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Date : 20070301

Dossier : IMM-1270-06

Référence : 2007 CF 227

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

 

SIMA TAJDINI

défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu que Sima Tajdini n’était pas exclue de la définition de réfugiée au sens de la Convention étant donné que la Commission était convaincue, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’avait plus le statut de résidente permanente aux États-Unis. La Commission a également conclu que, comme elle craignait avec raison d’être persécutée en Iran, Sima Tajdini pouvait demander l’asile au Canada.

 

[2]               La Cour est saisie d’une demande présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration en vue d’obtenir le contrôle judiciaire de la décision de la Commission. Le ministre soutient que la Commission a commis une erreur en concluant que Mme Tajdini avait perdu son statut de résidente permanente américaine et en ne concluant pas que Mme Tajdini tentait de trouver le meilleur pays d’asile en demandant l’asile au Canada. La Commission a également commis une erreur, selon le ministre, dans la façon dont elle a évalué la crédibilité de Mme Tajdini.

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je ne suis pas persuadée que la Commission a commis les erreurs que le ministre lui reproche. La demande de contrôle judiciaire sera en conséquence rejetée.

 

Contexte

[4]               Mme Tajdini est une citoyenne iranienne qui a obtenu la résidence permanente aux États‑Unis en 1994, en tant qu’épouse d’un citoyen américain. En janvier 1996, Mme Tajdini est retournée en Iran avec ses enfants. En 1998, elle a divorcé d’avec son mari et, conformément aux lois iraniennes, son ex-mari a obtenu la garde exclusive des enfants. En vertu d’une ordonnance prononcée en 1999 par un tribunal iranien, Mme Tajdini a été autorisée à rendre brièvement visite à l’un de ses fils une fois par semaine. 

 

[5]               À son retour en Iran, Mme Tajdini a subvenu à ses propres besoins en offrant des services linguistiques de traduction de l’anglais et en vendant des tableaux. Elle a commencé à fréquenter en Iran un homme auquel elle s’est fiancée en 2003. Mme Tajdini explique qu’elle a ensuite découvert que son fiancé, qui travaillait dans les plus hauts échelons du gouvernement iranien, avait développé une dépendance envers des drogues illégales.

 

[6]               Mme Tajdini raconte que, lorsqu’elle a confronté son ex-fiancé au sujet de sa consommation de drogues et qu’elle l’a menacé de le quitter, il est devenu violent envers elle. Mme Tajdini a ensuite été arrêtée puis mise en prison. Au cours de son incarcération, elle a été violemment battue. Elle croit que son ex-fiancé a été en mesure d’ordonner son arrestation et son agression en raison de la position élevée qu’il occupe au sein du gouvernement iranien.

 

[7]               Mme Tajdini craignait par ailleurs que son ex-fiancé se serve du fait qu’elle s’était convertie au christianisme pour lui faire encore plus de mal. Mme Tajdini a donc décidé, avec l’aide de sa famille, de quitter l’Iran et de demander l’asile au Canada.

 

[8]               Mme Tajdini est arrivée au Canada en septembre 2004 à l’aéroport international Pearson, où elle a rencontré des fonctionnaires de l’immigration. Elle a refusé de collaborer avec les fonctionnaires de l’immigration et de répondre à toute question portant sur sa période antérieure de résidence aux États-Unis ou sur l’endroit où se trouvaient ses fils.

 

[9]               Mme Tajdini a expliqué qu’en raison sa récente incarcération en Iran, elle avait très peur des représentants de l’autorité gouvernementale. Elle a ajouté que l’accueil hostile qui lui avait été réservé à son arrivée au Canada l’avait ébranlée et qu’elle craignait de dire quelque chose qui puisse être utilisé contre elle.

