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Date : 20070207

Dossier : IMM-3514-06

Référence : 2007 CF 127

Ottawa (Ontario), le 7 février 2007

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

 

ENTRE :

 

OFELIA ISAIAS GOMEZ DE LEON

 

 

demanderesse

 

et

 

LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défenderesse 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Mme Gomez de Leon est une citoyenne du Vénézuela.  Sa demande d’asile a été jointe à celle de sa fille, Marianela Del Carmen Leon De Mujica, de l’époux de sa fille, Carlos Eduardo Mujica Mujica, et de son petit-fils, Eduardo José Mujica Leon.  Le gendre de Mme Gomez de Leon, M. Mujica, était le demandeur principal.  Mme Gomez de Leon, sa fille et son petit-fils ont tous affirmé qu’ils craignaient d’être persécutés en raison de leur appartenance à un groupe social composé de membres de la famille de M. Mujica.  Les quatre demandeurs avaient vécu ensemble au Vénézuela.

 

[2]        L’essentiel de la demande de M. Mujica portait sur le fait qu’il était propriétaire d’une entreprise de vente et d’entretien d’équipement médical au Vénézuela.  Dans sa tentative de procéder à la perception d’un paiement pour de l’équipement qu’il a vendu à un hôpital, il s’était fait dire qu’il devait verser un pot-de-vin à l’administrateur de l’établissement, ce qu’il a refusé de faire. Il a par la suite porté plainte auprès du directeur général de l’hôpital. Constatant que sa plainte n’aboutissait pas fruit, il a essayé de se plaindre au directeur général du ministère de la Santé, mais lorsqu’il s’est rendu au bureau de celui-ci, on n’a pas voulu lui accorder de rencontre.  M. Mujica est donc parti en disant qu’il ne pouvait faire autrement que de signaler l’incident au bureau du procureur général de la République. Plus tard le même jour, M. Mujica a reçu un appel de son épouse l’informant que des perquisitions avaient été effectuées à leur résidence par des individus vêtus d’uniformes de la police. Ces derniers ont poussé l’épouse de M. Mujica et les ont jetées, sa mère et elle, sur le sofa pendant qu’ils fouillaient la maison. Ils ont ensuite quitté les lieux, emportant avec eux certains documents. Plus tard, M. Mujica a été enlevé sous la menace d'une arme à feu pendant qu’il revenait chez lui.  Les ravisseurs l’ont conduit à un endroit éloigné, battu, et ils lui ont dit que selon des documents qui avaient été trouvés dans sa résidence il prenait part à des activités antigouvernementales et à l’organisation d’un coup d’État contre le gouvernement. Ils ont menacé de les tuer, sa famille et lui, s’il continuait ses activités.

 

[3]        M. Mujica et son épouse ont témoigné devant la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), laquelle a jugé que leurs témoignages étaient dignes de foi.  Mme Gomez de Leon n’a pas témoigné.  La Commission a reconnu que la demanderesse était atteinte de la maladie d’Alzheimer et sa fille, l’épouse de M. Mujica, a agi comme sa représentante désignée lors de l’audience.

 

[4]        Dans le très bref énoncé de ses motifs, la Commission a conclu que M. Mujica, son épouse et son fils étaient des réfugiés au sens de la Convention.  Cependant, la Commission a rejeté la demande de Mme Gomez de Leon. En premier lieu, la Commission a constaté que les deux frères de M. Mujica, sa sœur et son fils étaient demeurés au Vénézuela, et qu’ils n’avaient pas été interrogés ni agressés. (En tirant cette conclusion, la Commission a reconnu que M. Mujica n’avait pas été interrogé au sujet des agressions subies par ses frères et sœurs, mais elle a souligné que lui et son épouse avaient témoigné que son fils n’avait pas subi de préjudice parce qu’il vivait seul.) En deuxième lieu, la Commission a conclu que M. Mujica et son épouse n’avaient pas été persécutés du fait des activités de leur fille. Dans leur témoignage, M. Mujica et son épouse ont déclaré que leur fille avait participé activement aux activités des opposants au gouvernement du Vénézuela et qu’elle s’était enfuie au Canada où elle a demandé et obtenu le statut de réfugié. Pourtant, malgré qu’ils aient reçu des appels téléphoniques à leur résidence de personnes voulant savoir où était leur fille après le départ de celle-ci du Vénézuela ni M. Mujica ni son épouse n’avaient été harcelés par ses persécuteurs. Pour ces motifs, la Commission a conclu qu’il n’y avait qu’une simple possibilité que Mme Gomez de Leon soit persécutée.

