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Date : 20070129

Dossier : T-1006-04

Référence : 2007 CF 23

 

ENTRE :

STEWART MCINTOSH

demandeur

et

 

ROYAL & SUN ALLIANCE DU CANADA, SOCIÉTÉ D’ASSURANCES

et OGILVY & OGILVY (ONTARIO) INC.

défenderesses

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

 

LA JUGE MACTAVISH

 

[1]   Stewart et Catherine McIntosh rêvaient pour leur retraite de vivre à leur chalet familial et d’exploiter une petite entreprise de nolisement d’un bateau à moteur haute performance. Avec le vol de leur bateau et le refus subséquent de leur demande de règlement, leur rêve est devenu un cauchemar.

 

[2]   Par la présente action, M. McIntosh sollicite un jugement déclaratoire portant que sa police d’assurance lie l’assureur, Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances (Royal), et lui est opposable et que, par conséquent, il a droit à une indemnisation complète par la Royal des pertes subies en raison du vol du bateau. M. McIntosh demande également l’exécution en nature du contrat d’assurance ainsi que le paiement du montant de 240 000 $ pour la perte subie.

 

[3]   Subsidiairement, M. McIntosh réclame à Ogilvy & Ogilvy (Ontario) Inc. (Ogilvy), le courtier d’assurance qui l’avait aidé à obtenir la police d’assurance de son bateau, des dommages‑intérêts de 240 000 $ pour rupture de contrat et négligence.

 

[4]   La Royal et Ogilvy ont chacune présenté une demande reconventionnelle contre l’autre, affirmant que, s’il y a responsabilité pour les pertes subies par M. McIntosh dans la présente affaire, elle incombe à leur codéfenderesse.

 

Contexte

[5]   En 2002, M. McIntosh travaillait dans l’industrie automobile à Windsor, en Ontario, et Mme McIntosh travaillait aux ressources humaines du casino de Windsor. Ils avaient deux enfants d’âge adulte qui étaient alors en voie de devenir indépendants financièrement. Comme bon nombre de personnes à cette étape de leur vie, ils ont commencé à penser à leur avenir et à planifier leur retraite.

 

[6]   M. et Mme McIntosh possédaient un chalet dans la région de Muskoka au nord de Toronto et ils aimaient tous les deux la navigation de plaisance et la vie au chalet. À leur chalet, ils passaient la majeure partie du temps à naviguer avec la famille et les amis à bord de leur bateau ChrisCraft Bowrider et sur leur motomarine SeaDoo.

 

[7]   Les McIntosh espéraient quitter leur emploi un jour, vendre la résidence familiale à Windsor et s’installer à leur chalet en permanence. Ils planifiaient exploiter une petite entreprise à partir de là afin d’augmenter leur revenu de retraite.

 

[8]   En raison de son amour pour la navigation de plaisance, le couple a décidé de s’employer à mettre sur pied une entreprise de nolisement d’un bateau à moteur haute performance pour des courses de bateaux « poker run » et d’autres types d’excursions. Les courses poker run sont des activités de navigation de plaisance où les participants vont d’un endroit à un autre à bord de bateaux à moteur haute performance et amassent tout au long du parcours des cartes à jouer dans une enveloppe scellée. À la fin de la journée, chaque bateau a amassé une main de poker et le bateau ayant la plus forte main remporte la course.

 

[9]   Dans la poursuite de son rêve, le couple a acheté en juillet 2002 un bateau à moteur Advantage Victory de 32 pieds pour la somme de 220 000 $. Ce bateau avait des moteurs très puissants et il était pourvu d’une chaîne stéréophonique, d’une cuisine et d’un cabinet de toilette. Le couple a également acheté une remorque pour le bateau et il a souscrit une assurance‑vie pour couvrir le financement du bateau. Avec les taxes, la dépense totale s’élevait à 290 353,02 $.

 

[10]           Une partie du montant payé provenait du produit de la vente de la résidence familiale à Windsor et des régimes enregistrés d’épargne‑retraite du couple. Le reste a été financé par la Banque de Montréal.

 

[11]           Quand on lui a demandé pourquoi il avait choisi ce bateau en particulier, M. McIntosh a répondu que, après avoir fait une recherche sur divers types de bateau à moteur haute performance sur le marché, il a choisi l’Advantage Victory parce qu’il offrait le meilleur rapport qualité‑prix. Selon lui, l’Advantage était [traduction] « comme la Rolls Royce des bateaux au prix d’une Cadillac ». Il a également affirmé que le bateau était très rapide et qu’il avait été attiré par sa puissance.

           

Assurance du bateau

[12]           Avant de prendre possession du bateau, M. McIntosh a commencé à explorer les options possibles pour l’assurer. Il a déclaré avoir communiqué avec la société de courtage d’assurance Ogilvy & Ogilvy pour essayer d’obtenir une assurance pour le bateau parce que cette société était bien connue dans le milieu des courses poker run. Ogilvy lui a également été recommandée par la marina où il a acheté le bateau.

 

[13]           M. McIntosh a communiqué avec Ogilvy pour la première fois au début de juillet 2002. Il s’est entretenu au téléphone avec un courtier d’assurance du nom de Ted Macaulay. M. Macaulay était un courtier d’expérience travaillant pour Ogilvy depuis peu de temps et il était spécialisé en assurance maritime.

 

[14]           M. Macaulay était lui‑même propriétaire d’un bateau et avait beaucoup d’expérience avec les bateaux haute performance comme celui que M. McIntosh avait acheté.

 

[15]           M. McIntosh et M. Macaulay ont discuté du type d’assurance offert pour le bateau. Ils reconnaissent que, soit au cours de ce premier entretien soit au cours de leurs entretiens téléphoniques ultérieurs, M. McIntosh a parlé à M. Macaulay de son projet de mettre éventuellement sur pied une entreprise de nolisement pour des courses poker run et d’autres activités du genre.

 

[16]           Il n’est également pas contesté que M. Macaulay a informé M. McIntosh qu’une assurance commerciale pour un bateau comme le sien était très coûteuse. M. Macaulay a ajouté qu’il essaierait d’obtenir une proposition de prix pour la couverture commerciale du bateau, mais qu’il fallait songer à l’assurer simplement pour usage personnel jusqu’à ce que M. McInstosh soit prêt à accueillir des clients payants à son bord.

 

[17]           M. McIntosh a rempli une demande d’assurance pour embarcation de plaisance et y a inscrit son nom et celui de son beau‑frère, Lyle Niemi, comme conducteurs de l’embarcation. La demande dûment remplie a été retournée à M. Macaulay et Ogilvy a ensuite délivré une note de couverture avec prise d’effet le 19 juillet 2002.

 

[18]           Ogilvy a ensuite envoyé le formulaire de demande de M. McIntosh à la Royal. En aucun temps avant la délivrance de la police d’assurance en 2002, M. Macaulay, ou quelqu’un d’autre chez Ogilvy, n’a informé la Royal du projet de M. McIntosh de se lancer en affaires avec son bateau.

