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Date : 20070118

Dossier : T-1226-05

Référence : 2007 CF 47

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2007

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

WARREN WESSEL et WESTMEN OILFIELD RENTALS (ALBERTA) LTD.

demandeurs

et

 

CANSCO LTD.

défenderesse

 

ET ENTRE :

CANSCO LTD.

demanderesse reconventionnelle

et

 

WARREN WESSEL et WESTMEN OILFIELD RENTALS (ALBERTA) LTD.

défendeurs reconventionnels

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        La défenderesse, Cansco Ltd., interjette appel de la décision datée du 17 novembre 2006 par laquelle la protonotaire Tabib a annulé sa propre ordonnance rejetant l’action dans le cadre de l’examen de l’état de l’instance.

Contexte

[2]        Dans leur action, les demandeurs allèguent la violation du brevet canadien 2, 206,675 (le brevet). La défenderesse nie avoir violé le brevet et soutient en outre dans sa défense et demande reconventionnelle que celui-ci est invalide pour divers motifs.

[3]        Le 25 juillet 2006, la Cour fédérale a envoyé un avis d’examen de l’état de l’instance enjoignant aux demandeurs de donner, au plus tard le 5 septembre 2006, les raisons pour lesquelles l’action ne devait pas être rejetée pour cause de retard. Les demandeurs n’ont déposé aucune observation en réponse à l’avis d’examen de l’état de l’instance. Par conséquent, la protonotaire Tabib a ordonné, le 12 septembre 2006, le rejet de l’action des demandeurs pour cause de retard (l’ordonnance de rejet).

[4]        Le 6 septembre 2006, après la date limite de présentation des raisons, les demandeurs ont cédé les avantages de la présente action à une nouvelle partie, Weatherford International Ltd. (Weatherford). Les demandeurs ont retenu les services d’un nouveau cabinet d’avocats, Borden Ladner Gervais LLP (BLG), qui a déposé un avis de changement d’avocat et, le 12 septembre 2006, est devenu le nouveau cabinet d’avocats inscrit au dossier des demandeurs. Les demandeurs ont ensuite demandé que l’ordonnance soit annulée en conformité avec l’article 399 des Règles des Cours fédérales, DORS/1998-106.

[5]        Le 17 novembre 2006, la protonotaire Tabib a annulé l’ordonnance de rejet et a permis que l’action soit poursuivie à titre d’instance à gestion spéciale (l’ordonnance de rétablissement). Dans l’ordonnance de rétablissement, la protonotaire Tabib a dit :

[traduction] Après avoir examiné le dossier de requête des demandeurs, je suis convaincue que les demandeurs, tant par l’entremise de l’ancien avocat inscrit au dossier que par celle des nouveaux avocats inscrits, ont pris, après avoir appris l’existence de l’avis d’examen de l’état de l’instance, des moyens raisonnables pour assurer la signification et la déposition d’observations écrites en réponse avant la date limite indiquée dans l’avis d’examen de l’état de l’instance. Je suis convaincue que les nouveaux avocats ont, par erreur, inscrit le 15 septembre 2006 au lieu du 5 septembre 2006 comme date limite pour signifier et présenter des observations écrites et que cette erreur a été la seule cause du retard. Compte tenu de la preuve dont je dispose, je suis tout à fait convaincue que, n’eut été cette erreur, les demandeurs auraient pris tous les moyens nécessaires pour respecter la date limite.

Je suis donc convaincue qu’il aurait été opportun et qu’il l’est toujours de proroger le délai de signification et de dépôt des observations écrites des demandeurs pour l’examen de l’état de l’instance. Je dispose des observations que les nouveaux avocats inscrits au dossier des demandeurs avaient commencé à rédiger et qu’ils avaient l’intention de signifier et de déposer avant la date limite qu’ils croyaient à tort être le 15 septembre 2006. Je suis convaincue que si ces observations m’avaient été transmises avant que je rende l’ordonnance du 12 septembre 2006, je n’aurais pas rejeté l’action pour cause de retard. Ce que ces observations démontrent et ce qui n’était pas apparent à la lecture des inscriptions, c’est qu’à la clôture de la procédure écrite, les parties avaient échangé des affidavits de documents et les demandeurs avaient communiqué avec la défenderesse au printemps 2006 pour préparer l’échéancier des interrogatoires préalables et que ces interrogatoires ont été retardés à cause des discussions en cours entre les demandeurs et Weatherford International Ltd. au sujet de la cession du brevet pertinent. Je suis donc convaincue que les raisons invoquées par les demandeurs pour expliquer le retard sont raisonnables. En outre, je suis convaincue que le projet d’observations écrites présentait et présente une proposition raisonnable permettant d’accélérer le déroulement de l’instance.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[6]        La défenderesse interjette appel de l’ordonnance de rétablissement au motif que les demandeurs n’ont pas démontré, conformément à l’alinéa 399(1)b) des Règles des Cours fédérales, premièrement, qu’ils n’ont pas déposé leurs observations au plus tard le 5 septembre 2006 à cause d’un événement fortuit ou d’une erreur et, deuxièmement, au moyen d’une preuve prima facie, que l’ordonnance de rétablissement n’aurait pas dû être rendue. La défenderesse prétend qu’il n’y a aucune preuve provenant des demandeurs ou du cabinet d’avocats qui les représentait auparavant, Prowse Chowne LLP, relativement à l’un ou l’autre des éléments de ce critère. Elle affirme qu’en tout temps jusqu’au 5 septembre 2006, les demandeurs étaient représentés par le cabinet d’avocats Prowse Chowne LLP. La preuve des demandeurs aurait donc dû établir qu’ils avaient eux-mêmes commis une erreur ou que le cabinet d’avocats Prowse Chowne LLP, plutôt que BLG qui n’avait pas le pouvoir d’agir au nom des demandeurs avant le 12 septembre 2006, avait commis une erreur.

