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Date : 20070322

Dossier : IMM-2367-06

Référence : 2007 CF 303

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

 

ENTRE :

FATIMA GHULAM

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Fatima Ghulam au sujet d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 28 mars 2006 à la suite des audiences du 5 août  2005 et du 20 janvier 2006. 

 

Contexte

[2]               Mme Ghulam est arrivée au Canada en provenance du Pakistan à la fin de 2004 à titre de visiteuse, mais elle a demandé l'asile peut de temps après son arrivée. Elle était déjà venue au Canada en 1999 pour rendre visite à sa fille, mais était retournée au Pakistan en 2000. Elle avait également rendu visite à son fils au Royaume-Uni en 2004, mais était rentrée au Pakistan parce qu'elle ne se sentait pas vraiment la bienvenue. 

 

[3]               La demande d'asile de Mme Ghulam était fondée sur des allégations de violence conjugale qu'elle avait supportée pendant de longues années. La situation est toutefois devenue intolérable après que son mari eut pris une seconde femme beaucoup plus jeune. Mme Ghulam affirme qu'elle est alors devenue la cible de son mari et de sa seconde femme qui, selon elle, cherchait à s'approprier une propriété dont elle détenait le titre.

 

[4]               La Commission a rejeté la demande d'asile de Mme Ghulam pour cause de manque de crédibilité. Elle a fondé sa conclusion défavorable quant à la crédibilité sur un petit nombre de faiblesses perçues dans le témoignage et sur le fait qu'elle avait tardé à quitter le Pakistan et qu'elle y était retourné en 2000.

 

Questions en litige

[5]               a.         Quelle est la norme de contrôle applicable aux questions soulevées par la demanderesse?

b.         La Commission a-t-elle commis des erreurs justifiant l'annulation de sa décision en rejetant la demande d'asile de la demanderesse?

 

Analyse

[6]               Il est de jurisprudence constante qu’une conclusion tirée par la Commission au sujet de la crédibilité ne peut être annulée que si l'on constate qu'elle est manifestement déraisonnable (Offei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 2000, 2005 CF 1619, spécialement au paragraphe 9, et Crespo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 849, 2005 CF 672).

 

[7]               Il s'agit d'un de ces cas exceptionnels où l'évaluation que la Commission a faite de la crédibilité ne résiste pas à l'examen de la Cour. Bien que, dans sa décision, elle ait analysé de façon relativement approfondie les points essentiels du témoignage de Mme Ghulam, la Commission n'a relevé que très peu d'exemples où son témoignage était déficient ou troublant. Malgré le fait que la Commission a d'abord affirmé qu'elle était consciente de la faiblesse du témoignage de Mme Ghulam et qu'elle tenait compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, la façon dont elle a ensuite traité son témoignage donne à penser le contraire

 

[8]               La Commission a conclu que Mme Ghulam était âgée de 66 ans. Cette conclusion contredit son témoignage, où elle déclare qu'elle pense avoir 73 ans, et les propres observations de la Commission, suivant lesquelles la demanderesse semblait avoir plus de 80 ans. Il était également évident qu'elle était analphabète et qu'elle éprouvait beaucoup de difficultés à témoigner de façon claire. Son Formulaire de renseignements personnels (FRP) indiquait qu'elle n'avait jamais fréquenté l'école. Malgré ces limites, les réserves exprimées par la Commission au sujet de la crédibilité du témoignage de Mme Ghulam étaient fondées sur un seul échange clairement identifié que la Commission a qualifié de « vague » (une série de réponses de toute évidence confuses à des questions portant sur le signalement à la police des violences conjugales dont elle avait été victime).  Le reste de la décision de la Commission se résume essentiellement à un simple compte rendu du témoignage de Mme Ghulam au sujet duquel la Commission ne tire ni inférence ni conclusion, comme on peut le voir à la lecture du long extrait suivant de la décision de la Commission :

Lorsqu'on a demandé à la demandeure d'asile ce qui intéressait son époux à son égard puisqu’il était marié, elle a répondu : [traduction] « Il ne s'intéresse pas à moi. » Elle a ajouté qu'il a fait une crise cardiaque. Elle a répondu qu'elle n'avait aucun contact avec son époux lorsqu'on le lui a demandé. Aucun élément de preuve corroborant n'a été soumis au tribunal pour attester que le présumé époux de la demandeure d'asile est vivant et/ou remarié maintenant, s'intéresse à la demandeure d'asile ou lui causerait du tort de quelque façon que ce soit, à l'exception de son témoignage, que le tribunal ne juge pas crédible.