 

[19]           Dans une lettre datée du 20 août 2002, Ogilvy a envoyé à M. McIntosh une copie de la police d’assurance de son bateau. La lettre se terminait de la façon suivante : [traduction] « Tel qu’il a été demandé, nous tentons d’obtenir un prix pour une assurance commerciale mais, dans l’intervalle, la couverture ne s’appliquera qu’à la navigation de plaisance privée. »

 

[20]           À la rubrique se rapportant aux conditions essentielles, la police prévoyait ce qui suit :

[traduction] Pour garder la police en vigueur, vous devez faire et tenir certaines promesses qui sont appelées des conditions essentielles. Si l’une de ces promesses n’est pas tenue, la couverture sera suspendue à partir du moment de sa violation. Les conditions essentielles suivantes s’appliquent :

1.   Le bateau sera utilisé exclusivement pour la navigation de plaisance privée. Il ne sera pas nolisé, loué ou utilisé à des fins commerciales.

 

 

[21]           L’expression « navigation de plaisance privée » (« Private Pleasure Purposes ») au sens que lui donne la police signifie que [traduction] « le bateau assuré est utilisé pour des activités récréatives ou de loisir, y compris pour le divertissement de clients à la condition qu’il ne soit pas nolisé ou loué ».

 

[22]           M. McIntosh reconnaît avoir reçu la police de 2002 et affirme avoir compris que, tant qu’il ne prenait pas de clients payants à bord, il serait couvert par l’assurance.

 

[23]           Au cours de l’été 2002, M. Macaulay a communiqué avec la Royal pour savoir ce qu’il en coûterait pour obtenir une couverture commerciale pour le bateau de M. McIntosh. Il a d’abord parlé à Steve Scharien qui était assureur maritime et directeur national de l’assurance pour embarcation de plaisance à la Royal et la personne‑ressource avec laquelle il communiquait régulièrement. M. Macaulay n’était pas certain d’avoir dit à M.Scharien le nom du client pour lequel il faisait la demande. Quoi qu’il en soit, M. Scharien a invité M. Macaulay à s’adresser à Mike Krunic, qui était assureur maritime commercial à la Royal.

 

[24]           Après avoir discuté du bateau et des projets de M. McIntosh, M. Krunic a informé M. Macaulay que la Royal n’était pas intéressée à prendre le risque d’assurer le bateau pour usage commercial.

 

[25]           M. Macaulay a déclaré avoir informé M. McIntosh qu’il n’avait pas réussi à obtenir une proposition de prix pour une couverture d’assurance commerciale à l’égard du bateau et que [traduction] « le marché n’était pas très friand de ce type de couverture en ce moment ». Selon M. Macaulay, M. McIntosh l’a remercié pour les démarches qu’il avait faites pour lui et lui a dit que, s’il avait besoin d’une couverture commerciale pour le bateau dans l'avenir, il l’appellerait.

 

[26]           M. McIntosh confirme que M. Macaulay l’a informé qu’il n’avait pas réussi à obtenir une proposition de prix pour une couverture commerciale et qu’il a compris que son bateau était assuré pour usage personnel seulement.

 

[27]           M. McIntosh a payé la couverture d’assurance par l'entremise d’un régime de prélèvement automatique. Au début, les paiements étaient prélevés sur son compte bancaire personnel, mais M. McIntosh a informé M. Macaulay qu’il lui fournirait de nouveaux renseignements pour les prélèvements bancaires dès il serait en mesure d’ouvrir un compte pour l’entreprise.

 

[28]           M. McIntosh a expliqué au procès qu’un compte réservé au bateau a été ouvert car lui et son épouse voulaient séparer les dépenses du bateau de leurs finances personnelles.

 

[29]           Au début d’août 2002, M. McIntosh a fourni à M. Macaulay un chèque annulé pour un compte au nom de « Offshore Performance Tours » et a demandé que les prélèvements automatiques soient désormais effectués sur ce compte. M. Macaulay a fait suivre le chèque annulé à la Royal et les paiements ont été par la suite prélevés automatiquement sur ce compte.

 

Utilisation du bateau à l’été 2002

[30]           Peu de temps après avoir pris possession du bateau, M. McIntosh a commencé à faire les démarches nécessaires pour lancer son entreprise de nolisement. Même si le chalet familial se trouvait dans les Muskokas, il a décidé d’installer le bateau dans une marina située près de la résidence de M. Niemi à Bradford, en Ontario. M. McIntosh a expliqué que cet endroit était plus central parce qu’il était plus près du lac Ontario et de la baie Georgienne et offrait un meilleur emplacement pour la mise à l’eau du bateau. Comme M. McIntosh l’a dit dans son témoignage, cet endroit était [traduction] « mieux situé pour les affaires ».

 

[31]           Installer le bateau à cet endroit permettait également à M. Niemi de garder un œil sur ce qui se passait.

 

[32]           En plus d’ouvrir un compte bancaire au nom d’Offshore Performance Tours, les McIntosh ont également créé une société à numéro pour l’entreprise de navigation de plaisance en juillet 2002, dans le but encore une fois de séparer les sommes concernant le bateau de celles de la famille.

 

[33]           Dans une tentative de lancer l’entreprise, M. McIntosh a posé un grand décalque portant l’inscription « Offshore Performance Tours » sur le pont du bateau, accompagné de décalques de drapeau à damiers. Il a aussi fait imprimer 100 ou 150 cartes d’affaires au nom d’Offshore Performance Tours.

 

[34]           Toujours dans le but de promouvoir l’entreprise de nolisement, le bateau a participé à trois courses poker run au cours de l’été 2002 : une à Gananoque, une à Place Ontario à Toronto et une à la baie Georgienne. M. McIntosh dit que, lors de ces événements, M. Niemi pilotait le bateau pendant qu’il restait sur le rivage pour surveiller la concurrence et distribuer des cartes d’affaires dans le but de faire connaître l’entreprise.

 

[35]           M. McIntosh affirme qu’il s’est rapidement rendu compte que son bateau n’était pas de taille face aux autres et que bon nombre des bateaux offerts en location étaient plus gros et plus puissants que le sien. Il s’est rendu compte qu’il avait été naïf dans son choix et qu’il aurait dû faire plus de recherches avant d’acheter un bateau.

 

[36]           M. McIntosh affirme que, peut‑être en raison de la taille du bateau, il avait de la difficulté à faire démarrer l’entreprise. Selon M. McIntosh, même s’il avait reçu, pendant le déroulement des courses poker run, quelques demandes de personnes qui étaient intéressées à louer le bateau, jamais au cours de l’été 2002 il n’a eu de clients payants à bord.

 

Renouvellement de la police d’assurance en 2003

[37]           En juillet 2003, la police d’assurance de M. McIntosh devait être renouvelée. Ted Macaulay lui a envoyé avec les documents du renouvellement une lettre dans laquelle il lui demandait de bien vouloir examiner la police pour s’assurer qu’elle convenait toujours et d’informer le bureau immédiatement si des changements étaient nécessaires.

 

[38]           La police de 2003 était accompagnée d’un feuillet d’information ou « papillon » qui signalait les changements apportés à la police. Entre autres, le feuillet soulignait que des changements avaient été apportés aux clauses se rapportant aux conditions essentielles.

