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Date : 20070314

Dossier : T-1064-06

Référence : 2007 CF 285

Ottawa (Ontario), le 14 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

 

ENTRE :

INTERNATIONAL WATER-GUARD

INDUSTRIES INC.

 

demanderesse

et

 

 

BOMBARDIER INC.

 

défenderesse

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               La défenderesse présente une requête afin d’obtenir une ordonnance radiant certains paragraphes de la déclaration modifiée de la demanderesse et, à titre subsidiaire, d’autres précisions à l’égard de ladite déclaration, une ordonnance obligeant la demanderesse à se conformer à l’alinéa 182b) des Règles et d’autres redressements accessoires.

 

La requête en radiation

[2]               La présente requête a été introduite dans le cadre d’une action en contrefaçon de brevet. La demanderesse a récemment modifié ses actes de procédure pour ajouter une demande de dommages‑intérêts punitifs au motif que la défenderesse aurait délibérément contrefait le brevet et qu’elle aurait en outre utilisé, dans le but de contrefaire le brevet, des renseignements exclusifs que la demanderesse lui avait communiqués sur une base confidentielle. La défenderesse sollicite la radiation de cette nouvelle demande de dommages‑intérêts punitifs ainsi que des nouvelles allégations de fait sur lesquelles elle repose.

 

[3]               La défenderesse soutient que la Cour n’a pas compétence pour entendre les demandes fondées sur les ententes en vertu desquelles les renseignements ont été divulgués (une entente de collaboration et une entente de non-divulgation entre les parties) étant donné qu’elles contiennent des clauses attribuant une compétence exclusive aux tribunaux du Québec à l’égard de toute [traduction] « action, poursuite ou instance découlant » des ententes « ou liées à celles-ci ». Si la défenderesse a raison et si la demanderesse ne peut pas invoquer la violation de ces ententes devant la Cour, la demande de dommages‑intérêts punitifs repose uniquement sur une allégation de contrefaçon délibérée; les parties reconnaissent que la contrefaçon délibérée ne peut à elle seule donner naissance à des dommages‑intérêts punitifs, de sorte que la demande serait vouée à l’échec.

 

[4]               L’avocat de la défenderesse a admis à l’audience que, s’il n’y avait pas de clauses attributives de compétence dans les ententes, la décision Areva NP GmbH c. Énergie atomique du Canada Limitée, 2006 CF 952, permettrait d’affirmer que, même si l’objet des contrats ne relevait pas de la compétence de la Cour, le comportement de la défenderesse à l’égard de ces contrats peut justifier l’octroi de dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires à titre de réparation découlant de la contrefaçon alléguée. Il n’est donc ni évident ni manifeste que la Cour n’a pas compétence ratione materiae pour entendre la demande de dommages‑intérêts punitifs si celle‑ci est fondée sur des allégations selon lesquelles la contrefaçon, dans le cadre de ces ententes, justifie des dommages‑intérêts punitifs.

 

[5]               Les clauses attributives de compétence exclusive ne peuvent écarter la compétence que la Cour posséderait autrement, pas plus qu’elles ne peuvent lui attribuer une compétence qu’elle n’aurait pas. Ces clauses sont des conventions entre les parties qui sont habituellement mises en œuvre non pas par des ordonnances radiant les actes de procédure mais par des ordonnances suspendant l’instance en faveur du tribunal désigné dans l’entente. La défenderesse n’a pas sollicité la suspension de la présente instance. Par conséquent, l’existence de clauses attributives de compétence exclusive dans les ententes pourrait tout au plus permettre de soutenir que la demanderesse ne peut pas tenter indirectement d’obtenir une décision concernant la violation de ces ententes devant un autre tribunal que celui qui a été désigné ou qu’agissant ainsi, elle commet un abus de procédure.

 

[6]               Je ne connais aucune décision indiquant qu’en présence de clauses contractuelles attributives de compétence exclusive, l’introduction d’une instance devant une cour de justice apparemment compétente constitue un abus de procédure justifiant la radiation des actes de procédure. En fait, la jurisprudence bien établie qui, en matière de suspension d’instance, tend à donner effet à ce type d’ententes va à l’encontre d’une telle conclusion.

