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Date : 20070420

Dossier : T-778-06

Référence : 2007 CF 422

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 20 avril 2007

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

 

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

 

BLANCHE CAUSEY

défenderesse

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le procureur général du Canada a demandé le contrôle judiciaire de la décision du 27 mars 2006 d’un membre de la Commission d’appel des pensions (la Commission), désigné en vertu du paragraphe 83(2.1) du Régime de pensions du Canada, LRC 1985, c C-8 (le RPC). La Commission avait accordé à Blanche Causey l’autorisation d’interjeter appel d’une décision du tribunal de révision, datée du 2 septembre 2005.

 

LES FAITS

[2]               Madame Causey est née le 27 novembre 1950. Elle a travaillé comme caissière pendant une bonne partie de sa vie, de 1970 à 1989. À l’époque, elle a arrêté de travailler parce que son travail était ardu et elle avait été opérée aux deux poignets. Depuis 1987, Mme Causey prend soin de ses deux parents, ce qui a occupé le plus clair de son temps. Pour rendre les choses encore plus difficiles, la sœur de Mme Causey a été assassinée en 1992.

 

[3]               Madame Causey, maintenant âgée de 56 ans, ne prévoit pas retourner au travail ni chercher un emploi dans un avenir rapproché. Le 31 mars 2004, elle a déposé une demande auprès de Développement des ressources humaines Canada afin d’obtenir des prestations d’invalidité en vertu du RPC. La maladie ou déficience qui l’empêchait de travailler depuis le 1er avril 2003 était la maladie de Crohn. Elle a écrit que cette maladie lui causait des douleurs abdominales, une fatigue extrême, des nausées et des douleurs aux articulations. À la question de savoir quels autres problèmes de santé elle avait, elle a écrit qu’elle avait la bronchite. Elle a également mentionné que sa routine quotidienne était devenue plus difficile, puisque ses limites fonctionnelles physiques avaient une incidence sur toutes ses activités quotidiennes.

 

[4]               En vertu du RPC, une personne doit satisfaire à deux exigences de base pour avoir droit à une pension d’invalidité :

(1)               la   personne doit être invalide au sens du RPC; c’est-à-dire qu’elle doit être déclarée atteinte d’une invalidité mentale ou physique grave et prolongée (paragraphe 42(2));

(2)               la personne doit avoir cotisé au RPC pendant une période minimale d’admissibilité. Ces deux conditions doivent être remplies simultanément (paragraphe 44(1)).

 

[5]               Lorsqu’une personne demande des prestations d’invalidité en vertu du RPC, elle doit franchir plusieurs étapes avant que la Commission d’appel des pensions soit saisie de son cas :

(1)               la demande en vertu du RPC;

(2)               un réexamen par le ministre (un examen interne), si la demande est rejetée;

(3)               un appel auprès d’un tribunal de révision (un tribunal indépendant composé de trois personnes);

(4)               une audience devant la Commission d’appel des pensions sur autorisation.

 

[6]               La demande de Mme Causey a été initialement refusée le 22 juin 2004. L’évaluateur médical a statué qu’il aurait fallu que Mme Causey soit déclarée invalide sans interruption de décembre 1994 jusqu’à présent pour être admissible à des prestations d’invalidité. II s’agit de la date à laquelle elle a rempli pour la dernière fois les conditions relatives à la période minimale d’admissibilité.

 

[7]               L’évaluateur médical a reconnu que Mme Causey était peut-être incapable de travailler à présent, mais il a estimé qu’il n’y avait aucun élément de preuve démontrant qu’elle était invalide en décembre 1994 et que sa condition médicale l’avait empêchée sans interruption de travailler depuis cette date. Par conséquent, l’évaluateur a conclu que Mme Causey n’était pas admissible à toucher des prestations d’invalidité.

 

[8]               Au terme du réexamen de cette décision, le ministre a confirmé le refus initial. Par lettre datée du 2 novembre 2004, le ministre a indiqué que la maladie de Crohn de Mme Causey avait seulement été diagnostiquée en 2003 et que les problèmes de Mme Causey aux poignets l’avaient peut-être empêchée de faire du travail très exigeant au plan physique, mais non tous les types de travail. Puisqu’elle était capable de faire certains types de travail en décembre 1994, elle ne pouvait pas être considérée comme invalide au sens du RPC.