 

[39]           À cet égard, le feuillet mentionnait ce qui suit :

[traduction] Section sur les conditions essentielles

Les conditions essentielles ont été divisées en deux catégories, à savoir les conditions absolues (qui s’appliquent pendant toute la durée de la police) et les conditions suspensives […]

 

[40]           La condition essentielle se rapportant à l’utilisation du bateau se trouve dans la section traitant des conditions essentielles absolues. La police mentionnait ce qui suit :

 

[traduction] Conditions essentielles absolues

Les conditions essentielles absolues suivantes s’appliquent à la présente assurance :

1.   Le bateau sera utilisé exclusivement pour la navigation de plaisance privée. Il ne sera pas nolisé, loué ou utilisé à des fins commerciales […]

 

En cas de violation des conditions essentielles absolues énoncées dans la présente section, la couverture cessera immédiatement et ne pourra pas être rétablie une fois que la violation aura cessé. Vous ne serez plus couvert à partir de la date de la violation.

 

[41]           L’expression « navigation de plaisance privée» (« Private Pleasure Purposes ») au sens que lui donne cette police signifie que [traduction] « le bateau assuré est utilisé pour des activités récréatives ou de loisir ». La disposition autorisant le divertissement de clients a été supprimée de la nouvelle version de la police.

 

[42]           Même si les polices de 2002 et de 2003 stipulaient qu’il y aurait annulation dès la prise d’effet en cas d’omission volontaire, de fausse déclaration ou de fraude, la police de 2003 contenait une disposition additionnelle suivant laquelle il y aurait annulation ab initio si l’assuré omettait volontairement de signaler un fait important relativement à [traduction] « l’utilisation antérieure, actuelle ou future du bateau » ou faisait une fausse déclaration à cet égard. Ce changement dans le libellé de la police n’a pas été signalé dans le feuillet.

 

[43]           Il n’y a eu, au cours de l’été 2003, aucune discussion entre M. McIntosh et M. Macaulay ou un autre représentant d’Ogilvy relativement au statut de l’entreprise de nolisement de M. McIntosh, à l’utilisation du bateau ou aux changements apportés à la police d’assurance.

 

[44]           M. McIntosh reconnaît avoir reçu la nouvelle police, mais il dit ne pas en avoir pris connaissance en détail. Il est toutefois évident que M. McIntosh était toujours conscient du fait qu’il violerait les clauses de la police d’assurance s’il prenait des clients payants à bord du bateau.

 

Utilisation du bateau à l’été 2003

[45]           M. McIntosh a poursuivi ses activités de promotion au cours de l’été 2003 dans le but d’établir une entreprise de nolisement du bateau. À cette fin, il a de nouveau a participé à des courses poker run à Gananoque, à Toronto et à la baie Georgienne. Il voulait participer à un quatrième événement, mais celui‑ci a été annulé à la dernière minute.

 

[46]           M. McIntosh a également accentué ses efforts de promotion en créant un site Web au nom d’Offshore Performance Tours et en faisant paraître des annonces dans des magazines de nautisme imprimés et en ligne.

 

[47]           M. McIntosh a également fait produire des imprimés publicitaires s’apparentant à une carte postale, avec des photos du bateau, une description des services offerts et une liste de prix pour ces services. À titre d’exemple, il y était mentionné que le forfait de 375 $, plus TPS, pour une personne, comprenait notamment la participation à une course poker run, le repas du midi, le repas du soir, un chandail d’équipe et un vidéo de l’événement.

 

[48]           M. McIntosh dit qu’il distribuait ces cartes pendant le déroulement des courses poker run et qu’il les affichait sur les babillards dans les centres commerciaux et les épiceries dans le but d’attirer des clients.

 

[49]           Certains efforts de promotion ont donné lieu à des embellissements de la part de M. McIntosh. Par exemple, sur le site Web, le bateau est décrit comme une embarcation de 36 pieds de long alors qu’il n’avait en réalité que 32 pieds. De la même manière, l’annonce publiée dans les magazines indique que le bateau atteignait 85 milles à l’heure mais, dans sa demande d’assurance, M. McIntosh a déclaré qu’il pouvait atteindre une vitesse maximale de 75 milles à l’heure.

 

[50]           M. McIntosh a reconnu avoir exagéré les caractéristiques de son bateau dans le but de le faire paraître plus gros et plus puissant que ce qu’il était en réalité, et ce, afin d’attirer des clients.

 

[51]           M. McIntosh était fier lorsqu’une photo de son bateau a été diffusée dans le magazine en ligne Poker Runs America qui se rapporte à la navigation de plaisance haute performance. Le magazine couvrait l’événement Lake Ontario Hall of Fame Poker Run, qui a eu lieu les 12 et 13 septembre 2003. Sur la photographie, on voit le bateau de M. McIntosh avec cinq personnes à son bord. M. McIntosh affirme que le bateau était piloté par M. Niemi et que les autres personnes à bord étaient des amis et des membres de la famille qui ont participé à la course poker run pour donner l’impression que l’entreprise était lancée.

 

[52]           Malgré tous ces efforts, M. McIntosh soutient que l’entreprise n’allait nulle part et qu’il n’a pas réussi à attirer un seul client payant pendant l’été 2003.

 

Vol du bateau

[53]           En route pour rendre visite à sa famille dans le Nord de l’Ontario pendant le week‑end de l’Action de grâces en octobre 2003, M. Niemi a laissé le bateau au chalet des McIntosh dans les Muskokas. Après avoir utilisé le bateau à des fins récréatives pendant le week‑end, M. McIntosh l’a attaché à la remorque et l’a laissé au chalet lorsqu’il est retourné chez lui à Windsor. Il affirme avoir demandé à M. Niemi de passer prendre le bateau pour aller le porter à la marina de Bradford où il serait entreposé pour l’hiver.

 

[54]           M. McIntosh a reçu quelques jours plus tard un appel de la police d’Hamilton-Wentworth qui l’a informé que ce qui restait de son bateau avait été découvert à Ancaster, en Ontario, et que le bateau avait été démonté complètement.

 

[55]           M. McIntosh a communiqué avec le poste de Bracebridge de la Police provinciale de l’Ontario pour signaler le vol. Il a été par la suite interrogé par l’agent Rick Poulton qui avait été chargé de l’enquête. M. McIntosh a également signalé le vol à Ted Macaulay.

 

[56]           L’agent Poulton a déclaré dans son témoignage que le vol semblait être « réel » et que rien n’indiquait que les McIntosh y étaient liés.

 

Refus de la demande de règlement de M. McIntosh

[57]           La demande de règlement de M. McIntosh a donné lieu à une enquête par la Royal, d’abord par Jim Goertz, l’un de ses employés, et plus tard par Gary South, un expert en assurance indépendant. Dans une lettre datée du 12 novembre 2002, M. South a informé M. McIntosh que son enquête avait soulevé des doutes sérieux relativement à la souscription, lesquels pouvaient mettre en péril l’existence de sa police d’assurance.

 

[58]           Après enquête approfondie, la Royal a décidé de refuser la couverture et M. McIntosh a été informé de cette décision par voie d’une lettre datée du 8 avril 2004 qui a été envoyée à son avocat. Cette décision était justifiée comme suit :

[traduction] Après analyse des faits révélés par l’enquête, la Royal & SunAlliance, société d’assurances, comprend que votre client a utilisé le bateau en violation de la police. Plus particulièrement, il y a eu violation de la condition essentielle concernant l’utilisation du bateau en question dans le but d’en faire le nolisement et un usage personnel.

