali. Lorsqu’elle lui a dit qu’elle ne pouvait pas l’aider, il s’est vexé et est devenu très agressif. Son ex‑compagnon, Jorge Antonio Torres Cortes, a alors menacé l’homme d’appeler la police s’il ne quittait pas les lieux. L’homme est parti, mais il a dit qu’il placerait une bombe dans la maison et que M. Cortes regretterait ses paroles.

 

[3]               Le 27 février 2001, M. Cortes disparaissait. Cette disparition fut rapportée dans un article de journal daté du 19 juin 2001, déposé comme pièce annexe de l’affidavit de Mme Bedoya devant la Commission. Par la suite, le 23 août 2001, Mme Bedoya reçut un appel téléphonique d’un homme qui se disait membre des Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée populaire (les FARC). Il lui disait de cesser de chercher M. Cortes. Les FARC l’avaient fait disparaître à cause de l’incident survenu dix mois auparavant dans le foyer pour personnes âgées. L’homme a aussi avisé Mme Bedoya de fermer son établissement, ce qu’elle a fait le 15 septembre 2001.

 

[4]               Mme Bedoya a tenté à plusieurs reprises d’obtenir une protection de l’État. En novembre 2000, elle s’est rendue au cabinet du procureur général national pour signaler l’incident initial survenu dans le foyer pour personnes âgées. Puis, le 11 octobre 2001, elle a déposé une seconde plainte après avoir reçu l’appel téléphonique du membre des FARC. Le même jour, elle recevait une lettre décrivant les mesures de protection qu’appliquerait le cabinet du procureur. Cette lettre a aussi été déposée comme pièce annexe de son affidavit. Le 19 octobre 2001, elle a présenté une pétition de droit au Réseau de solidarité sociale de Colombie pour obtenir de l’aide. La réponse qu’elle a reçue a également été déposée devant la Commission.

 

[5]               De septembre 2001 à décembre 2003, Mme Bedoya a travaillé par elle‑même et elle a visité les États‑Unis pendant de longues périodes. Le 14 décembre 2002, elle a donné naissance à son fils, Joshua Marante, alors qu’elle se trouvait aux États‑Unis. Lorsqu’elle retournait en Colombie pendant ces années, elle ne recevait pas de menaces et se sentait apparemment en sécurité.

 

[6]               En décembre 2003, elle a décidé de commencer une nouvelle vie et a ouvert un salon d’esthétique. Peu de temps après, le 27 février 2004, elle a encore été menacée. La nièce de Mme Bedoya, qui travaillait dans le salon, a été témoin de l’incident. Elle a confirmé l’incident dans un affidavit. Deux hommes armés ont pointé un fusil sur la tête de Mme Bedoya. Ils lui disaient de fermer son commerce et de quitter le pays, sinon ils l’élimineraient, ainsi que tous les membres de sa famille. Le lendemain, Mme Bedoya trouva une note des FARC sous la porte de sa maison. On la conjurait de se sauver si elle tenait à la vie, en ajoutant que « demain pourrait être trop tard ». Encore une fois, la nièce de Mme Bedoya a vu la note et en a fait état dans son affidavit.

 

[7]               Mme Bedoya a alors déposé une nouvelle plainte au cabinet du procureur général national, mais elle n’a pas reçu de réponse. Craignant pour sa vie, elle a demandé à une amie d’emmener son bébé aux États‑Unis et a laissé ses deux aînés chez un ami. Là encore, l’amie de Mme Bedoya a confirmé ce fait dans un affidavit, auquel est annexée une copie de son visa et du sceau d’admission aux États‑Unis. Mme Bedoya s’est envolée pour les États‑Unis quelques jours plus tard, où elle a rejoint son fils et vécu avec la grand‑mère de celui‑ci.

 

[8]               Le 19 octobre 2004, les deux demandeurs sont arrivés au Canada et y ont sollicité l’asile. Mme Bedoya affirme que, si elle n’a pas sollicité l’asile aux États‑Unis, c’est parce que l’un de ses proches parents vivant dans ce pays lui avait dit que le taux d’acceptation des demandeurs d’asile colombiens y était très faible et qu’elle serait détenue et séparée de son fils durant l’examen de sa demande d’asile.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[9]               La Commission a estimé que Mme Bedoya n’était pas crédible ou digne de foi quant à plusieurs aspects clés de son récit. Les motifs de la Commission peuvent être résumés ainsi :

·        Mme Bedoya prétendait qu’un membre de rang supérieur de la guérilla des FARC avait voulu être admis dans son foyer pour personnes âgées, situé dans une zone sous contrôle gouvernemental, mais qu’il ne connaissait pas la direction du foyer ni n’avait confiance en celle-ci, et cela n’était pas crédible.

