Ottawa (Ontario), le 30 mars 2007
En présence de Monsieur le juge Shore
ENTRE :
demandeur
et
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
APERÇU
[1] La confiance à l’égard de la fonction publique est un pilier sur lequel se base la perception de l’appareil gouvernementale. C’est le leitmotiv et l’élément moteur même par lequel le publique peut se sentir en sécurité. Sans ceci, comment est-ce-que le publique pourrait se confier au contrat social qu’il accorde aux personnes délégués ou sous-délégués, pour s’occuper de l’affaire collective de l’état.
INTRODUCTION ET PROCÉDURES JUDICIAIRES
[2] Monsieur Michel Gauthier exerce des fonctions d’enquêteur auprès du Ministère du développement social du Canada et est conseiller municipal sur le même territoire. L’employeur est d’avis que ceci constitue un conflit d’intérêts réel ou apparent. Monsieur Gauthier recherche maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.
FAITS
[3] Dans le cadre de ses fonctions d’enquêteur, monsieur Gauthier effectue des enquêtes relatives à l’application de la Loi sur l’Assurance-emploi, 1996, ch. 23, de la Loi sur l’Assurance-chômage et de leurs règlements respectifs dans le but de détecter des fraudes et des abus. Ces enquêtes sont susceptibles de déboucher sur des amendes, des sanctions financières ou encore l’établissement de trop-payés, tel qu’il appert d’une copie de la description de tâches de monsieur Gauthier. (Affidavit de Nicole Barbeau, description des tâches, dossier du défendeur, onglet A, page 6.)
[4] Monsieur Gauthier doit travailler de près avec le public et les employeurs. Il doit maintenir des contacts étroits avec les services de police locaux, recommander des sanctions administratives ou des poursuites judiciaires, déposer des dénonciations, etc. (Affidavit de Nicole Barbeau, ci-dessus.)
[5] À titre de conseiller municipal, monsieur Gauthier est appelé à rencontrer des citoyens et entrepreneurs de son district électoral pour, entre autre, écouter leurs revendications et obtenir des changements en leur faveur. Or, dans le cadre de ses fonctions comme enquêteur, il est appelé à rencontrer ces mêmes individus pour prévenir la fraude ou la déceler et établir des sanctions financières ou autres mesures punitives. Il peut même recommander des poursuites judiciaires. (Affidavit de Nicole Barbeau, ci-dessus.)
Conflit d’intérêts
[6] En tant que fonctionnaire, monsieur Gauthier est assujetti au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. (Affidavit de Nicole Barbeau, Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, dossier du défendeur, onglet A, page 21.)
[7] Le Code de valeurs et d’éthique est un outil privilégié pour permettre à la fonction publique de conserver et accroître la confiance du public en son intégrité. D’ailleurs, chaque Ministre a la responsabilité de maintenir cette confiance du public et de garder la fonction publique impartiale et non partisane. (Affidavit de Nicole Barbeau, ci-dessus.)
[8] Tel qu’énoncé dans le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, il est de la responsabilité de chaque fonctionnaire de prendre les moyens nécessaires pour s’assurer de ne pas être en situation de conflit d’intérêts :
Responsabilité de tous les fonctionnaires :
a) Dans l'exercice de leurs fonctions officielles, organiser leurs affaires personnelles de façon à éviter toute forme de conflit d'intérêts réel, apparent ou potentiel.
b) S'il y a d'éventuels conflits entre l'intérêt personnel du fonctionnaire et ses fonctions et responsabilités officielles, l'intérêt public doit primer dans le règlement desdits conflits. |
Public servants have the following overall responsibilities:
(a) In carrying out their official duties, public servants should arrange their private affairs in a manner that will prevent real, apparent or potential conflicts of interest from arising.
