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Date : 20070420

Dossier : T-437-06

Référence : 2007 CF 427

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

 

ENTRE :

MEHMET DAG, CENNET YAS DAG

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs sollicitent, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, le contrôle judiciaire de la décision du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (le ministre), en date du 20 avril 2004, par laquelle il concluait que le mobile de l’infraction avait été validement retenu pour justifier la saisie de 125 275 $CAN entre les mains des demandeurs et que, conformément à l’article 29 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi), la somme saisie était confisquée.

 

LE CONTEXTE

[2]               Mehmet Dag et Cennet Yas Dag (les demandeurs) sont mari et femme. Ils sont des citoyens canadiens qui ont immigré au Canada depuis la Turquie en 1993. Ils travaillent maintenant dans la restauration.

 

[3]               M. Dag a quitté Montréal pour Londres, en Angleterre, le 31 janvier 2003 et il y est resté jusqu’en novembre 2003, puis il s’est rendu pour une courte période à Paris, avant de revenir à Montréal le 21 novembre 2003. Son épouse s’est rendue à Londres le 4 juin 2003, pour revenir au Canada avec lui le 21 novembre 2003.

 

[4]               À leur arrivée à l’aéroport international Dorval de Montréal, les demandeurs se sont présentés séparément aux autorités douanières. Sur leurs cartes respectives de déclaration douanière, qu’ils avaient signées, les demandeurs avaient répondu tous deux par la négative à la question de savoir s’ils transportaient des sommes d’argent ou des instruments monétaires totalisant 10 000 $CAN ou plus. Les deux demandeurs ont été fouillés séparément par des agents des douanes, qui ont découvert que M. Dag avait dans ses poches 10 000 livres sterling en espèces (soit environ 22 200 $CAN), tandis que son épouse transportait 66 500 euros en espèces, dissimulés dans une paire de bas nouée autour de sa taille (une valeur d’environ 103 075 $CAN). Ensemble, ils transportaient une somme d’argent équivalant à environ 125 275 $CAN.

 

[5]               Prié par l’agent des douanes de dire d’où venaient ces sommes, M. Dag a expliqué qu’elles venaient de la vente de leur restaurant en Grande-Bretagne, mais qu’il n’avait pas sur lui le contrat de vente.

 

[6]               Puisque les sommes en la possession des demandeurs n’avaient pas été déclarées aux agents des douanes ainsi que le requiert le paragraphe 12(1) de la Loi, elles furent saisies à titre de confiscation conformément au paragraphe 18(1) de la Loi.

 

[7]               Par lettre datée du 26 novembre 2003, les demandeurs ont prié le ministre, en vertu de l’article 25 de la Loi, de dire s’il y avait eu contravention au paragraphe 12(1) de la Loi. Par lettre datée du 11 décembre 2003, les demandeurs reçurent un avis écrit des circonstances de la saisie, et de la possibilité pour eux de présenter des preuves au ministre, conformément à l’article 26 de la Loi.

 

[8]               La première étape du contrôle de la décision prise par l’agent des douanes en vertu des paragraphes 12(1) et 18(1) de la Loi relève d’un arbitre de la Direction des appels en matière douanière, à l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), à qui a été confié le mandat d’examiner d’une manière exhaustive et impartiale les décisions des agents des douanes.

 

[9]               Le 12 février 2004, M. Dag a présenté en personne ses prétentions à l’arbitre, avec l’aide d’un interprète. Le demandeur s’est alors vu accorder un délai, jusqu’au 27 mars 2004, pour produire un sommaire écrit expliquant l’origine des sommes en cause, pièces à l’appui. Aucun sommaire n’a été présenté, mais des pièces à l’appui ont été envoyées au ministre le 23 mars 2004.

 

[10]           Essentiellement, les demandeurs affirment qu’ils se sont rendus à Londres pour acheter un restaurant à M. Mehmet Temur et qu’ils ont conclu l’opération en mars 2003. Ils disent avoir constitué en société le restaurant, sous la dénomination « Pizza 2 for 1 Ltd », leur fils, Ali Dag, agissant comme administrateur. Puis, en octobre 2003, ils ont vendu le restaurant à M. Yusuf Sar, pour la somme de 38 000 livres sterling. Les demandeurs affirment qu’il n’y a pas eu de contrat de vente écrit. Ils affirment aussi dans leurs conclusions que les sommes en leur possession comprenaient des recettes de 12 199,80 livres sterling provenant de l’exploitation de Pizza 2 for 1 Ltd.

 

[11]           Le 6 avril 2004, l’arbitre rendait un rapport intitulé « Sommaire du cas et motifs de la décision », dans lequel il recommandait au ministre de conclure qu’il y avait eu contravention à la Loi et que les sommes saisies devraient être confisquées. Ce rapport fut transmis au directeur de la Direction des appels en matière douanière, à qui a été délégué le pouvoir de prendre au nom du ministre les décisions visées aux articles 25 à 29 de la Loi.

 

[12]           Le 20 avril 2004, le représentant du ministre a rendu une décision conformément à l’article 27 de la Loi, décision selon laquelle la saisie des sommes en question était justifiée en application du paragraphe 12(1) de la Loi, au motif que les demandeurs n’avaient pas déclaré aux agents des douanes l’importation des sommes en cause. La décision confirmait aussi que, en application de l’article 29 de la Loi, les sommes saisies étaient confisquées et que cette confiscation était conforme au Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002-412 (le Règlement).

 

[13]           Les demandeurs ont décidé d’interjeter appel devant la Cour de la décision prise en vertu de l’article 27, ainsi que le prévoit le paragraphe 30(1) de la Loi, et ils ont déposé un recours le 9 juillet 2004. L’affaire devait être instruite les 14 et 15 novembre 2006, mais l’action fut retirée une semaine avant l’audience.

