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Date : 20070423

Dossier : T-1701-04

Référence : 2007 CF 428

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE HARRINGTON

 

ENTRE :

DAVID BIRKETT

 

demandeur

et

 

 

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

défenderesse

 

et

 

 

SUE GOODWIN

 

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Elle a dit s’être éveillée à 3:00 h. Il était dans son lit, nu et la caressant de façon inappropriée.

 

[2]               Il a dit que cela n’avait jamais eu lieu de cette manière. Apparemment, ils regardaient la télévison. Elle lui a demandé de lui frictionner le dos et s’est endormie. Il est parti. Pendant tout ce temps, il était entièrement vêtu.

[3]               Personne ne sait ce qui s’est réellement passé dans cette chambre d’hôtel ce soir-là. Il n’y avait aucun témoin.

 

[4]               Le Tribunal canadien des droits de la personne a tranché en faveur de Mme Goodwin. Il a conclu que M. Birkett a agi de façon discriminatoire à son endroit en la harcelant sexuellement, contrevenant ainsi à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Monsieur Birkett a été condamné à un montant de 2 500 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral et un autre montant de

2 500 $ à titre d’indemnité spéciale, avec les intérêts. Il s’agit du contrôle judiciaire de cette décision.

 

LES FAITS

[5]               Sue Goodwin et David Birkett travaillaient à Toronto, comme chauffeurs d’autobus pour la Penetang Midland Coach Lines. Ils avaient effectué plusieurs voyages d’une journée ensemble et entretenaient de bonnes relations jusqu’à cette journée fatidique.

 

[6]               Au mois d’août 1999, ils ont été envoyés à la Base des Forces canadiennes à Petawawa pour un voyage qui devait durer environ une semaine. Ils conduisaient chacun un autobus et devaient faire la navette pour les membres du personnel des Forces entre la base et les différents lieux  d’exercices. Ils ne travaillaient pas côte à côte mais lorsqu’ils le pouvaient, ils partageaient leurs repas. Ils demeuraient dans un hôtel de la région, dans des chambres séparées qui se faisaient face. Un soir, Mme Goodwin est revenue seule à l’hôtel. Elle a changé de vêtements pour enfiler un sweat-shirt et un short et est demeurée dans sa chambre. Environ une heure plus tard, M. Birkett lui a téléphoné pour savoir si elle voulait faire quelque chose. Ils ont décidé de regarder la télévision ensemble dans la chambre de Mme Goodwin. Elle dit s’être réveillée au moment où il la caressait,  lui a dit d’arrêter et de sortir. Il s’est moqué d’elle mais s’est rhabillé et a quitté la chambre. Mme  Goodwin a téléphoné à une amie qui lui a conseillé d’appeler la police mais elle a répondu qu’elle attendrait de parler au répartiteur de l’entreprise. Elle s’est entretenue avec cette personne le matin suivant. Il lui a offert d’envoyer un autre chauffeur mais elle a répondu qu’elle pouvait gérer cette affaire puisque le voyage devait bientôt se terminer. Elle a rapporté que plus tard dans la matinée, M. Birkett l’a approchée et lui a demandé si elle était [traduction] « le type de fille qui déposerait une plainte ». Elle lui a dit de se tenir loin d’elle.

 

[7]               Le premier jour de son retour au travail à Toronto, elle a parlé à son patron, qui lui a demandé de rédiger une plainte écrite. Il a convoqué une réunion avec le directeur de succursale au cours de laquelle Mme Goodwin et M. Birkett ont chacun raconté leur version des faits. L’entreprise a changé leurs affectations afin qu’ils ne travaillent plus ensemble. Cependant, à l’occasion, elle le croisait involontairement. À un certain moment, elle a dit que M. Birkett a stationné son autobus de façon à ce qu’elle ne puisse pas sortir sa voiture de son espace de stationnement. Il a répondu qu’il y avait beaucoup d’espace. Elle lui a demandé de reculer son autobus mais il a refusé. Elle a simplement fait preuve de combativité.