(b) If a conflict does arise between the private interests and the official duties of a public servant, the conflict should be resolved in favour of the public interest. |
Décision de la Sous-ministre adjointe
[9] C’est dans ce contexte que Madame Nicole Barbeau, sous-ministre adjointe apprend, suite au rapport confidentiel soumis par monsieur Gauthier le 15 septembre 2004, que monsieur Gauthier, non seulement exerce des fonctions de conseiller municipal sur le territoire de la ville fusionnée de Saint-Jean-sur-Richelieu, mais qu’il entend se présenter de nouveau aux élections de l’automne 2005. (Affidavit de monsieur Gauthier, lettre de Nicole Barbeau du 23 février 2005, dossier du demandeur, onglet 4, page 58, pièce « G ».)
[10] Madame Barbeau étudie la situation et conclut qu’il y a apparence de conflit d’intérêts puisque monsieur Gauthier est appelé à faire des enquêtes sur le territoire de la ville au sein de laquelle il est conseiller municipal. (Affidavit de monsieur Gauthier, ci-dessus.)
[11] Madame Barbeau lui demande donc de « cesser d’exercer les fonctions de conseiller à la ville de St-Jean-sur-Richelieu à moins que des mesures soient prises afin que vous exerciez vos fonctions sur un territoire ne comprenant pas celui de cette ville. » (Affidavit de Michel Gauthier, ci-dessus.)
[12] Madame Barbeau réitérait cette connaissance de la décision de son prédécesseur, madame Danielle Vincent, en 1999, autorisant monsieur Gauthier à exercer des activités de conseiller municipal sur le territoire de la ville d’Iberville à l’époque.
[13] Madame Barbeau était toutefois d’avis que la situation était différente. C’est donc dans le but de protéger l’intégrité du rôle d’enquêteur, et de la fonction publique, qu’elle a demandé à monsieur Gauthier d’apporter des modifications à la situation afin d’éviter, sur une base quotidienne, la possibilité de conflit ou d’apparence de conflit d’intérêts. (Affidavit de Nicole Barbeau, dossier du défendeur, onglet A, page 3, para. 12; Affidavit de Michel Gauthier, grief du 21 avril 2005, dossier du demandeur, onglet 4, page 64, pièce « I ».)
[14] Suite à des discussions avec la gestion locale, monsieur Yvan Desroches, directeur des services intégrité, informait monsieur Gauthier que trois options lui étaient offertes :
1. Cesser vos activités politiques sur le territoire;
2. Quitter votre emploi de façon temporaire ou définitivement;
3. Présenter par écrit une demande de mutation.
(Affidavit de Michel Gauthier, courriel de monsieur Yvan Desroches du 21 avril 2005, dossier du demandeur, onglet 4, page 68, pièce « J ».)
[15] Suite à ces discussions, monsieur Gauthier a continué d’exercer les mêmes fonctions et est demeuré conseiller municipal à Saint-Jean-sur-Richelieu. Il a seulement accepté d’effectuer son travail sur le territoire de la ville de Brossard.
[16] Monsieur Gauthier a cependant déposé un grief en date du 21 avril 2005 contestant la décision de madame Barbeau. Le libellé du grief ce lit comme suit :
JE CONTESTE LA DÉCISION DU 24/03/05 DE MME NICOLE BARBEAU : VOUS DEVEZ DONC CESSER D’EXERCER LES FONCTIONS DE CONSEILLER A LA VILLE DE SAINT-JEAN-SUR RICHELIEU A MOINS QUE DES MESURES SOIT PRISES AFIN QUE VOUS EXERCIEZ VOS FONCTIONS D’ENQUETEUR NE COMPRENANT PAS CELUI DE CETTE VILLE. JE CONSIDERE QUE PAR CETTE DÉCISION, MON EMPLOYEUR CONTREVIENT A LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS.
[17] Les mesures correctives suivantes ont été demandées par le biais de ce grief :
QUE L’EMPLOYEUR ANNULE CETTE DÉCISION.
QU’IL CESSE IMMÉDIATEMENT LES DÉMARCHES POUR M’AFFECTER DANS UN TERRITOIRE AUTRE QUE SAINT-JEAN-SUR-RICHELIEU.
QUE L’EMPLOYEUR RESPECTE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉ EN ME PRIVANT PAS DE MON DROIT DE SERVIR LA COLLECTIVITÉ.