·        Mme Bedoya disait que la disparition de son compagnon était rattachée à ce prétendu incident, et cela n’était pas crédible non plus puisque la disparition avait eu lieu six mois plus tard et que la cible de la fureur de la guérilla était censée être Mme Bedoya elle‑même.

·        Les menaces que Mme Bedoya avaient censément reçues et qui allaient être mises à exécution si elle ne fermait pas son établissement n’étaient survenues que dix mois après le prétendu incident déclencheur.

·        Mme Bedoya a continué de vivre et de travailler en Colombie depuis le jour du présumé incident en 2000 jusqu’en 2004, sans que personne ne lui cause du tort. Elle s’est aussi rendue souvent aux États‑Unis au cours de cette période.

·        Mme Bedoya n’avait pu expliquer pourquoi les guérilleros des FARC s’étaient manifestés encore une fois pour exiger qu’elle ferme son nouveau commerce, un salon de beauté, qu’elle avait ouvert en 2003.

·        Les guérilleros des FARC ne l’avaient pas enlevée ou éliminée, même s’ils l’avaient prétendument menacée à la pointe du fusil en exigeant qu’elle quitte le pays.

·        Mme  Bedoya disait que les guérilleros des FARC, après l’avoir menacée à la pointe du fusil, lui avaient envoyé un autre message sous forme de tract lui rappelant qu’elle devait quitter le pays, et cela n’était pas crédible.

·        Mme Bedoya avait écrit dans son FRP que sa mère et ses enfants étaient encore en Colombie, mais ce n’est qu’à l’audience qu’elle a dit qu’ils se tenaient cachés. La Commission n’a pas jugé crédible son explication selon laquelle ils restaient « le plus souvent à l’intérieur ».

·        Il n’était pas établi que les deux enfants de Mme Bedoya en Colombie avaient été suivis ou maltraités, en dépit de la supposée habileté des FARC à surveiller sur une longue période les allées et venues de Mme Bedoya.

·        Les raisons qu’avait Mme Bedoya de ne pas solliciter l’asile aux États‑Unis n’étaient pas crédibles. Son fils est citoyen américain. Elle a vécu aux États‑Unis durant plusieurs mois sans connaître aucun incident pouvant susciter une crainte de racisme, contrairement à la mise en garde de son proche parent à propos du taux de succès des demandeurs d’asile colombiens. La Commission a estimé que, si Mme Bedoya s’était sentie véritablement menacée, elle aurait sollicité l’asile à la première occasion.

·        Aucune preuve n’a été produite au soutien de la demande d’asile du fils de Mme Bedoya, qui est un citoyen américain ayant le droit de vivre en dehors de la Colombie.

 

POINTS LITIGIEUX

[10]           Cette demande de contrôle judiciaire soulève essentiellement deux questions :

1.      La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demandes d’asile, les preuves et les témoignages des demandeurs n’étaient pas crédibles?

2.      Les demandeurs ont‑ils été privés de la justice naturelle et de l’équité procédurale en raison de l’incompétence de l’avocat qui les a représentés devant la Commission?

 

ANALYSE

[11]           Il n’y a aucun désaccord ici sur la norme de contrôle à appliquer. Les conclusions de fait et les conclusions concernant la crédibilité sont revues d’après la norme de contrôle commandant la plus grande retenue, celle de la décision manifestement déraisonnable, et la Cour n’interviendra donc que si ces conclusions ont été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont la Commission disposait : Aguebor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.). Comme la Cour et la Cour d’appel fédérale l’ont maintes fois répété, « […] la Commission peut à bon droit conclure que le demandeur n’est pas crédible à cause d’invraisemblances contenues dans la preuve qu’il a présentée, dans la mesure où les inférences qui sont faites ne sont pas déraisonnables et que les motifs sont formulés “en termes clairs et explicites” » : Rajwant Kaur Lubana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116, au paragraphe 9.

 

[12]           Quant à la prétendue incompétence de l’avocat qui représentait les demandeurs devant la Commission, la jurisprudence regorge de mentions du fait qu’il est inhabituel et plutôt rare que l’incompétence d’un avocat soit telle qu’il en résulte une atteinte à la justice naturelle. Lorsqu’une telle atteinte est établie, toutefois, une analyse pragmatique et fonctionnelle ne sera pas requise pour déterminer la norme de contrôle applicable, étant donné que, lorsqu’il s’agit d’équité procédurale, il n’est pas nécessaire d’établir un degré de déférence : Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404.