 

[8]               Mme Goodwin soutient que M. Birkett avait médit d’elle en déclarant aux autres qu’elle était raciste. Il est noir, elle est blanche. Elle a demandé à l’entreprise de le congédier. Rien n’a été fait et elle a finalement démissionné, en partie parce qu’elle avait été agressée sexuellement par un autre employé et que rien n’avait été fait à ce sujet.

 

L’AUDIENCE

[9]               Après enquête, la Commission canadienne des droits de la personne a renvoyé l’affaire au Tribunal canadien des droits de la personne. Il est important de mentionner qu’au début de l’audience, le seul document en la possession du Tribunal était la plainte déposée auprès de la Commission par Mme Goodwin. Il n’avait pas le dossier de la Commission. Bien que la Commission ait qualité pour agir aux audiences du Tribunal et qu’elle y participe généralement contrairement au plaignant, la Commission a choisi en l’espèce de ne pas participer sauf pour une question à l’égard de laquelle elle a produit un plaidoyer écrit ― à savoir si l’ex-mari de Mme Goodwin devait être cité comme témoin. Madame Goodwin, en revanche, a participé à l’audience.

 

[10]           Lors de l’audience, ni M. Birkett ni Mme Goodwin n’étaient représentés par avocat. Conséquemment, les membres du Tribunal ont joué un rôle plus actif que d’habitude.

 

[11]           En plus d’expliquer la procédure, le Tribunal a traité des redressements possibles, a refusé de laisser M. Birkett citer l’ex-mari de Mme Goodwin comme témoin au motif qu’elle a admis ce qu’il pourrait déclarer et a également refusé à M. Birkett le droit de produire un enregistrement provenant d’un témoin potentiel introuvable.

 

LES OBSERVATIONS DE M. BIRKETT

[12]           Monsieur Birkett, maintenant représenté par avocat, a présenté plusieurs observations. Trois d’entre elles traitent de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Les autres concernent l’audience.

 

[13]           Il soutient que même si l’on devait croire Mme Goodwin, celle-ci ne relate qu’un seul incident d’attouchement, sans mode de comportement comportant de la persistance ou de la répétition. Rien dans la preuve ne permettait de conclure juridiquement au harcèlement sexuel relié à l’emploi. Rien n’établissait que ce seul incident ait pu créer un environnement de travail hostile. De plus, bien que son mémoire n’y fasse pas expressément référence, M. Birkett soutient que l’incident n’est pas survenu sur les lieux de travail et qu’il n’existait aucun rapport maître-employé étant donné qu’ils étaient des collègues sur un pied d’égalité. Comme il avait fait l’objet d’une enquête disciplinaire de la part de ses employeurs qui pouvaient mettre un terme à son emploi, la décision du Tribunal l’a placé en situation de double péril.

 

[14]           En ce qui concerne l’audience elle-même, le président :

a) a outrepassé sa compétence en jouant le rôle de l’avocat de Mme  Goodwin et plus particulièrement en insistant pour qu’elle présente une réclamation pécuniaire contre son gré;

 

b) a entrepris une enquête sur la question de l’indemnité pécuniaire avant de conclure qu’il y avait eu violation de la Loi canadienne des droits de la personne;

 

c) n’a pas informé M. Birkett des conséquences d’une décision défavorable et de son droit d’être représenté par avocat;

 

d) a commis une erreur en lui refusant la possibilité de produire un enregistrement et de citer l’ex-mari de Mme Goodwin comme témoin;

 

e) a, sans motif valable, omis de prendre en compte un témoignage fiable et indépendant;

 

f) a interrompu et intimidé M. Birkett lors de ses observations finales et l’a empêché de faire sa preuve, particulièrement en ce qui a trait à la sanction pécuniaire;

 

g) a fait preuve d’agressivité donnant lieu à une crainte raisonnable de partialité.

