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Date : 20070222

Dossier : T-990-06

Référence : 2007 CF 210

ENTRE :

MELANIE GRAHAM

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

[1]               La défenderesse a présenté une requête en radiation de la déclaration de Mme Graham. Le protonotaire Lafrenière a accueilli la requête et radié l’action sans autorisation de modification. Mme Graham a interjeté appel de l’ordonnance du protonotaire Lafrenière. J’ai rejeté l’appel pour les motifs qui suivent.

 

I. Le contexte

[2]               Voici en bref les faits pertinents. Mme Graham est officière dans les Forces canadiennes. Elle souhaitait devenir officière des Affaires publiques. En octobre 2005, sa candidature à ce poste a été examinée par le comité des Affaires publiques (le comité de sélection). En novembre 2005, elle a été informée qu’elle s’était classée pour ce poste en sixième place sur un total de dix. Elle n’a pas été sélectionnée, était-il allégué, parce qu’il n’y avait alors que cinq postes disponibles. Après avoir reçu et examiné les renseignements qu’elle avait obtenus par la voie d’une demande adressée à la direction de l’accès à l’information et de la protection des renseignements personnels (DAIPRP), Mme Graham a estimé que le comité de sélection avait pris en considération des facteurs non pertinents et inappropriés dans l’évaluation de sa candidature. Ce n’était pas clair dans la déclaration et la documentation de la requête en radiation, mais il est maintenant établi que Mme Graham ne se plaignait pas de la procédure ni de la décision du comité de sélection.

 

[3]               Parallèlement au processus du comité de sélection, Mme Graham a également demandé un transfert du secteur naval où elle travaillait aux Affaires publiques. Sa demande de transfert n’a pas été traitée à sa satisfaction. En janvier 2006, elle a déposé un grief sur la question du transfert.

 

[4]               Il est évident, d’après les observations orales présentées en appel, que ces événements étaient indépendants les uns des autres. Par conséquent, la demande de transfert de Mme Graham fait l’objet d’un grief, ce qui n’est pas le cas de l’évaluation de sa candidature à un poste d’officier des Affaires publiques. Plutôt que de déposer un grief sur l’évaluation du comité de sélection, Mme Graham a intenté une action auprès de la présente Cour le 9 juin 2006.

 

II. La décision

[5]               Le nœud de la décision du protonotaire Lafrenière se trouve dans les paragraphes suivants de son ordonnance :

[traduction] Même si la demanderesse a cherché à définir sa cause d’action comme un délit de discrimination, il demeure que les allégations et les demandes de la déclaration, prise dans son ensemble, portent sur son service à titre de membre des Forces armées canadiennes. D’après les éléments de preuve dont je suis saisi, la demanderesse a recours ou a eu recours à la procédure de grief prévue à l’article 29 de la Loi sur la défense nationale, L.R.C. 1985, ch. N-5 et au chapitre 7 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes pour le traitement de ses plaintes. Peu importe qu’elle se soit plainte ou non de pratiques discriminatoires. Il reste qu’elle aurait pu déposer un grief au sujet des éléments soulevés dans la déclaration.

 

La Cour a établi de manière constante que la seule voie de recours à la disposition du personnel militaire pour attaquer une décision (comme l’avancement ou un processus de sélection) est la procédure de grief, qualifiée de large et exhaustive (voir les paragraphes 16 à 26 des observations écrites de la défenderesse). S’agissant de la plainte de la demanderesse touchant l’inefficacité ou le caractère inadéquat de la procédure de grief, la seule voie de recours disponible auprès de la présente Cour est le contrôle judiciaire des décisions finales en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales.

 

 

[6]               Le protonotaire a ensuite examiné le critère applicable à la radiation d’une action et conclu que l’action [traduction] « constitue un abus de procédure, visant à contourner le régime législatif exhaustif prévu dans la Loi sur la défense nationale, ou une attaque indirecte irrégulière contre une décision administrative, attaque qui n’est possible que par la voie d’une demande de contrôle judiciaire ». À ce sujet, le protonotaire a renvoyé à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale Grenier c. Canada, [2006] 2 C.F. 287 (C.A.F.), (Grenier).