 

[13]           S’agissant d’abord des conclusions de la Commission concernant la crédibilité des demandeurs, j’hésiterais énormément en principe à intervenir, étant donné qu’elles paraissent convaincantes et semblent s’appuyer sur la preuve. Il ne fait pas de doute que le récit de Mme Bedoya contenait des contradictions et des invraisemblances. La transcription de l’audience et le dossier du tribunal révèlent qu’elle a vécu avec ses enfants durant plus de deux ans sans éprouver aucune crainte et qu’elle se rendait librement, et souvent, aux États‑Unis pour des raisons non liées à un quelconque sentiment d’être menacée. Le fait qu’elle n’a pas sollicité l’asile aux États‑Unis était lui aussi pertinent dans l’évaluation de sa crainte subjective. Bref, je crois que les déductions et conclusions de fait tirées par la Commission trouvaient appui dans la preuve qu’elle avait devant elle et qu’elles n’étaient ni abusives ni arbitraires.

 

[14]           Je suis néanmoins d’avis que la Commission a commis une erreur parce qu’elle a laissé de côté d’importants éléments de preuve corroborante. Lorsqu’on examine le dossier et le témoignage d’un demandeur d’asile pour évaluer sa crédibilité, il n’est pas suffisant de se concentrer uniquement sur certains aspects. Les cours de justice doivent sans aucun doute se retenir de lire les motifs d’un tribunal administratif d’une manière indûment soupçonneuse, mais ils doivent à tout le moins s’assurer que tous les éléments de preuve pertinents ont été bien pris en compte. Lorsque des aspects essentiels du dossier d’un demandeur d’asile sont, sans explication, laissés de côté, et surtout s’ils tendent à contredire les conclusions du tribunal administratif, alors l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales doit trouver application. Ainsi que l’écrivait le juge John Evans dans la décision Cepeda‑Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. n° 1425, au paragraphe 17 :

[…] plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l’obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l’organisme a examiné l’ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n’a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion.

 

 

[15]           En l’espèce, la décision de la Commission ne fait pas mention de l’affidavit établi sous serment par la nièce de Mme Bedoya, qui confirmait non seulement que deux hommes armés avaient fait irruption dans le salon de beauté et avaient menacé sa tante, mais également qu’un tract avait été glissé sous la porte de sa maison avisant les membres de la famille qu’ils devaient fuir s’ils tenaient à la vie. Pareillement, la Commission ne mentionne pas l’affidavit de l’amie de Mme Bedoya, dans lequel elle affirmait qu’elle s’était rendue à Miami avec le fils mineur de Mme Bedoya, entièrement aux frais de celle‑ci. Avait aussi été déposé comme preuve un article de journal montrant une photo de M. Cortes, ainsi que d’autres, avec, au‑dessous, la mention qu’il avait disparu le 27 février 2001; or, la Commission n’a pas même jugé utile de faire état de cette pièce.

 

[16]           Il ne s’agissait pas ici d’éléments de preuve qui étaient d’une importance secondaire ou qui étayaient simplement la conclusion de la Commission. Bien au contraire, ils étaient d’une importance capitale pour les demandes d’asile des demandeurs et ajoutaient du poids à leur récit. Si la Commission était d’avis que ces éléments de preuve n’étaient pas dignes de foi, pour une raison ou pour une autre, ou qu’ils ne rachetaient pas ce qu’elle considérait comme des déficiences portant un coup fatal aux allégations de Mme Bedoya, alors elle avait l’obligation de dire pourquoi et d’exposer ses motifs. Vu les conséquences de la décision de la Commission sur la vie des demandeurs d’asile, on ne devrait jamais en être réduit à conjecturer les raisons pour lesquelles un élément de preuve à première vue corroborant et digne de foi a été exclu. Pour ce motif, je suis donc disposé à admettre l’argument de Mme Bedoya selon lequel la conclusion de la Commission concernant sa crédibilité était manifestement déraisonnable.