[7]        La seule preuve soumise à la Cour était un affidavit de David T. Madsen, avocat au cabinet BLG, qui révèle que BLG a mal inscrit la date limite pour répondre à l’avis d’état d’examen de l’instance. Cette preuve, selon la défenderesse, n’est pas pertinente relativement à la question de savoir si l’omission de déposer les observations avant le 5 septembre 2006 était due à un événement fortuit ou à une erreur parce que BLG n’agissait pas au nom des demandeurs et n’avait pas le pouvoir, à la date limite, de présenter des observations en leur nom.

Norme de contrôle

[8]        L’article 51 des Règles des Cours fédérales prévoit que l’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel devant un juge de la Cour fédérale. Dans Merck & Co. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, la Cour d’appel fédérale a dit, au paragraphe 19 :

Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal,

 

b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits.

 

[9]        La défenderesse prétend que l’ordonnance de rétablissement a une influence déterminante sur l’issue de la présente action parce que, si la demande qui a entraîné l’ordonnance de rétablissement avait été tranchée différemment, l’action aurait été rejetée. Elle soutient que la Cour devrait donc effectuer un examen de novo de la décision du protonotaire de rendre une ordonnance de rétablissement.

[10]    En déterminant si l’ordonnance de rétablissement a réellement une influence déterminante sur l’issue de la présente action, je tiens compte de l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.), dans lequel le juge MacGuigan a dit, à la page 464 :

La matière soumise en l’espèce au protonotaire peut être considérée comme interlocutoire seulement parce qu’il a prononcé en faveur de l’appelante. Eût‑il prononcé en faveur de l’intimée, sa décision aurait résolu définitivement la cause; voir P-G du Canada c. S.F. Enterprises Inc. et autre (1990), 90 DTC 6195 (C.A.F.) aux pages 6197 et 6198; Ainsworth v. Bickersteth et al., [1947] O.R. 525 (C.A.). Il me semble qu’une décision qui peut être ainsi soit interlocutoire soit définitive selon la manière dont elle est rendue, même si elle est interlocutoire en raison du résultat, doit néanmoins être considérée comme déterminante pour la solution définitive de la cause principale.

[Non souligné dans l’original.]

 

[11]    Pour les motifs décrits dans Aqua-Gem, ci-dessus, je suis convaincu que l’on doit considérer que l’ordonnance de rétablissement a une influence déterminante pour la solution définitive de la demande, ce qui justifie un examen de novo en appel.

Question en litige

[12]    La question soulevée dans le présent appel est celle de savoir si l’ordonnance de rejet devrait être annulée et l’action rétablie.

Analyse

[13]    La délivrance d’une ordonnance de rétablissement est régie par l’alinéa 399(1)b) des Règles des Cours fédérales :

Annulation sur preuve prima facie

399. (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l’une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n’aurait pas dû être rendue :

[…]

b) toute ordonnance rendue en l’absence d’une partie qui n’a pas comparu par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur ou à cause d’un avis insuffisant de l’instance.

Setting aside or variance

399. (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

[…]

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

 

[14]    Les demandeurs doivent donc d’abord démontrer que l’ordonnance de rejet a été rendue par suite d’un événement fortuit ou d’une erreur. L’ordonnance de rejet a été rendue en vertu de l’alinéa 382(2)a) des Règles des Cours fédérales qui exige que le demandeur donne les raisons pour lesquelles il y a eu un retard dans la poursuite d’une instance :

382. […]

Pouvoirs de la Cour

(2) À l’examen de l’état de l’instance, la Cour peut :

a) exiger que le demandeur ou l’appelant donne les raisons pour lesquelles l’instance ne doit pas être rejetée pour cause de retard et, si elle n’est pas convaincue que l’instance doit être poursuivie, rejeter celle-ci […]

382. […]

Powers of Court on status review

(2) At a status review, the Court may

(a) require a plaintiff, applicant or appellant to show cause why the proceeding should not be dismissed for delay and, if it is not satisfied that the proceeding should continue, dismiss the proceeding; […]

 

Les demandeurs doivent donc démontrer que c’est à cause d’un événement fortuit ou d’une erreur qu’ils n’ont pas donné les raisons pour lesquelles l’action ne devait pas être rejetée. La défenderesse soutient qu’étant donné qu’il n’y avait aucune preuve d’un événement fortuit ou d’une erreur de la part des demandeurs ou de leurs avocats à la date limite de présentation des raisons, la protonotaire Tabib a commis une erreur en annulant l’ordonnance de rejet en vertu de l’alinéa 399(1)b) des Règles.

