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Date : 20070403

Dossier : IMM-7631-05

Référence : 2007 CF 357

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

ESMAEIL POURBAHRI-GHESMAT

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               À la fin de l’audience relative au statut de réfugié concernant Esmaeil Pourbahri-Ghesmat, la commissaire a rendu de vive voix une décision accueillant sa demande d’asile. La commissaire a par la suite fourni des motifs écrits pour cette décision. Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission en faisant valoir qu’il y a des différences importantes entre les motifs écrits et les motifs oraux de la Commission, de sorte qu’il est impossible de savoir avec certitude pourquoi la commissaire a fait droit à la demande d’asile.

 

[2]               Le ministre soutient également que la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte d’une incohérence grave existant entre, d’une part, le témoignage de M. Pourbahri‑Ghesmat à l’audience et, d’autre part, les éléments de preuve contenus dans son formulaire de renseignements personnels (FRP), de sorte qu’elle aurait conclu de façon manifestement déraisonnable que l’allégation du demandeur d’asile selon laquelle il s’était converti au christianisme était crédible.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue que la Commission a effectivement commis l’erreur alléguée par le ministre. Par conséquent, la demande sera accueillie.

 

La norme de contrôle

[4]               La présente demande soulève deux questions de principe. La première porte sur la question de la suffisance des motifs de la Commission. Cet aspect soulève une question d’équité procédurale. La norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale est celle de la décision correcte : Fetherston c. Procureur général, 2005 CAF 111.

 

[5]               La seconde question en litige porte sur la conclusion de fait de la Commission selon laquelle la conversion de M. Pourbahri‑Ghesmat au christianisme était authentique. Une telle conclusion doit être examinée selon la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

L’obligation de motiver une décision

[6]               Dès le départ, je dois dire que je n’accepte pas l’affirmation de M. Pourbahri‑Ghesmat selon laquelle le ministre n’a qu’un droit limité à l’équité procédurale en ce qui concerne les motifs à fournir pour une décision étant donné que la loi ne prévoit aucun droit à des motifs et qu’aucun droit garanti au ministre par la Charte n’est en cause.

 

[7]               Cet argument est fondé sur une prémisse factuelle eeronée – en effet, l’article 62 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, prévoit expressément que la Commission doit fournir les motifs écrits de la décision accueillant une demande d’asile lorsque le demandeur d’asile ou le ministre en fait la demande.

 

[8]               Les Règles de la Section de la protection des réfugiés constituent un règlement pris en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, et le ministre a donc légalement droit à des motifs dans des circonstances comme celles‑ci.

 

[9]               M. Pourbahri-Ghesmat soutient également que le droit du ministre à des motifs est restreint parce que le rôle du ministre dans une instance relative à une demande d’asile se limite à assurer que l’intégrité du processus soit respectée.

 

[10]           Il me semble tout à fait clair que l’intégrité du processus d’examen des demandes d’asile exige que les décisions de la Commission, qu’elles soient favorables ou défavorables, soient intelligibles, cohérentes et exemptes de contradictions.

 

[11]           De plus, je souscris au raisonnement du juge de Montigny dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Shwaba, [2007] A.C.F. no 119, et je conclus que la Commission n’est pas libérée de son obligation de motiver sa décision simplement parce que le ministre n’a pas comparu à l’audience devant la Commission.

 

Dans quelle mesure les motifs écrits de la Commission doivent‑ils être conformes aux motifs donnés de vive voix?

[12]           Il ressort clairement de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Acvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 359, ainsi que d’autres décisions comme Sinnathamby c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 188, Thanni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 353, Vaszilyova c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 1027, Islamaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 187 F.T.R. 78, et Isiaku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 46 Imm. L.R. (2d) 79 (C.F. 1re inst.), conf. par [1999] A.C.F. no 1452 (C.A.F.), que,lorsque la Commission fournit des motifs écrits après avoir rendu oralement sa décision sur une demande d’asile, les motifs écrits doivent correspondre aux motifs oraux.

 

[13]           Il ressort clairement de l’examen de la jurisprudence susmentionnée que, lorsqu’il existe des différences importantes ou significatives entre les motifs écrits et les motifs oraux concernant une demande d’asile, la décision sera annulée étant donné que les parties ne peuvent pas savoir, avec certitude, quel est le fondement de la décision.

 

Les incohérences contenues dans les motifs de la présente affaire

[14]           L’examen des deux décisions en litige en l’espèce montre qu’il existe des divergences fondamentales entre les deux.

 

[15]           L’aspect le plus troublant de la décision rendue oralement est que la commissaire a considéré que la partie de la demande d’asile de M. Pourbahri‑Ghesmat qui était fondée sur sa crainte alléguée d’être persécuté par le gouvernement iranien du fait de ses opinions politiques était crédible.

 

[16]           Par contre, dans les motifs écrits de la Commission, la commissaire a décidé que la crainte alléguée de M. Pourbahri‑Ghesmat d’être persécuté du fait de ses opinions politiques n’était pas crédible.