 

III. Les questions soulevées

[7]               Deux questions sont soulevées.

(1)               Les « nouveaux » éléments de preuve qu’apporte l’affidavit de Mme Graham et les pièces jointes qui l’accompagnent sont-ils admissibles dans l’appel?

(2)               Le protonotaire a-t-il commis une erreur en radiant la déclaration sans autorisation de modification?

 

IV. L’analyse

[8]               Avant d’examiner ces questions, il faut préciser que Mme Graham s’était représentée elle‑même jusque-là, mais qu’elle s’est fait représenter par un avocat dans la requête. Son avocat a vite admis (et à juste titre) que la déclaration était [traduction] « affreuse » et qu’il était impossible de la modifier dans sa teneur actuelle.

 

A. Les nouveaux éléments de preuve

[9]               Avant de retenir les services d’un avocat, Mme Graham a déposé son dossier de requête dans lequel elle a versé un affidavit nouveau accompagné de diverses pièces jointes. En plus de signaler les lacunes techniques flagrantes de l’affidavit (que l’avocat de Mme Graham a imputées au manque de connaissances juridiques de sa cliente), la défenderesse s’est vigoureusement opposée à l’admissibilité de l’affidavit au motif que le protonotaire n’en avait pas été saisi et que la défenderesse n’avait pas eu la possibilité de vérifier les éléments de preuve ni de procéder à un contre-interrogatoire. De plus, Mme Graham n’avait pas établi : que les éléments de preuve n’auraient pu être disponibles en première instance, moyennant une diligence raisonnable; qu’ils étaient de nature à influer sur l’issue de la procédure; que l’intérêt de la justice commandait leur admissibilité. L’avocat de Mme Graham a reconnu que les éléments qu’elle avait présentés [traduction] « ne pouvaient pas satisfaire au critère des "nouveaux" éléments de preuve ».

 

[10]           En règle générale, les appels interjetés à l’encontre des décisions des protonotaires sont décidés sur le fondement des éléments de preuve dont ont été saisis les protonotaires. Dans la décision James River Corp. of Virginia c. Hallmark Cards, Inc. (1997), 126 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), la juge Reed a refusé d’accepter les nouveaux éléments de preuve dont n’avait pas été saisi le protonotaire et elle a déclaré aux paragraphes 31 et 32 :

[31]         Si je comprends bien l’explication de l’avocat, le protonotaire adjoint a refusé de prononcer l’ordonnance demandée parce qu’aucun élément de preuve approprié ne lui a été présenté afin d’établir que la poursuite américaine existe réellement et que celle-ci est parallèle à la présente affaire. De même, aucune preuve montrant que la documentation souhaitée était pertinente quant à la présente instance n’a été soumise. Cette décision du protonotaire adjoint n’est pas contestée. L’avocat de la demanderesse a tenté de déposer auprès de la Cour un affidavit visant à fournir la preuve manquante. Il affirme que l’appel de la décision d’un protonotaire devant un juge constitue une nouvelle instance et que, par conséquent, j’étais en droit d’accepter cette preuve par affidavit et de rendre la décision que le protonotaire adjoint aurait rendue si la preuve en question lui avait été soumise.

 

[32]         À mon avis, ce n’est pas le  rôle du juge siégeant en appel de l’ordonnance d’un protonotaire. En effet, quelle que soit la différence, s’il en est, entre l’interprétation du juge en chef à la page 454 de l’arrêt Canada c. Aqua-Gem, précité, et celle de l’opinion majoritaire à la page 463, c’est à cette dernière qu’il faut s’en remettre. Il en ressort clairement que le juge doit exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début en fonction des éléments de preuve présentés au protonotaire, et non tenir une nouvelle audience fondée sur de nouveaux éléments de preuve.

