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Date : 20070404

Dossier : IMM-7573-05

Référence : 2007 CF 363

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

HELLIVELTON DE ARAUJO,

 WILMARIA SALDAN MOREIRA,

 PATRICK KEVIN MOREIRA

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs, une famille de demandeurs d’asile déboutés, citoyens du Brésil, ont soumis une demande de dispense pour des raisons d’ordre humanitaire leur permettant de demeurer au Canada.  L’agente chargée d’examiner la demande CH (l’agente CH) a rejeté celle-ci après avoir conclu que la famille ne subirait pas de difficultés excessives, injustes ou indues si elle devait quitter le Canada.

 

[2]               Les demandeurs sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de cette décision, en affirmant que l’agente a commis une erreur en ne prenant pas en compte les aspects de leur demande qui intéressaient « l’intérêt public », eu égard aux compétences de M. de Araujo dans le secteur de la construction et à la pénurie de travailleurs qualifiés dans ce domaine au Canada.

 

[3]               Selon les demandeurs, l’agente a commis une autre erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve, en ne prenant pas dûment en considération la preuve, en appréciant mal l’intérêt supérieur des enfants des demandeurs et en fondant sa conclusion sur des éléments de preuve qui n’avaient pas été fournis plutôt que sur les éléments dont elle disposait.

 

[4]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas convaincue que l’agente a commis les erreurs alléguées.  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 

Contexte

[5]               Les demandeurs, une mère, un père et un jeune enfant sont au Canada depuis 2001 ou 2002. Des interrogations subsistent quant au moment où M. de Araujo est arrivé au Canada. Les parties ne contestent pas que les autres membres de la famille soient arrivés au Canada en 2002. Rien n’indique précisément quand M. de Araujo est arrivé ici.

 

[6]                La famille compte maintenant un membre additionnel né au Canada.

 

[7]               Monsieur de Araujo est issu d’une famille nombreuse.  Son père, veuf, vit présentement dans la région de Toronto tout comme sa sœur et ses trois frères. Tous les membres de la famille du demandeur vivant au Canada sont des résidents permanents sauf l’un de ses frères, qui est visé par une mesure de renvoi en tant que demandeur d’asile débouté. Le père de M. de Araujo est venu au Canada après avoir été parrainé par sa fille dans la catégorie du regroupement familial.

 

[8]               Monsieur de Araujo a également cinq autres frères et sœurs qui vivent au Brésil. Les parents de Mme Moreira vivent encore dans leur pays d’origine.

 

[9]               Depuis son arrivée au Canada, M. de Araujo a subvenu à ses besoins en travaillant pour l’entreprise de son frère comme installateur de carreaux de céramiques.

 

[10]           Après que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié ait rejeté les demandes d’asile des demandeurs, ceux-ci ont présenté, le 27 avril 2004, une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.  Dans le cadre de l’examen de cette demande, on a procédé à une évaluation des risques, laquelle s’est révélée négative. L’agent ERAR a conclu que la preuve ne permettait pas d’établir que M. de Araujo et ses enfants seraient exposés à un risque personnel pour leur vie ou leur sécurité en général. Cette conclusion n’est pas contestée.

 

[11]           L’agent CH a conclu que la famille ne subirait pas de difficultés excessives, injustes ou indues si elle devait quitter le Canada. Cette partie de la décision est contestée.

 

 

 

La norme de contrôle applicable

[12]           Il est reconnu que la norme de contrôle générale qui s’applique aux décisions des agents d’immigration dans le cadre des demandes fondées sur des motifs humanitaires est la norme de la décision raisonnable simpliciter : Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

 

[13]           En d’autres termes, la décision doit pouvoir résister à un « examen assez poussé » : Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Loi sur la concurrence) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

 

[14]           Toutefois, je suis convaincue que l’argument des demandeurs fondé sur « l’intérêt public » comporte une question de droit  liée à la compétence de l’agente CH et qu’il convient donc de l’examiner suivant la norme de la décision correcte.

 

 

L’argument fondé sur « l’intérêt public »

[15]           Les demandeurs se réfèrent à l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), et en particulier à la partie de l’article qui prévoit qu’une demande fondée sur des motifs humanitaires peut être accordée « [si le ministre] estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient ». [Non souligné dans l’original]

 

[16]           Selon les demandeurs, l’agente a commis une erreur en ne prenant pas en considération le volet « intérêt public » de l’article 25, puisque les compétences de M. de Araujo dans le secteur de la construction sont en forte demande au Canada.

 

[17]           Selon les demandeurs, l’agente avait l’obligation de prendre ce volet en considération, compte tenu des objectifs formulés à l’article 3 de la LIPR.  En particulier, les demandeurs font valoir les objectifs visant à permettre au Canada de retirer de l’immigration le maximum d’avantages sociaux, culturels et économiques,  à appuyer le développement d’une économie canadienne prospère et forte et à veiller à la réunification des familles au Canada.