 

 

[59]           Par inadvertance, la Royal a continué de prélever les primes sur le compte bancaire d’Offshore Performance Tours après avoir refusé la couverture de la police. Il en a été ainsi pendant deux ou trois mois, soit jusqu’à ce que M. McIntosh ferme le compte. La Royal a ensuite confié le soi‑disant compte en souffrance à une agence de recouvrement, encore une fois par inadvertance.

 

[60]           La Royal n’a jamais remboursé le montant des primes payées par M. McIntosh, mais elle se dit prête à le faire si elle obtient gain de cause dans le présent litige.

 

Questions en litige

[61]           Les questions suivantes ont été soulevées par les parties au cours du procès :

            1.         M. McIntosh a‑t‑il accueilli des clients payants à bord de son bateau?

            2.         Les efforts de promotion de M. McIntosh et de M. Niemi sont‑ils assimilables à une utilisation commerciale du bateau, entraînant ainsi la violation des dispositions de la police d’assurance?

            3.         La Royal est‑elle responsable en vertu de la police?

            4.         Ogilvy est‑elle responsable de la perte subie par M. McIntosh?

            5.         En cas de responsabilité de la part de l’une ou l’autre des défenderesses, à combien s’élèvent les dommages‑intérêts de M. McIntosh?

            6.         M. McIntosh a‑t‑il droit au remboursement des primes qu’il a payées et, si tel est le cas, à partir de quelle date?

Analyse

[62]           Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que M. McIntosh a accueilli des clients payants à bord de son bateau au cours de l’été 2003, une activité qui violait carrément la condition essentielle absolue interdisant l’utilisation commerciale du bateau, laquelle était stipulée dans la police d’assurance de 2003.

 

[63]           Comme l’avocat de M. McIntosh l’a admis dans ses observations, si je devais conclure que M. McIntosh a pris des clients payants à bord de son bateau, son action contre la Royal doit forcément être rejetée et, effectivement, elle est rejetée.

 

[64]           Je conclus également que Ted Macaulay et Ogilvy n’ont pas fait preuve du degré de diligence exigé des courtiers d’assurance maritime raisonnablement prudents. Néanmoins, en l’absence d’un lien de causalité entre les actes de M. Macaulay et la perte subie par M. McIntosh, je suis d’avis qu’Ogilvy ne devrait pas être tenue responsable de cette perte.

[65]           Les motifs de ces conclusions sont exposés ci‑dessous.

 

M. McIntosh a‑t‑il accueilli des clients payants à bord de son bateau?

[66]           M. McIntosh aurait voulu m’amener à croire que le projet de nolisement de son bateau était un projet à long terme et qu’il espérait mettre sur pied son entreprise dans l'avenir pour sa retraite. À cet égard, il a déclaré qu’il croyait qu’il pourrait s’écouler jusqu’à dix ans avant que son entreprise soit opérationnelle.

 

[67]           Toutefois, les documents datant de la période en cause donnent à penser que son projet était beaucoup plus immédiat. Ainsi, dans une note télécopiée à M. Macaulay aux environs du 10 juillet 2002, M. McIntosh a dit [traduction] « À court terme, j’ai besoin d’une couverture pour le transport du bateau (personnelle), mais je vous prie de m’informer du coût d’une couverture commerciale puisque je prévois prendre des gens à bord très bientôt ».

 

[68]           Sur ce point, je préfère les documents datant de cette période au témoignage de vive voix de M. McIntosh et je conclus que, à partir de juillet 2002, son intention était de démarrer et d’exploiter l’entreprise de nolisement et de commencer à prendre des clients payants à bord à brève échéance.

 

[69]           M. McIntosh aurait également voulu que je croie qu’il n’aurait pas emmené un client payant sur son bateau sans avoir d’abord obtenu une assurance couvrant ce risque.

 

[70]           Pourtant, sachant qu’il n’avait pas la couverture d’assurance nécessaire, M. McIntosh a néanmoins continué de faire activement la promotion de son entreprise de nolisement pendant les mois d’été de 2002 et de 2003. Il dit que son intention était de faire les démarches nécessaires par téléphone afin d’obtenir la couverture appropriée dès qu’un client serait prêt à payer pour monter à bord du bateau.

 

[71]           Je n’ajoute pas foi au témoignage de M. McIntosh à cet égard.

 

[72]           M. McIntosh et M. Macaulay reconnaissent que, au cours de l’été 2002, M. Macaulay a dit à M. McIntosh qu’il essaierait d’obtenir une proposition de prix pour une couverture d’assurance commerciale à l’égard du bateau et qu’il n’y a jamais eu pareille proposition.

 

[73]            De plus, M. Macaulay a déclaré avoir dit à M. McIntosh qu’il n’avait pas réussi à obtenir une proposition de prix pour une couverture d’assurance commerciale et que le marché n’était pas très friand de ce type de risque à ce moment‑là. Même si M. McIntosh ne se souvenait pas particulièrement de cette discussion, il n’a pas nié que M. Macaulay pouvait lui avoir dit cela et je crois qu’il l’a fait.

 

[74]           Par conséquent, M. McIntosh savait à l’été 2002 qu’Ogilvy, la société qu’il avait consultée en raison notamment de son expertise dans le domaine de l’assurance maritime de bateaux haute performance, n’avait pas réussi à lui obtenir une proposition de prix pour la couverture commerciale de son bateau, encore moins une couverture d’assurance à des fins commerciales.

 

[75]           M. McIntosh savait également que, en juillet 2002, avant d’obtenir la note de couverture confirmant l’assurance de son bateau pour usage personnel, il lui avait d’abord fallu remplir une demande d’assurance d’embarcation de plaisance et soumettre le formulaire rempli à Ogilvy.

 

[76]           Dans les circonstances, je ne crois pas que M. McIntosh pouvait raisonnablement avoir pensé qu’il n’aurait qu’à faire un simple appel téléphonique pour obtenir une note de couverture commerciale en temps opportun, pendant qu’un client payant éventuel attendrait patiemment de monter à bord du bateau.

 

[77]           Étant donné que M. McIntosh a continué de faire activement la promotion de son entreprise de nolisement en sachant parfaitement qu’Ogilvy ne pouvait pas lui obtenir une couverture d’assurance commerciale, je considère qu’il est beaucoup plus probable que, à un certain moment pendant l’été 2002, M. McIntosh a décidé en toute connaissance de cause de tout simplement aller de l’avant avec ses activités de nolisement sans avoir de couverture d’assurance commerciale pour son bateau et qu’il était prêt à prendre des clients payants sur son bateau sans avoir d’abord obtenu la couverture nécessaire.

 

[78]           J’ai également la conviction qu’il est plus probable qu’improbable que, tout au moins à l’été 2003, des clients payants ont effectivement embarqué à bord du bateau de M. McIntosh.

 

[79]           Pour tirer cette conclusion, je m’appuie sur plusieurs éléments, dont les dossiers bancaires d’Offshore Performance Tours. M. et Mme McIntosh ont tous les deux déclaré qu’ils utilisaient le compte d’Offshore Performance Tours pour toutes les dépenses du bateau et que, pour couvrir ces dépenses, ils déposaient de temps à autre dans le compte d’Offshore Performance Tours des fonds provenant de leur compte personnel.