[18] Suite à ses discussions avec la gestion locale, monsieur Gauthier signait une demande de mutation en date du 11 juillet 2005. Il a par la suite continué à exercer les mêmes fonctions, mais à partir du bureau de Brossard. (Affidavit de Michel Gauthier, demande de mutation, dossier du demandeur, onglet 4, page 74, pièce « L ».)
[19] La décision de madame Barbeau a été maintenue au dernier palier de grief par monsieur Phil Jensen. Le demandeur recherche la révision judiciaire de cette dernière décision. (Affidavit de Nicole Barbeau, dossier du défendeur, onglet A, page 87.)
POINT EN LITIGE
[20] La décision du Sous-ministre adjoint Phil Jensen, rendue le 22 novembre 2005, était-elle manifestement déraisonnable ?
ANALYSE
Norme de contrôle
[21] Le sous-ministre adjoint possède une connaissance approfondie des politiques, procédures et règles en vigueur au sein du Ministère, incluant le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, ainsi que des fonctions qu’y exerce monsieur Gauthier. Par conséquent, la détermination de l’existence ou non d’un conflit d’intérêts relève clairement de son expertise. Sa décision est également protégée par une clause privative. La norme de la décision manifestement déraisonnable doit donc être applicable.
[22] L’interaction entre les quatre facteurs de l’analyse pragmatique et fonctionnelle détermine le degré de déférence qui doit être accordé à une décision administrative. (Dubé c. Canada (Procureur général), 2006 CF 796, [2006] A.C.F. no 1014 (QL), para. 21.)
[23] La décision de monsieur Jensen est assujettie à une clause privative. En vertu de l’article 214 de la Loi sur les Relations de travail dans la fonction publique, 2003, ch. 22 (LRTFP), toute décision rendue au palier final de la procédure de grief qui ne peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage est finale et exécutoire.
214. Sauf dans le cas du grief individuel qui peut être renvoyé à l’arbitrage au titre de l’article 209, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est définitive et obligatoire et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l’égard du grief en cause. |
214. If an individual grievance has been presented up to and including the final level in the grievance process and it is not one that under section 209 may be referred to adjudication, the decision on the grievance taken at the final level in the grievance process is final and binding for all purposes of this Act and no further action under this Act may be taken on it. |
[24] Il est clair, dans le présent cas, que le grief de monsieur Gauthier ne pouvait faire l’objet d’un renvoi en arbitrage. Par conséquent, la décision de monsieur Jensen est finale et exécutoire, ce qui justifie un degré élevé de retenue judiciaire.
[25] Le Sous-ministre adjoint possède une connaissance approfondie du type de travail effectué par monsieur Gauthier et des politiques applicables au sein du Ministère en matière de conflit d’intérêts. Cette connaissance justifie également un degré élevé de retenue judiciaire. (Dubé, ci-dessus.)
[26] La décision de monsieur Jensen porte essentiellement sur une question factuelle. Elle repose en effet sur les fonctions de monsieur Gauthier, de même que sur les activités de conseiller municipal que ce dernier exerce dans la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu. Sa conclusion à l’effet qu’il existe une apparence de conflit d’intérêts mérite donc un haut degré de retenue.
[27] Puisque cette Cour ne possède pas de connaissance approfondie des fonctions du demandeur et qu’elle ne peut se substituer au Sous-ministre adjoint à cet égard, la décision rendue au dernier palier de grief doit être soumise à la norme de la décision manifestement déraisonnable.
Recours possible et exercé par monsieur Gauthier
[28] En vertu des nouvelles dispositions de la LRTPF, un grief portant sur une mutation exercée sans le consentement du fonctionnaire peut faire l’objet d’un renvoi à l’arbitrage.