 

[14]           En octobre 2005, la juge Carolyn Layden-Stevenson rendait son jugement dans l’affaire Dokaj c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), 2005 CF 1437, [2006] 2 R.C.F. 152, jugement dans lequel elle faisait la distinction entre la décision du ministre au titre de l’article 27 de la Loi et sa décision au titre de l’article 29 de la Loi. Elle concluait que la procédure d’appel prévue par l’article 30 de la Loi ne s’applique qu’aux décisions prises en vertu de l’article 27. Par conséquent, la décision du ministre sur la sanction à imposer en vertu de l’article 29 de la Loi n’est susceptible que d’une procédure de contrôle judiciaire.

 

[15]           Le 10 mars 2006, les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire contestant la décision prise par le ministre en vertu de l’article 29 de la Loi.

 

LES POINTS À EXAMINER

[16]           Les points suivants doivent être examinés dans cette demande de contrôle judiciaire :

1)   Le ministre a-t-il commis une erreur parce qu’il a confirmé la confiscation des sommes, en application de l’article 29 de la Loi?

2)   Le ministre a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs, notamment parce qu’il n’a pas motivé suffisamment la décision?

 

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

[17]           D’abord, s’agissant de l’équité procédurale, la décision du ministre doit être revue selon la norme de la décision correcte (Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.) c. Ontario (Ministre du Travail), [2003] 1 R.C.S. 539). Ainsi, si la Cour estime que le ministre a manqué à son obligation d’équité envers les demandeurs, la décision du ministre n’appellera aucune retenue et la demande d’annulation de cette décision sera accordée (Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650).

 

[18]           Deuxièmement, s’agissant de savoir si le ministre a commis une erreur lorsqu’il a confirmé la confiscation des sommes, la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer doit être déterminée après une analyse pragmatique et fonctionnelle, dont le processus est décrit dans l’arrêt Dr Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226.

 

 

 

Les dispositions prévoyant une clause privative ou un droit d’appel

[19]           Dans son jugement récent, de Sellathurai c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 208, [2007] A.C.F. n° 280 (QL), la juge Sandra J. Simpson notait, au paragraphe 47, que la Loi contient une clause privative explicite en son article 24, ainsi rédigé :

24. La confiscation d’espèces ou d’effets saisis en vertu de la présente partie est définitive et n’est susceptible de révision, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues aux articles 25 à 30.

 

24. The forfeiture of currency or monetary instruments seized under this Part is final and is not subject to review or to be set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by sections 25 to 30.

 

[20]           La juge Simpson relevait ensuite que la loi ne prévoyait aucun droit d’appel à l’encontre d’une décision prise en vertu de l’article 29 de la Loi, et qu’une réformation de cette décision n’était donc possible qu’au moyen d’une procédure de contrôle judiciaire. Comme la juge Simpson, je crois que ces éléments signalent un niveau élevé de retenue.

 

La spécialisation relative

[21]           Dans le jugement Thérancé c. Canada (Ministre de la Sécurité publique), 2007 CF 136, [2007] A.C.F. n° 178 (QL), le juge Michel Beaudry écrivait ce qui suit, aux paragraphes 15 et 16 :

15     La Loi confie aux autorités douanières la vérification des déclarations d'importation ou d'exportation d'espèces ou d'effets. Elle accorde aussi aux agents douaniers le pouvoir de saisir à titre de confiscation les espèces ou effets en autant que ces derniers ont des motifs raisonnables de croire qu'il y a eu contravention au paragraphe 12(1). Lorsqu'il y a eu saisie, les espèces ou les effets doivent être restitués moins une pénalité réglementaire sauf si les agents soupçonnent pour des motifs raisonnables qu'il s'agit de produits de la criminalité ou de fonds destinés au financement des activités terroristes (paragraphe 18(2)).

16     Ceux et celles qui détiennent ces pouvoirs décisionnels ont à leur disposition des mécanismes qui sont de plus en plus sophistiqués pour détecter la vraie ou la fausse documentation employée par certains individus afin de prouver l'acquisition, la possession et la destination de la propriété des biens. Il y a donc lieu de faire preuve de retenue.

 

 

[22]           La juge Simpson s’est elle aussi exprimée sur la spécialisation du représentant du ministre, aux paragraphes 49 et 50 de ses motifs dans de Sellathurai, précitée :

49      Les décisions visées à l’article 29 sur la pénalité qu’il convient d’infliger dans les cas où des espèces ne sont pas déclarées sont prises par les représentants du ministre. Il s’agit de « gestionnaires » de la Section de l’arbitrage de la Direction des recours de l’ASFC. Il ressort du contre‑interrogatoire du représentant du ministre sur son affidavit que les gestionnaires et les arbitres reçoivent une formation par des spécialistes de la GRC et du ministère de la Justice et qu’ils sont guidés dans leur travail par un document de la GRC intitulé Liste d’indicateurs à l’intention des enquêteurs pour le contrôle des produits de la criminalité.

 

50      Depuis que l’article 29 est entré en vigueur le 6 janvier 2003, 307 décisions ont été rendues en vertu de cette disposition et, dans 216 de ces cas, la confiscation des espèces saisies a été confirmée. Pour ces motifs, j’ai reconnu que les gestionnaires possèdent une expertise considérable par rapport à celle de la Cour.

 

 

 

[23]           Puis la juge Simpson concluait que, dans l’affaire dont elle était saisie, le représentant du ministre n’était pas investi d’une quelconque spécialisation, puisque ce qui était en cause, c’était la crédibilité du demandeur, qui s’était contredit, et le fait qu’il n’avait pas produit de documents suffisants au soutien de sa version des faits, aspects que la Cour est elle aussi en mesure d’évaluer. Dans l’affaire dont je suis saisi, la décision du représentant du ministre reposait elle aussi en partie sur l’absence de preuves à l’appui, ainsi que sur les usages commerciaux. Contrairement à la juge Simpson, cependant, je serais d’avis, s’agissant de ce facteur, que les représentants du ministre ont une spécialisation un peu supérieure à celle de la Cour, eu égard en particulier au nombre de cas qui leur ont été soumis depuis l’entrée en vigueur de la Loi, et je suivrais l’avis exprimé par le juge Beaudry dans la décision Thérancé, précitée.