 

[10]           Une audience portant sur la demande d’asile de Mme Tajdini a eu lieu devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Malgré le fait qu’il n’était pas représente par un avocat à l’audience, le ministre a effectivement déposé un avis d’intention d’intervenir dans lequel il soulevait la question de savoir si Mme Tajdini était exclue de la définition de réfugiée au sens de la Convention parce qu’elle posséderait toujours le statut de résidente permanente aux États-Unis.

 

[11]           Le ministre a fourni à la Commission une copie papier d’un dossier informatisé de l’Immigration and Naturalization Service des États-Unis qui indiquait que Mme Tajdini avait obtenu sa résidence permanente américaine en 1994. Il n’y a rien dans ce document papier qui permette de penser que son statut a changé aux États-Unis depuis 1994. 

 

[12]           Le ministre a également fourni à la Commission un extrait d’un site Internet de l’INS intitulé « Maintaining Permanent Residency » qui expliquait en détail de quelle manière une personne peut perdre la résidence permanente aux États-Unis.

 

La décision de la Commission

[13]           La première question que la Commission devait aborder était celle de savoir si Mme Tajdini était exclue de la définition de réfugiée au sens de la Convention par application de l’alinéa 1E de la Convention sur le statut de réfugié parce qu’elle avait encore le statut de résidente permanente aux États-Unis. À cet égard, la Commission a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Tajdini n’était plus une résidente permanente des États-Unis à son arrivée au Canada.

 

[14]           La Commission a fait remarquer que, bien que le rapport de l’INS indiquait que Mme Tajdini avait obtenu la résidence permanente en 1994, il ne disait rien de son statut actuel. La Commission n’a pas accepté que, parce qu’aucun changement dans le statut de Mme Tajdini n’était indiqué dans les dossiers de l’INS, il était nécessaire de conclure que son statut dans ce pays était en fait demeuré inchangé.

 

[15]           La Commission a fait observer qu’il était indiqué dans l’extrait tiré du site Internet de l’INS qu’une personne pouvait perdre son statut de résident permanent si elle quittait les États-Unis pour aller vivre dans un autre pays où elle avait l’intention de vivre en permanence ou si elle séjournait à l’extérieur des États-Unis pendant plus d’un an. La Commission a signalé que Mme Tajdini ne remplissait aucune des conditions qui lui auraient permis de conserver son statut aux États-Unis, malgré son absence de ce pays.

 

[16]           À cet égard, la Commission a constaté que Mme Tajdini avait quitté les États-Unis en 1996 et qu’elle avait vécu en Iran à compter de 1996 et jusqu’à son départ pour le Canada en septembre 2004. Pour tirer cette conclusion, la Commission s’est fondée sur le témoignage de Mme Tajdini, que la Commission a jugé crédible, ainsi que sur des éléments de preuve documentaires tels que l’ordonnance d’un tribunal iranien lui accordant un droit de visite hebdomadaire à son fils, et son carnet téléphonique personnel, qui contenait seulement des numéros de téléphone de personnes vivant en Iran.

 

[17]           La Commission a également tenu compte d’une carte d’embarquement d’Air Iran dont Mme Tajdini s’était servie pour venir au Canada, et d’un document de 2004 du ministère de la Justice de l’Iran, lequel mentionnait que Mme Tajdini était, à titre d’infirmière, dispensée du service annuel d’un mois obligatoire, comme preuve qu’elle résidait effectivement en Iran au cours de la période en question.

 

[18]           Compte tenu du fait que Mme Tajdini avait quitté les États-Unis avec l’intention de ne jamais y retourner et qu’elle avait vécu en Iran pendant huit ans avant de venir au Canada, la Commission était par conséquent convaincue qu’il était plus probable que le contraire qu’elle avait perdu le statut de résidente permanente aux États-Unis.

 

[19]           De plus, après avoir examiné la jurisprudence concernant l’application de la section E de l’article premier de la Convention, la Commission a estimé qu’elle ne disposait tout simplement d’aucun élément de preuve permettant de penser que Mme Tajdini comparait pour mieux choisir son pays d’asile, étant donné qu’elle n’avait plus le statut de résidente permanente des États-Unis à son arrivée au Canada. La Commission a également jugé raisonnables les explications données par Mme Tajdini au sujet des raisons pour lesquelles elle n’avait pas essayé de retourner aux États-Unis. 