 

Elle a déclaré qu'ils avaient quatre enfants qui habitaient tous dans des pays étrangers. Un fils est aux États-Unis, un autre est au Royaume-Uni, et un fils et une fille sont au Canada. Toutefois, dans une demande de visa présentée par la demandeure d'asile pour venir au Canada en 1999, les notes au point d'entrée indiquent que son époux et elle possèdent trois écoles, que la demandeure gère les écoles, que son époux et son fils de 18 ans demeurent au Pakistan et qu'elle veut aider sa fille au Canada, qui attend un enfant. Lorsqu'on lui a souligné ces faits, elle a dit qu'elle avait trois fils et une fille qui vivaient tous à l'extérieur du Pakistan.

 

Elle a dit qu'elle était cardiaque; toutefois, elle a voyagé auparavant au Canada et est déjà retournée au Pakistan. Lorsqu'on lui a demandé si elle avait discuté de sa situation avec ses enfants à ce moment-là, elle a répondu qu'elle l'avait fait. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi elle était retournée au Pakistan en 2000, elle a déclaré avoir dit qu'elle pouvait retourner chez elle. Lorsqu'on lui a posé à nouveau la question, elle a répondu qu'elle ne voulait pas être un fardeau. Le tribunal estime que le fait qu'elle se soit à nouveau réclamée de la protection de son pays va à l'encontre de sa crainte subjective au Pakistan.

 

Lorsqu'on lui a demandé pourquoi elle était demeurée avec son époux, elle a répondu qu'elle ne l'avait pas quitté en raison de sa religion et de ses enfants et parce que ses oncles lui avaient dit qu'elle devait endurer son mariage. Toutefois, elle a plus tard déclaré qu'elle avait l'habitude de quitter sa maison et de se rendre à la grande maison de sa mère, où elle et sa sœur vivaient dans le même village, mais son FRP n'en faisait pas mention. On lui a demandé pourquoi elle ne pouvait vivre là-bas si elle pouvait louer un appartement au Pakistan. Elle a dit qu'elle ne pouvait pas travailler et qu'elle ne pouvait pas vivre seule au Pakistan, mais qu'elle avait effectivement vécu dans la grande maison après le décès de sa mère. On lui a également demandé pourquoi elle n'avait pu vivre avec sa sœur au Pakistan. Elle a répondu que sa sœur était âgée et veuve et qu'elle ne pouvait pas vivre avec elle. Lorsqu'on lui a demandé si des problèmes de santé l'empêchaient de travailler, elle a répondu qu'ils lui voleraient ses biens. La demandeure d'asile avait surtout peur de perdre ses biens. Elle a également déclaré que son fils qui habite au Royaume-Uni s'était rendu au Pakistan.

 

Pendant la première séance, la demandeure d'asile n'a fourni aucun document concernant les présumés biens. Toutefois, à la reprise, elle a présenté des documents relatifs à ses biens. Le tribunal constate que le relevé était daté de 2000-2001, mais a été obtenu en 2005 et contient des renseignements de 2001. Les documents indiquent que la demandeure d'asile est la propriétaire, mais rien ne prouve que l'information soit à jour. Il semble que le relevé obtenu en 2005 révèle des renseignements pour les années 2000 et 2001. Le tribunal conclut que les renseignements ne sont pas à jour et qu'il n'y a aucune preuve corroborante attestant que les biens sont au nom de la demandeure d'asile, à l'exception du propre témoignage de la demandeure d'asile. Le tribunal ne la croit pas.

 

Dans les notes prises au point d'entrée la concernant, la demandeure d'asile déclare qu'elle ne peut pas retourner au Pakistan : [traduction] « Son épouse et lui vont me tuer. J'ai été énormément maltraitée par mon époux jusqu'à présent. J'ai très peur lorsque je suis au Pakistan. » Toutefois, elle n'a fait aucune mention de ses biens et n'a pas précisé qu'elle avait signé des documents ou que ses biens lui avaient été volés. Cette question n'a pas été directement posée à la demandeure d'asile, mais son témoignage était axé sur les biens, qui sont devenus un problème lorsque son époux et sa deuxième épouse ont menacé de la tuer et de lui prendre

 

 

 

Bien que le passage précité puisse être interprété comme une critique implicite du témoignage de Mme Ghulam, il est difficile de le considérer comme tel, à défaut de conclusions claires et nettes et compte tenu des faiblesses inhérentes du traitement par la Commission de certains des éléments de preuve signalés. Par exemple, la Commission aurait pu conclure que le mari de Mme Ghulam n'était plus intéressé à la harceler, vu la réponse de Mme Ghulam : « Il ne s'intéresse pas à moi ». Lorsqu'on la situe dans son contexte, on constate cependant que cette réponse semble porter sur le manque d'intérêt qu'il éprouvait pour elle en tant qu'épouse et non comme possibilité d'acquérir un bien réel. La réponse est pour le moins ambiguë mais, à défaut de conclusion de la part de la Commission, on ne peut que spéculer sur son éventuelle incidence sur l'issue de l'affaire.

