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Date : 20070416

Dossier : IMM-1430-07

Référence : 2007 CF 394

Toronto (Ontario), le 16 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

SERGIY GOLUBYEV

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

CONTEXTE

[1]               Le demandeur, un citoyen de l’Ukraine, a déposé une requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui. Les demandes d’autorisation sous-jacentes contestent la décision relative à sa demande d’examen des risques avant renvoi (demande d’ERAR) et la décision défavorable concernant sa demande pour motifs d’ordre humanitaire (demande CH). Dans sa demande d’ERAR et sa demande CH, le demandeur disait craindre la persécution en tant que personne de religion baptiste en Ukraine. (ERAR, dossier de requête du demandeur, pages 450-457;  décision relative à la demande CH, dossier de requête du demandeur, pages 487-492.)

POINT LITIGIEUX

[2]               Le critère de l’octroi d’un sursis d’exécution est bien établi. Le demandeur doit prouver :

a)         qu’il existe une question sérieuse à trancher;

b)         qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé;

c)         que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur.

(Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. n° 587 (QL); R.J.R.-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311.)

 

[3]               Les conditions du critère à trois volets sont cumulatives. Plus précisément, le demandeur doit satisfaire aux trois volets du critère avant que la Cour puisse accorder une suspension de la procédure. (Arrêt Toth, précité; Marenco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 86 F.T.R. 299, [1994] A.C.F. n° 1690 (QL).)

 

ANALYSE

            QUESTION SÉRIEUSE

[4]               Le demandeur fait valoir que l’évaluation des risques effectuée par l’agente CH était erronée parce que celle-ci a appliqué le critère de risque établi aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et n’a pas cherché à savoir si les risques auxquels il serait exposé constituaient des difficultés inhabituelles, indues ou excessives. Cet argument est sans fondement, car l’agente a évalué les risques en même temps que les autres facteurs d’ordre humanitaire et, suivant cette analyse, elle a estimé que ces facteurs ne constituaient pas des difficultés inhabituelles, indues ou excessives :

[traduction] Je ne suis pas convaincue pas que le demandeur a invoqué des motifs d’ordre humanitaire suffisants pour justifier une dispense de l’exigence d’obtenir un visa d’immigrant. Je ne suis pas convaincue que l’observation des exigences prévues par la Loi entraînera pour le demandeur des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Par conséquent, sa demande est rejetée.

 

(Motifs, dossier de requête du demandeur, page 491.)

 

[5]               Dans son analyse des risques, l’agente a conclu que les risques courus par le demandeur ne constitueraient pas des difficultés indues. Elle a aussi estimé que le demandeur n’avait pas prouvé qu’il courait personnellement un risque en Ukraine. Après être arrivée à cette conclusion et après avoir évalué les autres facteurs d’ordre humanitaire, par exemple le degré d’établissement du demandeur au Canada, l’agente a trouvé que ces facteurs n’équivalaient pas à des difficultés indues ou excessives. L’agente a de toute façon fondé son examen sur des motifs approfondis. (Motifs, dossier de requête du demandeur, pages 490-491.)

 

[6]               Dans sa demande CH, le demandeur faisait valoir qu’il devrait bénéficier d’une dispense d’ordre humanitaire à cause des risques qu’il courait personnellement en Ukraine du fait qu’il est baptiste, et en raison de son degré d’établissement au Canada. L’agente a bien tenu compte de ces facteurs lorsqu’elle a conclu que le demandeur ne subirait pas des difficultés inhabituelles ou indues s’il devait être tenu de demander le statut d’immigrant par les moyens habituels d’immigration. Plus précisément, l’agente a évoqué les facteurs suivants :

a)         Le demandeur a allégué les mêmes risques de persécution dans sa demande d’asile, sa demande d’ERAR et sa demande CH. On a jugé qu’il n’était pas exposé à des risques lors de l’examen de sa demande d’asile antérieure et de sa demande d’ERAR. L’agente a relevé qu’elle n’était pas liée par les conclusions de la Section de la protection des réfugiés (la SPR), mais elle a considéré que la SPR est un organisme spécialisé en matière d’examen des risques de persécution et elle a donc estimé qu’il fallait accorder un poids considérable aux conclusions de la Commission portant sur les risques.

b)         La récente preuve documentaire n’appuie pas l’affirmation du demandeur selon laquelle la discrimination à l’encontre des baptistes est répandue en Ukraine. L’agente a plutôt estimé qu’il y a une discrimination seulement en certains endroits bien définis.