 

[18]           L’argument des demandeurs soulève plusieurs problèmes. Le premier est que nulle part dans les observations présentées à l’agente, la famille ne sollicite que la demande soit appréciée en fonction de motifs d’ « intérêt public ».

 

[19]           De plus, la Cour a déjà statué que, comme le terme « intérêt public » employé à l’article 25 de la LIPR n’a pas de contenu objectif, il doit être défini par ceux à qui est confié le pouvoir constitutionnel d’établir des politiques : voir Aqeel c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2006] A.C.F. no 1895, 2006 CF 1498, Vidal c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 41 F.T.R. 118, et Dawkins c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 45 F.T.R. 198. 

 

[20]           Ainsi, dans Dawkins, la Cour a signalé que de permettre à un agent d’immigration de faire exception aux définitions adoptées dans les politiques gouvernementales, équivaudrait à empiéter sur le domaine du législateur. 

 

[21]           L’élaboration de directives est un moyen par lequel les politiques gouvernementales peuvent être formulées. En l’espèce, le ministre a élaboré des directives qui précisent les différentes catégories de personnes dont les demandes sous le régime de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés  au regard de  « l’intérêt public » peuvent être examinées. La catégorie la plus récente concerne les demandes de parrainages des conjoints sans statut au Canada.

 

[22]           Présentement, les directives ne précisent pas que les membres ayant des compétences dans le secteur de la construction font partie d’une catégorie de personnes dont les demandes peuvent être prises en considération sous le volet « intérêt public » de l’article 25.

 

[23]           Par conséquent, je ne peux faire droit à l’argument des demandeurs fondé sur « l’intérêt public ».

 

L’examen de la preuve par l’agente

[24]           Les autres arguments des demandeurs concernent tous l’examen de la preuve par l’agente. À cet égard, ils soutiennent que l’agente a commis une erreur en faisant abstraction d’éléments de preuve, en ne prenant pas dûment en considération la preuve, en appréciant mal l’intérêt supérieur de leurs enfants et en fondant sa conclusion sur des éléments de preuve qui n’avaient pas été fournis plutôt qu’à l’égard des éléments dont elle disposait.

 

[25]           Je débuterai en faisant observer que, selon les demandeurs, les motifs de l’agente se résument à la seule page de texte qui figure dans les notes de l’agente sous la rubrique « décision et motifs ». Je ne suis pas de cet avis. Dans les pages précédant cette partie des notes de l’agente, celle-ci  procède à une revue exhaustive et détaillée des éléments de preuve dont elle dispose, dans le cadre de laquelle elle examine et apprécie cette preuve. Cet exercice fait clairement partie de l’analyse de l’agente et doit être pris en considération afin de déterminer si l’agente a bien soupesé la preuve au dossier.

 

[26]           La jurisprudence établit clairement que celui qui demande une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a le fardeau d’établir les faits sur lesquels repose sa demande. Les demandeurs n’ont aucun droit à une audience et ne peuvent s’attendre légitimement à ce qu’on leur accorde une audience pour faire valoir leurs prétentions. Par conséquent, les demandeurs qui omettent des renseignements pertinents dans leur demande le font à leurs risques et périls : Owusu c. Canada, (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] 2 R.C.F. 635, 2004 C.A.F. 38.

 

[27]           En l’espèce, l’agente a accordé beaucoup d’attention à l’information dont elle disposait relativement à la situation familiale des demandeurs, plus particulièrement au fait que le père veuf vit présentement au Canada.  L’agente a également remarqué qu’aucun détail n’a été fourni concernant la fréquence des visites du grand-père ou son rôle dans la vie des enfants.

 

[28]           L’agente a aussi souligné que le père de M. de Araujo avait quatre autres enfants qui vivaient déjà au Canada et qui pouvaient lui apporter réconfort et consolation.  De plus, l’agente a souligné que la sœur de M. de Araujo ayant parrainé son père, elle était la personne responsable de son soutien matériel.

 

[29]           L’agente a aussi noté qu’aucun des frères et sœurs de M.de Araujo au Canada n’a produit de lettre de soutien ou autres preuves de l’existence de liens étroits entre eux. Il n’existe non plus aucun élément de preuve attestant que les frères et sœurs de M. de Araujo auraient tenté de présenter une demande de parrainage à l’égard d’un membre de la famille avant la mise en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[30]           Par ailleurs, l’agente a fait remarquer que M. de Araujo avait encore cinq frères et sœurs résidant au Brésil. Aucune preuve n’indiquait que ces frères et sœurs ne seraient pas en mesure de fournir à M. de Araujo et à sa famille le soutien requis advenant leur retour.