 

ANALYSE

[15]           Comme toujours, la question primordiale est celle du degré de retenue que la Cour doit observer envers le Tribunal. Comme l’a indiqué le juge Gibson dans International Longshore & Warehouse Union (Section maritime), section locale 400 c. Oster (1reinst.), 2001 CFPI 1115, [2002] 2 C.F. 430, ainsi que dans les décisions qui y sont citées, le Tribunal canadien des droits de la personne a l’expertise supérieure en ce a trait à l'appréciation des faits et aux décisions dans un contexte de droits de la personne. Il a conclu que la norme de contrôle est celle de la décision correcte en ce qui a trait aux questions de droit, celle de la décision raisonnable simpliciter dans le cas des questions mixtes de droit et de fait, et celle de la décision manifestement déraisonnable en ce qui concerne l'appréciation des faits. Rien dans les arrêts ultérieurs de la Cour suprême Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226, et Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, ne remet en question l’arrêt Oster s’agissant de l’approche pratique et fonctionnelle en matière de contrôle judiciaire dans ce contexte.

 

[16]           Cependant, la justice naturelle et l’équité procédurale constituent une toute autre question. La Cour n’a aucun devoir de réserve envers le tribunal (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, et Canada (Procureur général) c. Sketchley, 2005 CAF 404).

 

AUDIENCE ÉQUITABLE ET PARTIALITÉ

[17]           En l’espèce, l’allégation de partialité découle de la façon dont l’audience s’est déroulée. Monsieur Birkett s’appuie sur l’extrait bien connu des motifs du juge De Grandpré dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369. À la page 394, il a dit :

la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d'une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. Selon les termes de la Cour d'appel, ce critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique...

 

[18]           Heureusement, la transcription couvre entièrement les deux jours d’audience. Si nous devions, comme l’a fait M. Birkett, prendre en compte des parties d’audience isolément, l’on pourrait craindre que le président ait manqué d’objectivité. Cependant, la transcription, examinée dans son ensemble, démontre amplement que le président s’est montré rigoureusement équitable et coopératif à l’égard des deux parties.

 

[19]            Au début de l’audience, le président a fait savoir qu’il aurait à jouer un rôle plus actif que d’habitude parce qu’aucune des deux parties n’était représentée par avocat et que la Commission avait décidé de ne pas participer. Il a expliqué la façon de poser les questions lors d’un interrogatoire principal et le droit de poser des questions suggestives lors du contre‑interrogatoire. À un certain moment, lors de son témoignage en interrogatoire principal, Mme  Goodwin a regardé un ami qui l’accompagnait. Le président lui a indiqué qu’elle ne pouvait pas être conseillée lors de son témoignage. On lui a aussi reproché de ne pas avoir suffisamment de copies des documents qu’elle présentait.

 

[20]           Quand aux points précis soulevés par M. Birkett, la questions des dommages a été abordée à la fin de la preuve de Mme Goodwin et à nouveau lors de la plaidoirie. Madame Goodwin a déclaré qu’elle voulait que le Tribunal conclue qu’elle avait été victime de harcèlement sexuel et oblige M. Birkett à lui présenter des excuses. Le président a fait remarquer que même si les allégations s’avéraient fondées, il ne pouvait contraindre M. Birkett à présenter des excuses. Il a demandé si elle abandonnait sa réclamation pécuniaire puisque dans sa plainte intiale à la Commission, elle avait demandé des dommages-intérêts. Il a déclaré que selon son expérience, les plaignants demandaient généralement l’indemnité maximale prévue par la Loi, soit 20 000 $, et 20 000 $ pour le préjudice moral subi plus une indemnité pour perte de salaire le cas échéant.