 

[9]               On peut en dire autant au sujet de l'analyse à laquelle s'est livrée la Commission en ce qui concerne les divergences relevées entre le témoignage de Mme Ghulam et les notes prises au point d'entrée. Elle a témoigné que certaines mentions dans les notes au sujet des membres de sa proche famille étaient inexactes. La Commission n'a toutefois tiré aucune conclusion favorable ou défavorable sur ce point. On ne peut que spéculer sur la question de savoir si la Commission s'est fondée sur ces divergences pour écarter le témoignage de Mme Ghulam et, dans l'affirmative, pourquoi. Certes, à lui seul, ce témoignage n'ajoute rien à la conclusion finale de la Commission.

 

[10]           La Commission a également commis de toute évidence une erreur en concluant que les notes prises au point d'entrée ne faisaient « aucune mention de ses biens ». En fait, il est expressément déclaré ce qui suit dans les notes prises au point d'entrée :

[TRADUCTION]

Mon mari me bat et menace de me tuer parce qu'il veut s'emparer de ce bien qui m'appartient[1]

 

 

[11]           L'analyse que la Commission fait de la question du retour de la demanderesse au Pakistan pour se réclamer à nouveau de la protection de son pays est également très faible. La Commission a estimé que le retour de Mme Ghulam au Pakistan en 2000 allait à l'encontre de sa crainte subjective et minait sa crédibilité. Cette question méritait une analyse beaucoup plus fouillée à la fois parce que la Commission ne précise pas les raisons pour lesquelles des femmes retournent vers un conjoint violent et parce que la situation de Mme Ghulam a de toute évidence empiré à la suite du second mariage de son mari en 2004. La Commission avait ces éléments de preuve en main et elle avait l'obligation à tout le moins de les examiner avant de conclure que la décision de Mme Ghulam de retourner au Pakistan était déraisonnable et inexplicable. 

 

[12]           Les lacunes susmentionnées décelées dans l'analyse que la Commission a faite de la preuve qui lui était soumise correspondent tout à fait aux préoccupations formulées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 228, 130 N.R. 236, où la Cour déclare :

 

L'appelant est la seule personne qui a témoigné verbalement devant la Commission; son témoignage n'a pas été contredit. Les seules observations concernant sa crédibilité figurent dans le bref passage cité ci-dessus, dont l'ambiguïté rend la situation difficile. En effet, le tribunal ne rejette pas catégoriquement le témoignage de l'appelant mais semble douter de la crédibilité de ce dernier. Selon moi, la Commission se trouvait dans l'obligation de justifier, en termes clairs et explicites, pourquoi elle doutait de la crédibilité de l'appelant. L'évaluation (précitée) que la Commission a faite au sujet de la crédibilité de l'appelant est lacunaire parce qu'elle est exposée en termes vagues et généraux. La Commission a conclu que le témoignage d[e] l'appelant était insuffisamment détaillé et parfois incohérent. Il aurait certainement fallu commenter de façon plus explicite l'insuffisance de détails et les incohérences relevées. De la même façon, il aurait fallu fournir de détails sur l'incapacité de l'appelant à répondre aux questions qui lui avaient été posées.

 

 

Dispositif

[13]           Pour les motifs qui viennent d'être exposés, la présente demande est accueillie. L'affaire sera renvoyée à la Commission pour être réexaminée sur le fond par un tribunal différemment constitué.

 

[14]           Aucune des parties n'a proposé de question à certifier, et la présente décision ne soulève aucune question grave de portée générale.

 


 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et que l'affaire est renvoyée à la Commission pour qu'elle soit réexaminée sur le fond par un tribunal différemment constitué.

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                               IMM-2367-06

 

INTITULÉ :                                             FATIMA GHULAM

                                                                  c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATON

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                       TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 1ER MARS 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 22 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Yerzy                                               POUR LA DEMANDERESSE

 

Aviva Basman                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

David Yerzy

Avocat

Toronto (Ontario)                                       POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada             POUR LE DÉFENDEUR

 



[1]               L'avocate du défendeur a signalé à juste titre cette erreur à l'attention de la Cour et de l'avocat de la demanderesse. Cette attitude professionnelle est tout à l'honneur de l'avocate, en tant qu'auxiliaire de la justice, et de son client.

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