 

[31]           En outre, l’agente a indiqué que les grands-parents maternels des enfants étaient restés au Brésil, ainsi que d’autres membres de la famille étendue pouvant être en mesure d’apporter un soutien affectif et une aide à la famille pour qu’elle puisse se rétablir au Brésil.

 

[32]           Selon l’agente, cette réadaptation serait également facilitée par le jeune âge relatif des enfants.

 

[33]           En ce qui concernait l’intérêt supérieur des enfants, l’agente a également souligné qu’elle ne détenait pas d’information concernant leur degré d’intégration au Canada. Elle a de plus noté que l’aîné des enfants indiquait encore le portugais comme langue maternelle, ce qui permettait de penser qu’il ne serait pas confronté à une difficulté majeure s’il devait réintégrer le système scolaire brésilien.

 

[34]           L’agente n’a pas été convaincue que M. de Araujo avait établi des liens forts avec le Canada  par son travail ou son implication au sein de la communauté.  Aucun lien à long terme n’était établi et, sauf son inscription à un cours d’anglais langue seconde, le demandeur n’a jamais tenté de recyclage scolaire.  Même si M. de Araujo maintient qu’il a fourni à l’agente une attestation confirmant qu’il a terminé le cours, cette preuve ne figure pas dans le dossier certifié du tribunal.

 

[35]           L’agente ne s’est pas non plus déclarée satisfaite des documents fournis par M. de Araujo relativement à ses activités professionnelles. Après avoir moi-même passé en revue cette preuve documentaire, je suis convaincue que les commentaires de l’agente quant aux lacunes relevées dans la documentation étaient tout à fait raisonnables.

 

[36]           L’agente a de plus constaté que M. de Araujo et son épouse avaient occupé des emplois bien rémunérés au Brésil et que rien n’indiquait qu’ils ne pourraient pas s’y trouver de nouveau du travail.

 

[37]           Ainsi qu’il ressort des commentaires précités, l’agente a examiné attentivement la demande de dispense pour raisons d’ordre humanitaires présentée par les demandeurs et elle a fourni des explications claires et motivées au soutien de sa décision de ne pas octroyer de dispense. En substance, les demandeurs veulent que j’apprécie de nouveau la teneur des renseignements fournis à l’agente. Cette tâche ne revient pas à la présente Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire.

Conclusion

[38]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Certification

[39]           L’avocat des demandeurs propose les questions suivantes aux fins de certification :

 

                                    1.         Les aspects « ordre humanitaire » et « intérêt public » de l’article 25    de la LIPR sont-ils disjonctifs et distincts?

 

2.                   Si la réponse à la question 1 est affirmative,

les considérations et les critères intéressant

« l’intérêt public »  

 

a)   relèvent-ils de la discrétion exclusive du ministre?

 

b)      doivent-ils découler et s’inspirer des articles 3 et suivants de la LIPR et du Règlement de la LIPR?

c)      relèvent-ils des alinéas a) et b) en ce que le ministre ne peut concevoir l’intérêt public que conformément à la LIPR et son Règlement, mais sans faire abstraction ni fermer la porte aux considérations d’intérêt public de la LIPR pour ainsi ne pas entraver son pouvoir discrétionnaire dans un sens ou dans l’autre, c’est-à-dire ni excéder ni refuser d’exercer sa compétence?

 

 

 

 

[40]      Je crois comprendre qu’il n’y a pas de désaccord entre les parties quant à la première question puisque le défendeur a admis que l’aspect « motif humanitaire » et l’aspect « intérêt public » de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés sont disjonctifs et que l’affaire a été plaidée en fonction de cette prémisse. Par conséquent, aucune question ne se pose à cet égard aux fins de certification. 

 

[41]      En ce qui a trait à la deuxième question, je suis d’avis que la question ne se pose pas en l’espèce puisque les demandeurs n’ont jamais demandé à l’agente CH d’examiner la demande en vertu des dispositions relatives à « l’intérêt public » de l’article 25. De plus, la jurisprudence n’est pas contradictoire sur ce point, de sorte que des éclaircissements de la Cour d’appel fédérale ne seraient pas utiles.

 

d)                  Pour ces motifs, je refuse de certifier ces questions.

 

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Dany Brouillette, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-7573-05 

 

INTITULÉ :                                       HELLIVELTON DE ARAUJO ET AL

                                                            c. MCI

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 4 avril 2007            

 

 

COMPARUTIONS :                        

 

Rocco Galati                                                                            POUR LES DEMANDEURS

 

Sally Thomas                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

 

CABINET ROCCO GALATI

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LES DEMANDEURS

 

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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