 

[80]           Au lieu de simplement virer les fonds d’un compte à l’autre, les deux comptes se trouvant à la même succursale de la Banque Canadienne Impériale de Commerce à Windsor, M. et Mme McIntosh avaient pour habitude de retirer l’argent comptant de leur compte personnel et de le déposer – parfois plus de deux mille dollars – dans des guichets automatiques à Bradford, une façon de faire que leur propre avocat a considéré comme étrange.

 

[81]           Il ressort de l’analyse des dossiers bancaires que le couple a fait régulièrement des dépôts dans le compte d’Offshore Performance Tours à partir de guichets automatiques et que plusieurs de ces dépôts étaient des montants arrondis de 1 000 $ ou 2 000 $.

 

[82]           Il y a toutefois des exceptions à cette règle, dont un dépôt en espèces de 401,25 $ fait le 18 août 2003. Contrairement à tous les autres dépôts bancaires, qui ont apparemment été faits par M. ou Mme McIntosh, celui‑ci, selon M. McIntosh, a été fait par M. Niemi. M. et Mme McIntosh ont tous les deux été absolument incapables d’expliquer pourquoi un dépôt de ce montant a été fait et Mme McIntosh a elle‑même reconnu qu’il s’agissait effectivement d’un montant étrange à déposer dans le compte.

 

[83]           Non seulement le dépôt de 401,25 $ en espèces est‑il inhabituel, compte tenu de la façon de faire des McIntosh, mais le montant en lui‑même est révélateur en ce sens qu’il représente le coût exact annoncé pour un forfait d’une journée à bord du bateau des McIntosh, avec participation à une course poker run, à savoir 375 $ plus TPS.

 

[84]           Mes soupçons concernant ce dépôt sont renforcés par le fait que M. McIntosh a choisi de ne pas faire comparaître M. Niemi pour témoigner au procès et n’a fourni aucune explication pour son défaut de le faire. M. McIntosh affirme que c’est M. Niemi qui a fait ce dépôt et que ce dernier aurait été sans doute la personne la mieux placée pour expliquer la provenance du montant de 401,25 $. Eu égard aux circonstances, je suis prête à tirer une conclusion défavorable du fait que M. McIntosh a décidé de ne pas faire comparaître M. Niemi et je considère que le témoignage de M. Niemi n’aurait vraisemblablement pas aidé sa cause.

 

[85]           Afin de parfaire l’analyse, je dois également souligner que l’avocat de la Royal a tenté d’assigner M. Niemi à comparaître pour témoigner pour sa cliente, mais qu’il n’a pas été en mesure d’effectuer la signification de l’assignation. L’affidavit de tentative de signification souscrit par l’huissier de la Royal semble indiquer que M. Niemi tentait peut‑être de se soustraire à la signification.

 

[86]           En l’absence de toute explication des McIntosh ou de M. Niemi quant à la provenance des fonds déposés le 18 août 2003, je considère qu’il est plus probable qu’improbable que le montant de 401,25 $ déposé dans le compte d’Offshore Performance Tours le 18 août 2003 représentait le paiement reçu d’un client d’Offshore Performance Tours ce jour‑là ou peu de temps avant.

 

[87]           Le dépôt du 18 août 2003 n’est pas, par ailleurs, le seul dépôt effectué dans le compte bancaire d’Offshore Performance Tours qui suscite des doutes. Il y a eu antérieurement, soit le 30 juin 2003, un dépôt de 3 210 $ qui, incontestablement, a été fait par M. ou Mme McIntosh. Encore une fois, le montant est inhabituel en ce sens que ce n’est pas le genre de montant arrondi que l’on s’attendrait de voir lorsqu’il s’agit de simplement remettre de l’argent dans un compte pour couvrir des dépenses à payer, et les McIntosh n’ont donné aucune explication quant à savoir pourquoi un tel dépôt a été fait.

 

[88]           Qui plus est, il s’agit non seulement d’une somme importante, surtout s’il faut la transporter sur soi, mais encore une fois, le montant en lui‑même est révélateur car il représente exactement le coût total d’un forfait d’une journée à bord du bateau des McIntosh pour huit personnes (à savoir 375 $ plus TPS x 8).

 

[89]           En l’absence d’une véritable explication de la part de M. ou Mme McIntosh relativement à ce dépôt, je conclus, suivant la prépondérance de la preuve, que les fonds correspondants provenaient de clients payants qu’ils ont accueillis sur leur bateau pendant le week‑end du 28 et 29 juin 2003.

 

[90]           Finalement, la conclusion suivant laquelle des clients payants ont effectivement embarqué à bord du bateau des McIntosh au cours de l’été 2003 est renforcée par le témoignage de l’agent Poulton de la Police provinciale de l’Ontario qui, rappelons-le, avait été chargé de l’enquête sur le vol du bateau des McIntosh.

 

[91]           L’agent Poulton a interrogé M. McIntosh au sujet du vol perpétré en octobre 2003. Il ressortait clairement du témoignage de l’agent Poulton qu’il se souvenait très bien de l’interrogatoire parce que, a‑t‑il expliqué, l’enquête sur le vol a été très longue et concernait un bateau de luxe. En outre, son témoignage était largement, quoique non entièrement, corroboré par les notes qu’il avait prises au moment de l’interrogatoire. Enfin, l’agent Poulton était un témoin tout à fait désintéressé et il n’avait aucune raison de ne pas dire entièrement la vérité lors de son témoignage.

 

[92]           Pour ces motifs, j’accepte sans réserve le témoignage de l’agent Poulton et je conclus que, au cours de l’interrogatoire effectué par l’agent Poulton, M. McIntosh a déclaré avoir utilisé le bateau surtout à des fins récréatives en 2003, mais aussi l’avoir nolisé pour différentes excursions, y compris des courses poker run.

 

[93]           Compte tenu de ce qui précède, je conclus que, à tout le moins dès le week‑end du 28 et du 29 juin 2003, M. McIntosh a pris des clients payants à bord de son bateau, ce qui allait à l’encontre de la condition essentielle suspensive énoncée dans la première police d’assurance qui a expiré le 19 juillet 2003.

 

[94]           De plus, je suis également convaincue que M. McIntosh a continué d’accueillir des clients payants sur son bateau pendant l’été 2003, violant ainsi carrément la condition essentielle absolue de la police d’assurance 2003-2004.

 

[95]           Puisqu’il avait violé la condition essentielle absolue interdisant l’utilisation commerciale du bateau, le renouvellement de la police était entaché de nullité et la police n’était plus en vigueur au moment où M. McIntosh a subi la perte de son bateau. Par conséquent, l’action contre la Royal sera rejetée.

 

[96]           Avant de passer à la question suivante, j’aimerais souligner que, pour en arriver à la conclusion suivant laquelle l’action de M. McIntosh devait être rejetée à l’égard de la Royal, j’ai examiné et rejeté l’argument d’Ogilvy voulant que, compte tenu du fait que la Royal avait continué à prélever les primes sur le compte bancaire d’Offshore Performance Tours, il doive être considéré qu’elle avait renoncé à invoquer la violation de la police par M. McIntosh.