 

[9]               Le tribunal de révision a entendu l’appel de Mme Causey le 7 juillet 2005. Les éléments de preuve présentés au tribunal étaient les renseignements médicaux additionnels de Mme Causey ainsi que les commentaires additionnels de Développement social Canada (DSC) et des explications de la décision du ministre. Le tribunal a rejeté l’appel de Mme Causey le 2 septembre 2005.

 

[10]           Naturellement, la principale question à laquelle le tribunal devait répondre était celle de savoir si Mme Causey était invalide au sens de l’alinéa 42(2)a) du RPC. Étant donné l’absence de toute preuve médicale de son invalidité au sens du RPC [TRADUCTION] « à la date la plus tardive possible de début de sa maladie » - c’est-à-dire en décembre 1994, elle n’a pu prouver qu’elle était invalide de quelque manière que ce soit à cette date. D’ailleurs, le tribunal a estimé que les éléments de preuve présentés par Mme Causey confirmaient que celle-ci avait été capable de travailler jusqu’à ce qu’on lui diagnostique la maladie de Crohn le 1er avril 2003. En outre, le fait qu’elle avait fourni de l’aide à ses parents de 1989 à 2005 en s’occupant d’eux et en faisant leur ménage, leur lessive et leur épicerie indiquait qu’elle était capable d’effectuer un certain travail.

 

LA DÉCISION À L’EXAMEN

[11]           Le 15 février 2006, un membre désigné de la Commission d’appel des pensions a autorisé Mme Causey à interjeter appel de la décision du tribunal de révision. La décision de la Commission traitait principalement de la demande de Mme Causey visant à obtenir la prorogation du délai imparti pour demander l’autorisation d’interjeter appel. Le délai de 90 jours pour interjeter appel avait expiré aux environs du 1er décembre 2005, mais la Commission a admis que la lettre du 2 décembre 2005 de Mme Causey avait été reçue dans les délais. La Commission a présumé qu’il avait fallu au moins un jour pour que la décision du tribunal de révision soit transmise à Mme Causey.

 

[12]           Après avoir tranché cette question préliminaire, le membre de la Commission a ensuite affirmé :

[TRADUCTION] J’ai certaines réserves quant au caractère défendable de la cause de l’appelante, mais, pour les besoins de la présente demande, je suis disposé à exercer mon pouvoir discrétionnaire et à conclure que c’est le cas.

 

 

QUESTION EN LITIGE

[13]           La seule question en litige qui se pose dans le cadre de la présente demande est la suivante : pour arriver à décider s’il devait accorder l’autorisation d’interjeter appel, le membre désigné de la Commission d’appel des pensions a-t-il appliqué le bon critère et a-t-il fait une analyse appropriée des documents dont il disposait?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[14]           Voici les dispositions législatives pertinentes :

42. (2) Pour l’application de la présente loi :

 

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

 

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

 

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

 

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été établie.

 

44. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

 

a) une pension de retraite doit être payée à un cotisant qui a atteint l’âge de soixante ans;

 

b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui :

 

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,

 

(ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été,

 

 

 

 

(iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1;

 

 

(iv) [Abrogé, 1997, c 40, art. 69]

 

c) une prestation de décès doit être payée à la succession d’un cotisant qui a versé des contributions pendant au moins la période minimale d’admissibilité;

 

d) sous réserve du paragraphe (1.1), une pension de survivant doit être payée à la personne qui a la qualité de survivant d’un cotisant qui a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité, si le survivant :

 

(i) soit a atteint l’âge de soixante-cinq ans,

 

(ii) soit, dans le cas d’un survivant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans :

 

(A) ou bien avait au moment du décès du cotisant atteint l’âge de trente-cinq ans,

 

(B) ou bien était au moment du décès du cotisant un survivant avec enfant à charge,

 

 

(C) ou bien est invalide;

 

e) une prestation d’enfant de cotisant invalide doit être payée à chaque enfant d’un cotisant invalide qui :

 

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,

 

(ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été,

 

 

 

 

(iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1;

 

 

(iv) [Abrogé, 1997, c 40, art. 69]

 

f) une prestation d’orphelin doit être payée à chaque orphelin d’un cotisant qui a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité.