 

[17]           En revanche, je dois rejeter l’argument de Mme Bedoya selon lequel la prétendue  incompétence de son premier avocat a eu pour résultat qu’elle a été privée de la justice naturelle. Une inconduite professionnelle pourrait être alléguée, puisque le dossier contient une lettre soumettant l’affaire au Barreau du Québec. L’avocate du ministre a d’ailleurs reconnu que le premier avocat de Mme Bedoya avait mal agi à certains égards. Toutefois, je n’ai pas été persuadé que les fautes en question ont entraîné un manquement à la justice naturelle.

 

[18]           La Cour a établi clairement qu’une partie ne devrait pas pouvoir invoquer l’incompétence de son avocat si ce dernier n’a pas eu l’occasion de justifier sa conduite ou s’il n’est pas démontré que l’affaire a été soumise pour enquête à l’organe dirigeant : voir par exemple les décisions suivantes : Nunez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 555 (C.F. 1re inst.); Sathasivam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 438; Kizil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 137; Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1274. Comme je l’ai dit, ce critère a été observé dans la présente affaire.

 

[19]           La norme d’après laquelle la Cour peut conclure que l’incompétence d’un avocat a été flagrante au point de constituer un manquement à la justice naturelle est très élevée, comme on peut le voir dans l’extrait suivant de la décision Shirwa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 23 Imm. L.R.(2d) 123 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 11 et 12 :

Lorsque le requérant n’a commis aucune faute, mais le manque de diligence de son avocat a pour effet de le priver totalement de son droit d’être entendu, il y a manquement à un principe de justice naturelle […]

 

Dans les autres cas où une audience a lieu, la décision rendue ne peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire que dans des « circonstances extraordinaires », lorsqu’il y a suffisamment d’éléments de preuve pour établir « l’étendue du problème » et que le contrôle judiciaire a « pour fondement des faits très précis ». Ces restrictions sont essentielles, selon moi, afin de tenir compte des préoccupations exprimées par les juges MacGuigan et Rothstein, selon lesquelles l’insatisfaction d’ordre général ressentie à l’égard de la qualité de la représentation assurée par l’avocat dont le demandeur a, de son propre chef, retenu les services, ne saurait justifier le contrôle judiciaire d’une décision défavorable. Toutefois, lorsque l’incompétence ou la négligence du représentant ressort de la preuve de façon suffisamment claire et précise, elle est en soi préjudiciable au demandeur et elle justifie l’annulation de la décision, même si le tribunal n’a pas agi de mauvaise foi ni omis de faire quoi que ce soit.

 

 

[20]           Les demandeurs doivent aussi montrer qu’il existe une probabilité raisonnable que, sans cette prétendue incompétence, l’issue de l’audience initiale aurait été autre : Shirvan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1509; Jeffrey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605; Olia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 315.

 

[21]           Les demandeurs disent que leur ancien avocat ne les a pas aidés à remplir leur FRP comme il l’aurait dû. Cependant, ils ne disent pas en quoi, à cause de ce manque d’aide, des preuves essentielles ont été omises du FRP. L’unique exemple est celui d’après lequel Mme Bedoya n’avait pas écrit dans son FRP que ses enfants en Colombie « se tenaient cachés ». Or, si la Commission ne l’a pas crue, ce n’était pas parce qu’elle n’avait pas expliqué que ses enfants « se tenaient cachés ». C’est plutôt que la Commission n’a pas jugé satisfaisante son explication du lieu où se trouvaient ses enfants. Quant au fait que le FRP de Mme Bedoya avait été rédigé en « mauvais anglais » parce qu’elle n’avait pas eu l’aide d’un interprète espagnol, cela n’est pas en soi un argument suffisant, si l’on n’a pas la preuve que c’est la mauvaise qualité de son anglais qui l’a empêchée d’écrire fidèlement son récit. J’observe au passage que Mme Bedoya avait obtenu une prorogation du délai imparti pour le dépôt de son FRP, et cela à la requête de son ancien avocat, afin qu’elle puisse obtenir l’aide d’un interprète. Je relève aussi qu’elle a bénéficié de la présence d’un interprète lors de l’audience de la Commission.

 

[22]           On a aussi fait valoir que des preuves auraient pu être produites au soutien des allégations de  traitement discriminatoire contre les demandeurs d’asile aux États‑Unis. Encore une fois, je ne trouve pas cet argument convaincant. Même s’il est vrai que l’Entente sur les tiers pays sûrs conclue entre le Canada et les États‑Unis n’a pris effet que quelques mois après l’arrivée des demandeurs au Canada, il n’en demeure pas moins que les États‑Unis ont ratifié la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés et il n’y a aucune raison de croire qu’ils ne respectent pas leurs obligations. Le taux des demandes d’asile admises est peut‑être plus faible aux États‑Unis qu’au Canada, mais cela ne dispensait pas les demandeurs de solliciter l’asile aux États‑Unis. La Commission pouvait certainement prendre ce facteur en considération lorsqu’elle a évalué la crainte subjective de Mme Bedoya : Breucop c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 117; Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 2001 (C.F. 1re inst.).