 

 

[11]           Le juge Nadon, qui siégeait alors à la Section de première instance de la Cour fédérale, est arrivé à une conclusion semblable dans la décision Symbol Yachts Ltd. c. Pearson, [1996] 2 C.F. 391 (1re inst.). Le juge Nadon a conclu :

[20]         Il s’agit en l’espèce d’un appel de la décision du protonotaire interjeté en vertu du paragraphe 336(5) des Règles. Pour pouvoir modifier l’ordonnance du protonotaire, je dois être convaincu que son ordonnance est « entachée d’erreur flagrante » ou qu’elle porte sur une question « ayant une influence déterminante sur l’issue du principal ». Dans l’arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, le juge MacGuigan, de la Cour d’appel fédérale, a expliqué la norme de contrôle applicable en matière d’appel de l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire. Le juge MacGuigan dit ceci, à la page 463 :

 

… le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

 

a) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits,

 

b) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal.

 

Si l’ordonnance discrétionnaire est manifestement erronée parce que le protonotaire a commis une erreur de droit (concept qui, à mon avis, embrasse aussi la décision discrétionnaire fondée sur un mauvais principe ou sur une mauvaise appréciation des faits) ou si elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, le juge saisi du recours doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début.

 

[21]         En l’espèce, il ne fait aucun doute dans mon esprit que l’ordonnance du protonotaire porte sur une question qui a une influence déterminante sur l’issue de l’affaire étant donné que ladite ordonnance a pour effet de mettre fin à l’action des demandeurs. Cependant, je ne puis examiner l’ordonnance qu’en tenant compte des éléments de preuve dont le protonotaire était saisi au moment où il l’a rendue. Par conséquent, il m’est impossible « et c’est ce que j'ai indiqué aux parties à l’audience » de prendre en considération les affidavits que les demandeurs désirent verser au dossier. J’ignore pourquoi ils n’ont pas déposé ces affidavits à l’appui de leur demande du 22 septembre 1995 mais, d’après moi, ces éléments de preuve, s’ils étaient disponibles, auraient dû être soumis au protonotaire.

 

[22]         Il s’agit d’un appel de la décision du protonotaire, et il est maintenant trop tard pour présenter des éléments de preuve qui auraient dû être soumis plus tôt. À mon sens, ces nouveaux affidavits visent à combler les lacunes des éléments de preuve soumis au protonotaire. Les faits attestés, dans l’affidavit de M. Beesley par exemple, auraient pu être portés à l’attention du protonotaire, mais ils ne l’ont pas été. L’affidavit couvre la période qui s’étend du début du litige en 1988 jusqu’au 30 octobre 1995.

 

[23]         C’est pour ces raisons que j’ai informé les parties à l’audience que je n’autoriserais pas les demandeurs à verser au dossier des affidavits supplémentaires.

 

 

Voir également les décisions : Canada c. Mid-Atlantic Minerals Inc., [2003] 1 C.F. 168 (C.F.); Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) c. Marrazza (2004), 256 F.T.R. 1 (C.F.); Rhéaume c. Canada, 2003 CF 1405, [2003] A.C.F. 1798; Odessa Partnership c. Canada (Ministère du Revenu national), 2003 CF 1420, [2003] A.C.F. 1814.

 

[12]           Exceptionnellement, de nouveaux éléments de preuve peuvent être admissibles dans les cas suivants : ils n’auraient pas pu être communiqués à une date antérieure; ils serviront l’intérêt de la justice; ils aideront la Cour; ils ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse : Mazhero c. Conseil canadien des relations industrielles (2002), 292 N.R. 187 (C.A.F.). En l’espèce, aucun de ces critères n’est rempli.