 

L’objet de la Loi et de son article 29

[24]           S’agissant de l’objet de la Loi et en particulier de son article 29, j’adopterais l’analyse faite par la juge Simpson, qui concluait ainsi, au paragraphe 58 de Sellathurai, précitée :

[…] À mon avis, l’équilibre entre les intérêts privés et les intérêts publics a été établi par le législateur lorsqu’il a mis en place le régime législatif. Le représentant du ministre a un rôle beaucoup plus limité en vertu de l’article 29. Il détermine simplement si, compte tenu des faits d’une affaire donnée, il y a lieu de confirmer une confiscation. En conséquence, puisque, à mon avis, ce facteur n’est pas polycentrique, il n’indique pas que la retenue s’impose.

 

La nature de la question

[25]           Le point de savoir s’il y avait ou non des motifs raisonnables de soupçonner que les sommes non déclarées constituaient des produits de la criminalité au point de justifier la confiscation en vertu de l’article 29 de la Loi est une question mixte de droit et de fait, qui requiert d’interpréter et d’appliquer, à la lumière du dossier, le critère juridique des « motifs raisonnables de soupçonner ».

 

Conclusion

[26]           Après examen des quatre facteurs, je suis d’avis que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision raisonnable. La Cour doit donc déterminer si la décision du ministre peut résister à un examen assez poussé (Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247).

 

ANALYSE

1) Le ministre a-t-il commis une erreur parce qu’il a confirmé la confiscation des sommes, en application de l’article 29 de la Loi?

 

[27]           L’article 29 de la Loi est ainsi formulé :

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre, aux conditions qu’il fixe :

 

 

 

a) soit décide de restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux-ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

 

b) soit décide de restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

 

 

c) soit confirme la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34.

 

[…]

 

29. (1) If the Minister decides that subsection 12(1) was contravened, the Minister shall, subject to the terms and conditions that the Minister may determine,

 

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the Minister of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

 

(b) decide that any penalty or portion of any penalty that was paid under subsection 18(2) be remitted; or

 

(c) subject to any order made under section 33 or 34, confirm that the currency or monetary instruments are forfeited to Her Majesty in right of Canada.

 

[…]

 

 

[28]           L’article 29 renvoie au paragraphe 12(1) de la Loi, qui impose de déclarer, conformément au Règlement, l’importation ou l’exportation d’espèces dépassant le montant réglementaire, en l’occurrence 10 000 $CAN, d’après l’article 2 du Règlement. Les demandeurs ont d’abord contesté la conclusion du ministre selon laquelle il y avait eu contravention au paragraphe 12(1) de la Loi, mais ils se sont désistés de l’action et l’on peut donc arriver à la conclusion, pour ce qui nous concerne, qu’il y a eu contravention. L’autre disposition pertinente, aux fins de notre analyse, est l’article 18 de la Loi, qui permet à un agent ayant des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1) de saisir à titre de confiscation la somme en cause. Une fois saisie la somme en cause, l’étape suivante est décrite au paragraphe 18(2) de la Loi, ainsi formulé :

18. (2) Sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, l'agent restitue au saisi ou au propriétaire légitime les espèces ou effets saisis sauf s'il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu'il s'agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou de fonds destinés au financement des activités terroristes.

 

18. (2) The officer shall, on payment of a penalty in the prescribed amount, return the seized currency or monetary instruments to the individual from whom they were seized or to the lawful owner unless the officer has reasonable grounds to suspect that the currency or monetary instruments are proceeds of crime within the meaning of subsection 462.3(1) of the Criminal Code or funds for use in the financing of terrorist activities.

 

 

[29]           C’est cette conclusion qui est contestée par les demandeurs, savoir la conclusion qu’il y avait « des motifs raisonnables de soupçonner qu’il s’agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou de fonds destinés au financement des activités terroristes ».

 

[30]           Comme le précise le défendeur, la présente affaire porte sur la révision administrative d’une saisie mobilière in rem. Cela signifie que l’unique point à décider est de savoir s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que la somme elle-même est un produit de la criminalité, non de savoir si la personne qui a négligé de la déclarer a commis un acte criminel (Tourki c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 50, [2006] A.C.F. n° 52 (QL)).

 

[31]           Comme l’écrivait la juge Simpson dans la décision de Sellathurai, précitée, la législation ne dit rien des principes que doit appliquer le représentant du ministre lorsqu’il doit décider s’il convient ou non de confirmer la confiscation de la somme saisie. Elle arrive cependant à la conclusion, que je partage, selon laquelle la procédure correcte consisterait pour le représentant à appliquer le même critère que l’agent des douanes, c’est-à-dire décider s’il restait des « motifs raisonnables de soupçonner » que la somme saisie était un produit de la criminalité.

 

[32]           Dans l’arrêt R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, la Cour suprême du Canada examinait l’article 98 de la Loi sur les douanes, L.R.C., 1985, ch. 1 (2e suppl.), selon lequel un agent des douanes devait avoir des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne avait sur elle ou près d’elle des stupéfiants, avant de pouvoir effectuer une fouille à nu. S’exprimant sur la notion de « motifs raisonnables de soupçonner », la Cour suprême écrivait, au paragraphe 49, que cette norme « peut être considérée comme une norme moins exigeante que celle fondée sur l’existence de motifs raisonnables et probables de croire ». Dans un arrêt ultérieur, Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, la Cour suprême du Canada, examinant la signification des mots « motifs raisonnables de penser », concluait ainsi, au paragraphe 114 :

114     La première question que soulève l’al. 19(1)j) de la Loi sur l’immigration est celle de la norme de preuve correspondant à l’existence de « motifs raisonnables [de penser] » qu’une personne a commis un crime contre l’humanité. La CAF a déjà statué, à juste titre selon nous, que cette norme exigeait davantage qu’un simple soupçon, mais restait moins stricte que la prépondérance des probabilités applicable en matière civile : Sivakumar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), p. 445; Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), par. 60. La croyance doit essentiellement posséder un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi : Sabour c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1615 (1re inst.).

