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Date : 20070208

Dossier : T-735-06

Référence : 2007 CF 150

Vancouver (Colombie-Britannique), le 8 février 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

GENE BENOIT

demandeur

et

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire conteste la décision sur le grief au troisième palier du commissaire adjoint du Service correctionnel du Canada datée du 16 février 2005. À l’audience, j’ai radié de l’intitulé le commissaire du Service correctionnel du Canada comme défendeur en vertu de l’article 303 des Règles des Cours fédérales (1998).

 

[2]               La présente demande de contrôle judiciaire découle du contexte exposé ci-après. En préparation pour l’examen de la libération conditionnelle totale de M. Benoit devant la Commission nationale des libérations conditionnelles (la Commission), le Service correctionnel du Canada (le SCC) a réalisé une évaluation du risque psychologique relative aux probabilités de récidive du demandeur (l’évaluation du risque).

 

[3]               M. Benoit a été invité à participer à la réalisation de l’évaluation du risque, mais a refusé d’être interviewé. Par conséquent, l’évaluation du risque a été réalisée en fonction des renseignements contenus dans son dossier du SCC et des rapports auxiliaires du personnel du SCC, tel que l’autorise le paragraphe 3 de la Directive du commissaire no 803.

 

[4]               M. Benoit a été incarcéré parce qu’en 1987 il a été déclaré coupable de meurtre au second degré et condamné à l’emprisonnement à perpétuité. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté son appel.

 

[5]               En 1996, son équipe de gestion de cas a recommandé qu’il participe à un programme pour délinquants dangereux, mais il a refusé de le faire.

 

[6]               L’évaluation du risque ne pose pas de diagnostic de maladie mentale à l’égard de M. Benoit et ne s’est pas appuyée sur l’Échelle de psychopathie révisée.

 

[7]               L’évaluation du risque examine plutôt son comportement avant et pendant son incarcération et s’appuie sur des outils d’évaluation du risque pour évaluer les probabilités de récidive.

 

[8]               M. Benoit s’est tout d’abord plaint de l’évaluation du risque le 18 novembre 2003. Il a allégué que l’auteur de l’évaluation du risque n’était pas un professionnel de la santé agréé et que son consentement était nécessaire pour la réaliser. Sa plainte a été rejetée le 10 décembre 2003 au motif qu’un professionnel de la santé agréé avait supervisé et revu l’évaluation du risque et que le SCC pouvait réaliser une évaluation du risque sans son consentement parce qu’il était autorisé à évaluer le risque et n’avait pas posé de diagnostic médical en vertu de la Directive du commissaire no 803.

 

[9]               M. Benoit a porté la question aux premier et deuxième paliers de grief sans succès. Au troisième palier, son grief a été présenté selon un motif quelque peu différent, à savoir que le paragraphe 3 de la Directive du commissaire no 803 était invalide parce qu’il dérogerait à l’article 88 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la Loi) en vertu duquel un consentement éclairé est exigé pour un traitement.

 

[10]           Le commissaire adjoint a rejeté le grief de M. Benoit au troisième palier. Il a été déclaré que le SCC avait certaines obligations légales à l’égard de l’administration de sa peine, à savoir que la protection de la société devait être la considération la plus importante dans le processus correctionnel, que sa peine soit exécutée eu égard à tous les renseignements pertinents, et que toute information sur le délinquant que le SCC utilise soit aussi exacte, à jour et complète que possible.

 

[11]           Le commissaire adjoint a conclu en disant que l’objet d’une évaluation du risque consistait à fournir à la Commission une évaluation de son risque de récidive. Le commissaire adjoint a déclaré que le rapport d’évaluation du risque ne se rapportait pas à son traitement médical, mais à l’administration sûre de sa peine.

 

[12]           Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur. Après avoir examiné le volumineux dossier du demandeur dans lequel il fournit l’historique de ses nombreux griefs, je constate qu’il confond essentiellement l’évaluation du risque et le traitement ou les soins de santé médicaux en vertu de l’article 85 de la Loi. Tel qu’il est susmentionné, l’évaluation du risque en question ne pose pas de diagnostic de trouble mental à l’égard de M. Benoit pas plus qu’elle n’exige qu’il subisse un traitement de soins de santé pour quelque trouble que ce soit sans son consentement.