 

[13]           Ayant examiné la preuve, j’estime que sa pertinence à l’égard de la question sur laquelle je dois me prononcer est, dans le meilleur des cas, marginale. Je ne suis pas persuadée que, si elle était admise, elle pourrait influer sur l’issue de l’appel. En outre, sauf le fait d’alléguer que Mme Graham est une profane en matière de litige, aucune explication n’a été avancée pour justifier le défaut d’avoir produit les éléments de preuve devant le protonotaire Lafrenière. Si les tribunaux cherchent à faire preuve de souplesse dans les cas où des parties se représentent elles-mêmes, les plaideurs qui choisissent de procéder ainsi doivent accepter les conséquences de leur choix : Wagg c. Canada, [2004] 1 R.C.F. 206 (C.A.), au paragraphe 25. Il est essentiel que les règles et les procédures établies soient respectées et suivies d’une manière équitable à l’endroit des deux parties. La présente instance a été reportée à maintes reprises par souci d’accommodation à l’incapacité de Mme Graham de se conformer aux prescriptions des Règles des Cours fédérales. L’audience avait initialement été fixée au 15 janvier 2007.

 

[14]           Mme Graham n’est pas parvenue à faire valoir qu’elle tombait sous les exceptions à la règle générale. Par conséquent, son affidavit n’est pas admissible.

 

B. Le fond

[15]           Il est admis par tous que la décision du protonotaire Lafrenière est déterminante pour l’issue finale et que je dois donc reprendre l’affaire de novo : Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.); Merck & Co., Inc .c. Apotex Inc., [2004] 2 R.C.F. 459 (C.A.).

 

[16]           L’avocat de Mme Graham a affirmé que [traduction] « peut-être en raison de la si grande complexité de la demande », le protonotaire a tranché la question en s’appuyant sur des faits [traduction] « qui étaient incorrects ». Fondamentalement, cet argument fait valoir que le protonotaire Lafrenière, à cause de l’affidavit du capitaine Dan Bell, présumait que Mme Graham avait déposé un grief au sujet de l’évaluation faite par le comité de sélection alors que ce n’était pas le cas. Le grief de Mme Graham concernait plutôt son transfert aux Affaires publiques.

 

[17]           Je suis loin d’être convaincue que le protonotaire a commis l’erreur qui est alléguée. Il a fait référence à un grief déposé le 9 juin 2006 et l’a relié expressément au [traduction] « défaut du ministère de la Défense nationale de prendre dûment en considération sa demande de transfert ou de réaffectation aux Affaires publique d’une manière rapide et appropriée ». Dans l’examen du contenu de la déclaration, le protonotaire a répété la position adoptée par Mme Graham dans sa déclaration, soit que [traduction] « la procédure de grief ne s’applique pas à ces questions » parce qu’[traduction] « elle n’a jamais déposé de grief sur ces questions ». J’estime que ces affirmations sont parfaitement cohérentes avec la position de Mme Graham.

 

[18]           Quoi qu’il en soit, s’il y a eu confusion sur ce point (et je ne suis pas convaincue que le protonotaire se soit trompé), elle était sans conséquences. La décision du protonotaire Lafrenière était fondée sur le fait que Mme Graham n’avait pas le droit de se dérober aux dispositions sur les griefs de la Loi sur la défense nationale. À mon avis, le protonotaire était parfaitement justifié de tirer cette conclusion.

 

[19]           La proposition fondamentale est la suivante : lorsque le législateur prévoit des voies de recours en vertu de la loi et des institutions chargées spécifiquement de fournir des réparations aux personnes lésées, la Cour ne doit pas intervenir à la légère avant que les recours prévus par la loi aient été exercés. Le défaut d’engager les procédures disponibles ne rend pas le recours inadéquat : Lazar c. Canada (Procureur général) (1999), 168 F.T.R. 11 (1re inst.) conf. par (2001), 271 N.R. 10 (C.A.F.).

 

[20]           Il est admis que la plainte de Mme Graham est issue de son service à titre de membre des Forces canadiennes et concerne particulièrement le mécontentement de celle-ci à l’égard de la décision d’un comité de sélection qui n’a pas retenu sa candidature à un poste.