 

 

 

[33]           Après examen de ces deux arrêts, la juge Simpson s’exprimait comme suit, aux paragraphes 70 et 71 de Sellathurai, précitée :

70      Il s’agit donc de savoir comment décrire la norme moins exigeante mais incluse. À mon avis, même des motifs raisonnables de soupçonner exigent davantage qu’un « simple » soupçon ou un soupçon subjectif ou encore une intuition. Le soupçon doit reposer sur une preuve objective et digne de foi. À cet égard, voir R c. Calderon, [2004] O.J. no 3474. Dans cet arrêt, la Cour d’appel de l’Ontario a examiné si des policiers avaient des motifs raisonnables de soupçonner que les appelants avaient pris part au transport de stupéfiants. À cet égard, la Cour a indiqué qu’il était essentiel d’effectuer une évaluation objective. Elle a dit au paragraphe 69 que [traduction] « […] même une impression née d’une intuition qui repose sur l’expérience […] » ne permettrait pas de conclure qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner.

 

71      S’il faut une preuve objective et digne de foi pour appuyer un soupçon, la question devient celle de savoir à quel moment la norme moins exigeante s’applique. À ce jour, les motifs raisonnables de penser et les motifs raisonnables de soupçonner ont tous deux été traités de manière identique. À mon avis, la différence doit tenir dans la qualification de la preuve. Dans l’arrêt Mugesera, précité, la Cour a déclaré que les motifs de penser devaient reposer sur une preuve « concluante ». À mon avis, c’est là que la distinction repose. La preuve qui appuie un soupçon ne doit pas nécessairement être concluante, elle doit simplement être objective et digne de foi.

 

[34]           Je souscris entièrement à l’analyse faite par la juge Simpson dans l’extrait précité de Sellathurai, pour ce qui concerne le critère que doit appliquer le représentant du ministre en vertu de l’article 29 de la Loi.

 

[35]           S’agissant de l’application du critère aux faits de la présente affaire, les demandeurs soutiennent que le ministre n’a pas en réalité appliqué le critère des « motifs raisonnables de soupçonner », car ce critère n’était pas mentionné dans la décision. Les demandeurs soutiennent plutôt que le ministre a essentiellement confisqué la somme parce qu’elle n’avait pas été déclarée.

 

[36]           Le défendeur, pour sa part, affirme que l’analyse faite par l’arbitre et soumise au ministre établit clairement les motifs raisonnables de soupçonner que les sommes en cause étaient un produit de la criminalité, eu égard en particulier aux explications incomplètes et peu vraisemblables données par les demandeurs quant à l’origine des sommes.

 

[37]           Puisque j’examinerai sous la rubrique de l’équité procédurale la question de savoir si les motifs sont suffisants, j’admettrai, aux fins de savoir si la décision du ministre est ou non raisonnable, que le ministre s’est fondé sur le rapport de l’arbitre de la Direction des appels en matière douanière, à l’AFSC, et je me demanderai si ce rapport atteste une bonne application du critère, au vu des faits.

 

[38]           Le rapport donne un résumé précis des faits, et aussi un sommaire des dispositions législatives applicables. L’arbitre reconnaissait avoir reçu des documents des demandeurs à propos d’un restaurant en Grande-Bretagne, notamment le rapport d’un expert-comptable selon lequel les demandeurs avaient réalisé un bénéfice net de 30 199,80 livres sterling de l’exploitation et de la vente de ce restaurant. L’arbitre indiquait ensuite que, eu égard aux renseignements figurant dans le dossier, plusieurs éléments suscitaient des motifs raisonnables de soupçonner que l’origine des sommes était illicite, à savoir : 1) le fait que les demandeurs n’avaient pas déclaré les sommes en leur possession; 2) le fait que le transport de grosses sommes d’argent n’est pas une pratique commerciale légitime; et 3) l’absence d’une preuve attestant l’origine des sommes.

 

[39]           S’agissant de la non-déclaration par les demandeurs des sommes en leur possession lorsqu’ils ont rempli leurs cartes de déclaration douanière, le défendeur dit que, même si la dissimulation et la non-divulgation ne prouvent pas nécessairement que les fonds sont un produit de la criminalité, ce sont des éléments qui doivent être pris en compte parce qu’ils montrent que les intéressés avaient probablement un motif inavoué. Fait intéressant à noter, j’observe aussi que les demandeurs n’ont pas manqué de déclarer les deux cartons de cigarettes d’une valeur de 50 $ qu’ils rapportaient avec eux.

 

[40]           S’agissant de pratiques commerciales légitimes, le défendeur relève que l’on serait en droit de penser qu’une opération légitime de cette envergure sera effectuée par l’entremise d’une institution financière. Comme les institutions financières sont tenues de déclarer les transferts électroniques de fonds reçus d’un autre pays qui sont d’une valeur égale ou supérieure à 10 000 $CAN, la méthode choisie par les demandeurs leur permettait de contourner cette obligation et, s’ils avaient réussi, le transfert des sommes serait passé inaperçu. Par conséquent, encore une fois, le défendeur fait observer que, vu la méthode choisie par les demandeurs, on est conduit à soupçonner qu’ils avaient, en transportant l’argent de cette façon, un motif inavoué.