 

[20]           La Commission a par conséquent conclu que Mme Tajdini n’était pas exclue de la définition de réfugié au sens de la Convention par application de la section E de l’article premier.

 

[21]           Sur la question de l’inclusion, la Commission a accepté les explications de Mme Tajdini au sujet des raisons pour lesquelles elle s’était enfuie de l’Iran. La Commission a également accepté l’authenticité de sa conversion au christianisme. 

 

[22]           La Commission a estimé que Mme Tajdini ferait l’objet de châtiments sévères ou serait victime de harcèlement si elle retournait en Iran. Pour en arriver à cette conclusion, la Commission s’est fondée sur l’expérience que Mme Tajdini avait vécue avec son ex-fiancé et sur des documents portant sur le traitement réservé en Iran aux musulmans qui se convertissent au christianisme.

 

[23]           La Commission a par conséquent conclu que Mme Tajdini craignait avec raison d’être persécutée en Iran. La Commission a par ailleurs estimé que Mme Tajdini ne pouvait pas bénéficier d’une possibilité de refuge intérieur sûr en Iran, et elle a conclu qu’elle avait effectivement la qualité de réfugiée au sens de la Convention.

 

Questions en litige

[24]            Le ministre affirme que la Commission a commis une erreur en concluant que Mme Tajdini avait perdu son statut de résidente permanente aux États-Unis, compte tenu du fait qu’elle n’avait pas obtenu de décision en ce sens d’un tribunal américain de l’immigration. La Commission a également commis une erreur, aux dires du ministre, en ne reconnaissant pas le fait qu’en venant au Canada au lieu de retourner aux États-Unis, où elle avait le statut de résidente permanente, Mme Tajdini était en quête du meilleur pays d’asile. Enfin, le ministre affirme que la Commission a commis une erreur dans son appréciation de la crédibilité de Mme Tajdini.

 

[25]           Je vais d’abord examiner la question du bien-fondé des conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité. Je procède ainsi parce qu’il est nécessaire, avant de pouvoir aborder les autres arguments du ministre, de connaître le contexte factuel de l’affaire et de déterminer si les conclusions de fait de la Commission peuvent résister à un examen rigoureux.

 

 

Conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité

[26]           L’avocate du ministre soutient que la Commission n’a pas procédé à une analyse assez poussée de la preuve dont elle disposait avant de conclure que Mme Tajdini était un témoin crédible. 

 

[27]           Le ministre n’a signalé à cet égard aucun élément de preuve que la Commission aurait oublié ou qu’elle aurait mal interprété. D’ailleurs, interrogée par la Cour, l’avocate a reconnu qu’elle demandait essentiellement à la Cour de réévaluer les éléments de preuve portés à la connaissance de la Commission. Ce n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire et, par conséquent, je ne puis retenir l’argument du ministre suivant lequel les conclusions tirées par la Commission au sujet de la crédibilité étaient manifestement déraisonnables.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Tajdini avait perdu son statut de résidente permanente aux États-Unis?

 

[28]           La conclusion qu’un demandeur d’asile ne devrait pas être exclu par application de la section 1 de l’article premier de la Convention sur le statut des réfugiés implique une question mixte de fait et de droit qui est susceptible d’un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable (voir, par exemple les jugements Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Choovak, 2002 CFPI 573, Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Choubak, 2006 CF 521 et Parvanta c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1146).

 

[29]           Se fondant sur l’extrait du site Internet de l’Immigration and Naturalization Service des États-Unis, la ministre explique que, pour que Mme Tajdini puisse perdre son statut de résidente permanente aux États-Unis, il faudrait impérativement qu’un tribunal de l’immigration américain rende une décision en ce sens. 