209. (1) Après l’avoir porté jusqu’au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, le fonctionnaire peut renvoyer à l’arbitrage tout grief individuel portant sur :
[...] c) soit, s’il est un fonctionnaire de l’administration publique centrale : [...] (ii) la mutation sous le régime de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique sans son consentement alors que celui-ci était nécessaire; |
209. (1) An employee may refer to adjudication an individual grievance that has been presented up to and including the final level in the grievance process and that has not been dealt with to the employee’s satisfaction if the grievance is related to … (c) in the case of an employee in the core public administration,
… (ii) deployment under the Public Service Employment Act without the employee’s consent where consent is required; or |
[29] Ce régime législatif mis en place par le Parlement est exclusive de tout autre recours. Le demandeur a décidé de se prévaloir de son droit de recours par voie de grief et de s’adresser directement à cette Cour. (Vaughan c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, [2005] A.C.S. no 12 (QL); Estwick c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CF 970, [2004] A.C.F. no 1259 (QL).)
Conflit d’intérêts
[30] La décision rendue par monsieur Jensen n’était pas manifestement déraisonnable compte tenu de l’apparence de conflit d’intérêts, celui-ci devait être traité au même titre qu’un conflit d’intérêts réel. (Threader c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 1 C.F. 41, [1986] A.C.F. no 411 (QL).)
[31] Tel que le mentionnait la Cour d’appel fédérale dans Threader, ci-dessus, il appartient à l’employeur de déterminer les règles applicables en matière de conflit d’intérêts :
[16] ...La Couronne a parfaitement le droit d'établir pour ses employés des normes différentes de celles ayant cours dans le secteur privé. Non seulement est-elle légalement autorisée à interdire à ses employés de se placer dans des situations entraînant une apparence de conflit d'intérêts ; ses motifs pour ce faire ressortent à l'évidence.
[32] Le test applicable afin de déterminer la présence ou non d’apparence de conflit d’intérêts a été formulé de la façon suivante par la Cour d’appel fédérale dans Threader, ci-dessus :
Est-ce qu'une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, croirait que, selon toute vraisemblance, le fonctionnaire, consciemment ou non, sera influencé par des considérations d'intérêt personnel dans l'exercice de ses fonctions officielles ?
[33] Dans le cadre de ses fonctions, monsieur Gauthier est appelé à faire des enquêtes sur le territoire de la municipalité au sujet de citoyens qui résident dans la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, incluant celui de son propre district électoral. Or, ceci constitue un risque de conflit d’intérêt apparent. À titre d’exemple, un citoyen peut faire l’objet d’une enquête par le demandeur et dans les jours qui suivent devoir s’adresser à lui pour l’émission d’un permis ou un changement de zonage. De même, un individu qui se voit refuser un permis quelconque par la ville suite à une enquête effectuée par le demandeur peut légitimement croire que les fonctions du demandeur auprès du Ministère ont influencé la décision de la ville ou que les renseignements recueillis dans le cadre de l’enquête ont été utilisés par la ville.
[34] Dans un autre scénario, un citoyen qui s’adresse au demandeur en sa capacité de conseiller municipal, pourrait dès le lendemain faire l’objet d’une enquête de la part du demandeur, voir même une sanction administrative.
[35] Également, dans le cadre de ses activités de conseiller municipal, le demandeur procède à des levées de fonds, pour des œuvres de charité, et sollicite ces mêmes citoyens qui font ou feront l’objet d’une enquête.
[36] Dans de telles circonstances, il est indéniable qu’un individu bien renseigné perçoive le demandeur comme portant deux chapeaux simultanément et ait de la difficulté à croire que les activités personnelles du demandeur n’influenceront jamais ses activités professionnelles et vice-versa.
[37] Tel que l’affirmait la Cour d’appel fédérale dans Threader, ci-dessus, l’employeur ne peut tolérer une telle situation :
[16] ...Manifestement, la fonction publique ne sera pas considérée comme impartiale et efficace dans l'exécution de ses fonctions si l'on tolère l'existence de conflits apparents entre l'intérêt personnel des fonctionnaires et leurs obligations à l'endroit du public.
[38] Tel qu’énoncé dans le Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique, il incombe aux fonctionnaires de prendre les mesures adéquates afin de ne pas se mettre dans une situation de conflit d’intérêts réel, apparent ou potentiel. Les responsabilités des fonctionnaires y sont définies de la façon suivante :
Responsabilité de tous les fonctionnaires :
a) Dans l'exercice de leurs fonctions officielles, organiser leurs affaires personnelles de façon à éviter toute forme de conflit d'intérêts réel, apparent ou potentiel.
b) S'il y a d'éventuels conflits entre l'intérêt personnel du fonctionnaire et ses fonctions et responsabilités officielles, l'intérêt public doit primer dans le règlement desdits conflits.