 

[41]           S’agissant de l’absence d’une preuve propre à établir l’origine des sommes, aspect qui, selon le défendeur, est l’élément capital de sa décision, les demandeurs ont remis à l’arbitre une série de documents portant sur l’achat et l’exploitation d’un restaurant en Grande-Bretagne. Toutefois, même si ces documents confirment sans doute l’existence dudit restaurant et le rôle du fils des demandeurs dans sa gestion, ils ne traitent pas directement de l’origine des fonds. L’unique document produit par les demandeurs qui prétend traiter de cet aspect est le rapport d’un expert-comptable portant sur la période se terminant le 31 décembre 2003, rapport selon lequel les demandeurs ont acheté le restaurant pour la somme de 20 000 livres sterling, qu’ils l’ont vendu pour la somme de 38 000 livres et qu’ils ont réalisé un bénéfice net de 12 199,80 livres. Cependant, ce rapport a été rédigé après la saisie des sommes, et il s’appuyait sur des renseignements fournis par le fils des demandeurs à l’expert-comptable, lequel n’avait pas lui-même vérifié l’exactitude des renseignements. Il reste que le dossier ne renferme aucun contrat de vente du restaurant, ni aucun document propre à étayer les gains qu’il a générés. Le défendeur soutient, pour ces raisons, qu’il est probable que cette entreprise n’était pas ou peu exploitée d’une manière légitime, et qu’elle visait principalement à masquer une activité illégale.

 

[42]           J’ai examiné attentivement les documents produits par les demandeurs et, bien qu’ils puissent être rattachés à l’exploitation d’un restaurant, d’autres documents, beaucoup plus éloquents, auraient pu être produits, par exemple livres comptables, détails d’opérations, résultats mensuels, photos, liste de chèques émis au cours de la période. Il n’est tout simplement pas possible de voir, d’après les pièces produites, comment le bénéfice a été réalisé.

 

[43]           Devant un argument semblable dans l’affaire Sellathurai, précitée, la juge Simpson écrivait ce qui suit, au paragraphe 44 :

44      Il m’apparaît clairement que l’arbitre a insisté à juste titre sur la preuve concernant la provenance véritable des espèces confisquées. Il ne suffisait pas de montrer à l’aide de relevés bancaires et de simples déclarations dans des affidavits que le demandeur et ses partenaires commerciaux avaient des moyens suffisants qui leur auraient permis de fournir les espèces confisquées.

 

Elle se référait, dans ses propos, à un jugement antérieur du soussigné rendu dans un contexte d’immigration, Martirossian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 1119, [2001] A.C.F. n° 1538 (QL), où j’avais conclu que l’agente des visas, examinant une demande de résidence permanente présentée dans la catégorie des investisseurs, avait eu parfaitement raison de mettre en doute l’origine des fonds du demandeur et de dire qu’elle ne se satisfaisait pas des preuves produites à ce sujet, lesquelles consistaient essentiellement en relevés bancaires et ne renfermaient aucun document susceptible de prouver l’existence et la légalité des ventes présumées.

 

[44]           Après examen de l’ensemble des preuves produites, ainsi que des arguments des deux parties, je conclus que je dois me ranger à l’avis du défendeur pour qui il y avait des « motifs raisonnables de soupçonner » que les sommes étaient « des produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou des fonds destinés au financement des activités terroristes », et pour qui les motifs en question étaient clairement exposés dans la recommandation de l’arbitre, sur laquelle s’est fondé le représentant du ministre. J’arrive donc à la conclusion que la décision du ministre était raisonnable et qu’elle ne devrait pas être annulée.

 

2) Le ministre a-t-il manqué à son obligation d’équité procédurale envers les demandeurs, notamment parce qu’il n’a pas motivé suffisamment la décision?

 

[45]           Selon les demandeurs, le ministre avait l’obligation légale de motiver sa décision, et il ne s’en est pas acquitté. La décision du ministre mentionnait simplement que tous les documents produits, ainsi que les rapports versés au dossier, avaient été examinés, sans que mention soit faite de tel ou tel événement ou argument. Le ministre affirmait ensuite que, conformément à l’article 27 de la Loi, la saisie des sommes était justifiée en application du paragraphe 12(1) de la Loi, au motif que les demandeurs n’avaient pas déclaré aux agents des douanes l’importation des sommes en cause. Finalement, le ministre confirmait que, en application de l’article 29 de la Loi, les sommes saisies étaient confisquées et que la saisie était conforme au Règlement.

 

[46]           S’agissant de savoir si les motifs étaient ou non suffisants, le défendeur commence par souligner que le ministre n’a aucune obligation légale de motiver une décision prise en vertu de l’article 29 de la Loi, contrairement à l’obligation pour lui de motiver les décisions relevant de l’article 27. En tout état de cause, le défendeur soutient que la lettre datée du 20 avril 2004 ne doit pas être lue isolément, mais plutôt à la lumière du rapport de l’arbitre adressé au ministre, rapport qui comporte un sommaire des faits allégués et des preuves produites, avec indication des motifs précis de la recommandation faite en vertu de l’article 29 de la Loi.

 

[47]           En principe, pour savoir si le ministre était tenu de motiver sa décision, et dans quelle mesure il y était tenu, je m’en rapporterais à l’arrêt de la Cour suprême du Canada, Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1992] 2 R.C.S. 817, et j’évaluerais les divers facteurs énoncés par la juge Claire L’Heureux-Dubé, pour connaître la portée de l’obligation d’équité procédurale du ministre envers les demandeurs. En l’espèce, cependant, non seulement je reconnais avec le défendeur que la lettre du 20 avril 2004 doit être lue en même temps que le rapport de l’arbitre, qui renferme les motifs plus détaillés de la décision, mais je souscris également à l’argument ultérieur du défendeur selon lequel, n’ayant pas sollicité de motifs additionnels de la part du ministre, les demandeurs ne sauraient maintenant obtenir l’annulation de la décision pour cause de motifs insuffisants.