 

83. (1) La personne qui se croit lésée par une décision du tribunal de révision rendue en application de l’article 82 — autre qu’une décision portant sur l’appel prévu au paragraphe 28(1) de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — ou du paragraphe 84(2), ou, sous réserve des règlements, quiconque de sa part, de même que le ministre, peuvent présenter, soit dans les quatre-vingt-dix jours suivant le jour où la décision du tribunal de révision est transmise à la personne ou au ministre, soit dans tel délai plus long qu’autorise le président ou le vice-président de la Commission d’appel des pensions avant ou après l’expiration de ces quatre-vingt-dix jours, une demande écrite au président ou au vice-président de la Commission d’appel des pensions, afin d’obtenir la permission d’interjeter un appel de la décision du tribunal de révision auprès de la Commission.

 

(2) Sans délai suivant la réception d’une demande d’interjeter un appel auprès de la Commission d’appel des pensions, le président ou le vice-président de la Commission doit soit accorder, soit refuser cette permission.

 

(2.1) Le président ou le vice-président de la Commission d’appel des pensions peut désigner un membre ou membre suppléant de celle-ci pour l’exercice des pouvoirs et fonctions visés aux paragraphes (1) ou (2).

 

 

[…]

 

(4) Dans les cas où l’autorisation d’interjeter appel est accordée, la demande d’autorisation d’interjeter appel est assimilée à un avis d’appel et celui-ci est réputé avoir été déposé au moment où la demande d’autorisation a été déposée.

42. (2) For the purposes of this Act,

 

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

 

 

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

 

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

 

 

 

 

(b) a person shall be deemed to have become or to have ceased to be disabled at such time as is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

 

44. (1) Subject to this Part,

 

 

 

(a) a retirement pension shall be paid to a contributor who has reached sixty years of age;

 

(b) a disability pension shall be paid to a contributor who has not reached sixty-five years of age, to whom no retirement pension is payable, who is disabled and who

 

 

(i) has made contributions for not less than the minimum qualifying period,

 

 

(ii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if an application for a disability pension had been received before the contributor’s application for a disability pension was actually received, or

 

(iii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if a division of unadjusted pensionable earnings that was made under section 55 or 55.1 had not been made;

 

(iv) [Repealed, 1997, c. 40, s. 69]

 

(c) a death benefit shall be paid to the estate of a deceased contributor who has made contributions for not less than the minimum qualifying period;

 

(d) subject to subsection (1.1), a survivor’s pension shall be paid to the survivor of a deceased contributor who has made contributions for not less than the minimum qualifying period, if the survivor

 

 

 

(i) has reached sixty-five years of age, or

 

(ii) in the case of a survivor who has not reached sixty-five years of age,

 

(A) had at the time of the death of the contributor reached thirty-five years of age,

 

(B) was at the time of the death of the contributor a survivor with dependent children, or

 

(C) is disabled;

 

 

(e) a disabled contributor’s child’s benefit shall be paid to each child of a disabled contributor who

 

(i) has made contributions for not less than the minimum qualifying period,

 

 

(ii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if an application for a disability pension had been received before the contributor’s application for a disability pension was actually received, or

 

(iii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if a division of unadjusted pensionable earnings that was made under section 55 or 55.1, had not been made; and

 

(iv) [Repealed, 1997, c. 40, s. 69]

 

(f) an orphan’s benefit shall be paid to each orphan of a deceased contributor who has made contributions for not less than the minimum qualifying period.

 

83. (1) A party or, subject to the regulations, any person on behalf thereof, or the Minister, if dissatisfied with a decision of a Review Tribunal made under section 82, other than a decision made in respect of an appeal referred to in subsection 28(1) of the Old Age Security Act, or under subsection 84(2), may, within ninety days after the day on which that decision was communicated to the party or Minister, or within such longer period as the Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may either before or after the expiration of those ninety days allow, apply in writing to the Chairman or Vice-Chairman for leave to appeal that decision to the Pension Appeals Board.

 

 

 

 

 

 

 

 

(2) The Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board shall, forthwith after receiving an application for leave to appeal to the Pension Appeals Board, either grant or refuse that leave.

 

 

(2.1) The Chairman or Vice-Chairman of the Pension Appeals Board may designate any member or temporary member of the Pension Appeals Board to exercise the powers or perform the duties referred to in subsection (1) or (2).

 

 

(4) Where leave to appeal is granted, the application for leave to appeal thereupon becomes the notice of appeal, and shall be deemed to have been filed at the time the application for leave to appeal was filed.