 

[21]           Après quelques tergiversations et une suspension de l’audience lors de laquelle Mme Goodwin a eu la possibilité de discuter de l’affaire avec son ami, elle est revenue et a réclamé une indemnité pour perte de salaire. Le président a dit qu’il n’existait absolument aucun fondement sur lequel il pourrait accorder une indemnité pour perte de salaire car la preuve présentée était insuffisante. Elle a également demandé 5 000 $, soulignant qu’elle connaissait le salaire des chauffeurs d’autobus et qu’elle ne voulait pas acculer M. Birkett à la faillite. Elle a également dit qu’elle allait remettre cet argent à une oeuvre de bienfaisance.

 

[22]           Lors de sa plaidoirie à la fin de l’audience M. Birkett a laissé entendre que Mme Goodwin n’était intéressée que par l’argent. Le président a indiqué que ce qu’elle demandait était loin d’être l’indemnité maximale et que l’on avait déjà accordé beaucoup plus qu’une indemnité totale de

5 000 $. Monsieur Birkett a eu la possibilité de faire valoir que l’indemnité de 5 000 $ était trop élevée, mais il ne l’a pas fait. De fait, même lors du contrôle judiciaire, il n’a pas été plaidé que l’indemnité de 5 000 $ était abusive. On a plutôt fait valoir, comme il a été soumis au Tribunal, que rien ne permettait de conclure que M. Birkett avait fait preuve de discrimination envers elle en violation de la loi.

 

[23]           À ce sujet, le Tribunal n’avait aucune obligation de tirer d’abord une conclusion sur la responsabilité et d’examiner ensuite l’indemnisation. Il a indiqué au tout début de l’audience que la norme de preuve applicable était la norme civile de la prépondérance des probabilités et non celle de la preuve hors de tout doute raisonnable applicable en matière criminelle. L’équité procédurale n’exigeait pas la disjonction des questions. Quoiqu’il puisse paraître banal de le dire, les tribunaux administratifs sont maîtres de leur propre procédure dans la mesure où les principes de justice naturelle sont respectés. Il n’était pas nécessaire de tirer d’abord une conclusion sur la responsabilité avant d’examiner la question du redressement. Bien que la sentence en matière criminelle intervienne dans un second temps, il s’agissait en l’espèce d’une affaire civile, où la responsabité et les redressements possibles sont généralement examinés en même temps.

 

[24]           Quant au témoignage éventuel de l’ex-mari de Mme Goodwin, qu’elle a rencontré seulement après cet incident, la Commission s’était opposée par écrit à sa présentation au motif qu’il serait à la fois intimidant et non pertinent et apparemment, Mme Goodwin avait obtenu une ordonnance de non-communication contre lui, ce qui causait un problème. Plutôt que de décider immédiatement, le président a dit qu’il était préférable d’attendre le témoignage de Mme Goodwin. Monsieur Birkett voulait le citer comme témoin afin de démontrer que Mme Goodwin n’avait eu aucune difficulté à le dénoncer à la police et à le traîner devant les tribunaux. Pour être conséquent, on aurait pu penser qu’elle aurait appelé la police à la suite de l’incident dans la chambre d’hôtel, s’il avait réellement eu lieu. Le président a statué que Mme Goodwin n’avait pas mis sa moralité en cause et qu’elle avait admis tout ce que son ex-mari aurait pu dire sur les éléments pertinents. Il a dit à M. Birkett : [traduction] « tout ce que vous voulez qu’il relate sur les questions précises en l’espèce ont été admises par la plaignante. Êtes-vous d’accord avec cela? » Monsieur Birkett a répondu : [traduction] « Ça va. ». Cet incident ne donne pas ouverture au contrôle judiciaire.