[15]    Le délai pour le dépôt de documents lors d’un examen de l’état de l’instance n’est pas établi par la loi; il est établi par la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, conformément à l’article 382 des Règles. Contrairement à la prescription qui exige qu’une action soit prise avant une date donnée, la Cour a un pouvoir discrétionnaire lors de l’examen de l’état de l’instance et en matière d’annulation ou de modification d’une ordonnance. Selon moi, l’argument de la défenderesse mise trop sur l’importance de la date à laquelle les demandeurs ont officialisé le changement d’avocat, de Prowse Chowne LLP à BLG. Certes, l’avis de changement d’avocat n’a été déposé qu’une semaine après la date limite du 5 septembre 2006, mais il est raisonnable de penser que l’erreur qui a amené BLG à croire, à tort, que l’examen de l’état de l’instance ne devait pas avoir lieu avant le 15 septembre 2006 a également influé sur la date de présentation de l’avis. Bien entendu, l’ancien cabinet représentant les demandeurs, Prowse Chowne LLP, aurait dû prendre les moyens nécessaires pour veiller à ce que les demandeurs respectent les délais en matière d’examen de l’état de l’instance ou pour prendre d’autres dispositions, en qualité d’avocat inscrit au dossier des demandeurs. Même si aucune preuve n’a été soumise pour le compte de Prowse Chowne LLP en vue d’établir son rôle, si rôle il y a, dans l’erreur ou l’événement fortuit qui a entraîné le rejet de l’action des demandeurs, je suis convaincu, compte tenu de l’explication fournie dans l’affidavit de Madsen, que les demandeurs n’ont pas déposé les documents relatifs à l’examen de l’état de l’instance avant la date limite à cause d’une erreur ou d’un événement fortuit au sens de l’alinéa 399(1)b) des Règles. Il s’agit de l’erreur d’un avocat.

[16]    Deuxièmement, en ce qui a trait à l’ordonnance de rétablissement, les demandeurs doivent présenter une preuve prima facie établissant les raisons pour lesquelles l’ordonnance de rejet n’aurait pas dû être rendue. La défenderesse prétend que les demandeurs n’ont déposé aucune preuve concernant les raisons du retard de l’action.

[17]    Ainsi que l’a souligné la protonotaire Tabib dans l’ordonnance de rétablissement, les parties avaient échangé des affidavits de documents et les demandeurs avaient communiqué avec la défenderesse au printemps de 2006 pour établir l’échéancier des interrogatoires préalables. Ces interrogatoires ont été reportés à cause des discussions en cours entre les demandeurs et Weatherford au sujet de la cession du brevet. À l’instar de la protonotaire Tabib, je suis convaincu que les raisons invoquées par les demandeurs pour expliquer le délai sont raisonnables.

Conclusion

[18]    Il est clair pour la Cour que c’est à cause d’une erreur d’un avocat que le nouvel avocat des demandeurs n’a pas présenté ses observations en réponse à l’examen de l’état de l’instance en vertu de l’article 380 des Règles, que les demandeurs avaient nettement l’intention de poursuivre l’action et que les parties avaient pris des mesures à cet égard en 2006. Pour ces motifs, l’appel est rejeté et des dépens de 1 000 $ sont adjugés aux demandeurs en l’espèce.

ORDONNANCE

 

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.      L’appel intenté par la défenderesse de l’ordonnance rendue par la protonotaire Tabib le 17 novembre 2006 est rejeté.

 

2.      Des dépens de 1 000 $ sont adjugés aux demandeurs.

 

 

 

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1226-05

 

INTITULÉ :                                       WARREN WESSEL et WESTMEN OILFIELD RENTALS (ALBERTA) LTD.

                                                            c.

                                                            CANSCO LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 CALGARY (ALBERTA)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 11 JANVIER 2007

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 18 JANVIER 2007

 

 

COMPARUTIONS :

 

Frank Tosto                                         POUR LES DEMANDEURS

                                                            (DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS)

Michael P. Theroux                              POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

Walker McLeod                                   POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Borden Ladner Gervais LLP                 POUR LES DEMANDEURS

Calgary (Alberta)                                  (DÉFENDEURS RECONVENTIONNELS)

 

Bennet Jones LLP                                POUR LA DÉFENDERESSE

(DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE)

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