c)         Les rapports relatifs au pays indiquent que le gouvernement s’efforçait, à tous les niveaux, de protéger le droit à la liberté de religion et qu’il ne tolérait pas la violation de ce droit; cependant, selon la preuve, il y avait effectivement eu des cas où les adeptes de religions minoritaires avaient eu du mal à acheter ou à louer des biens immeubles.

d)         Les rapports relatifs au pays montrent que l’Union baptiste évangélique d’Ukraine est la religion qui a connu la croissance la plus forte depuis l’indépendance, puisqu’elle compte plus de 500 000 adeptes. D’autres groupes chrétiens minoritaires ont également constaté une augmentation du nombre de leurs adeptes.

e)         Le demandeur peut avoir connu des difficultés entre les sept et vingt dernières années en Ukraine, mais la notion de risque est une notion prospective. La preuve selon laquelle il serait aujourd’hui exposé à des risques était insuffisante.

f)          Le demandeur a atteint un certain degré d’établissement au Canada – par exemple l’exercice d’un emploi continu – depuis son arrivée en 1999, mais il est dépourvu de statut depuis 2002 et il n’a pas eu d’attentes légitimes lui donnant à penser qu’il serait autorisé à demeurer dans ce pays.

g)         Le demandeur est un homme âgé de 45 ans qui a passé la majeure partie de sa vie en Ukraine. Il a montré une aptitude à s’adapter et à réussir. Il n’a pas été suffisamment établi que son retour dans son pays d’origine entraînerait pour lui des difficultés indues.

h)         La conviction du demandeur selon laquelle il ne remplira pas les conditions pour que sa demande d’immigration soit traitée depuis l’étranger ne constitue pas des difficultés indues ou inhabituelles.

i)          Le demandeur n’a pas de parenté au Canada.

(Motifs, dossier de requête du demandeur, pages 489-491.)

 

[7]               Comme on peut le voir dans l’analyse approfondie présentée ci-dessus, la conclusion de l’agente selon laquelle le demandeur n’avait pas prouvé l’existence de difficultés inhabituelles, indues ou excessives pouvant justifier l’octroi d’une dispense pour motifs d’ordre humanitaire ne soulève pas une question sérieuse. Les risques courus par le demandeur ont été évalués dans trois demandes distinctes, et chaque fois le décideur a estimé que le demandeur n’était pas exposé à de tels risques. Par ailleurs, l’argument du demandeur selon lequel il a atteint un certain degré d’établissement au Canada ne prouve pas que son départ lui causerait des difficultés indues ou excessives. La Cour a maintes fois jugé que les difficultés subies par un demandeur doivent être davantage que le simple inconvénient des coûts prévisibles afférents à un départ du Canada, par exemple la vente d’une maison ou d’une voiture, l’abandon d’un emploi ou le fait de devoir quitter des parents ou amis. La conclusion de l’agente selon laquelle il n’y avait rien d’inhabituel dans ce cas était raisonnable.

 

[8]               Contrairement à l’argument du demandeur, la conclusion de l’agente selon laquelle l’importance à accorder au degré d’établissement du demandeur devrait être faible, notamment parce que ce dernier était sans statut et ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il soit autorisé à demeurer au Canada, est une conclusion légitime et pertinente. Le demandeur a pris le risque de s’établir au Canada alors que son statut d’immigrant était incertain et qu’il savait qu’il pouvait être sommé de partir. Maintenant qu’il est sommé de partir et de solliciter son droit d’établissement depuis l’extérieur du Canada – et c’est bien le risque qu’il avait décidé d’assumer –, il ne peut aujourd’hui prétendre, au vu des circonstances de la présente affaire, que les difficultés sont inhabituelles, injustifiées ou excessives. La conclusion de l’agente en matière de motifs d’ordre humanitaire est raisonnable et ne doit pas être modifiée. (Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 937, [2002] A.C.F. n° 1222 (QL), au paragraphe 22.)