 

[23]           Le dernier élément censément absent du FRP des demandeurs était l’évaluation psychiatrique de Mme Bedoya. L’évaluation, faite plus d’un an avant la tenue de l’audience devant la Commission, contient des éléments de preuve qui pourraient tout aussi bien aider ou ne pas aider Mme Bedoya. En tout état de cause, les éléments en question n’auraient pas été déterminants pour l’issue de sa demande d’asile. Eu égard à l’ensemble des circonstances de la présente affaire, leur absence du dossier n’atteint pas le niveau d’un manquement à la justice naturelle. L’ancien avocat des demandeurs a d’ailleurs sans doute pris la sage décision stratégique de ne pas inclure l’évaluation dans le dossier, eu égard à son contenu. Je relève également que Mme Bedoya a pu, au cours de l’audience tenue devant la Commission, témoigner à propos de l’évaluation psychiatrique et qu’elle a eu l’occasion de déposer le document après l’audience. Elle a décliné cette offre, priant plutôt la Commission de rendre sa décision aussi rapidement que possible.

 

[24]           Tout bien considéré, je suis d’avis que les allégations d’incompétence sont très semblables à celles qu’avait examinées le juge Marshall Rothstein dans la décision Huynh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 65 F.T.R. 11 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, l’avocat avait prétendument négligé de donner l’intégralité de la version des faits du demandeur, n’avait pas passé en revue le FRP avec le demandeur avant l’audience mais avait rempli le formulaire durant l’audience, n’avait pas soumis tous les renseignements disponibles sur la situation ayant cours dans le pays, n’avait soulevé aucune objection au sujet d’une interprétation douteuse, connaissait mal la procédure d’examen des demandes d’asile et n’avait pas informé le demandeur de la possibilité d’un contrôle judiciaire. Malgré toutes ces lacunes, le juge Rothstein avait refusé d’infirmer la décision de la Commission car il ne s’agissait pas de l’un de ces cas extraordinaires où les fautes commises par un avocat constituaient un manquement à la justice naturelle. En conséquence, je rejetterais les arguments invoqués par les demandeurs sur ce second moyen de leur demande de contrôle judiciaire.

 

CONCLUSION

[25]           Compte tenu de ce qui précède, la demande sera accueillie, la décision de la Commission sera annulée et l’affaire sera renvoyée à une autre formation de la Commission pour une nouvelle décision.

 

[26]           L’avocat des demandeurs a proposé deux questions à certifier, qui peuvent être formulées ainsi :

1.      La Cour doit‑elle exiger qu’un avocat dont la prétendue incompétence fut si grave qu’elle constitue un manquement à la justice naturelle soit ajouté comme mis en cause dans une procédure de contrôle judiciaire en matière d’immigration?

2.      Si une plainte pour incompétence a été déposée contre un tel avocat auprès du barreau dont il est membre, une décision faisant droit à la plainte doit‑elle être ajoutée au dossier avant que la Cour puisse conclure qu’il y a eu incompétence constituant un manquement à la justice naturelle?

 

[27]           Je me range à l’avis du défendeur, pour qui ces questions ne devraient pas être certifiées. D’abord, elles ne seraient pas déterminantes dans l’appel, puisque la décision contestée ne procède pas d’un manquement à la justice naturelle qui aurait résulté de la prétendue incompétence du premier avocat. Deuxièmement, je crois que le droit est bien établi quant aux conditions qui doivent être remplies avant que la Cour ne considère les défaillances d’un avocat et ne les juge finalement d’une importance telle qu’elles justifient l’annulation d’une décision de la Commission.


 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission est annulée et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour une nouvelle décision.

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑4646‑06

 

INTITULÉ :                                       Dreny Amparo Gomez Bedoya et Joshua Marante 

c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE:                LE 7 MAI 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE 

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 10 MAI 2007

 

COMPARUTIONS :

 

Stephen Goldman

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Alysia Davies

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Dan M. Bohbot

15, boulevard Fournier, bureau 202

Gatineau (Québec)  J8X 3P1

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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