 

[7]               Quant à l’argument fondé sur la préclusion, c’est un moyen de défense fondé sur l’equity et non pas sur le droit. S’il n’a pas été invoqué ou soulevé par la défenderesse, il ne peut pas être invoqué d’office par la Cour et, par conséquent, il ne saurait constituer un obstacle, en droit, à la demande présentée par la demanderesse. À cet égard, cet argument est très semblable à la défense de la prescription qui, d’après les tribunaux, ne peut pas être invoquée pour fonder une requête préliminaire en radiation. La Cour d’appel fédérale a statué, dans Kibale c. Canada, (1990) 123 N.R. 153 :

... un « Statute of Limitations » suivant la « common law » n’éteint pas le droit d’action mais donne seulement au défendeur un moyen de défense d’ordre procédural qu’il peut ne pas invoquer et qu’il doit, s’il veut s’en prévaloir, plaider en défense (voir Règle 409). C’est dire qu’un demandeur n’est pas tenu, lorsqu’il rédige sa déclaration, d’alléguer tous les faits qui démontrent que son action est prise en temps utile. En effet, un demandeur n’est pas obligé de prévoir tous les moyens que son adversaire pourra lui opposer. Il peut attendre la production de la défense et, dans le cas ou le défendeur invoque que l’action est tardive, plaider en réponse les faits qui, à son avis, révèlent qu’elle ne l’est pas. Il s’ensuit que, comme le juge Collier le décidait dans Hanna et al. v. The Queen, (1986) 9 F.T.R. 124, un défendeur doit plaider un « Statute of Limitations » dans sa défense; il ne lui est pas permis de le faire dans une requête en radiation sous l’empire de la Règle 419, car, on ne peut, pour les motifs que j’ai dits, affirmer qu’une action est tardive pour le seul motif que la déclaration ne fait pas voir qu’elle ne l’est pas.

 

 

[8]               Le même raisonnement s’applique à la défense de la préclusion invoquée dans la présente affaire : il n’est pas possible d’affirmer que la demanderesse ne peut pas invoquer une rupture du contrat dans lequel elle s’est engagée à reconnaître la compétence exclusive des tribunaux du Québec pour le seul motif que la déclaration n’établit pas les raisons pour lesquelles le principe de la préclusion n’est pas applicable.

 

[9]               Par conséquent, je ne suis pas convaincue que les paragraphes contestés doivent être radiés en vertu de l’article 221 des Règles.

 

Précisions

[10]           En réponse à la première demande informelle de précisions présentée par la défenderesse, la demanderesse a fourni une copie de toutes ses réponses aux demandes de propositions. Elle a également produit la copie d’une série de documents contenant des renseignements apparemment confidentiels divulgués dans le cadre de la collaboration entre IWG et Bombardier. La réponse à cette demande de production n’indique pas que ces documents font partie d’un ensemble de documents plus important. J’estime que la réponse est une déclaration exhaustive des instances de communication, sous forme de documentaire, de renseignements prétendument confidentiels. Le refus de la demanderesse de fournir « des précisions concernant d’autres communications » doit, dans ce contexte, faire référence à des communications sous une forme autre que documentaire. La production d’autres documents n’est donc pas requise.

 

[11]           L’argument de la défenderesse, selon lequel la demanderesse est tenue d’indiquer, dans les documents qu’elle a produits, les renseignements précis qu’elle prétend être confidentiels, compte tenu de la publication de la demande de brevet, repose sur son interprétation des termes de l’entente de non‑divulgation, selon laquelle les renseignements publics ne peuvent pas être protégés par ladite entente. La réponse de la demanderesse montre que celle-ci a adopté une position contraire. Les précisions ont pour but d’éclairer la défenderesse sur les arguments qu’elle doit réfuter. Dans cette mesure, la défenderesse connaît maintenant les faits auxquels elle doit répondre et elle est tout à fait en mesure de plaider sa propre interprétation des faits et des dispositions contractuelles. Elle ne peut pas, au moyen d’une requête en précisions, obliger la demanderesse à présenter les faits de façon conforme à sa thèse.