 

[9]               Le contenu de la décision d’ERAR est lui aussi éminemment raisonnable. L’agente d’ERAR savait que son analyse au titre de l’alinéa 113a) de la LIPR devait se limiter aux nouveaux éléments de preuve soumis qui avaient été recueillis après le rejet de la demande d’asile ou qui n’étaient pas raisonnablement accessibles à l’époque. Elle a estimé que le demandeur, qui alléguait le même risque de persécution en tant que baptiste en Ukraine que celui qu’il avait allégué dans sa demande d’asile, n’avait pas dissipé les doutes soulevés par la SPR. Plus précisément, l’agente a effectué une analyse approfondie de la preuve et tiré les conclusions suivantes, qui sont nuancées et raisonnables :

a)         La demande d’ERAR s’appuie sur les mêmes faits que ceux qui avaient été exposés lors de l’audition de la demande d’asile.

b)         Les nouveaux documents relatifs au pays contiennent une mise à jour des renseignements sur les conditions ayant cours en Ukraine qui avaient déjà été examinés par la SPR. Les documents ne dissipent pas ni ne réfutent les doutes soulevés par la SPR, notamment sa conclusion selon laquelle la preuve documentaire ne démontrait pas que le demandeur serait exposé à un risque de persécution en tant que baptiste.

c)         Les documents indiquent qu’il existe en certains endroits une discrimination sur le plan religieux. Le gouvernement censure les pratiques de ce genre.

d)         Le demandeur n’a pas réfuté la présomption de l’existence d’une protection de l’État. Le rapport du département d’État des États-Unis mentionnait que le gouvernement ne tolère pas la discrimination religieuse. Il y a quelques problèmes au chapitre de la restitution de biens, mais le gouvernement a facilité la restitution de certains biens communaux.

e)         Le Conseil panukrainien des églises et des organisations religieuses est un organisme consultatif public qui est multiconfessionnel et qui jouit d’une certaine influence. Le Conseil des églises protestantes évangéliques est lui aussi une tribune apte à renforcer la coordination entre les diverses confessions, à résoudre les différends et à débattre des lois pouvant s’imposer. Ce Conseil représente 80 p. 100 des organisations protestantes du pays.

f)          Les églises protestantes ont connu une forte croissance depuis l’indépendance. Plus particulièrement, c’est l’Union baptiste évangélique d’Ukraine qui a progressé le plus fortement depuis l’indépendance, puisqu’elle compte plus de 500 000 adeptes. D’autres groupes chrétiens minoritaires ont eux aussi observé une augmentation du nombre de leurs adeptes.

(Motifs, dossier de requête du demandeur, pages 454-455.)

 

[10]           Le demandeur a blâmé la manière dont l’agente d’ERAR a étudié la question de la protection de l’État. Il fait valoir que l’agente a confondu la volonté théorique de l’État d’offrir une protection avec l’existence d’une réelle protection. Cet argument n’a aucun fondement, car les conclusions ci-dessus montrent que de réels moyens d’obtenir une protection s’offraient à ceux qui souffraient de discrimination religieuse en Ukraine et que les lois mises en place pour les protéger n’étaient pas de simples exercices théoriques. L’agente a notamment relevé que plusieurs organisations bien établies prennent la défense de chrétiens protestants et règlent des différends en leur nom. En outre, le gouvernement intervient dans la résolution des différends fonciers. (Motifs, dossier de requête du demandeur, page 455.)

 

[11]           Le fait que le demandeur apprécierait l’ensemble de la preuve différemment de l’agente ne constitue pas une question sérieuse. En effet, l’agente, en signalant et en examinant les aspects tant favorables que défavorables de la preuve et en reconnaissant l’existence de cas de discrimination religieuse, a démontré qu’elle a fait une analyse minutieuse et raisonnable de la preuve; en outre, sa décision tient pleinement compte des précédents signalés par le demandeur dans lesquels la Cour s’était montrée dubitative quant à l’existence d’une protection étatique en Ukraine. Néanmoins, la Cour a aussi confirmé des décisions fondées sur l’existence d’une telle protection en Ukraine. Chaque cas doit être tranché d’après ses propres circonstances, et la décision qui a été rendue ici est jugée raisonnable. Il n’y a pas de question sérieuse. (Zlobinski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 305, [2007] A.C.F. n° 424 (QL); Keller c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1063, [2003] A.C.F. n° 1346.)

 

            PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[12]           La Cour a jugé que le critère du préjudice irréparable est un critère sévère qui oblige à démontrer l’existence d’une menace sérieuse à la vie ou à la sécurité du demandeur. En l’espèce, les arguments du demandeur concernant le préjudice irréparable font état du même risque de persécution que celui qu’il disait courir en Ukraine et qu’il avait déjà invoqué dans sa demande d’asile, sa demande d’ERAR et sa demande CH.