 

[25]           Concernant l’enregistrement d’un superviseur de l’entreprise, M. Birkett et Mme Goodwin  ont tous deux manifesté leur intention de le citer comme témoin mais celui-ci n’a pu être retrouvé puisque l’entreprise avait cessé ses activités. L’enregistrement n’a pas été admis en preuve au motif que Mme Goodwin n’aurait pas pu procéder au contre-interrogatoire. Cette décision était parfaitement raisonnable. De plus, selon M. Birkett, il n’avait pas bloqué la voiture de Mme Goodwin dans le stationnement et la seule demande qu’on lui a formulée était de déplacer la voiture afin de ne pas troubler l’ordre public. Cette remarque est un peu hors sujet. Il était tout à fait loisible au Tribunal d’exclure la preuve de l’enregistrement et le témoignage de l’ex-mari de Mme Goodwin.

 

[26]           Qu’on soit en présence d’un contrôle judiciaire ou d’un appel, les cours de justice sont réticentes à intervenir dans les conclusions de fait. Comme l’a dit le vicomte Sankey dans Powell and Wife c. Streatham Manor Nursing Home, [1935] A.C. 243 (H.L.(E)):

[traduction] Le juge des faits n’est pas infaillible et, comme d’autres tribunaux, il peut y avoir des situations où il commet des erreurs sur une question de fait; mais par dessus-tout, il a le grand avantage que la Cour d’appel n’a pas, celui de voir les témoins et d’observer leur comportement.      

 

[27]           Dans l’arrêt Ryan, précité, le juge Iacobucci a déclaré au paragraphe 52 :

...dès qu’un défaut manifestement déraisonnable a été relevé, il peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée. La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » (Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 1993 CanLII 125 (C.S.C.), [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963-964, le juge Cory; Centre communautaire juridique de l’Estrie c. Sherbrooke (Ville), 1996 CanLII 168 (C.S.C.), [1996] 3 R.C.S. 84, par. 9-12, le juge Gonthier). Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir.

 

[28]           La décision du Tribunal n’est pas manifestement déraisonnable. J’ajouterais que la décision n’était pas déraisonnable si c’était là la norme de contrôle applicable. Dans l’arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56, le juge Iacobucci définit la norme de la décision raisonnable simpliciter de la manière suivante :

Est déraisonnable la décision qui, dans l’ensemble, n’est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s’il existe quelque motif étayant cette conclusion.

 

Voir aussi Ryan, précité, aux paragraphes 48 et suivants.

 

[29]           Certes, il aurait peut-être été également raisonnable de trancher en faveur de M. Birkett. Cependant, l’autodiscipline requiert que la cour n’intervienne pas (Ryan, précité, au paragraphe 46).

 

[30]           Quant au témoin dont la preuve n’a pas été mentionnée, il s’agissait d’une collègue de travail de Mme Goodwin cotoyée dans le cadre de son emploi subséquent. Selon son témoignage, Mme Goodwin était portée à exagérer et n’était pas digne de foi. Toutefois, elle a admis que Mme Goodwin ne lui avait jamais spécifiquement parlé de l’incident de la chambre d’hôtel.

 

[31]           Les motifs d’une décision ne sont pas un résumé de l’audience. Il n’était pas nécessaire de faire allusion à son témoignage non pertinent. Je m’appuie sur l’extrait suivant de la décision du juge en chef Richard dans Wagg c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 303, au paragraphe 36 :

La tâche de composer avec des plaideurs non représentés retombe tout particulièrement sur les juridictions de première instance. Les cours d’appel devraient se garder de rendre cette tâche encore plus difficile en censurant indûment leurs tentatives d’aider les plaideurs et de faire avancer la procédure. La responsabilité primordiale du juge de première instance est de veiller à ce que le procès soit équitable. Si, après avoir pris en compte l’ensemble des circonstances, la juridiction de contrôle est persuadée que le procès a été équitable, elle doit s’abstenir d’intervenir du seul fait que le juge du procès a pu faire, ici ou là, une entorse aux normes de la perfection. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’une affaire est résolue par consentement. Hormis une preuve impérieuse tendant à montrer que le présumé consentement était tout sauf un consentement, la juridiction de contrôle devrait hésiter à annuler une entente librement consentie.