 

[21]           L’article 29 de la Loi sur la défense nationale prévoit :

29. (1) Tout officier ou militaire du rang qui s’estime lésé par une décision, un acte ou une omission dans les affaires des Forces canadiennes a le droit de déposer un grief dans le cas où aucun autre recours de réparation ne lui est ouvert sous le régime de la présente loi.

 

 

(2) Ne peuvent toutefois faire l’objet d’un grief :

 

a) les décisions d’une cour martiale ou de la Cour d’appel de la cour martiale;

 

b) les décisions d’un tribunal, office ou organisme créé en vertu d’une autre loi;

 

c) les questions ou les cas exclus par règlement du gouverneur en conseil.

 

(3) Les griefs sont déposés selon les modalités et conditions fixées par règlement du gouverneur en conseil.

 

 

(4) Le dépôt d’un grief ne doit entraîner aucune sanction contre le plaignant.

 

 

(5) Par dérogation au paragraphe (4), toute erreur qui est découverte à la suite d’une enquête sur un grief peut être corrigée, même si la mesure corrective peut avoir un effet défavorable sur le plaignant.

 

29. (1) An officer or non-commissioned member who has been aggrieved by any decision, act or omission in the administration of the affairs of the Canadian Forces for which no other process for redress is provided under this Act is entitled to submit a grievance.

 

 

(2) There is no right to grieve in respect of

 

(a) a decision of a court martial or the Court Martial Appeal Court;

 

(b) a decision of a board, commission, court or tribunal established other than under this Act; or

 

(c) a matter or case prescribed by the Governor in Council in regulations.

 

(3) A grievance must be submitted in the manner and in accordance with the conditions prescribed in regulations made by the Governor in Council.

 

(4) An officer or non-commissioned member may not be penalized for exercising the right to submit a grievance.

 

(5) Notwithstanding subsection (4), any error discovered as a result of an investigation of a grievance may be corrected, even if correction of the error would have an adverse effect on the officer or non-commissioned member.

 

 

Le détail de cette procédure est exposé au chapitre 7 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, intitulé « Griefs ».

 

[22]           La jurisprudence établit que le mécanisme de règlement des différends prévu dans la procédure de grief de la Loi sur la défense nationale constitue une autre voie de recours adéquate qui doit être exercée avant que la personne puisse s’adresser aux tribunaux pour obtenir un redressement : Anderson c. Canada (Forces armées canadiennes), [1997] 1 C.F. 273 (C.A.F.); Gallant c. Canada (1978), 91 D.L.R. (3d) 695 (C.F. 1re inst.); Jones c. Canada (1994), 87 F.T.R. 190 (1re inst.); Pilon c. Canada (1996) 119 F.T.R. 269 (1re inst.); Villeneuve c. Canada (1997), 130 F.T.R. 134 (1re inst.); Haswell c. Canada (Procureur général) (1998), O.T.C. 143 (Div. gén.) conf. par (1998), 116 O.A.C. 395 (C.A.).

 

[23]           Cette approche est cohérente avec le raisonnement tenu par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929. Dans cet arrêt, la Cour a établi que dans le cas où l’objet du litige est couvert par une loi ou une convention collective, les tribunaux devraient en règle générale s’en remettre aux mécanismes définis dans la loi ou la convention applicable (paragraphes 50 à 58 et 67). Plus récemment, dans l’arrêt Vaughn c. Canada, [2005] 1 R.C.S. 146, la Cour suprême a souligné qu’il faut s’attacher aux faits qui donnent naissance au litige plutôt qu’à la qualité juridique du tort pour établir s’il existe une autre voie de recours appropriée (paragraphe 11). Sauf dans des circonstances exceptionnelles, les tribunaux doivent refuser d’exercer leur compétence et s’en remettre aux mécanismes de griefs prévus par la loi (paragraphe 2).

