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Date : 20070416

Dossier : IMM-1509-07

Référence : 2007 CF 388

Toronto (Ontario), le 16 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

DANIEL MALYY et ROKSANA ANTYPOV

demandeurs

et

 

LE Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente requête en injonction déposée par les demandeurs vise à empêcher le défendeur d’exécuter la mesure de renvoi en Israël fixée au 16 avril 2007.

 

[2]               Les demandeurs sont arrivés au Canada en décembre 2002 et ils ont déposé une demande d’asile trois semaines plus tard. En avril 2004, on a décidé qu’ils n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, en partie en raison du manque de crédibilité de la demanderesse principale; la présente Cour a confirmé cette décision lors d’un contrôle judiciaire. Étant donné qu’on a jugé que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque en Israël, une décision défavorable relative à l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) a été rendue le 9 janvier 2007. Le 15 janvier 2007, les demandeurs ont demandé que soit traitée au Canada leur demande de droit d’établissement fondée sur le paragraphe 25(1), (dossier des demandeurs, p. 20; Antypov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 C.F. 1589, [2004] A.C.F. no 1931 (QL)).

 

[3]               Les demandeurs ont été avisés le 21 février 2007 des arrangements relatifs à leur renvoi. Leur départ, qui était fixé au 13 mars 2007, a été reporté au 16 avril 2007. Le 28 février 2007, les demandeurs ont sollicité le report du renvoi. (Dossier des demandeurs, p. 12 et 18)

 

[4]               L’agent de renvoi a rejetée la requête des demandeurs. Il a conclu que les problèmes médicaux des demandeurs pouvaient être traités en Israël selon un avis médical qui indiquait que les soins médicaux offerts dans ce pays seraient équivalents à ceux que les demandeurs pourraient recevoir au Canada. L’agent a jugé que la demanderesse avait amplement le temps de faire les arrangements en vue de son retour en Israël et que rien ne justifiait le report du renvoi si l’on se fondait sur les prétentions relatives au risque. La demande fondée sur le paragraphe 25(1), déposée récemment, serait en instance pendant plusieurs années, et elle ne pouvait servir de fondement au report du renvoi. Quant à l’enfant canadien de la demanderesse, l’agent a tenu compte du choix de la demanderesse principale, qui avait décidé que l’intérêt supérieur de l’enfant serait mieux servi si celui-ci l’accompagnait en Israël (dossier des demandeurs, p. 20 à 22).  

 


QUESTIONS EN LITIGE

(a)          Les demandeurs ont-ils satisfait au critère à trois volets applicable à une injonction suspendant leur renvoi du Canada? La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision sous‑jacente au présent litige, par laquelle la Cour a refusé de différer le renvoi, ne soulève pas de questions sérieuses.

(b)         Les demandeurs ont-ils prouvé qu’ils subiraient un préjudice irréparable advenant l’exécution de la mesure de renvoi?

(c)          La prépondérance des inconvénients est-elle en faveur du défendeur?

ANALYSE

Critère relatif à l’injonction

[5]               Le critère à trois volets en vue d’établir si les injonctions interlocutoires devraient être accordées en attendant la décision sur le bien-fondé de l’affaire est le suivant : il faut (i) qu’une question sérieuse soit tranchée; (ii) qu’un préjudice irréparable soit causé au demandeur si l’on exécute la mesure de renvoi et (iii) qu’on situe la prépondérance des inconvénients; autrement dit, laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice si l’on accorde ou si l’on rejette l’injonction interlocutoire en attendant la décision sur le bien-fondé (Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), [1988] A.C.F. no 587 (QL)).

 

[6]               Étant donné que le litige sous-jacent à la présente requête est une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire relative au report d’un renvoi, « l’exigence [habituellement] peu élevée » pour établir si la question est sérieuse ne s’applique pas. La Cour doit examiner de près le fond de la demande sous-jacente (Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 C.F.P.I. 148, [2001] A.C.F. no 295 (QL)).