 

[13]           L’objet de l’évaluation du risque en question est d’évaluer son risque de récidive avec violence et de recommander des programmes pour réduire un tel risque. M. Benoit ne peut être forcé à suivre ces programmes. Il doit consentir à y participer.

 

[14]           La Commission a indiqué ceci à M. Benoit lorsqu’elle a refusé sa demande de libération conditionnelle totale. Cette décision est datée du 30 novembre 2005, et M. Benoit n’en a pas demandé le contrôle judiciaire. La Commission (dossier du demandeur, page 111) a fait la distinction entre le traitement médical pour un trouble médical et une évaluation du risque et des programmes pour réduire le risque de récidive. Selon la Commission, une évaluation du risque fournit des renseignements essentiels sur l’état mental d’un délinquant et les caractéristiques de son comportement et autres facteurs de risque pour sa mise en liberté sous condition.

 

[15]           La Commission a déclaré n’avoir rien trouvé qui exigeait qu’il suive un [traduction] « traitement médical », mais a convenu que son omission d’aborder ses tendances criminogènes et de suivre des programmes (que le SCC est tenu de fournir en vertu des articles 76 et 102 de la Loi pour contribuer au succès de la réinsertion sociale d’un délinquant) a eu une incidence directe sur le risque qu’il représentait pour la société.

 

[16]           Je devrais ajouter que la Legal Services Society de la Colombie-Britannique est arrivée à la même conclusion que le commissaire adjoint lorsqu’elle a rejeté la demande de financement de M. Benoit pour contester la décision de la Commission, étant d’avis que l’évaluation du risque ne constitue pas un traitement qu’il peut être obligé de subir.

 

[17]           Je suis d’accord avec l’avocat du défendeur que la distinction établie par le commissaire adjoint est reconnue par la Cour. Je cite plus particulièrement la décision Comité chargé du bien‑être des détenus établissement William Head c. Canada (Procureur général), 2003 CF 870, dans laquelle la juge Tremblay-Lamer a énoncé les arguments aux paragraphes 4 et 5 de sa décision et ses conclusions aux paragraphes 9 à 15, que je cite tous ci-après :

[4]        Le demandeur soutient que les évaluations du risque ne peuvent pas être effectuées sans le consentement du délinquant. La modification apportée à la DC no 803 a pour effet de dénier au détenu son droit au consentement, en ce qui concerne les tests et évaluations psychologiques. Le demandeur affirme que la modification apportée à l’article 3 est contraire aux principes de common law et viole l’article 7 de la Charte des droits et libertés et l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits. Partant, cette disposition devrait être radiée.

 

[5]        Le défendeur affirme que la DC no 803 a été modifiée de façon à montrer que les employés du Service correctionnel du Canada (le SCC) doivent procéder à des évaluations du risque, y compris des évaluations psychologiques, indépendamment du consentement du délinquant, en vue de s’acquitter du mandat législatif confié au SCC, à savoir protéger le public. Il ne serait pas possible de s’acquitter de ce mandat s’il fallait obtenir le consentement du délinquant avant de procéder à l’évaluation du risque étant donné qu’il pourrait, dans bien des cas, arriver que le consentement ne soit pas donné.

[…]

 

[9]        Les évaluations du risque constituent l’une des façons permettant d’atteindre cet objectif. Les employés du SCC doivent évaluer le risque que présente un délinquant pendant qu’il est incarcéré et avant sa mise en liberté, afin de protéger le public et d’atteindre les objectifs législatifs de la Loi.

 

[10]      Il faut faire une distinction importante entre les évaluations médicales et psychologiques qui sont effectuées au profit du délinquant ou pour établir un diagnostic (actes qui ont trait à la santé mentale) et les évaluations du risque qui sont effectuées aux fins de la protection du public.