 

[32]           Il était évident que M. Birkett n’était pas représenté. Il n’était pas nécessaire que le président lui réitère son droit à un avocat. Le dossier démontre que les documents envoyés à M.  Birkett avant l’audience l’informaient clairement de ses droits. Il ne s’agit pas d’une affaire où le droit à l’avocat a été refusé.

 

[33]           Je suis convaincu que M. Birkett a bénéficié d’une audience juste et équitable et que rien ne permet de croire que le président a fait preuve de partialité.

 

[34]           Absolument rien dans la preuve, contrairement à ce qu’on a laissé entendre, ne révèle que le président a conseillé Mme Goodwin en l’absence de M. Birkett. L’affidavit du greffier à l’audience établit ce fait.

 

[35]           La question se résume donc à la crédibilité. Le président a souligné que Mme Goodwin a clairement déclaré qu’il y avait deux lits dans la chambre et qu’elle avait enlevé sa valise et ses vêtements sur l’un d’eux afin que M. Birkett puisse s’asseoir. Les souvenirs de M. Birkett étaient vagues. Il a d’abord dit qu’il n’y avait qu’un seul lit pour ensuite avouer qu’il pouvait faire erreur. Les conclusions de fait ne peuvent être modifiées à moins qu’elles ne soient manifestement déraisonnables.

 

[36]           Comme l’a dit le juge Evans dans Cepeda-Gutierrez et al. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, au paragraphe 14 :

Il est bien établi que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale n'autorise pas la Cour à substituer son opinion sur les faits de l'espèce à celle de la Commission, qui a l'avantage non seulement de voir et d'entendre les témoins, mais qui profite également des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d'expertise. En outre, sur un plan plus général, les considérations sur l'allocation efficace des ressources aux organes de décisions entre les organismes administratifs et les cours de justice indiquent fortement que le rôle d'enquête que doit jouer la Cour dans une demande de contrôle judiciaire doit être simplement résiduel. Ainsi, pour justifier l'intervention de la Cour en vertu de l'alinéa 18.1(4)d), le demandeur doit convaincre celle-ci, non seulement que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, mais aussi qu'elle en est venue à cette conclusion « sans tenir compte des éléments dont » [elle disposait]...

 

 

 

 

 

 

HARCÈMENT EN MILIEU DE TRAVAIL

[37]           En ce qui concerne le droit, l’alinéa 14(1)c) de la Loi canadienne sur les droits de personne prévoit :

14. (1) Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait de harceler un individu :

[…]

 

c) en matière d’emploi.

14. (1) It is a discriminatory practice,

 

 

 

[…]

 

(c) in matters related to employment,

 

to harass an individual on a prohibited ground of discrimination.

 

[38]           Le paragraphe 14(2) prévoit expressément que le harcèlement sexuel constitue un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

 

[39]           Soulignons que la discrimination vise les affaires « en matière d’emploi » et non en milieu de travail.

 

[40]           L’arrêt de principe à ce sujet est Janzen c. Platy Enterprises Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1252, où le juge en chef Dickson a déclaré à la page 1284 :

Sans chercher à fournir une définition exhaustive de cette expression, j'estime que le harcèlement sexuel en milieu de travail peut se définir de façon générale comme étant une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes du harcèlement. C'est un abus de pouvoir, comme l'a souligné l'arbitre Shime dans la décision Bell v. Ladas, précitée, et comme cela a été largement reconnu par d'autres arbitres et commentateurs. Le harcèlement sexuel en milieu de travail est un abus de pouvoir tant économique que sexuel. Le harcèlement sexuel est une pratique dégradante, qui inflige un grave affront à la dignité des employés forcés de le subir. En imposant à un employé de faire face à des gestes sexuels importuns ou à des demandes sexuelles explicites, le harcèlement sexuel sur le lieu de travail est une atteinte à la dignité de la victime et à son respect de soi, à la fois comme employé et comme être humain.