 

[48]           Dans l’arrêt Marine Atlantic Inc. c. Guilde de la marine marchande du Canada, [2000] A.C.F. n° 1217 (QL), la Cour d'appel fédérale a adopté le raisonnement exposé par le juge John M. Evans (alors juge de la Cour fédérale) dans la décision Liang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n° 1301 (QL), au paragraphe 31, savoir que « l’obligation d’équité exige simplement que des motifs soient fournis à la demande de la personne à laquelle cette obligation est due et, en l’absence d’une telle demande, il n’y a aucun manquement à l’obligation d’équité ». La Cour d'appel fédérale indiquait ce qui suit, au paragraphe 5 de l’arrêt Marine Atlantic Inc., précité :

Nous sommes d’accord avec le juge Evans. Avant de demander le contrôle judiciaire d’une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n’a pas motivé sa décision, l’intéressé doit d’abord demander au tribunal en question de motiver sa décision. Si le tribunal administratif refuse de motiver sa décision ou fournit des motifs insuffisants, la personne visée peut recourir à notre Cour. On compliquerait toutefois inutilement l’administration de la justice si l’on permettait à l’intéressé de s’adresser à la Cour pour obtenir l’annulation d’une ordonnance rendue par un tribunal administratif au motif que celui-ci n’a pas motivé sa décision, sans avoir d’abord demandé à celui-ci de motiver sa décision.

 

[49]           Dans ses jugements ultérieurs, la Cour fédérale a maintenu que cette règle s’applique également lorsque des motifs ont été fournis, mais ont été jugés insuffisants par le demandeur. Ainsi, dans le jugement Hayama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1305, [2003] A.C.F. n° 1642 (QL), le juge Edmond P. Blanchard examinait l’argument selon lequel, si le demandeur n’avait pas sollicité de motifs, c’était parce qu’il avait déjà en main les motifs du gestionnaire de programme. Le juge Blanchard a appliqué le raisonnement suivi par la Cour d'appel fédérale dans l’arrêt Marine Atlantic Inc., précité, pour conclure ainsi, au paragraphe 15 :

15      Les commentaires du juge Rothstein sont décisifs en ce qui a trait à l’omission par le défendeur de motiver sa décision. Le demandeur n’a pas demandé des motifs. Son argument selon lequel il avait les motifs et qu’en conséquence rien d’autre ne restait à demander est sans fondement. Si le demandeur n’était pas convaincu par la lettre de décision et estimait qu’elle n’expliquait pas suffisamment la décision, il aurait dû faire une demande pour d’autres éclaircissements. Il n’existe aucun élément de preuve qu’une telle demande aurait été refusée. En conséquence, je conclus que, dans les circonstances de la présente affaire, il n’y a aucun manquement à l’obligation d’équité, manquement qui serait dû à une absence de motifs ou à l’insuffisance des motifs.

 

 

 

[50]           Finalement, les demandeurs soulèvent un autre argument relatif à l’équité procédurale, en affirmant qu’il y a eu manquement à cette obligation car on ne leur a pas remis à l’avance la décision du ministre en même temps que le document intitulé « Sommaire du cas et motifs de la décision », daté du 6 avril 2004, document qui constituait le fondement de la décision du ministre, et qu’ils n’ont donc pas eu l’occasion d’y réagir. De plus, ce document renferme un paragraphe dont la communication aux demandeurs a été, et est encore, refusée, pour cause de privilège, ce qui constituerait également un manquement à l’obligation d’équité procédurale qu’avait le ministre envers les demandeurs.

 

[51]           S’agissant de la non-communication aux demandeurs du rapport de l’arbitre avant qu’une décision ne soit rendue, le défendeur soutient qu’il n’existait aucune obligation semblable et que les demandeurs avaient eu amplement l’occasion de s’exprimer, tant par écrit qu’oralement, et de produire des pièces justificatives au soutien de leur affirmation touchant l’origine des fonds. Il ressortait clairement de la lettre du 11 décembre 2003, ainsi que de la rencontre des demandeurs avec le représentant du ministre le 12 février 2004, que le ministre était en quête d’une preuve documentaire attestant la présumée origine des fonds. La recommandation de l’arbitre était fondée sur des faits dont les demandeurs avaient parfaitement connaissance, et sur la preuve qu’ils avaient déjà produite. Vu la relative faiblesse de la preuve documentaire produite par les demandeurs, l’arbitre, à ce stade, n’était pas à même de procéder à une analyse approfondie. Si les demandeurs avaient bénéficié d’une autre occasion de s’exprimer sur l’analyse de l’arbitre au moyen de conclusions additionnelles, il n’en aurait donc résulté aucun avantage. Par conséquent, même s’il y avait eu manquement à l’équité procédurale, ce que nie le défendeur, les demandeurs n’en auraient subi aucun préjudice et la décision ne devrait pas être infirmée sur ce fondement (voir l’arrêt Cable Television Assn. c. American College Sports Co., [1991] 3 C.F. 626 (CAF)).

 

[52]           Il est aisé de statuer sur cet argument en faisant observer, comme l’a fait le défendeur, que la nécessité de produire une preuve au soutien de l’affirmation des demandeurs concernant l’origine des fonds leur a toujours été clairement signifiée et qu’ils ont eu réellement l’occasion de le faire, lors de leur rencontre avec l’arbitre et à la faveur de leurs prétentions écrites additionnelles. Puisqu’ils contestaient également la conclusion des agents des douanes selon laquelle ils avaient contrevenu au paragraphe 12(1) de la Loi, la nécessité pour eux de présenter leurs prétentions en ce sens m’apparaît évidente, tout comme la nécessité pour eux de justifier leur décision de transporter les sommes sur eux plutôt que de s’en remettre à une opération par l’entremise d’une institution financière, ce qui est la pratique habituelle pour des propriétaires d’entreprise comme eux. Toutes les conclusions tirées par l’arbitre se fondaient sur les faits constatés par les agents des douanes et sur la preuve produite par les demandeurs. Les demandeurs ont eu la possibilité de présenter toutes les prétentions qu’ils souhaitaient présenter, et ils ont obtenu des prolongations de délai pour ce faire, mais ils n’ont pas produit la preuve nécessaire au soutien de leur prétention selon laquelle les fonds en cause avaient une provenance légitime. Je partage donc l’avis du défendeur pour qui la communication du rapport de l’arbitre aux demandeurs avant que ne soit rendue une décision finale n’aurait profité ni aux demandeurs, ni au décideur.