 

[97]           À cet égard, je souligne que ni M. McIntosh ni Ogilvy n’ont soulevé la question de la renonciation dans leurs actes de procédure. En outre, il serait difficile de conclure à l’existence d’une renonciation expresse ou implicite de la part de la Royal, étant donné que la lettre de refus établit sans la moindre équivoque que la Royal avait l’intention de considérer que la police était nulle.

 

[98]           Enfin, j’accepte le témoignage de M. Scharien qui a affirmé que les primes avaient continué d’être prélevées sur le compte de M. McIntosh en raison d’un manque de vigilance de la part de la Royal, à savoir le défaut de communication entre deux de ses divisions, et que la Royal n’avait eu aucunement l’intention de renoncer à invoquer la violation de la condition essentielle.

 

[99]           Ainsi qu’il a été souligné plus haut, la conclusion suivant laquelle M. McIntosh a effectivement pris des clients payants à bord de son bateau à l’été 2003 est déterminante dans l’action de M. McIntosh contre la Royal. Elle ne l’est toutefois pas à l’égard de la question de la responsabilité d’Ogilvy pour la perte subie par M. McIntosh. Cette question est examinée ci‑dessous.

 

Ogilvy est‑elle responsable de la perte subie par M. McIntosh?

[100]       Dans sa demande visant Ogilvy, M. McIntosh soutient que la société a manqué au devoir de diligence qui incombe au courtier d’assurance envers l’assuré pour faire en sorte que ce dernier bénéficie d’une protection suffisante en cas de perte.

 

[101]       M. McIntosh affirme avoir choisi Ogilvy comme courtier d’assurance précisément en raison de sa réputation dans le secteur de l’assurance maritime et s’être fié à ses connaissances, son expertise et ses conseils pour s’assurer de bénéficier d’une protection suffisante pour son bateau.

 

[102]       M. McIntosh souligne qu’il n’a absolument rien caché à M. Macaulay de son projet de mettre sur pied une entreprise de nolisement avec son bateau et il dit s’être fié, à son détriment, à l’opinion de ce dernier suivant laquelle il n’avait pas besoin d’une couverture commerciale pour le bateau tant qu’il n’avait pas de clients payants.

 

[103]       Par conséquent, M. McIntosh affirme que, s’il est décidé qu’il a violé la police d’assurance de quelque manière que ce soit, la faute à l’égard de cette violation est attribuable à Ogilvy et que celle‑ci devrait être tenue responsable de la perte qu’il a subie.

 

[104]       Dans son argument, M. McIntosh soulève deux questions. La première est celle de savoir si M. Macaulay et Ogilvy ont exercé la diligence suffisante exigée d’un courtier d’assurance compte tenu du conseil que M. Mcaulay a donné à M. McIntosh. Si je décide que ce n’est pas le cas, il faudra examiner la deuxième question, soit celle de savoir si Ogilvy doit être tenue responsable de la perte subie par M. McIntosh.

 

[105]       En ce qui concerne le degré de diligence exigé du courtier d’assurance raisonnable, les parties conviennent que le devoir d’un courtier d’assurance est de poser les questions nécessaires au proposant afin d’évaluer les risques qui devraient être pris en charge et les risques prévisibles et d’assurer le client contre ces risques. Le courtier a aussi l’obligation d’expliquer à l’assuré les limites de la couverture offerte : voir Fine’s Flowers Ltd. et al. c. General Accident Insurance Co. of Canada et al., (1978), 17 O.R. (2d) 529 (C.A.), au paragraphe 35. Voir aussi Elite Marine Co. c. Southlands Insurance Inc., [1994] B.C.J. no 3188, aux paragraphes 12 à 14.

 

[106]       Pour les motifs exposés ci‑dessous, je conclus que M. Macaulay n’a pas fait preuve du degré de diligence exigé d’un courtier d’assurance raisonnablement prudent, car il n’a pas posé les questions pertinentes à M. McIntosh compte tenu de ce qu’il savait au sujet des projets de ce dernier pour le bateau.

 

[107]       Je suis en outre convaincue que M. Macaulay n’a pas fait preuve de la diligence nécessaire en fournissant des renseignements inexacts à M. McIntosh relativement à la couverture commerciale dont il avait besoin, compte tenu des projets qu’il avait à l’égard de son bateau.

 

[108]       Toutefois, pour les motifs exposés ci‑dessous, je crois néanmoins qu’Ogilvy ne devrait pas être tenue responsable de la perte subie par M. McIntosh.

 

[109]       En ce qui a trait premièrement à la question du défaut de M. Macaulay de poser les questions nécessaires à M. McIntosh au cours du traitement de la demande d’assurance, M. Macaulay dit que le projet de M. McIntosh de mettre sur pied une entreprise était un projet à long terme, que de nombreux clients entretiennent des rêves de ce genre et que peu d’entre eux les réalisent. Dans les circonstances, M. Macaulay affirme qu’il n’avait aucune obligation d’examiner avec M. McIntosh les détails de son projet d’affaires.

 

[110]       Je n’accepte pas l’argument de M. Macaulay sur ce point, car les faits ne l’étayent tout simplement pas. Ainsi que je l’ai mentionné plus haut, avant d’obtenir l’assurance pour usage personnel du bateau, M. Macaulay avait été informé, par écrit, que M. McIntosh avait l’intention de faire embarquer des clients payants sur son bateau à brève échéance. Compte tenu de ces circonstances, je suis convaincue que M. Macaulay avait l’obligation d’examiner beaucoup plus en détail avec M. McIntosh son projet d’affaires et, au besoin, d’en discuter avec la Royal, pour faire en sorte qu’il obtienne une protection suffisante.

 

[111]       Avant de passer à un autre point, j’aimerais également souligner que Andrew Robertson, l’expert qu’Ogilvy a fait comparaître relativement à la question du devoir qui incombe aux courtiers d’assurance lorsqu’ils obtiennent une assurance maritime pour leurs clients, était d’avis que M. Macaulay avait posé les bonnes questions à M. McIntosh au moment de faire les démarches nécessaires pour l’assurance du bateau et qu’il s’était donc acquitté de l’obligation qui lui incombait.

 

[112]       L’opinion de M. Robertson reposait toutefois sur l’hypothèse voulant que le projet de M. McIntosh de démarrer une entreprise fût en fait un projet à long terme. Étant donné que cette hypothèse n’est pas corroborée par la preuve, je ne tiens pas compte de l’opinion de M. Robertson sur ce point.

 

[113]       En ce qui a trait à l’exactitude du conseil qu’il a donné à M. McIntosh, M. Macaulay ajoute qu’il avait appris lors des discussions qu’il avait eues avec les souscripteurs de la Royal, très probablement avec Steve Scharien, ou peut‑être avec une autre personne du nom de Paul Gespechne [transcription phonétique], qu’il ne serait pas considéré qu’un bateau a été utilisé à une fin commerciale tant que des clients payants ne seraient pas montés à bord.

 

[114]       Je n’ajoute pas foi au témoignage de M. Macaulay à cet égard.

 

[115]       Le témoignage de M. Macaulay sur ce point était vague et manquait totalement de précision. Non seulement n’avait‑il aucun écrit pour confirmer qu’il s’agissait de l’opinion de la Royal sur la question mais, de plus, il n’a pas pu fournir lui‑même de détails quant à savoir où et quand ces discussions auraient eu lieu, ni dire avec certitude qui était la personne, à la Royal, qui était censée lui avoir dit cela.