 

[30]           Le ministre affirme que, comme Mme Tajdini n’a pas obtenu une telle décision, il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission de conclure qu’elle n’était plus une résidente permanente des États-Unis.

 

[31]           Vu l’argument du ministre, il est utile d’examiner ce que dit précisément le site Internet de l’INS. Voici les passages de la section intitulée [traduction] « Maintien du statut de résident permanent » qui nous intéressent :

[traduction]

Maintien du statut de résident permanent

Une personne peut perdre son statut de résident permanent si elle commet un acte qui l’expose à être renvoyée légalement des États-Unis en vertu de l’article 237 de l’Immigration and Nationality Act. La personne qui commet un tel acte peut être traduite devant les tribunaux de l’immigration, qui se prononceront sur son droit de conserver la résidence permanente.

 

Une personne est présumée avoir renoncé à son statut de résident permanent dans les cas suivants :

•      Elle s'est installée dans un autre pays avec l'intention d'y vivre en permanence.

•      Elle est restée à l'extérieur des É.-U. pendant plus d'un an sans obtenir de permis de rentrée ou de visa de retour pour résident permanent. Toutefois, toute absence des É.‑U., même si elle est inférieure à un an, peut être prise en considération pour déterminer si elle a renoncé à son statut.

•      Elle est restée à l'extérieur des É.-U. pendant plus de deux ans après la délivrance d'un permis de rentrée sans obtenir de visa de retour pour résident permanent. Toutefois, toute absence des É.-U., même si elle est inférieure à un an, peut être prise en considération pour déterminer si elle a renoncé à son statut.

•      Elle a omis de produire des déclarations de revenus pendant qu'elle résidait à l'extérieur des É.-U.

•      Elle s’est déclarée « non résidente » dans ses déclarations de revenus.

 

[32]           Je n’interprète pas cet énoncé de la même manière que le ministre. Le ministre se fonde sur le premier paragraphe pour affirmer qu’aux États-Unis, la résidence permanente ne peut se perdre qu’à la suite d’une décision de justice. Or, il me semble très clair que le premier paragraphe porte sur les cas dans lesquels la résidence permanente peut se perdre par suite d’un acte positif de l’intéressé qui expose celui-ci à un renvoi des États-Unis. En pareil cas, il est nécessaire qu’un tribunal américain de l’immigration constate la perte de statut en rendant une décision en ce sens.

 

[33]           La seconde partie de l’extrait précité porte sur les cas dans lesquels l’intéressé est présumé avoir renoncé à la résidence permanente aux États-Unis. Le cas de Mme Tajdini entre manifestement dans cette dernière catégorie et il n’y a rien dans la preuve qui permette de penser qu’une décision judiciaire soit nécessaire dans le cas d’une renonciation à la résidence permanente.

 

[34]           Le premier, le deuxième et le quatrième paragraphes en retrait s’appliquent à Mme Tajdini.  Compte tenu des faits constatés par la Commission, Mme Tajdini remplit les trois conditions, qui auraient l’une ou l’autre conduit à présumer qu’elle avait renoncé à son statut de résidente permanente américaine.

 

[35]           Autrement dit, la Commission a constaté que Mme Tajdini s'était installée en Iran en 1996 avec l'intention d'y vivre en permanence, qu’elle se trouvait à l’extérieur des États-Unis depuis huit ans lorsqu’elle est arrivée au Canada et qu’elle n’avait jamais obtenu de permis de rentrée ou de visa de retour pour résident permanent. Enfin, il n’y avait rien dans la preuve qui permettait de penser que Mme Tajdini avait produit des déclarations de revenus aux États-Unis lorsqu’elle vivait en Iran.

 

[36]           Il est de jurisprudence constante qu’une fois que le ministre a établi prima facie que le demandeur d’asile n’a pas qualité de réfugié du fait du statut qu’il possède dans un autre pays, le fardeau de la preuve est déplacé sur le demandeur d’asile, qui doit démontrer qu’il n’a plus ce statut (voir, par exemple, le jugement Shahpari c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. 429).