Le fonctionnaire a aussi les responsabilités individuelles suivantes :
a) Il doit se départir de ses intérêts personnels, excluant ceux autorisés par les présentes mesures, lorsque sa participation à des activités gouvernementales peut avoir une influence quelconque. |
Public servants have the following overall responsibilities:
(a) In carrying out their official duties, public servants should arrange their private affairs in a manner that will prevent real, apparent or potential conflicts of interest from arising.
(b) If a conflict does arise between the private interests and the official duties of a public servant, the conflict should be resolved in favour of the public interest.
Public servants also have the following specific duties:
(a) They should not have private interests, other than those permitted pursuant to these measures, that would be affected particularly or significantly by government actions in which they participate.
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[39] Ces règles sont édictées dans le but de maintenir une fonction publique impartiale, intègre et objective. Elles font partie intégrante du devoir de loyauté des fonctionnaires, intrinsèque à la relation employeur-employé. (Fraser c. Canada (Commission des relations de travail dans la fonction publique), [1985] 2 R.C.S. 455, [1985] A.C.S. no 71 (QL); Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69, [1991] A.C.S. no 45 (QL).)
[40] Ce devoir de loyauté suppose que tous les fonctionnaires doivent se conformer à ces standards afin de maintenir la confiance du public à l’égard de la fonction publique :
[43] ... La tradition met l'accent sur les caractéristiques d'impartialité, de neutralité, d'équité et d'intégrité. Une personne qui entre dans la fonction publique ou une qui y est déjà employée doit savoir, ou du moins est présumée savoir, que l'emploi dans la fonction publique comporte l'acceptation de certaines restrictions...
(Fraser, ci-dessus)
[41] Ces restrictions doivent, dans le cas présent, être considérées à la lumière des obligations des fonctionnaires en vertu du Code des valeurs et d’éthique de la fonction publique. Or, l’employeur devait donc intervenir pour exiger du demandeur qu’il se conforme au Code et qu’il mette un terme à une situation de conflit d’intérêts réel ou apparent. Conséquemment, le fait d’abolir toute possibilité que le demandeur procède à des enquêtes sur le territoire de Saint-Jean-sur-Richelieu répondait aux inquiétudes de l’employeur quant à la présence d’un conflit réel ou apparent.
[42] L’employeur était satisfait que l’apparence de conflit d’intérêt était éliminée puisque le demandeur ne devait plus être en contact avec le même bassin de population dans le cadre de ses fonctions d’enquêteur et activités de conseiller municipal. Le fait pour l’employeur de lui proposer comme option d’accepter une mutation au bureau de la ville de Brossard ne constitue pas un paradoxe. Un tel compromis avait d’ailleurs pour effet d’éliminer les préoccupations de l’employeur.
[43] Il n’existe aucune interdiction absolue pour un fonctionnaire d’exercer des activités politiques sur la scène municipale. Celui-ci doit toutefois se conformer au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique. Une exigence supplémentaire s’ajoute en vertu de la nouvelle Loi sur l’emploi dans la fonction publique dans la mesure où le fonctionnaire doit obtenir la permission de la Commission de la fonction publique avant de se porter candidat. Cette nouvelle loi n’est toutefois pas applicable au demandeur, sa demande de contrôle judiciaire étant antérieure à son entrée en vigueur.
Charte canadienne des droits et libertés, Partie I, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U) (Charte)
[44] En réponse aux arguments soulevés par le demandeur, les droits garantis par la Charte au demandeur n’ont pas été atteints en l’espèce puisqu’il n’a jamais été interdit à monsieur Gauthier de se présenter à des élections municipales.