 

[17]           De plus, immédiatement avant de rendre sa décision oralement, la commissaire a parlé de façon assez détaillée de la situation financière de l’épouse de M. Pourbahri-Ghesmat en Iran. La pertinence de cet élément ne saute pas au yeux, mais il est évident qu’il a influencé, dans une certaine mesure, la conclusion de la commissaire selon laquelle M. Pourbahri‑Ghesmat craignait avec raison d’être persécuté en Iran du fait de ses opinions politiques, ce qui explique que cet élément ait été mentionné dans la décision orale. Cette discussion est tout à fait absente de la décision écrite, peut-être parce que la commissaire en est arrivée à la conclusion tout à fait opposée sur ce point dans cette décision.

 

[18]           Les motifs écrits contiennent également un long résumé des faits qui est tout à fait absent de la décision orale.

 

[19]           M. Pourbahri‑Ghesmat soutient que, même s’il existe des divergences entre les motifs écrits et les motifs oraux de la Commission, les deux décisions sont tout à fait cohérentes pour ce qui est du bien‑fondé de sa demande de protection fondée sur sa conversion au christianisme et que, par conséquent, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

 

[20]           Je ne peux pas retenir cet argument pour deux raisons. Premièrement, comme cela sera expliqué dans la prochaine section de la présente décision, j’estime que la conclusion de fait de la Commission au sujet de l’authenticité de la conversion religieuse de M. Pourbahri‑Ghesmat était manifestement déraisonnable.

 

[21]           La deuxième raison pour laquelle j’écarte cet argument est qu’il ressort clairement de la décision orale de la Commission que, jusqu’à un certain point, les deux fondements de la demande d’asile étaient liés dans l’esprit de la commissaire. C’est‑à‑dire que, lorsqu’elle a évalué le risque auquel étaient exposées les personnes converties au christianisme en Iran, la Commission a examiné ce risque dans le contexte d’une personne qui aurait attiré l’attention des autorités en raison de son profil politique.

 

[22]           Compte tenu des différences fondamentales qui existent entre les deux décisions, il m’est extrêmement difficile de savoir sur quoi repose exactement la décision favorable à laquelle est arrivée la Commission. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[23]           Étant donné que la présente affaire devra faire l’objet d’un nouvel examen, il me paraît approprié d’examiner l’argument du ministre concernant les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité afin que la preuve soit correctement évaluée au cours de la prochaine audience. Cet élément sera examiné ci‑après.

 

La Commission a–t-elle commis une erreur en concluant que la conversion de M. Pourbahri‑Ghesmat au christianisme était authentique?

 

[24]           Ainsi qu’il a été indiqué plus haut, tant dans sa décision orale que dans sa décision écrite, la Commission a considéré que la conversion de M. Pourbahri‑Ghesmat au christianisme était authentique.

 

[25]           L’argument fondé sur la religion constituait une demande sur place, puisque, selon M. Pourbahri‑Ghesmat, il s’est converti après son arrivée au Canada. Il a déclaré à la Commission qu’il était devenu membre de la Way of Truth and Life Church en janvier 2002.

 

[26]           M. Pourbahri‑Ghesmat a rempli son FRP le 26 mars 2002 – environ trois mois plus tard. Il a fourni une description longue et détaillée des difficultés auxquelles il aurait dû, selon lui, faire face en Iran mais, dans cette description, il ne mentionne nulle part sa conversion religieuse ou la crainte que suscite le fait d’avoir adopté une nouvelle religion.

 

[27]           De plus, M. Pourbahri-Ghesmat a indiqué comme religion dans son FRP qu’il est « musulman ».

 

[28]           Il est possible que M. Pourbahri‑Ghesmat ait une explication à fournir au sujet de cette incohérence apparente, explication que la Commission devra examiner lorsqu’elle entendra de nouveau la demande d’asile. Cette divergence concerne toutefois un élément tellement crucial pour la demande d’asile que la Commission ne pouvait pas s’abstenir d’en traiter dans ses motifs écrits ou oraux : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425, 157 F.T.R. 35, aux paragraphes 14 à 17.

 

Conclusion

[29]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

Certification

[30]           L’avocat de M. Pourbahri-Ghesmat propose que la question suivante soit certifiée :

Dans le cas d’une décision favorable de la SPR dans laquelle le demandeur a été jugé crédible, un manquement à la justice naturelle au sujet de l’analyse juridique portant sur l’un des motifs de la définition de réfugié au sens de la Convention a‑t‑il pour effet de vicier la décision en ce qui a trait à l’analyse juridique par ailleurs correcte d’un autre motif prévu par la définition?

 

 

[31]           Cette question repose sur l’hypothèse que la décision de la Commission concernant l’aspect religieux de la demande d’asile de M. Pourbahri‑Ghesmat était « par ailleurs correcte ». Pour les motifs susmentionnés, j’ai conclu que ce n’était pas le cas.

 

[32]           Par conséquent, la question proposée par l’avocat ne se pose pas dans la présente espèce et je refuse de la certifier.

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à une autre formation de la Commission pour nouvelle décision.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        IMM-7631-05

 

INTITULÉ :                                                       MCI

                                                                            c.

                                                                            ESMAEIL POURBAHRI‑GHESMAT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               le 29 mars 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             la juge Mactavish

 

DATE DES MOTIFS :                                     le 3 avril 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Tyndale                                                      POUR LE DEMANDEUR

 

Rocco Galati                                                        POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                           POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

CABINET ROCCO GALATI                             POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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