 

[13]           Les risques que le demandeur prétendait courir en tant que baptiste ont été évalués à trois occasions distinctes, dans sa demande d’asile, dans sa demande CH et dans sa demande d’ERAR, et chaque fois il a été jugé qu’il n’était pas exposé à des risques en Ukraine. Ce prétendu risque, déjà raisonnablement évalué, ne répond pas au critère du préjudice irréparable. (Manohararaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 376, [2006] A.C.F. n° 495 (QL); Sesay c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), IMM-912-07, IMM-914-07.)

 

[14]           Le demandeur s’appuie sur la décision rendue par le juge Luc Martineau dans l’affaire Figurado c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] A.C.F. n° 458 (QL), pour affirmer que sa demande de contrôle judiciaire (à supposer que l’autorisation soit accordée) sera rendue théorique s’il est renvoyé. Tout récemment, le juge Frederick Gibson a rendu une autre décision où il concluait également que la demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable concernant l’ERAR était théorique puisque l’intéressé avait été renvoyé. (Nalliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 759, [2005] A.C.F. n° 956 (QL).)

 

[15]           Aux fins de la présente requête, la Cour (dont le juge Martineau, qui a rendu la décision Figurado, précitée) a jugé qu’une personne dont la demande d’autorisation est encore pendante peut néanmoins être renvoyée. Par exemple, comme l’expliquait le juge James O’Reilly dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 321, [2003] A.C.F. n° 452 (QL), au paragraphe 9, « Je ne vois rien dans la Loi ou dans le Règlement qui fasse obstacle au droit d’un demandeur d’un ERAR qui a été renvoyé du Canada et dont la demande de contrôle judiciaire a été accueillie d’obtenir un nouvel examen de sa demande ». De plus, le juge Martineau écrivait ce qui suit, dans la décision Akyol :

[11]      Sixièmement, l’expulsion de personnes alors qu’elles ont présenté des demandes d’autorisation ou engagé d’autres instances devant la Cour ne constitue ni une question sérieuse ni un préjudice irréparable : Ward c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 86 (1re inst.), au paragraphe 12; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1166 (1re inst.). Je note également que le traitement de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire continuera peu importe où les demandeurs se trouvent et qu’ils peuvent donner à leur avocat, à partir des États-Unis ou à partir de la Turquie, s’ils se retrouvaient là, les directives à suivre pour la poursuite de leur litige.

 

(Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, [2003] A.C.F. n° 452 (QL), et les précédents qui y sont cités; Ryan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. n° 1939, au paragraphe 8.)

 

[16]           La Cour et la Cour d’appel fédérale rejettent couramment des requêtes en sursis d’exécution lorsque des demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire sont pendantes, même s’il s’agit de demandes ou d’appels à l’égard de décisions défavorables relatives à un ERAR. (Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, [2004] A.C.F. n° 1200 (C.A.F.) (QL); El Ouardi c. Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 42, [2005] A.C.F. n° 189 (QL); Sivagnanansuntharam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 70, [2004] A.C.F. n° 325 (C.A.F.) (QL); Tesoro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CAF 148 (C.A.F.).)

 

[17]           L’approche convenable et persuasive qui fait autorité est celle établie par la Cour d’appel fédérale qui a statué que le renvoi d’un demandeur du Canada, alors que son appel de la décision défavorable concernant l’ERAR est pendant, n’a pas pour effet de rendre ses droits illusoires. Dans l’arrêt Selliah, précité, le juge John Maxwell Evans écrivait ce qui suit, au paragraphe 20 : « Puisque l’appel pourra être habilement plaidé par une avocate d’expérience, en l’absence des appelants, et puisque, si les appelants obtiennent gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada aux frais de l’État, je ne puis souscrire à l’idée que leur renvoi rendra illusoire leur droit d’appel. »

 

[18]           La juge Judith Snider a, quant à elle, examiné, mais rejeté, un argument semblable à celui invoqué par le demandeur, et elle a finalement conclu que la demande ne devient pas illusoire en raison du renvoi. Dans la décision Nalliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 3 R.C.F. 210, [2004] A.C.F. n° 2005 (QL), la juge Snider, s’appuyant sur la décision Kim, précitée, et sur l’arrêt Selliah de la Cour d’appel fédérale, écrivait ce qui suit :

[30]      Le deuxième volet de l’argument de M. Nalliah est que la perte du droit de poursuivre le litige constitue un préjudice irréparable. Contrairement à ces prétentions, si l’injonction est refusée, le droit à un recours efficace ne deviendra pas illusoire. Comme le juge O’Reilly l’a dit dans la décision Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2003), 33 Imm. L.R. (3d) 95 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9 : « [...] rien dans la Loi ou dans le Règlement [ne fait] obstacle au droit d’un demandeur d’un ERAR qui a été renvoyé du Canada et dont la demande de contrôle judiciaire a été accueillie d’obtenir un nouvel examen de sa demande ».