 

[11]      D’autre part, le SCC est tenu d’administrer les soins de santé au profit des détenus. Cette obligation est énoncée aux articles 85 à 88 de la Loi. Pour faire quoi que ce soit dans le domaine des soins de santé, y compris, une évaluation psychologique, un diagnostic ou un traitement touchant un détenu, le SCC doit obtenir un consentement éclairé.

 

[12]      D’autre part, le SCC s’est vu confier le mandat législatif d’évaluer le risque afin de protéger le public. Les évaluations du risque n’exigent pas un consentement éclairé. Pareille exigence empêcherait le SCC de s’acquitter du mandat législatif qui lui incombe de protéger le public étant donné qu’il se pourrait que, dans bien des cas, le consentement ne soit pas donné.

 

[13]      La Loi renferme maints exemples montrant que les employés du SCC doivent procéder à une évaluation du risque afin de prendre une décision qui touche la sécurité du public. Mentionnons notamment les décisions relatives à l’autorisation accordée dans le cas d’une permission de sortir sans surveillance dans la collectivité, du placement à l’extérieur, de la mise en liberté sous condition et de l’octroi de la libération conditionnelle.

 

[14]      Contrairement aux prétentions du demandeur, une évaluation du risque et une évaluation PCL‑R (liste type de psychopathie révisée) sont deux choses différentes. L’évaluation PCL‑R a été élaborée par M. Hare; on y a recours pour évaluer les troubles de personnalité psychopathique chez les délinquants. Ces renseignements peuvent servir à prédire les récidives qui, de leur côté, peuvent servir à quantifier le degré de risque qu’un délinquant présente pour la société. La notation PCL‑R ne constitue qu’un type de notation ou d’échelle dont il peut être fait mention dans une évaluation du risque. Les évaluations du risque peuvent comprendre de nombreuses autres notations ou échelles, et il n’est pas nécessaire qu’il y soit fait mention d’une notation PCL‑R.

 

[15]      En résumé, les évaluations du risque auxquelles procède le SCC ne sont pas des évaluations psychologiques ou des évaluations relatives aux soins de santé ou au traitement destinées à établir un diagnostic ou à déterminer si un délinquant doit être soumis à des soins de santé ou à un traitement. Les évaluations du risque sont un moyen permettant de déterminer si un délinquant risque de récidiver ou s’il peut présenter un danger pour lui-même, pour les autres détenus, pour les membres du personnel et pour le public. Il serait impossible de s’acquitter de ce mandat s’il fallait obtenir le consentement du délinquant avant de procéder à une évaluation du risque étant donné qu’il se pourrait que, dans bien des cas, le consentement ne soit pas donné.

 

 

[18]           Cette décision traite clairement de la question et concorde avec l’objectif légal du système correctionnel fédéral qui est de contribuer à la réadaptation des délinquants et à leur réinsertion sociale.

 

[19]           Quant aux autres arguments du demandeur, ils sont sans fondement. Il s’agissait des arguments suivants : 1) l’utilisation de l’Échelle de psychopathie révisée pour la réalisation de l’évaluation du risque; 2) l’absence d’une définition des programmes dans l’article 76 de la Loi; 3) l’évaluation du risque est l’équivalent de son exposition à des expériences portant sur des techniques de modification du comportement qui exigent un consentement; 4) une application rétroactive de la Loi à sa situation; 5) les évaluations du risque devraient être réalisées par des membres du personnel de sécurité.

 


 

JUGEMENT

            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« François Lemieux »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Michèle Ledecq, B. trad.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                        T-735-06

                                                                           

INTITULÉ :                                                       GENE BENOIT

                                                                            c.

                                                                            LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et al.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 6 FÉVRIER 2007

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                             LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 8 FÉVRIER 2007

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gene Benoit                                                         POUR LE DEMANDEUR

                                                                            (pour son propre compte)

 

Scott Nesbitt                                                        POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INCRITS AU DOSSIER :

 

S/O                                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                       POUR LES DÉFENDEURS

 

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