 

[116]       Steve Scharien était responsable de la souscription et de l’élaboration des polices en matière d’assurance d’embarcations de plaisance à la Royal, et il était la principale personne‑ressource de M. Macaulay. M. Scharien nie avoir déjà dit à M. Macaulay que la couverture commerciale était seulement nécessaire si un assuré était prêt à prendre des clients payants à bord d’un bateau.

 

[117]       Dans son témoignage, M. Scharien a passé en revue en long et en large les pratiques de la Royal en matière de souscription d’assurance maritime et il en est clairement ressorti que les préoccupations de la Royal concernant les risques que présentent les activités commerciales de bateaux débordaient largement celles soulevées par la prise en charge de clients payants à bord.

 

[118]       En outre, le témoignage de M. Scharien suivant lequel la promotion et l’utilisation d’un bateau en vue de créer des occasions d’affaires pour une entreprise de nolisement soulèveraient, pour un assureur maritime, des préoccupations importantes quant à la souscription a été confirmé par les experts qui ont témoigné au procès relativement aux pratiques de souscription et de courtage en matière d’assurance maritime.

 

[119]       Par conséquent, il n’est pas logique que M. Scharien – ou qui que ce soit d’autre à la Royal – ait pu dire à M. Macaulay que les propriétaires dont les embarcations ont été assurées pour usage personnel bénéficient d’une protection tant et aussi longtemps qu’ils ne prennent pas de clients payants à bord.

 

[120]       Peu importe où il a obtenu cette information, M. Macaulay a manifestement cru que l’expression « fins commerciales », telle qu’elle est employée dans les polices d’assurance maritime de la Royal, devait être assimilée à la prise en charge de clients payants sur un bateau, avec le résultat que l’assurance pour usage personnel était suffisante pour une personne ayant l’intention de créer une entreprise de nolisement tant qu’elle n’était pas prête à accueillir des clients payants à bord du bateau en question.

 

[121]       La question est donc celle de savoir si, en donnant ce conseil à M. McIntosh, M. Macaulay et Ogilvy ont manqué au devoir de diligence qui incombe aux courtiers d’assurance envers leurs clients.

 

[122]       Deux experts ont comparu relativement à la question du devoir de diligence des courtiers d’assurance qui doivent obtenir de l’assurance maritime pour leurs clients, à savoir M. Robertson pour Ogilvy et Justin MacGregor pour la Royal. Ils ont tous les deux discuté dans leur témoignage des activités qui seraient assimilées à l’usage commercial d’un bateau.

 

[123]       De l’avis de M. MacGregor, c’était le fait d’offrir un bateau en location qui équivalait à une utilisation commerciale, peu importe si le propriétaire du bateau était payé ou non pour prendre des clients à bord.

 

[124]       Par contre, M. Robertson s’est dit d’abord d’avis que c’était le fait de conclure un contrat avec un tiers qui faisait en sorte que la frontière entre l’usage commercial et l’usage personnel était franchie. Plus tard dans son témoignage, il a cependant nuancé son opinion en disant que, à son avis, le fait d’emmener des membres de la famille et des amis sur un bateau pour participer à des courses poker run et donner l’illusion que l’entreprise de nolisement était bel et bien lancée équivalait à une utilisation commerciale, même si aucun contrat n’avait été conclu.

 

[125]       M. Robertson a de plus reconnu que donner un cadeau à un client éventuel – à savoir le prendre à bord du bateau sans le faire payer – dans l’espoir de créer des occasions d’affaires futures équivaudrait également à une utilisation commerciale du bateau.

 

[126]       Par conséquent, à la fin de son témoignage, le propre expert d’Ogilvy en pratiques de courtage et de souscription d’assurance maritime était d’accord pour dire que le fait d’utiliser un bateau pour faire connaître une entreprise de nolisement était assimilable à une utilisation commerciale du bateau, peu importe si des frais avaient été payés ou non au propriétaire du bateau.

 

[127]       Claudio Verconich, l’expert dans les questions de souscription d’assurance maritime qui a témoigné pour la Royal, a exprimé lui aussi une opinion semblable.

 

[128]       Au bout du compte, personne n’était d’accord avec M. Macaulay pour dire qu’une condition essentielle concernant la navigation de plaisance privée ne serait violée que si un propriétaire de bateau prenait un client payant à bord et que c’était seulement à ce moment-là qu’une couverture d’assurance commerciale était nécessaire pour le bateau.

 

[129]       De plus, je suis convaincue que l’expression « fins commerciales » (« commercial purpose ») qui est employée dans la police d’assurance visée en l’espèce ne peut raisonnablement recevoir l’interprétation avancée par M. Macaulay et a un sens plus large que la définition restrictive qu’il en a donnée.

 

[130]       À cet égard, M. McIntosh prétend que, en l’absence d’une définition claire de ce qui sera ou ne sera pas assimilé à une « fin commerciale » dans les polices d’assurance, il y a ambiguïté. S’appuyant sur des arrêts tels que Exportations Consolidated Bathurst Ltée c. Mutual Boiler, [1980] 1 R.C.S. 888, et Reid Crowther & Partners Ltd. c. Simcoe & Erie General Insurance Co., [1993] 1 R.C.S. 252, M. McIntosh soutient que, dans la mesure où il y a ambiguïté dans les polices, cette ambiguïté devrait être résolue en faveur de l’interprétation préconisée par Ogilvy et par lui.

 

[131]       Je ne souscris pas à ces observations.

 

[132]       Les conditions essentielles énoncées dans les polices d’assurance doivent recevoir une interprétation stricte mais raisonnable : Staples c. Great America Insurance Co., New York, [1941] R.C.S. 213.

 

[133]       La condition essentielle en question dans la présente affaire prévoit que le bateau sera utilisé [traduction] « exclusivement pour la navigation de plaisance privée » et que [traduction] « il ne sera pas nolisé, loué ou utilisé à des fins commerciales ». Même si l’expression « à des fins commerciales » (« any commercial purpose ») n’est pas définie dans la police, le sens ordinaire des mots dépasse de toute évidence l’interprétation proposée par M. Macauly.

 

[134]       En outre, l’expression doit être interprétée dans son contexte : voir Lake c. Simmons, [1927] A.C. 487, à la page 499, cité dans Malcolm A. Clarke, The Law of Insurance Contracts (London: Lloyds of London Press Ltd., 1989).

 

[135]       Cela signifie que la condition essentielle énonçant que le bateau ne doit pas être utilisé [traduction] « à des fins commerciales » doit être interprétée à la lumière de l’énoncé antérieur qui restreint l’utilisation du bateau à [traduction] « la navigation de plaisance privée », laquelle signifie [traduction] « pour des activités récréatives ou de loisir ».

 

[136]       Il n’est pas nécessaire d’essayer d’énoncer une définition globale de ce qui sera ou ne sera pas assimilé à une fin commerciale et, d’ailleurs, les experts ont eu de la difficulté à en arriver à une définition claire et universelle. Cela ne signifie pas cependant que l’expression est ambiguë. Au contraire, elle reflète simplement le fait que la décision sur la question de savoir si des activités comportant l’utilisation d’un bateau sont assimilées à une utilisation à une fin commerciale dépendra en grande partie des faits particuliers en cause dans une affaire donnée.