 

[7]               Les exigences du critère à trois volets sont conjonctives. Autrement dit, les demandeurs doivent satisfaire aux trois volets pour que la Cour puisse accorder le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

Question sérieuse

[8]               L’agent de renvoi, qui a l’obligation d’exécuter les mesures de renvoi, a un pouvoir discrétionnaire limité à l’égard du report d’un renvoi. Le seul pouvoir de l’agent consiste à décider si les circonstances « permettent » le renvoi (Simoes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2000 A.C.F. no 936 (QL)).

 

[9]               Dans la présente affaire, l’agent de renvoi a examiné la requête du demandeur quant au report et il a conclu que, de façon raisonnable, les circonstances « permettaient » le renvoi. Le litige sous-jacent à la présente requête est sans fondement et, par conséquent, le demandeur n’a pas répondu au premier volet du critère de la décision Toth

 

[10]           En tentant d’établir qu’une question sérieuse découle de la décision de l’agent de renvoi, les demandeurs ont fourni de la documentation et se sont fondés sur des éléments de preuve qui n’avaient pas été déposés devant l’agent. Les demandeurs ne peuvent pas ajouter des éléments à leur requête une fois qu’une décision a été rendue.

[11]           Les demandeurs soutiennent que l’agent a commis une erreur en ne tenant pas compte du fait qu’ils ne pourront supposément pas avoir accès au système de santé en Israël, étant donné qu’ils n’auraient pas [traduction] « les moyens de se payer » une assurance médicale dans ce pays. Indépendamment de la crédibilité de cette affirmation, la requête en report du renvoi des demandeurs n’était pas fondée sur l’impossibilité d’avoir accès au système de santé en raison d’impécuniosité. Cet argument, ainsi que la preuve présentée à l’appui dans l’affidavit de la demanderesse principale, est présenté pour la première fois devant la présente Cour et il constitue une improvisation dans la requête en report du renvoi des demandeurs. Il est innapproprié que la demanderesse tente de répondre au volet de la « question sérieuse » en se fondant sur une preuve qui n’a pas été présentée à l’agent de renvoi (dossier des demandeurs, p. 12 à 17).

 

[12]           De la même façon, l’argument des demandeurs énoncé aux paragraphes 15 et 16 du mémoire fondé sur des [traduction] « circonstances particulières » n’avait pas été présenté à l’agent, mais a été déposé devant la Cour dans la requête en vue du report de leur renvoi; par exemple, la langue d’instruction en Israël n’était pas considérée comme un élément d’inquiétude dans la requête en report du renvoi, cependant, la question a été soulevée par la demanderesse principale dans son affidavit déposé auprès de la présente Cour. Par conséquent, cet argument ne soulève aucune question sérieuse. 

 

[13]           En ce qui concerne l’intérêt supérieur d’enfants et l’argument des demandeurs, qui se fonde sur une décision interlocutoire de la présente Cour, selon lequel la Convention relative aux droits de l'enfant a été incorporée dans le droit interne du Canada par l’application de l’alinéa 3(3)f) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, la Cour d’appel fédérale a tranché cette question contrairement à la prétention des demandeurs : la Convention n’a pas été incorporée dans le droit interne (De Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 C.A.F. 436, [2005] A.C.F. no 2119 (QL)).

 

[14]           L’agent de renvoi a tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la présente affaire et c’est la demanderesse principale qui a fait le choix d’amener avec elle en Israël son enfant canadien, qui est né deux semaines après son arrivée au Canada (affidavit de Roksana Antypov, paragraphe 5; dossier de la requête des demandeurs p. 8).

 

[15]           Le report du renvoi dans l’attente d’une décision sur la demande fondée sur le paragraphe 25(1), qui a été déposée pour ainsi dire la veille du renvoi des demandeurs, aurait comme résultat de prolonger le délai de plusieurs années et l’agent avait le pouvoir de rejeter cette requête des demandeurs. 