 

[37]           Ceci étant dit, Mme Tajdini n’était pas tenue d’établir de façon péremptoire et hors de tout doute raisonnable qu’elle avait perdu son statut de résidente permanente aux États-Unis lorsqu’elle est arrivée au Canada. Pour déterminer si, selon la prépondérance des probabilités, Mme Tajdini avait encore le statut de résidence permanente aux États-Unis, il fallait plutôt tenir compte de la possibilité que les autorités américaines ne reconnaissent plus le statut de résidente permanente de Mme Tajdini aux États-Unis (voir l’arrêt Mahdi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1623 (C.A.F.), au paragraphe 12).

 

[38]           Dans le cas qui nous occupe, il ressort à l’évidence de la preuve qu’après avoir obtenu la résidence permanente aux États-Unis en 1994, Mme Tajdini a agi de manière à donner lieu à la probabilité très réelle que les autorités américaines ne la reconnaissent plus comme une résidente permanente et qu’elles lui refusent pour cette raison le droit de revenir aux États-Unis.

 

[39]           Pour ces motifs, je suis convaincue que la conclusion de la Commission suivant laquelle Mme Tajdini a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’était pas une résidente permanente des États-Unis de sorte qu’elle n’était pas exclue de la définition de réfugié, reposait sur la preuve et était parfaitement raisonnable.

 

La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que Mme Tajdini n’était pas en quête du meilleur pays d’asile?

[40]           Le dernier argument du ministre est que la Commission a commis une erreur en ne concluant pas que Mme Tajdini cherchait en fait le meilleur pays d’asile en demandant l’asile au Canada au lieu de retourner aux États-Unis.

 

[41]           Selon le ministre, le fait que Mme Tajdini ne s’est pas renseignée au sujet de son statut de résidente permanente aux États-Unis et qu’elle a plutôt choisi de venir au Canada et de présenter une demande d’asile au Canada équivaut à une quête du meilleur pays d’asile. 

 

[42]           Cet argument repose dans une large mesure sur l’hypothèse que Mme Tajdini avait toujours le statut de résidente permanente aux États-Unis. J’ai déjà conclu que la preuve permettait raisonnablement à la Commission de conclure que Mme Tajdini avait démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’avait plus ce statut.

 

[43]           Qui plus est, la Commission a examiné les explications données par Mme Tajdini pour justifier son défaut d’essayer de rentrer aux États-Unis. La Commission a fait observer que Mme Tajdini avait quitté les États-Unis en 1996, sans n'avoir jamais eu l’intention d’y revenir. En rentrant en Iran, Mme Tajdini avait l’intention évidente d’y vivre en permanence.

 

[44]           Les faits à l’origine de la crainte de persécution de Mme Tajdini ne se sont produits que bien des années plus tard. La Commission a trouvé crédibles les raisons avancées par Mme Tajdini pour expliquer pourquoi elle avait jugé nécessaire de s’enfuir de l’Iran et pourquoi elle ne pensait pas qu’elle pourrait rentrer aux États-Unis. Il était donc raisonnablement loisible à la Commission, vu la preuve dont elle disposait, de conclure que Mme Tajdini n’était pas en quête du meilleur pays d’asile.

 

[45]           De plus, comme dans l’affaire Mahdi, précitée, il ne s’agit pas d’un cas dans lequel un demandeur d’asile a renoncé volontairement à la protection d’un pays pour pouvoir demander l’asile ailleurs. Je ne puis donc retenir l’argument du ministre à cet égard.

 

Conclusion

[46]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

Certification

[47]           L’instruction de la présente affaire a eu lieu le 22 février 2007. À la clôture de l’audience et en réponse à une demande de renseignements de la Cour, l’avocate du ministre a proposé la certification de la question suivante :

[traduction] Dès lors que l’on dispose d’éléments de preuve provenant d’un pays où le demandeur d’asile a un statut et dès lors qu’il risque de se voir refuser l’asile par application de la section E de l’article premier, le demandeur d’asile est-il tenu de produire des éléments de preuve de ce même pays pour démontrer qu’il n’a plus ce statut?