 

[24]           Les griefs de Mme Graham concernent directement son avancement au sein des Forces canadiennes. Elle se plaint de la manière selon laquelle le processus de sélection prévu à la Loi sur la défense nationale a été mené. Par conséquent, son recours est de déposer un grief sur la sélection. Bref, elle dispose d’une autre voie de recours appropriée. Elle doit se servir de cette voie de recours avant de s’adresser aux tribunaux.

 

[25]           Si Mme Graham était mécontente de l’issue de son grief, elle aurait alors la possibilité de recourir au contrôle judiciaire. L’intention du législateur touchant le processus correct de contestation d’une décision administrative (par contrôle judiciaire ou par action en dommages‑intérêts) a été examinée exhaustivement par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Grenier. La question est exposée aux paragraphes 25 à 32 des motifs de la Cour et je n’entends pas reprendre ici l’exposé. Je me bornerai à dire, en guise de conclusion, que la Cour a fait observer qu’« [i]l est d’autant plus important de ne pas permettre un recours sous l’article 17 comme mécanisme de contrôle de la légalité d’une décision d’un organisme fédéral que cette procédure de contestation indirecte de la décision permet de contourner les dispositions impératives du paragraphe 18(3) de la Loi sur les Cours fédérales ».

 

[26]           En résumé, Mme Graham doit exercer d’abord l’autre voie de recours appropriée à sa disposition. Au terme de ce processus, si elle n’est pas satisfaite de la décision, elle peut demander le contrôle judiciaire. Elle ne peut se soustraire au processus prescrit par le législateur en intentant maintenant une action. Par conséquent, son action n’a aucune chance d’être accueillie et le protonotaire Lafrenière a eu parfaitement raison de radier cette action sans autorisation de modification.

 

[27]           Avant de conclure, je voudrais me pencher sur la décision Smith c. Canada (Procureur général) et al. (2006), 300 N.B.R. (2d) 363 (B.R. 1re inst.) (Smith), que Mme Graham me presse de suivre. Dans cette décision, la juge Garnett a refusé d’annuler une action intentée par des membres de la GRC. Les défendeurs soutenaient que la Cour n’était pas compétente ou devait se déclarer incompétente pour des motifs qui, selon la décision publiée, sont assez semblables à ceux qui sont avancés en l’espèce. Pour diverses raisons, je n’estime pas cette jurisprudence utile.

 

[28]           Premièrement, dans la décision Smith, la nature de l’action ne ressort pas immédiatement à la lecture de la décision. Les allégations de la déclaration, semble-t-il, auraient échappé au champ d’application du processus de grief, mais il s’agit d’une hypothèse de ma part. Deuxièmement et motif plus important, il est manifeste dans la décision Smith que le plaignant principal a eu recours au processus interne pour le traitement de sa plainte. Il a aussi utilisé ou cherché à utiliser les mécanismes substitutifs de résolution des conflits et de médiation. Sur ce seul fondement, l’affaire se distingue aisément de l’espèce. Troisièmement, dans les éléments dont je suis saisie, rien n’indique, ou encore moins n’établit, les ressemblances ou les différences entre la procédure de grief visée dans la décision Smith et celle dont dispose Mme Graham. Quatrièmement, pour appliquer la décision Smith, je devrais écarter la jurisprudence de la Cour fédérale et celle de la Cour d’appel fédérale. Or, je suis liée par la dernière. Enfin, l’avocat m’informe que le dossier Smith doit faire l’objet d’une audience devant la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick le 27 février 2007. Par conséquent, je m’abstiendrai de toute autre observation.

 

[29]           Comme je l’ai indiqué aux parties à la présentation de la requête, l’appel doit être rejeté. J’ai rendu une ordonnance en ce sens le 19 février 2007.

 

 

« Carolyn Layden-Stevenson »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-990-06

 

INTITULÉ :                                       MELANIE GRAHAM c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 FÉVRIER 2007

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LA JUGE LAYDEN-STEVENSON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 22 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

F. Kenneth Walton

 

POUR LA DEMANDERESSE

Valerie J. Anderson

Ward Bansley

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

F. Kenneth Walton

Avocat

Victoria (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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