 

[12]           Quant aux précisions demandées sur la façon dont la défenderesse aurait utilisé ces renseignements pour contrefaire le brevet, je ne suis pas convaincue que la défenderesse en ait besoin pour répondre de façon intelligente à la déclaration. La défenderesse dispose de l’ensemble des documents qui sont censés contenir les renseignements en question, ainsi que des allégations claires sur la façon dont elle aurait contrefait le brevet et de l’allégation selon laquelle les renseignements en question lui ont permis [traduction] « de prendre connaissance des avantages et de la faisabilité des systèmes de circulation d’eau potable dans les aéronefs Bombardier », ce qui lui aurait permis de prendre les mesures constituant la contrefaçon alléguée ou lui aurait facilité la prise de ces mesures. La défenderesse devrait être tout à fait en mesure de répondre de façon intelligente à cette allégation.

 

[13]           La seule allégation pour laquelle il y a lieu de fournir des précisions est l’utilisation, au paragraphe 26 de la déclaration modifiée, du mot « included » (y compris) pour qualifier les normes habituelles en matière de pratiques commerciales raisonnables que la défenderesse n’aurait pas respectées. L’utilisation de ce mot laisse entendre qu’il se peut que la défenderesse ait omis de respecter d’autres normes en matière de pratiques commerciales raisonnables que celles qui ont été expressément mentionnées. Si c’est le cas, la défenderesse a le droit de savoir quelles sont ces normes. Si ce n’est pas le cas, la demanderesse doit fournir cette précision.

 

L’alinéa 182b) des Règles de la Cour fédérale

[14]           L’alinéa 182b) des Règles est clair et dépourvu d’ambiguïté. Il oblige le demandeur qui réclame une réparation pécuniaire à mentionner si le montant demandé excède 50 000 $, intérêts et dépens non compris. Il est possible que l’alinéa 182b) des Règles ait été introduit pour faciliter l’interprétation et l’application des règles concernant les actions simplifiées (règles qui ne pourraient pas de toute façon s’appliquer à la présente action, puisque celle-ci vise l’obtention d’un jugement déclaratoire et d’une injonction), mais c’est néanmoins une condition obligatoire que doit respecter la déclaration. La conséquence de l’omission par le demandeur de se conformer à l’obligation de mentionner si le montant de la réparation pécuniaire est supérieur à 50 000 $ est que le montant demandé sera alors réputé ne pas être supérieur à ce montant (Polchies c. Canada (2003), 238 F.T.R. 254, 2003 CF 961). Par conséquent, si la demanderesse ne signifie pas et ne dépose pas, dans les 14 jours, une déclaration modifiée une nouvelle fois respectant l’alinéa 182b) des Règles, le montant de la réparation pécuniaire demandée sera réputé ne pas être supérieur à 50 000 $, intérêts et dépens non compris.

 

La confidentialité

[15]           Comme cela a été mentionné à l’audience, la preuve déposée par la défenderesse établit uniquement que les ententes qu’elle souhaite déposer sur une base confidentielle étaient considérées confidentielles et qu’elles ont toujours été traitées ainsi. La preuve ne démontre pas si la défenderesse subirait un préjudice commercial ou concurrentiel si ces ententes étaient rendues publiques et, dans ce cas, si l’importance de les protéger l’emporte sur l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires. C’est particulièrement important en l’espèce étant donné que les ententes ont été produites à titre de réponse à une demande de précisions et qu’elles font, par conséquent, partie des actes de procédure, qu’elles ont été citées et reproduites largement dans les dossiers de requête publics et qu’elles pourraient fort bien être directement utilisées par la défenderesse dans sa défense. L’examen de cette partie de la requête de la défenderesse est donc ajourné pour permettre à la défenderesse de signifier et déposer des preuves supplémentaires à l’appui de cette demande de redressement. Dans l’attente d’une décision sur ce point, les documents continueront d’être traités de façon confidentielle.