 

[48]           Plus tard le même jour, l’avocate du ministre a écrit à la Cour pour l’informer qu’elle avait reformulé la question proposée, dont voici maintenant le texte :

[traduction] Dès lors que l’on dispose d’éléments de preuve provenant d’un pays où il a un statut, le demandeur d’asile est-il tenu, conformément au jugement Shamlou, de produire des éléments de preuve de ce même pays pour démontrer qu’il n’a pas perdu ce statut?

 

 

[49]           L’affaire Shamlou dont parle le ministre est la décision rendue par la Cour dans l’affaire Shamlou c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 1537.

 

[50]           Dans l’affaire Shamlou, la conclusion de la Commission suivant laquelle un demandeur d’asile pouvait retourner au Mexique était contestée par le demandeur d’asile dans le cadre d’un contrôle judiciaire. À cet égard, le juge Teitelbaum a expliqué que la question soumise à la Cour était celle de savoir « si la Commission a tiré une conclusion qu'il lui était loisible de tirer compte tenu des éléments de preuve déposés ».

 

[51]            La Commission avait estimé qu’elle ne disposait pas d’éléments de preuve crédibles ou fiables pour appuyer l’affirmation du demandeur d’asile qu’il ne pouvait retourner au Mexique, où il avait précédemment bénéficié d’un statut.

 

[52]           La situation est différente en l’espèce, car la Commission disposait d’éléments de preuve, en l’occurrence un extrait du site Internet de l’INS, qui expliquait en détail les circonstances dans lesquelles un ressortissant étranger est réputé avoir renoncé à sa résidence permanente aux États‑Unis. Il y avait aussi le témoignage de Mme Tajdini, auquel la Commission a ajouté foi, au sujet des circonstances entourant son départ des États-Unis en 1996 et sa période de résidence en Iran entre 1996 et 2004.

 

[53]           En conséquence, j’étais d’abord convaincue que la question reformulée suggérée par le ministre ne reposait pas sur les faits de la présente espèce et j’avais l’intention de refuser de la certifier. Toutefois, après que les présents motifs eurent été rédigés mais avant que je ne les signe, l’avocate du ministre a adressé à la Cour, le 26 février 2007, une autre lettre dans laquelle elle disait ce qui suit :

[traduction] À la suite de l’instruction de la présente affaire et après avoir eu l’occasion de réfléchir sur la formulation appropriée de la question dont la certification est proposée dans la présente affaire et après avoir consulté de nouveau mon client, je réclame au nom du ministre l’indulgence de la Cour et lui demande d’envisager la possibilité de certifier les questions suivantes au lieu de la question que j’ai proposée lors de la séance de jeudi.

 

 

[54]           Si j’ai bien compris, l’avocate veut remplacer la question reformulée qu’elle a soumise à la Cour après l’audience par de nouvelles questions, au lieu de la question qu’elle a proposée lors de l’audience elle-même.

 

[55]           Voici les deux questions que l’avocate suggérait dans sa lettre du 26 février :

[traduction]

1. Une fois que le ministre a établi prima facie que la section E de l’article premier s’applique, le fardeau de la preuve est-il déplacé sur le demandeur d’asile, qui doit alors démontrer qu’il ne serait pas autorisé à retourner dans le pays en question?

 

2.  Dans l’affirmative, quel est le critère auquel le demandeur d’asile doit satisfaire? Ce critère consiste-t-il à vérifier s’il existe une possibilité qu’on ne permette pas au demandeur d’asile de retourner dans ce pays ou le critère est-il celui de la probabilité raisonnable?

 

[56]           Je vais d’abord formuler quelques observations au sujet de la procédure suivie en l’espèce en ce qui concerne la question de la certification, pour ensuite aborder les questions elles-mêmes.