 

[53]           Finalement, s’agissant du paragraphe unique de la recommandation de l’arbitre qui contient des renseignements non communiqués aux demandeurs, le défendeur relève que ces renseignements bénéficient d’un privilège pour des raisons liées à l’intérêt public et à la sécurité nationale. Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas contesté le privilège en application du paragraphe 318(2) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, et que, ne s’étant pas opposés au privilège à la première occasion, ils ne peuvent prétendre que la non-communication des renseignements constitue un manquement à l’équité procédurale. En tout état de cause, le défendeur dit qu’il ressort clairement de la recommandation de l’arbitre que cela n’était pas le motif de la décision du ministre et que ce n’est donc pas un fait déterminant. C’est un élément qui a été considéré par l’agent des douanes, mais non par le ministre. Les motifs de la décision prise par le ministre en vertu de l’article 29 sont résumés vers la fin de la recommandation et ne font état d’aucun renseignement privilégié ni d’aucun fait non connu des demandeurs. Ainsi, même si les demandeurs avaient contesté le privilège et avaient pu établir qu’ils étaient à tort privés des renseignements en question, il n’y aurait aucun préjudice puisque, à l’évidence, ce n’était pas un facteur déterminant de la décision.

 

[54]           Je partage sur ce point l’avis du défendeur et ne vois aucune raison d’explorer davantage cet argument.

 

[55]           Pour tous les motifs ci-dessus, la demande est rejetée.

 

[56]           Les dépens sont adjugés au défendeur.

 

JUGEMENT

  1. La demande est rejetée;
  2. Les dépens sont adjugés au défendeur.

 

« Pierre Blais »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Alphonse Morissette, trad. a., LL.L.


ANNEXE

TEXTES LÉGISLATIFS PERTINENTS

 

Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement d’activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17

12. (1) Les personnes ou entités visées au paragraphe (3) sont tenues de déclarer à l'agent, conformément aux règlements, l'importation ou l'exportation des espèces ou effets d'une valeur égale ou supérieure au montant réglementaire.

 

18. (1) S’il a des motifs raisonnables de croire qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), l’agent peut saisir à titre de confiscation les espèces ou effets.

 

(2) Sur réception du paiement de la pénalité réglementaire, l'agent restitue au saisi ou au propriétaire légitime les espèces ou effets saisis sauf s'il soupçonne, pour des motifs raisonnables, qu'il s'agit de produits de la criminalité au sens du paragraphe 462.3(1) du Code criminel ou de fonds destinés au financement des activités terroristes.

 

 

 

 

24. La confiscation d’espèces ou d’effets saisis en vertu de la présente partie est définitive et n’est susceptible de révision, de rejet ou de toute autre forme d’intervention que dans la mesure et selon les modalités prévues aux articles 25 à 30.

 

25. La personne entre les mains de qui ont été saisis des espèces ou effets en vertu de l'article 18 ou leur propriétaire légitime peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la saisie, demander au ministre de décider s'il y a eu contravention au paragraphe 12(1) en donnant un avis écrit à l'agent qui les a saisis ou à un agent du bureau de douane le plus proche du lieu de la saisie.

 

 

 

 

 

26. (1) Le président signifie sans délai par écrit à la personne qui a présenté la demande visée à l’article 25 un avis exposant les circonstances de la saisie à l’origine de la demande.

 

 

 

(2) Le demandeur dispose de trente jours à compter de la signification de l’avis pour produire tous moyens de preuve à l’appui de ses prétentions.

 

 

27. (1) Dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent l’expiration du délai mentionné au paragraphe 26(2), le ministre décide s’il y a eu contravention au paragraphe 12(1).

 

(2) Dans le cas où des poursuites pour infraction de recyclage des produits de la criminalité ou pour infraction de financement des activités terroristes ont été intentées relativement aux espèces ou effets saisis, le ministre peut reporter la décision, mais celle-ci doit être prise dans les trente jours suivant l'issue des poursuites.

 

(3) Le ministre signifie sans délai par écrit à la personne qui a fait la demande un avis de la décision, motifs à l’appui.

 

 

 

29. (1) S’il décide qu’il y a eu contravention au paragraphe 12(1), le ministre, aux conditions qu’il fixe :

a) soit décide de restituer les espèces ou effets ou, sous réserve du paragraphe (2), la valeur de ceux-ci à la date où le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux est informé de la décision, sur réception de la pénalité réglementaire ou sans pénalité;

b) soit décide de restituer tout ou partie de la pénalité versée en application du paragraphe 18(2);

c) soit confirme la confiscation des espèces ou effets au profit de Sa Majesté du chef du Canada, sous réserve de toute ordonnance rendue en application des articles 33 ou 34.

Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en est informé, prend les mesures nécessaires à l’application des alinéas a) ou b).

 

 

(2) En cas de vente ou autre forme d’aliénation des espèces ou effets en vertu de la Loi sur l’administration des biens saisis, le montant de la somme versée en vertu de l’alinéa (1)a) ne peut être supérieur au produit éventuel de la vente ou de l’aliénation, duquel sont soustraits les frais afférents exposés par Sa Majesté; à défaut de produit de l’aliénation, aucun paiement n’est effectué.

 

30. (1) La personne qui a présenté une demande en vertu de l’article 25 peut, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la communication de la décision, en appeler par voie d’action devant la Cour fédérale à titre de demandeur, le ministre étant le défendeur.

 

(2) La Loi sur les Cours fédérales et les règles prises aux termes de cette loi applicables aux actions ordinaires s'appliquent aux actions intentées en vertu du paragraphe (1), avec les adaptations nécessaires occasionnées par les règles propres à ces actions.

 

(3) Le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux, dès qu’il en a été informé, prend les mesures nécessaires pour donner effet à la décision de la Cour.