 

La prorogation du délai imparti pour déposer une défense

[16]           La demanderesse devra déposer une déclaration modifiée une nouvelle fois, ne serait-ce que pour respecter l’alinéa 182b) des Règles, et elle devra fournir des précisions sur la question de savoir si le mot « included », au paragraphe 26, fait référence à d’autres façons dont la défenderesse s’est écartée des pratiques commerciales raisonnables et, si c’est le cas, quelles étaient ces façons. Les règles relatives aux actes de procédure et aux précisions n’exigent pas que les précisions soient insérées dans des actes de procédure modifiés, mais il me semble qu’étant donné que les précisions sont réputées faire partie des actes de procédure, et que d’autres modifications et demandes de précisions doivent, de toute façon, être présentées et fournies, les actes de procédure seraient beaucoup plus clairs et faciles à suivre si la demanderesse reprenait dans une déclaration modifiée de nouveau les précisions qu’elle a déjà fournies et celles qu’elle doit fournir. La demanderesse aura 14 jours pour le faire. Étant donné que les modifications porteront davantage sur la forme que sur le fond, la défenderesse ne devrait pas avoir besoin de plus de 21 jours, à compter de la signification de l’acte de procédure modifié, pour signifier et déposer sa défense.

 

La gestion de l’instance

[17]           Comme cela a été discuté avec les parties à l’audience et avec leur consentement, l’action sera gérée comme une instance à gestion spéciale.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La présente action se poursuivra comme une instance à gestion spéciale.

 

2.                  Dans les 14 jours de la date de la présente ordonnance, la demanderesse signifiera et déposera une déclaration modifiée de nouveau qui :

a)      est conforme à l’alinéa 182b) des Règles, à défaut de quoi la réparation pécuniaire réclamée sera réputée ne pas excéder 50 000 $, intérêts et dépens non compris;

b)      comporte toutes les précisions qu’elle a déjà fournies de façon informelle à la défenderesse;

c)      contient des précisions sur la question de savoir si le mot « included », au paragraphe 26 de la déclaration modifiée, fait référence à d’autres normes habituelles de pratiques commerciales raisonnables que celles qui sont expressément énoncées dans ce paragraphe et, si c’est le cas, en précise la nature.

 

3.                  Dans les 21 jours de la signification de l’acte de procédure modifié de la demanderesse, la défenderesse signifiera et déposera sa défense.

 

4.                  L’examen de la partie de la requête de la défenderesse dans laquelle elle sollicite une ordonnance de confidentialité est ajourné de façon à permettre à la défenderesse de signifier et déposer, dans les 21 jours de la date de la présente ordonnance, d’autres éléments de preuve à l’appui de sa requête. La demanderesse pourra déposer des éléments de preuve ou des observations supplémentaires dans les 5 jours de la signification des éléments de preuve de la défenderesse; en attendant la décision relative à la requête, les documents déposés sur une base confidentielle continueront d’être traités de façon confidentielle.

 

5.                  Les parties devront signifier et déposer, conjointement ou séparément, dans les 20 jours de la date de l’ordonnance désignant un juge ou un protonotaire responsable de la gestion de l’instance, des observations écrites sur les autres mesures à prendre dans la présente instance, ainsi qu’un projet d’ordonnance établissant un projet d’échéancier détaillé pour l’instance.

 

6.                  Les dépens de la requête de la défenderesse suivront l’issue de la cause.

 

 

 

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              T-1064-06

 

INTITULÉ :                                             INTERNATIONAL WATER-GUARD INDUSTRIES INC.

                                                                  c.

                                                                  BOMBARDIER INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     LE 8 MARS 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :        LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

 

DATE DES MOTIFS :                            LE 14 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Chantal Saunders

 

POUR LA DEMANDERESSE

Marcus Klee

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Gowling Lafleur Henderson LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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