[45] Dans le présent cas, l’employeur a exigé du demandeur qu’il prenne les mesures nécessaires pour éviter d’être dans une situation de conflit d’intérêts réel ou apparent. Pour ce faire, plusieurs options lui ont été offertes, soit :
1. Cesser vos activités politiques sur le territoire;
2. Quitter votre emploi de façon temporaire ou définitivement;
3. Présenter par écrit une demande de mutation.
[46] En effet, l’employeur a simplement exigé de monsieur Gauthier qu’il se conforme au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique et lui a proposé des solutions pour ce faire. Le demandeur a choisi l’option de la mutation au bureau régional de Brossard. Monsieur Gauthier n’a pas été préjudicié. Il continue à exercer les mêmes fonctions et agit toujours comme conseiller municipal à Saint-Jean-sur-Richelieu. Il doit certes accroître sont temps de transport, mais un grief a déjà été déposé à cet égard.
[47] Cette situation représentait un compromis viable pour l’employeur puisque le conflit d’intérêt apparent résultait de la perception que peut avoir le public quant aux rôles d’enquêteur et de conseiller municipal du demandeur sur le territoire de la ville de Saint-Jean-sur-Richelieu et à l’influence que l’un pouvait avoir sur l’autre. Une telle façon de faire n’est pas une violation des droits conférés à monsieur Gauthier par la Charte. (Haydon c. Canada, [2000] A.C.F. no 1368 et confirmé par 2005 CAF 249, [2005] A.C.F. no 1146 (QL), Fraser, ci-dessus; Jones c. Ontario (Procureur général), [1992] O.J. no 163 (QL).)
[48] Monsieur Gauthier n’a d’ailleurs pas été privé de la possibilité de poursuivre ses activités de conseiller municipal, une alternative acceptable ayant été proposée. Le fait pour monsieur Gauthier de devoir faire un choix entre différentes solutions afin de se conformer au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique et d’avoir à accroître son temps de transport n’est certainement pas, dans le cas présent, une violation des droits conférés par la Charte.
[88] ...les cas où les exceptions de l’arrêt Fraser s’appliquent, l’intérêt public prime l’objectif d’une fonction publique impartiale et efficace.
[89] En conclusion, je suis d’avis que l’obligation de loyauté en common law, telle qu’elle est exprimée dans l’arrêt Fraser, respecte suffisamment la liberté d’expression qui est garantie par la Charte et donc qu’elle constitue une limite raisonnable au sens de l’article premier de la Charte.
(Haydon, ci-dessus)
[49] Ainsi, si cette Cour devait conclure qu’il existe une restriction aux droits conférés à monsieur Gauthier par la Charte, une telle restriction est justifiée au sens de l’article premier de la Charte puisqu’il est question du devoir de loyauté des fonctionnaires.
CONCLUSION
[50] En résumé, le fait pour monsieur Gauthier d’exercer ses fonctions d’enquêteur sur le même territoire que celui de la ville dans laquelle il est conseiller municipal constitue une situation d’apparence de conflit d’intérêts. Monsieur Gauthier se devait de prendre les mesures adéquates pour remédier à cette situation. La décision de l’employeur d’exiger du demandeur qu’il se conforme au Code de valeurs et d’éthique de la fonction publique était bien fondée, de même que sa décision de lui proposer quelques options pour s’y faire. Ceci ne constitue pas une violation de la Charte. Monsieur Gauthier n’a subi aucun préjudice et continue d’exercer les mêmes activités professionnelles et personnelles. La décision de l’employeur dans les circonstances n’était pas manifestement déraisonnable et la demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2274-05
INTITULÉ : MICHEL GAUTHIER
c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L’AUDIENCE : Ottawa, Ontario
DATE DE L’AUDIENCE : le 11 janvier 2007
DATE DES MOTIFS : le 30 mars 2007
COMPARUTIONS :
Me James Cameron
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POUR LE DEMANDEUR |
Me Jennifer Champagne
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
RAVEN, CAMERON, BALLANTYNE & YAZBECK LLP Ottawa, Ontario
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POUR LE DEMANDEUR |
JOHN H. SIMS, c.r. Sous-procureur général du Canada
|
POUR LE DÉFENDEUR |