 

[57]           L’alinéa 74d) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés prévoit que le jugement rendu par la Cour en matière d’immigration n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci.

 

[58]           Le paragraphe 18(1) des Règles des cours fédérales en matière d’immigration et de protection des réfugiés prévoit qu’avant de rendre jugement sur une demande de contrôle judiciaire en matière d’immigration, le juge doit donner aux parties la possibilité de lui demander de certifier que l’affaire soulève une question grave de portée générale.

 

[59]           L’avocate ne devrait donc pas s’étonner qu’à la clôture de l’audience, le président du tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire portant sur une question d’immigration demande aux parties si l’une ou l’autre souhaite proposer une question à certifier. Sauf dans des cas vraiment exceptionnels, les avocats devraient être prêts et disposés à répondre aux questions du juge. S’ils estiment que l’affaire soulève une ou plusieurs questions graves de portée générale, les avocats devraient avoir déjà obtenu les instructions nécessaires et ils devraient être prêts à soumettre leur(s) question(s) à la Cour.

 

[60]           Compte tenu de la position adoptée par le ministre pendant le déroulement de toute la présente instance, il n’y a rien de ce qui s’est produit à l’audience qui aurait pu le prendre au dépourvu et il n’y a aucune raison pour laquelle le ministre n’aurait pas déjà examiné la question de la certification lorsqu’il s’est présenté à l’audience.

 

[61]           Qu’il suffise de dire que la procédure suivie dans la présente affaire n’est pas appropriée et qu’elle ne devrait pas être encouragée.

 

[62]           Ceci étant dit, je passe maintenant à l’examen des deux dernières questions proposées par le ministre.

 

[63]           En ce qui concerne la première question du ministre, je crois comprendre qu’il est de jurisprudence constante que, dès lors que le ministre a établi prima facie que la section E de l’article premier s’applique, le fardeau de la preuve est déplacé sur le demandeur d’asile, qui doit alors démontrer qu’il ne serait pas autorisé à retourner dans le pays en question. Il ne s’agit donc pas d’une question qu’il convient de certifier.

 

[64]           Pour ce qui est de la seconde question proposée par le ministre, la Cour d’appel fédérale s’est exprimée dans les termes les plus nets sur la question dans l’arrêt Mahdi en expliquant qu’il faut tenir compte de la possibilité que les autorités étrangères ne reconnaissent plus le statut du demandeur d’asile dans leur pays lorsqu’il s’agit de déterminer s’il a été démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l’intéressé possède toujours un statut dans ce pays.

 

[65]           D’ailleurs, à la page 11 de la décision faisant l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire, le président de l’audience reprend la formule même employée dans l’arrêt Mahdi pour préciser la nature du critère auquel il faut satisfaire. À la page suivante, le commissaire en arrive à la conclusion, selon la prépondérance des probabilités, que Mme Tajdini n’est plus une résidente permanente des États-Unis. 

 

[66]           Compte tenu du fait que la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale est on ne peut plus claire sur ce point, je ne suis pas disposée à certifier la seconde question suggérée par le ministre.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR ORDONNE :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

                                                                                                            « Anne L. Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                   IMM-1270-06             

 

INTITULÉ :                                                  MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                       ET DE L’IMMIGRATION c. SIMA TAJDINI

                                                                                               

LIEU DE L’AUDIENCE :                           TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 22 FÉVRIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        MADAME LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :                                LE 1er MARS 2007      

 

 

COMPARUTIONS :

 

Marianne Zoric

Leanne Briscoe                                                                         POUR LE DEMANDEUR

 

 

Geraldine Macdonald                                                               POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

JOHN H. SIMS, c.r.                                                                POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada                                          

Toronto (Ontario)

 

 

GERALDINE MACDONALD                                                POUR LA DÉFENDERESSE

Avocate

Toronto (Ontario)

 

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