[31]      Dans l’arrêt Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CAF 261, au paragraphe 20, le juge Evans, de la Cour d’appel, a dit ce qui suit :

Puisque l’appel pourra être habilement plaidé par une avocate d’expérience, en l’absence des appelants, et puisque, si les appelants obtiennent gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada aux frais de l’État, je ne puis souscrire à l’idée que leur renvoi rendra illusoire leur droit d’appel.

[32]      Il est possible de faire une distinction d’avec les décisions Suresh et Resulaj, dont M. Nalliah a fait mention pour le motif que, dans les deux cas, bon nombre d’éléments de preuve étayaient l’existence d’un risque personnel. En me fondant sur un examen de la jurisprudence, je conclus que le préjudice irréparable ne peut pas uniquement être fondé sur le fait qu’il est difficile pour l’intéressé qui a été renvoyé du Canada de faire valoir ses droits de contestation.

 

 

[19]           En outre, il n’était évidemment pas dans l’intention du législateur de permettre que toute personne visée par une décision défavorable concernant l’ERAR reste au Canada jusqu’à l’issue de tout litige lié à cette décision. Le législateur a choisi d’offrir la possibilité de surseoir à l’exécution d’une mesure de renvoi jusqu’à l’issue de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée à l’égard d’une décision de la SPR de refuser l’asile. Le législateur a aussi envisagé un sursis d’exécution dans certains cas précis se rapportant aux ERAR, ainsi que le prévoit l’article 232 du Règlement, dont aucun ne comprenait les demandes d’autorisation contestant des décisions  défavorables relatives à l’ERAR. (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement), articles 231 et 232.)

 

[20]           L’intention du législateur était donc de permettre le renvoi de toute personne dont la demande d’ERAR avait été rejetée. Cela s’accorde également avec l’article 48 de la LIPR, qui prévoit que le ministre est tenu de donner effet aux mesures de renvoi valides dès que les circonstances le permettent. Toute autre interprétation ferait prévaloir le droit d’un demandeur d’asile débouté sur l’obligation légale imposée au ministre, droit et obligation que le législateur a volontairement mis en balance dans les dispositions de la LIPR. Le juge Gibson a reconnu ce fait dans les paragraphes 22 et 23 de la décision Nalliah, précitée.

 

[21]           L’affirmation selon laquelle le réexamen d’une demande d’ERAR devient illusoire en raison d’un renvoi est donc contraire à la LIPR et au Règlement, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale. Par conséquent, l’argument invoqué ici selon lequel le renvoi rendra théorique la demande de contrôle judiciaire est jugé irrecevable.

 

[22]           La décision Figurado, rendue par le juge Martineau, et la décision Nalliah, rendue par le juge Gibson, ne signifient pas qu’un préjudice irréparable résultera de la possibilité qu’une demande devienne théorique. Puisque le juge Gibson souscrivait à la conclusion de la juge Snider, il n’était, au contraire, manifestement pas d’avis que le fait pour lui de conclure au caractère théorique de la demande revenait à admettre l’existence d’un préjudice irréparable. Par ailleurs, il a fondé sa décision sur l’article 232 du Règlement et sur le fait que le législateur n’avait pas jugé à propos d’étendre les sursis d’exécution d’une mesure de renvoi aux demandeurs d’ERAR déboutés. Finalement, la question que le juge Gibson a certifiée fait la distinction entre le préjudice irréparable dans le contexte d’un sursis d’exécution et le caractère théorique d’une demande de contrôle judiciaire. Plus précisément, la question certifiée envisage clairement la possibilité qu’une personne soit renvoyée parce que sa demande de sursis a été rejetée et qu’aucun préjudice irréparable n’a été établi, et simultanément la possibilité que la Cour accorde son autorisation pour ensuite juger que la demande de contrôle judiciaire est théorique.