 

(4) En cas de vente ou autre forme d’aliénation des espèces ou effets en vertu de la Loi sur l’administration des biens saisis, le montant de la somme qui peut être versée en vertu du paragraphe (3) ne peut être supérieur au produit éventuel de la vente ou de l’aliénation, duquel sont soustraits les frais afférents exposés par Sa Majesté; à défaut de produit de l’aliénation, aucun paiement n’est effectué.

 

12. (1) Every person or entity referred to in subsection (3) shall report to an officer, in accordance with the regulations, the importation or exportation of currency or monetary instruments of a value equal to or greater than the prescribed amount.

 

18. (1) If an officer believes on reasonable grounds that subsection 12(1) has been contravened, the officer may seize as forfeit the currency or monetary instruments.

 

(2) The officer shall, on payment of a penalty in the prescribed amount, return the seized currency or monetary instruments to the individual from whom they were seized or to the lawful owner unless the officer has reasonable grounds to suspect that the currency or monetary instruments are proceeds of crime within the meaning of subsection 462.3(1) of the Criminal Code or funds for use in the financing of terrorist activities.

 

24. The forfeiture of currency or monetary instruments seized under this Part is final and is not subject to review or to be set aside or otherwise dealt with except to the extent and in the manner provided by sections 25 to 30.

 

25. A person from whom currency or monetary instruments were seized under section 18, or the lawful owner of the currency or monetary instruments, may within 90 days after the date of the seizure request a decision of the Minister as to whether subsection 12(1) was contravened, by giving notice in writing to the officer who seized the currency or monetary instruments or to an officer at the customs office closest to the place where the seizure took place.

 

26. (1) If a decision of the Minister is requested under section 25, the President shall without delay serve on the person who requested it written notice of the circumstances of the seizure in respect of which the decision is requested.

 

(2) The person on whom a notice is served under subsection (1) may, within 30 days after the notice is served, furnish any evidence in the matter that they desire to furnish.

 

27. (1) Within 90 days after the expiry of the period referred to in subsection 26(2), the Minister shall decide whether subsection 12(1) was contravened.

 

 

(2) If charges are laid with respect to a money laundering offence or a terrorist activity financing offence in respect of the currency or monetary instruments seized, the Minister may defer making a decision but shall make it in any case no later than 30 days after the conclusion of all court proceedings in respect of those charges.

 

(3) The Minister shall, without delay after making a decision, serve on the person who requested it a written notice of the decision together with the reasons for it.

 

29. (1) If the Minister decides that subsection 12(1) was contravened, the Minister shall, subject to the terms and conditions that the Minister may determine,

(a) decide that the currency or monetary instruments or, subject to subsection (2), an amount of money equal to their value on the day the Minister of Public Works and Government Services is informed of the decision, be returned, on payment of a penalty in the prescribed amount or without penalty;

(b) decide that any penalty or portion of any penalty that was paid under subsection 18(2) be remitted; or

(c) subject to any order made under section 33 or 34, confirm that the currency or monetary instruments are forfeited to Her Majesty in right of Canada.

The Minister of Public Works and Government Services shall give effect to a decision of the Minister under paragraph (a) or (b) on being informed of it.

 

(2) The total amount paid under paragraph (1)(a) shall, if the currency or monetary instruments were sold or otherwise disposed of under the Seized Property Management Act, not exceed the proceeds of the sale or disposition, if any, less any costs incurred by Her Majesty in respect of the currency or monetary instruments.

 

 

 

30. (1) A person who requests a decision of the Minister under section 25 may, within 90 days after being notified of the decision, appeal the decision by way of an action in the Federal Court in which the person is the plaintiff and the Minister is the defendant.

 

(2) The Federal Courts Act and the rules made under that Act that apply to ordinary actions apply to actions instituted under subsection (1) except as varied by special rules made in respect of such actions.

 

 

 

(3) The Minister of Public Works and Government Services shall give effect to the decision of the Court on being informed of it.

 

 

 

(4) If the currency or monetary instruments were sold or otherwise disposed of under the Seized Property Management Act, the total amount that can be paid under subsection (3) shall not exceed the proceeds of the sale or disposition, if any, less any costs incurred by Her Majesty in respect of the currency or monetary instruments.

 

 

Règlement sur la déclaration des mouvements transfrontaliers d’espèces et d’effets, DORS/2002‑412

2. (1) Pour l'application du paragraphe 12(1) de la Loi, les espèces ou effets dont l'importation ou l'exportation doit être déclarée doivent avoir une valeur égale ou supérieure à 10 000 $.

 

(2) La valeur de 10 000 $ est exprimée en dollars canadiens ou en son équivalent en devises selon :

a) le taux de conversion officiel de la Banque du Canada publié dans son Bulletin quotidien des taux de change en vigueur à la date de l'importation ou de l'exportation;

b) dans le cas où la devise ne figure pas dans ce bulletin, le taux de conversion que le déclarant utiliserait dans le cours normal de ses activités à cette date.

 

2. (1) For the purposes of reporting the importation or exportation of currency or monetary instruments of a certain value under subsection 12(1) of the Act, the prescribed amount is $10,000.

 

(2) The prescribed amount is in Canadian dollars or its equivalent in a foreign currency, based on

(a) the official conversion rate of the Bank of Canada as published in the Bank of Canada's Daily Memorandum of Exchange Rates that is in effect at the time of importation or exportation; or

(b) if no official conversion rate is set out in that publication for that currency, the conversion rate that the person or entity would use for that currency in the normal course of business at the time of the importation or exportation.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                         T-437-06

 

INTITULÉ :                                        MEHMET DAG, cennet yas dag

                                                            c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL

 

DATE DE L’AUDIENCE:                 LE 27 MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Nataliya Dzera                                      POUR LES DEMANDEURS

 

Marc Ribeiro                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

WAICE FERDOUSSI                         POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Montréal (Québec)                               POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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