 

ANALYSE

[15]           Je n’ai pas à me demander quelle est la norme de contrôle applicable à la décision d’accueillir la demande de prorogation du délai. Tout d’abord, je crois que la demande a été déposée à l’intérieur du délai d’appel de 90 jours. Il faut présumer, comme le membre de la Commission l’a fait, que la transmission de la décision du tribunal de révision à Mme Causey a pris au moins un jour. Puisque cette décision était datée du 2 septembre 2005, Mme Causey respectait le délai de 90 jours lorsqu’elle a déposé sa demande auprès de la Commission d’appel des pensions le 2 décembre 2005. Quoi qu’il en soit, l’avocat du procureur général ne m’a pas semblé contester vigoureusement cet aspect de la décision de la Commission.

 

[16]           Pour ce qui est de la décision de la Commission d’accorder l’autorisation d’interjeter appel, la norme de contrôle n’est pas aussi facile à cerner. Après avoir examiné la jurisprudence pertinente, le juge Andrew MacKay a affirmé au paragraphe 15 du jugement Callihoo c Canada (Procureur général), [2000] ACF no 612 (CF 1re inst.) (QL), que l’examen d’une décision concernant l’autorisation d’interjeter appel auprès de la Commission donne lieu à deux questions :

(1)               la question de savoir si le décideur a appliqué le bon critère, c’est‑à‑dire la question de savoir si la demande a des chances sérieuses d’être accueillie, sans que le fond de la demande soit examiné;

(2)               la question de savoir si le décideur a commis une erreur de droit ou d’appréciation des faits au moment de déterminer s’il s’agit d’une demande ayant des chances sérieuses d’être accueillie. Dans le cas où une nouvelle preuve est présentée lors de la demande, si la demande soulève une question de droit ou un fait pertinent qui n’a pas été pris en considération de façon appropriée par le tribunal de révision dans sa décision, une cause défendable est soulevée et elle justifie d’accorder l’autorisation.

 

[17]           En l’espèce, je crois que la Commission a appliqué le bon critère, à tout le moins implicitement. En affirmant qu’il avait [TRADUCTION] « certaines réserves » quant au caractère défendable de la cause de Mme Causey, le membre de la Commission a clairement démontré qu’il était conscient du bon critère à appliquer pour trancher la question de savoir s’il devait accorder l’autorisation d’interjeter appel.

 

[18]           Une demande d’interjeter appel est « un premier obstacle que le demandeur doit franchir, mais celui-ci est inférieur à celui auquel il devra faire face à l'audition de l'appel sur le fond », et le demandeur doit tout de même convaincre la Cour qu’il existe des moyens défendables pour lesquels l’appel proposé pourrait être accueilli. Avant d’accorder son autorisation, la Cour doit être en mesure de déterminer s'il existe une question de droit, de fait ou de compétence particulière dont la réponse pourrait mener à l'annulation de la décision attaquée : Kerth c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] ACF no 1252 (CF 1re inst) (QL), au paragraphe 24 [Kerth]; Martin c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), [1999] ACF no 1972 (CAF) (QL).

 

[19]           En l’espèce, l’erreur alléguée n’est pas tant que le membre de la Commission a commis une erreur en appliquant le mauvais critère, mais plutôt qu’il a rendu sa décision sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait. Une telle allégation semble clairement relever de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, qui énonce que la Cour peut annuler une décision fondée « sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose. »

 

[20]           En règle générale, les erreurs de fait sont appréciées selon la norme de la décision manifestement déraisonnable. Mais l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales permet un éventail de normes, dépendant de l’allégation précise qui est formulée. Ainsi que la juge Barbara Reed l’a affirmé dans le jugement Kerth, précité, au paragraphe 19 :

[…] Bien que la jurisprudence indique que l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale exige une « décision manifestement déraisonnable », ce n'est pas le critère qui a été appliqué dans l'arrêt Pushpanathan, ou plus récemment dans l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.S. no 39. Je note que les expressions utilisées à l'alinéa 18.1(4)d) sont dissociatives; il faut se demander si la décision faisant l'objet du contrôle se fonde sur une conclusion de fait qui a été tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont le décideur disposait. Pour ce qui a trait au contrôle des décisions en s'appuyant sur leurs faits particuliers, cela signifie que le mandat de la loi permet de situer la norme de contrôle dans une certaine gamme qui s'échelonne d'un haut degré de retenue judiciaire (le caractère abusif ou arbitraire doit être démontré) à une norme de contrôle qui retient comme critère la décision correcte ou raisonnable (le décideur n'a pas tenu compte des éléments dont il disposait). Quand le contrôle porte sur des questions de droit, toutefois, l'alinéa 18.1(4)d) n'accorde aucune latitude.