 

[41]           Dans Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Forces armées canadiennes) (Re Franke), [1999] A.C.F. no 757 (1re inst.) (QL), la juge Tremblay-Lamer a examiné en détail l’arrêt Janzen, précité, et a explicité le critère qui y est dégagé relativement au harcèlement sexuel en milieu de travail. Le Tribunal s’est appuyé sur les conclusions de la juge Tremblay-Lamer dans Woiden c. Lynn, [2002] D.C.D.P. no 18 (QL), énonçant ainsi le critère au paragraphe 103 :

(i)                  Les actes qui font l'objet de la plainte doivent avoir été non sollicités. Le Tribunal doit par conséquent examiner la réaction d'une plaignante au moment de l'incident et évaluer si elle a expressément ou par son comportement montré que la conduite était non sollicitée. La Cour reconnaît qu'un « refus » verbal n'est pas exigé dans tous les cas, et l'omission à maintes reprises de répondre aux commentaires suggestifs signale à l'auteur du harcèlement que sa conduite était importune. La crainte de perdre son emploi, par exemple, peut inciter une employée à supporter un comportement importun. La norme appropriée qui doit servir à évaluer la conduite d'une plaignante est celle d'une personne raisonnable.

(ii)                Le comportement doit être de nature sexuelle. Cela comprend une vaste gamme de comportements. Les demandes de faveurs sexuelles et les propositions appartiennent à la catégorie des actes de nature sexuelle qui constituent une forme de harcèlement sexuel psychologique. Le harcèlement sexuel verbal comprend les insultes associées au sexe, les remarques sexistes, les commentaires au sujet de l'apparence d'une personne, de son habillement ou de ses habitudes sexuelles. Les formes de harcèlement sexuel physique comprennent le fait de pincer, d'empoigner, d'enlacer, d'embrasser et de jeter des regards concupiscents. Il a été décidé que les questions persistantes au sujet de la vie sexuelle personnelle d'une employée constitue du harcèlement sexuel. Le Tribunal devrait déterminer ce qui est de « nature sexuelle » en se demandant ce que ferait une personne raisonnable dans les circonstances de l'espèce, en conservant à l'esprit les normes sociales de l'époque.

 

(iii)               Habituellement, le harcèlement nécessite un élément de persistance ou de répétition, mais dans certaines circonstances, un seul incident peut être suffisamment grave pour créer un environnement hostile. La norme objective de la personne raisonnable sert à évaluer ce facteur également.

 

[42]           Selon moi, l’application des conclusions de fait du Tribunal au droit constituait une question mixte. Le Tribunal avait droit à ce qu’on fasse preuve de retenue à son égard selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Il n’était pas déraisonnable pour le Tribunal de conclure que la conduite de M. Birkett était non sollicitée, qu’elle était de nature sexuelle et qu’elle a eu un effet défavorable sur le milieu de travail de Mme Goodwin. Elle n’était plus à l’aise de travailler au même endroit que lui, ce qui a été l’une des raisons qui l’ont amenée à démissionner.

 

[43]           Enfin, eu égard à la question du double péril que le défendeur qualifie de préclusion découlant d’une question déjà tranchée, Mme Goodwin était légalement autorisée à se prévaloir de la Loi canadienne sur les droits de la personne peu importe que l’employeur de M. Birkett ait mené ou non une enquête sur la question (voir Tweten c. RTL Robinson Enterprises Ltd., [2004] D.C.D.P. no 14 (QL)).

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, avec dépens.

 

 

« Sean Harrington »

 

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Dany Brouillette, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1701-04

 

INTITULÉ :                                       David Birkett c. Commission canadienne des droits de la personne et Sue Goodwin

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 mars 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE HARRINGTON      

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 avril 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Charles Roach

 

POUR LE DEMANDEUR

Philippe Dufresne

POUR LA DÉFENDERESSE  COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Roach, Schwartz & Associés

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

Commission canadienne des droits de la personne

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE  COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

 

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