 

[23]           Par conséquent, après analyse du raisonnement du juge Martineau dans la décision Figurado et du raisonnement du juge Gibson dans la décision Nalliah, deux décisions qui concluaient au caractère théorique d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard d’une décision  défavorable concernant l’ERAR, ce caractère théorique n’entraîne pas nécessairement un préjudice irréparable. La décision du juge Gibson et la question qu’il a certifiée donnent à penser que le préjudice irréparable – et en particulier la preuve d’un risque personnalisé – doivent être établis sans égard à la question du caractère théorique de l’instance.

 

[24]           C’est précisément la conclusion à laquelle était arrivée la juge Eleanor Dawson dans la décision Ryan, précitée : « … il me semble qu’il faut établir davantage que le caractère théorique de la demande pour qu’il y ait un préjudice irréparable. Sinon, il y aura de toute évidence un préjudice irréparable chaque fois que la validité d’une décision de ne pas différer le renvoi sera en cause. »

 

[25]           La Cour d’appel fédérale a signalé aussi que la possibilité du caractère théorique d’une instance ne saurait toujours équivaloir à un préjudice irréparable parce que toute requête en sursis d’exécution donnerait alors lieu à un préjudice irréparable. Ce n’est certainement pas l’intention du législateur, qui a expressément choisi de ne pas inclure les demandes d’ERAR pendantes parmi les procédures pouvant justifier un sursis d’exécution, et ce ne pouvait être l’intention du juge Martineau (qui a rendu les deux décisions Akyol et Figurado) ou celle du juge Gibson dans la décision Nalliah. S’exprimant pour la Cour d’appel fédérale, le juge Marshall Rothstein écrivait ce qui suit dans l’arrêt El Ouardi, précité :

[8]        L’appelante fait valoir que son appel deviendra inopérant si le sursis n’est pas accordé, lui occasionnant ainsi un préjudice irréparable. Le problème avec l’argument selon lequel un appel rendu inopérant équivaut à un préjudice irréparable est que, s’il était adopté en tant que principe, il s’appliquerait à presque tous les cas de renvoi dans lesquels on sollicite un sursis et il priverait essentiellement la Cour du pouvoir discrétionnaire de trancher les questions de préjudice irréparable en se basant sur les faits de chaque espèce. Dans certains cas, le fait qu’un appel devienne inopérant équivaudra à un préjudice irréparable. Dans d’autres, ce ne sera pas le cas. Les documents indiquent que le mari de l’appelante peut présenter une demande pour parrainer son retour au Canada. Le renvoi entraînera sans doute des difficultés, mais il n’est pas évident que le fait de rendre l’appel inopérant occasionnera un préjudice irréparable.

 

 

[26]           Pour ces motifs, le demandeur n’a donc pas ici établi un préjudice irréparable.

 

            PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[27]           Le demandeur n’a pas rempli la troisième condition du critère à trois volets, dans la mesure où la prépondérance des inconvénients milite en faveur du ministre et non pas en sa faveur.

 

[28]           L’article 48 de la LIPR prévoit qu’une mesure de renvoi exécutoire doit être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

[29]           Le demandeur sollicite un recours extraordinaire en equity. Il est bien établi en droit que l’intérêt public doit être pris en compte lorsqu’on évalue ce dernier critère. Pour prouver que la prépondérance des inconvénients militait en sa faveur, le demandeur devait démontrer qu’il existait un intérêt public à ce qu’il ne soit pas renvoyé comme prévu. (Arrêt R.J.R.-MacDonald, précité; Blum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1994) 90 F.T.R. 54, [1994] A.C.F. n° 1990 (QL), le juge Paul Rouleau.)

 

[30]           Comme l’écrivait le juge John Sopinka dans l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733 :

Le principe le plus fondamental du droit de l’immigration veut que les non-citoyens n’aient pas un droit absolu d’entrer au pays ou d’y demeurer.

 

 

 

[31]           Le demandeur n’a pas prouvé que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la non-application du droit ou l’emporte sur l’intérêt public. Le demandeur a bénéficié d’une audition de sa demande d’asile, d’un examen des risques avant renvoi et d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. La prépondérance des inconvénients favorise en l’occurrence le ministre.


JUGEMENT

 

LA COUR REJETTE la requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-1430-07

 

INTITULÉ :                                       SERGIY GOLUBYEV

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 16 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 16 AVRIL 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wennie Lee

 

POUR LE DEMANDEUR

Alison Engel-Yan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lee & Company

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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