 

[21]           En l’espèce, je suis d’avis que, peu importe que l’on applique la norme de la décision correcte ou celle de la décision raisonnable, la décision d’accorder l’autorisation doit être annulée. Comme je l’ai indiqué précédemment, l’auteur de la décision à l’examen a essentiellement traité de la demande de prorogation de délai, mais il n’a pas fourni une analyse de la question de savoir si Mme Causey avait exposé une cause défendable.

 

[22]           La demande de Mme Causey en vue d’obtenir l’autorisation d’interjeter appel ne révèle à première vue aucun motif d’appel défendable. Il n’y est pas dit que les problèmes de santé notés dans sa lettre du 2 décembre 2005 existaient en décembre 1994 et, en fait, il y est dit qu’ils n’ont surgi qu’après la décision du tribunal de révision. Par ailleurs, le fait que Mme Causey ait pu prendre soin de ses parents pendant toute la période précédant l’appel dénote qu’elle était capable de détenir régulièrement une occasion véritablement rémunératrice. Cette capacité empêcherait de conclure à l’existence d’une invalidité au sens du RPC.

 

[23]           Non seulement le membre de la Commission n’a-t-il pas relevé un motif d’appel défendable, mais il est allé jusqu’à dire qu’il doutait du caractère défendable de la cause. Donner l’autorisation d’interjeter appel en l’absence de motifs appropriés, surtout quand le membre de la Commission doute de l’existence d’une cause défendable, constitue une erreur de droit, quelle que soit la norme de contrôle appliquée : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Roy, 2005 CF 1456.

 

[24]           Je suis également d’avis qu’il convient d’annuler la décision à l’examen parce que la Commission n’a pas valablement motivé sa décision. Il est vrai que suivant le paragraphe 83(3) du RPC, ce n’est que lorsque l’autorisation d’interjeter appel a été refusée qu’il faut en donner par écrit les motifs. Toutefois, notre Cour, suivant la voie tracée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Service canadien du renseignement de sécurité) c Green, [1993] ACF no 1369 (CAF) (QL), a conclu dans des décisions antérieures qu’il faut toujours motiver une décision discrétionnaire : Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Roy, au paragraphe 13; Canada (Ministre du Développement des ressources humaines) c Dawdy, 2006 CF 429.

 

[25]           C’est à grand regret que j’arrive à cette conclusion. Il ne fait aucun doute que Mme Causey a connu des périodes difficiles, et son sort est loin d’être enviable. Non seulement sa santé lui a-t-elle fait défaut, mais elle se trouve maintenant dans une situation des plus difficiles parce qu’elle a pris soin de ses vieux parents. Cependant, le législateur a décidé de ne pas créer d’appels de plein droit auprès de la Commission d’appel des pensions, et celle-ci ne peut exercer de façon arbitraire ou aléatoire le pouvoir discrétionnaire de déterminer quelles causes méritent un examen plus approfondi. Étant donné que ni la loi ni les faits de l’espèce n’étayent la décision de la Commission, la Cour se voit dans l’obligation d’accueillir la demande du procureur général.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision prononcée le 27 mars 2006 par le membre désigné de la Commission d’appel des pensions est par les présentes annulée.

2.                  L’affaire est renvoyée à un autre membre de la Commission pour qu’il rende une nouvelle décision conformément aux présents motifs.

3.                  Aucuns dépens n’ont été demandés, et aucuns ne sont adjugés.

 

 

 

 

« Yves de Montigny »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Linda Brisebois, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-778-06

 

INTITULÉ :                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA 

c

Blanche Causey

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :              Bathurst (Nouveau-Brunswick)    

 

DATE DE L’AUDIENCE :             Le 29 mars 2007

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE DE MONTIGNY

 

DATE DES MOTIFS :                     Le 20 avril 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

James Gray

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Blanche Causey

POUR SON PROPRE COMPTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

        POUR LE DEMANDEUR

Blanche Causey

445, rue St. Anne

Bathurst (Nouveau-Brunswick)

EA2 2N3

                        POUR SON PROPRE COMPTE

 

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