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Date : 20070307

Dossier : IMM-2597-06

Référence : 2007 CF 261

Toronto (Ontario), le 7 mars 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

CHIEDZA MELODY NDUDZO

DONHODZO THANDIWE NDUDZO

 

demanderesses

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

[1]               La demanderesse principale, Chiedza Melody Ndudzo, citoyenne du Zimbabwe, fonde sa demande d’asile sur une prétendue crainte de persécution du fait de ses opinions politiques. Dans une décision rendue le 20 avril 2006, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a jugé que la demanderesse principale et sa fille (citoyenne des États-Unis) n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Les demanderesses sollicitent un contrôle judiciaire de cette décision.

 

Questions en litige

[2]               Les demanderesses soulèvent les questions suivantes :

·                    La Commission a-t-elle commis une erreur en jugeant que le témoignage concernant la prétendue attaque du 15 mars 2000 était invraisemblable?

·                    La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte d’autres éléments de preuve présentés devant elle, ou a-t-elle omis de donner des raisons suffisantes pour en justifier le rejet?

·                    La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que la demanderesse principale avait agi d’une manière incompatible avec le comportement d’une personne qui dit craindre d’être persécutée ou qu’elle n’avait éprouvé aucune crainte subjective.

 

Contexte

[3]               La demanderesse principale est citoyenne du Zimbabwe et membre du Mouvement pour un changement démocratique (MDC) de ce pays. Le parti au pouvoir est l'Union nationale africaine du Zimbabwe-Front patriotique (la Zanu-PF). La demanderesse principale prétend qu’elle a été harcelée par la Zanu‑PF. Elle a décrit un incident qui s’est produit en janvier 2000 au cours duquel elle a été arrêtée et détenue par la police parce qu’elle aurait été en possession d’une carte de membre du MDC. Au mois de mars 2000, pendant qu’elle participait à une manifestation du MDC, elle a été attaquée par des membres de la Zanu-PF. Le dernier incident, qui s’est produit avant son départ du Zimbabwe, se rapportait à une irruption par des membres de la Zanu-PF chez elle le 15 mars 2000. Elle a quitté le Zimbabwe pour se rendre aux États-Unis en mai 2000 où elle a vécu avant de venir au Canada, en septembre 2005, avec sa fille née aux États-Unis.

 

[4]               La Commission a rejeté sa demande essentiellement en raison d’un manque de crédibilité. La Commission n’a pas cru son récit à propos de l’irruption chez elle par des membres de la Zanu‑PF en mars 2000. Les raisons principales de ce rejet semblent avoir été que :

 

•     La Commission n’a pas jugé plausible le récit de la demanderesse principale selon lequel les hommes de main de la Zanu-PF aurait quitté la maison sans lui faire de mal même s’ils avaient vu l’uniforme de sa mère. La Commission a aussi jugé invraisemblable la partie du récit selon laquelle les hommes de main de la Zanu-PF n’auraient pas dénoncé la mère de la demanderesse aux autorités gouvernementales, qui travaille pour le gouvernement en qualité d’officier de l’armée. Tel que l’a mentionné la Commission :

Qui plus est, le tribunal estime que, plus probablement que le contraire, la mère, en qualité d’officier de l’armée bien connue dans le quartier, aurait été perçue comme une traîtresse au gouvernement qui l’employait en abritant des partisans du MDC chez elle, d’autant que ces partisans sont ses propres filles. Par ailleurs, le tribunal ne trouve pas vraisemblable que, si la ZANU-PF pouvait si aisément l’identifier, la mère de la demandeure d’asile principale soit encore au service du gouvernement six ans après, sans avoir éprouvé de problème à la suite de l’incident survenu le 15 mars 2000.

     

•     La Commission a constaté que le témoignage de la demanderesse était confus en ce qui concerne le nombre d’hommes qui avaient envahi sa maison.

 

[5]               La Commission a également conclu que la demanderesse principale n’a pas fait de demande d’asile aux États-Unis pendant les cinq années où elle y a vécu « parce qu’elle n’éprouvait pas vraiment de crainte subjective de retourner au Zimbabwe ».

 

Analyse

[6]               Les questions de crédibilité sont des conclusions de faits ne pouvant être infirmées que si elles sont manifestement déraisonnables. Selon cette norme, la Cour interviendra seulement si la décision de la Commission est abusive ou si elle est arbitraire ou rendue sans tenir compte de la preuve (Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7, al. 18.1(4)d); Brar c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1986] A.C.F. no 346 (C.A.F.); Tekin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 357, au par. 10).