 

[5]        Les parties n’ont pas abordé la question de la norme de contrôle appropriée dans leurs plaidoiries. Dans ses observations écrites, la ministre a plaidé que la norme de contrôle à appliquer est celle de la décision manifestement déraisonnable. En somme, la question en litige dans la présente affaire porte sur la manière dont la Commission a apprécié la preuve et sur sa conclusion de fait selon laquelle Mme Gomez de Leon ne serait pas exposée à un risque du fait de son lien familial avec M. Mujica.  Je suis disposée à appliquer la norme de la décision manifestement déraisonnable à cette conclusion de fait.

 

[6]        Constitue une décision manifestement déraisonnable la décision « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison ». Voir l’arrêt Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52.

 

[7]        Il est établi qu’une personne ne peut se voir reconnaître la qualité de réfugié simplement parce qu’un parent est victime de persécution.  Il doit exister un rapport ou un lien entre la persécution subie par un des membres de la famille et la persécution, ou crainte de persécution, ressentie par les autres membres de la famille.  M. Mujica et son épouse ne sont donc pas devenus des réfugiés au sens de la Convention parce que leur fille craignait avec raison d'être persécutée du fait d’être une opposante au régime.  Les membres de la famille d’une personne persécutée appartiennent à un groupe social pouvant se voir reconnaître la qualité de réfugiés uniquement lorsqu’il existe une preuve de persécution (ou d’une crainte fondée de persécution) contre le groupe social qu’ils forment.

 

[8]        Dans l’affaire qui nous occupe, la Commission a jugé que l’épouse et le fils de M. Mujica avaient raison de craindre d’être persécutés du fait du lien qui les unit, mais elle n’a fourni aucun motif pour justifier cette conclusion. La Commission n’a pas expliqué pourquoi elle avait rejeté le témoignage de l’épouse de M. Mujica dans lequel elle déclarait que sa mère risquait d’être menacée ou agressée [traduction] « du fait qu’elle fait partie de notre famille ».  La Commission a supposé que Mme Gomez de Leon se trouvait dans une situation semblable à celle des frères et sœurs de M. Mujica et du fils de celui-ci, mais ne semble pas avoir tenu compte des témoignages de M. Mujica et de son épouse selon lesquels leur fils était en sécurité parce qu’il n’avait pas vécu avec eux.  Mme Gomez de Leon avait, quant à elle, vécu avec M. Mujica et son épouse. La Commission a également supposé que Mme Gomez de Leon se trouvait dans une situation semblable à celle de sa fille et de son gendre, soit celle de parent d’une opposante au régime. Cependant, aucune preuve n’a permis d’établir que les menaces qui avaient été proférées contre la petite-fille de la demanderesse étaient aussi adressées à sa famille. Rien ne prouvait non plus que M. Mujica et sa fille craignaient le même agent de persécution.

 

[9]        Pour ces motifs, je suis d’avis que les inférences tirées par la Commission étaient erronées.

 

[10]      La Commission pouvait tirer sa conclusion finale eu égard à la preuve.  Cependant, elle a statué en se fondant sur des inférences qui n’étaient pas bien étayées par la preuve. Elle n’a fait référence à aucune preuve documentaire mise à sa disposition, laquelle aurait pu jeter de la lumière sur la probabilité que Mme Gomez de Leon soit perçue comme un membre de la famille de M. Mujica et risque d’être menacée comme l’avait déclaré sa fille dans son témoignage. À ce titre, la décision de la Commission est à mon avis clairement irrationnelle et de toute évidence non conforme à la raisonIl s'ensuit que la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

[11]      Les avocats n'ont proposé aucune question aux fins de certification et je reconnais que le dossier n’en soulève aucune.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié rendue le 6 juin 2006 est annulée.

2.         La demande d’asile est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

 

 

« Eleanor R. Dawson »

Juge 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B, trad.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

COUR FÉDERALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-3514-06

 

INTITULÉ :                                                               OFELIA ISAIAS GOMEZ DE LEON

                                                                                    c.

LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDENCE :                                          OTTAWA (ONTARIO)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 9 JANVIER 2007

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                                      LA JUGE DAWSON

 

 DATE DES MOTIFS :                                              LE 7 FÉVRIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jacques Despatis                                                             POUR LA DEMANDERESSE

 

Alexander Kaufman                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jacques Despatis Law Office                                           POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

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