 

[16]           Essentiellement, les demandeurs ne cherchaient pas à différer leur renvoi mais plutôt à le faire annuler. L’agent de renvoi n’a pas le pouvoir d’accorder cette réparation. 

 

 

Préjudice irréparable

[17]           Pour les fins d’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi, le « préjudice irréparable » constitue un critère très strict et suppose l’existence d’une probabilité sérieuse que la vie ou la sécurité du demandeur soit mise en péril. Le préjudice irréparable est très grave. Il doit être plus qu’un fâcheux inconvénient tel qu’une dissolution ou un bouleversement de la famille (Duve c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), (le 26 mars 1996) dossier no IMM‑3416‑95 (C.F.P.I.); Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 403 (C.F.P.I.) (QL), aux paragraphes 20 et 21).

 

[18]           Dans la décision Melo, la Cour a conclu :

[21]      … pour que l’expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au-delà de ce qui est inhérent à la notion même d’expulsion.  Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus.  L’expulsion s’accompagne de séparations forcées et de coeurs brisés.

 

 

 

[19]           La demanderesse n’a pas réussi à établir qu’elle subirait un préjudice irréparable. Dans la décision Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 C.A.F. 261, [2004] A.C.F. no 200 (QL), le juge John Maxwell Evans s’est ainsi exprimé :

[13]      Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu’elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n’ont aucun souvenir du pays qu’ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu’entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l’arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d’exécution dans la plupart des cas dès lors qu’il y aura une question sérieuse à trancher : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39.

[15]      Les racines sociales et économiques que les appelants se sont appliqués à nourrir au Canada au cours des quelque quatre années où ils se sont légitimement prévalus de tous les moyens juridiques d’obtenir le statut de résident permanent ne permettent pas en elles-mêmes d’affirmer que le renvoi des appelants avant que leur appel ne soit jugé leur causera un préjudice irréparable. S’ils ont gain de cause en appel, ils seront probablement autorisés à revenir au Canada en attendant la nouvelle décision qui disposera de leur demande relative à l’ERAR.

 

[20]           La preuve des demandeurs relative au préjudice irréparable montre la portée émotionnelle de la séparation et de la dissolution de la famille. Bien que les conséquences qui en découlent soient sans aucun doute bien réelles, on les trouve souvent dans les affaires d’immigration et, si elles étaient à elles seules suffisantes pour établir un préjudice irréparable, des sursis d’exécution seraient accordés dans la plupart des cas. La preuve déposée n’est donc pas suffisante pour prouver qu’il y a préjudice irréparable aux fins du sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

Prépondérance des inconvénients

[21]           Les inconvénients que les demandeurs pourraient subir en raison de leur renvoi du Canada ne l’emporte pas sur l’intérêt public à exécuter les mesures de renvoi dès que les circonstances le permettent en conformité avec l’article 48 de la LIPR.

 

[22]           L’intérêt public doit être pris en considération dans l’appréciation de la prépondérance des inconvénients en même temps que l’intérêt des plaideurs privés (Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110).

 

[23]           Les inconvénients que pourrait subir les demandeurs par suite de leur renvoi du Canada ne l'emportent pas sur l'intérêt public que le ministre défendeur cherche à préserver aux fins de l'application de la LIPR, en particulier son intérêt à exécuter les mesures d'expulsion dès que les circonstances le permettent (article 48 de la LIPR).

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit rejetée.

 

                                                                                                                   « Michel M. J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM-1509-07

 

INTITULÉ :                                             DANIEL MALYY ET ROKSANA ANTYPOV

                                                                  c.

                                                                  LE Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 16 AVRIL 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

JUGEMENT :                                          LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 16 AVRIL 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Steven Beiles

 

POUR LES DEMANDEURS

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Steven Beiles

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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