 

[7]               Je ne suis pas convaincue que la Commission a commis une erreur dans ses conclusions en ce qui concerne l’irruption chez la demanderesse le 15 mars 2000. Cette dernière soutient que la Commission  « s’est mise à faire des hypothèses » au moment d’apprécier la preuve et de tirer des conclusions. Je ne suis pas de cet avis. La Commission a pris en considération les explications de la demanderesse quant à l’incident de mars 2000, et elle a clairement énoncé dans sa décision les motifs qui l’ont amené à rejeter ces explications. Bien que la Commission ait tiré quelques conclusions quant à la vraisemblance des actions des membres de la Zanu-PF, elle l’a fait en tenant compte du contexte mis en lumière par la preuve documentaire sur la situation régnant au Zimbabwe (voir, Aquebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.); R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [2003] A.C.F. no 162, au par.14). Il ne s’agit pas d’une situation où la Commission a tiré des conclusions sans se fonder sur les faits. Je suis d’avis que les conclusions de la Commission au sujet de l’incident du 15 mars 2000 n’étaient pas manifestement déraisonnables.

 

[8]               Je suis également d’avis que la Commission n’a pas agi déraisonnablement en concluant que la demanderesse n’avait pas fait de demande d’asile aux États-Unis parce qu’elle n’éprouvait pas de crainte subjective. Il est loisible à la Commission de conclure que le fait de ne pas demander asile, ou d’attendre avant de le faire, a miné la crédibilité de la demanderesse (Gonzalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1999] A.C.F. no 805). En l’espèce, les explications de la demanderesse ont été examinées et rejetées par la Commission. Je ne vois aucune raison d’intervenir.

 

[9]               Par contre, j’ai des réserves à l’égard de deux éléments de la décision de la Commission. Le premier élément est que la Commission a relevé des contradictions dans le témoignage de la demanderesse au sujet du nombre d’hommes ayant envahi sa maison. Après avoir examiné le Formulaire de renseignements personnels (FRP) de la demanderesse et la transcription, je suis d’avis qu’il n’y avait pas de contradiction. La Commission a commis une erreur. Néanmoins, c’est une erreur mineure qui, à mon avis, n’était pas déterminante dans l’appréciation de la crédibilité de la demanderesse en ce qui concerne sa version de l’incident du 15 mars 2000. Le deuxième élément est plus préoccupant. Il n’y a aucune mention (et encore moins d’analyse) des incidents de janvier et de mars 2000 et de certains autres éléments de preuves. Après avoir examiné l’irruption du 15 mars 2000 chez la demanderesse, la Commission a simplement affirmé ce qui suit:

Le tribunal sait que la demandeure d’asile principale a décrit d’autres incidents de prétendu harcèlement de la part de membres de la ZANU-PF dans l’exposé circonstancié de son FRP. Le tribunal a toutefois constaté qu’un élément important du récit de la demandeure d’asile principale, soit l’incident du 15 mars 2000, n’était vraiment pas crédible pour les motifs déjà énoncés.

 

La Commission a poursuivi en citant un extrait de la décision Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.) :

J'ajouterais […] même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur […] [qu’un] palier d'audience peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il n'existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication […]. En d'autres termes, la conclusion générale du manque de crédibilité du demandeur de statut peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

 

[10]           Il s’avère que la Commission a conclu, en se fondant sur ses constations concernant l’incident du 15 mars 2000, à un manque de crédibilité en général. Autrement dit, étant donné que la demanderesse n’était pas crédible sur cet incident en particulier, on ne pouvait croire aucun autre élément de son récit. Par conséquent, la Commission n’a ni examiné ni tenu compte :

•     des incidents de janvier et de mars 2000, ni expliqué pourquoi ceux-ci ne sont pas des cas de persécution;

     de la preuve d’adhésion au MDC de la demanderesse;

     de la preuve documentaire concernant les traitements subis par les membres du MDC au Zimbabwe.

 

[11]           Il peut y avoir des circonstances dans lesquelles une conclusion de manque de crédibilité en général pourrait être tirée de l’analyse d’un seul incident. À mon avis, ce n’est pas le cas dans la présente affaire. Je partage la prétention des demanderesses selon laquelle, en l’espèce, la Commission aurait dû traiter des aspects de la demande exposés précédemment. Une telle erreur est susceptible de révision.

 

[12]           Je n’ai aucun moyen de savoir si la conclusion de la Commission aurait été différente si elle avait fait une analyse complète. En conséquence, j'accueillerai la demande de contrôle judiciaire.

 

[13]           Les parties n’ont proposé aucune question aux fins de certification. Aucune question de portée générale ne sera certifiée dans cette affaire.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que :

 

 

1.         La demande soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à un tribunal de la Commission différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

2.         Aucune question de portée générale n'est certifiée.

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM-2597-06

 

INTITULÉ :                                                   CHIEDZA MELODY NDUDZO

DONHODZO THANDIWE NDUDZO

DEMANDERESSES

 

c.

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

DÉFENDEUR

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 6 MARS 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              SNIDER J.

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 MARS 2007

 

 

COMPARUTIONS :                             

 

 

Clifford Luyt

POUR LES DEMANDERESSES

 

David Knapp

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                                                                

Czuma Ritter

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

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