[136]

[137]       Il n’est également pas nécessaire de décider si les activités de commercialisation telles que la distribution d’imprimés publicitaires et la création d’un site Web – des activités qui n’exigent pas l’utilisation du bateau – sont assimilées à l’utilisation d’un bateau à une fin commerciale parce que je suis convaincue que, à tout le moins, les activités visées en l’espèce qui exigent l’utilisation du bateau, y compris le fait de placer le bateau à un endroit particulier en raison précisément des possibilités d’affaires à proximité, le transport du bateau vers les lieux où se tenait les courses poker run afin de faire connaître l’entreprise, la participation à ces événements à des fins promotionnelles et la présence d’amis et de membres de la famille à bord du bateau pendant ces événements afin de montrer que l’entreprise était opérationnelle, ne constituent pas des activités récréatives ou de loisir et sont assimilées à l’utilisation du bateau à une fin commerciale.

 

[138]       Je suis également persuadée qu’un courtier d’assurance maritime raisonnablement prudent comprendrait que l’utilisation d’un bateau à une fin commerciale ne se limite pas au cas où des clients payants montent à bord du bateau et n’aurait pas donné le conseil simpliste que M. McIntosh a reçu de M. Macaulay dans la présente affaire.

 

[139]       Par conséquent, je suis convaincue qu’en donnant, comme il l’a fait, ce conseil à M. McIntosh, en sachant parfaitement que ce dernier avait l’intention de lancer son entreprise de nolisement et de prendre à bord des clients payants à brève échéance, M. Macaulay, tout comme Ogilvy, n’a pas fait preuve du degré de diligence exigé des courtiers d’assurance raisonnablement prudents.

 

[140]       Qui plus est, je suis également d’avis que M. Macaulay n’a pas fait preuve du degré de diligence requis en omettant de poser les questions nécessaires à M. McIntosh et d’obtenir de ce dernier les renseignements pertinents eu égard au risque.

 

[141]       M. Macaulay affirme que, s’il avait été au courant du fait que M. McIntosh prévoyait commencer tout de suite à faire la promotion de son bateau, il lui aurait demandé des renseignements plus précis et aurait [traduction] « nécessairement » vérifié auprès de M. Scharien si ce projet avait une incidence sur la couverture d’assurance de M. McIntosh avec la Royal.

 

[142]       Toutefois, comme je l’ai déjà souligné, M. Macaulay a été informé expressément du projet de M. McIntosh de mettre sur pied une entreprise de nolisement quand des démarches ont été entreprises pour faire assurer le bateau de ce dernier et il a été mis au courant du fait que M. McIntosh espérait prendre des clients payants à bord à très brève échéance. Rien dans la preuve ne laisse toutefois entendre que M. Macaulay a demandé à M. McIntosh des renseignements au sujet de son projet d’affaires et il ne lui a pas non plus posé de questions sur l’incidence de ce projet sur l’utilisation du bateau.

 

[143]       Je suis d’avis que, dès que M. McIntosh lui a fait part de ce qui était manifestement un projet à court terme de lancer une entreprise de nolisement avec son bateau, M. Macaulay avait l’obligation d’examiner ce projet d’affaires avec M. McIntosh avec lui pour déterminer si ce projet avait des répercussions sur sa couverture d’assurance. Comme il ne l’a pas fait, je conclus que M. Macaulay et Ogilvy n’ont pas exercé la diligence à laquelle on peut s’attendre d’un courtier d’assurance raisonnablement prudent.

 

[144]       La question suivante est celle de savoir si Ogilvy doit être tenue responsable de la perte subie par M. McIntosh.

 

[145]       Après avoir soigneusement examiné la question, je conclus que, malgré les lacunes dans les conseils et les services offerts à M. McIntosh par M. Macaulay, Ogilvy ne devrait pas être tenue responsable de la perte subie par M. McIntosh.

 

[146]       Même s’il est indéniable que M. Macaulay a mal conseillé M. McIntosh, au bout du compte, ce dernier ne s’est pas fié à son conseil à son détriment. M. McIntosh a plutôt décidé de ne pas en tenir compte, sachant parfaitement que ses actes pouvaient avoir des répercussions sur sa couverture d’assurance.

 

[147]       En effet, M. McIntosh savait depuis le début qu’il ne devait pas prendre des clients payants à bord de son bateau et que, s’il le faisait, sa couverture d’assurance pourrait être en péril. J’ai déjà conclu que c’est ce qu’il avait fait précisément pendant l’été 2003.

 

[148]       Pour qu’il y ait un lien de causalité entre le manquement à l’obligation qui incombait à M. Macaulay et à Ogilvy et la perte qu’il a subie, M. McIntosh doit s’être fié au conseil donné par M. Macauly : voir Linden et Feldthusen, Canadian Tort Law, 8e éd., à la page 467.

 

[149]       Eu égard aux circonstances de l’espèce, M. McIntosh est maintenant malvenu d’affirmer qu’il s’est fié à son détriment au mauvais conseil que lui a donné M. Macaulay. Même si l’avis de M. Macaulay concernant ce qui constituait l’utilisation d’un bateau à une fin commerciale n’était peut‑être pas exact, il était valable dans la mesure où il s’appliquait, en ce sens que la prise en charge de clients payants sur le bateau serait effectivement assimilée à une utilisation commerciale.

 

[150]       Après avoir consciemment décidé de ne pas tenir compte de l’avis de M. Macaulay à cet égard et de prendre des clients payants à bord de son bateau, M. McIntosh a en toute connaissance de cause mis sa couverture d’assurance en péril et il a été en fin de compte l’artisan de son propre malheur.

 

[151]       Avant de conclure sur la question de la responsabilité d’Ogilvy, j’aimerais souligner qu’il ne semble pas que M. Macaulay et M. McIntosh aient jamais discuté de la nature suspensive de la condition essentielle d’usage personnel dans la police de 2002 ou de la nature absolue de la condition essentielle d’usage personnel dans la police de 2003.

 

[152]       À mon avis, ces questions auraient dû être discutées avec M. McIntosh, compte tenu en particulier de ce que savait M. Macaulay à propos du projet de M. McIntosh pour son bateau. Faute d’avoir discuté de ces questions avec M. McIntosh, M. Macaulay et Ogilvy ont une fois encore omis d’exercer la diligence à laquelle on peut s’attendre d’un courtier d’assurance prudent.

 

[153]       Cela dit, comme je l’ai mentionné plus haut, M. McIntosh a très bien compris dès le départ que sa couverture d’assurance serait en péril s’il prenait des clients payants à bord de son bateau. En aucun temps pendant son témoignage, il n’a laissé entendre qu’il s’était fondé sur le fait que la condition essentielle d’usage personnel était initialement de nature suspensive lorsqu’il a décidé de prendre des clients payants à bord de son bateau.

 

[154]       M. McIntosh n’a jamais laissé entendre non plus qu’il aurait agi différemment si on l’avait informé du fait que la condition essentielle d’usage personnel était devenue une condition de nature absolue lors du renouvellement de sa police d’assurance en juillet 2003.

 

[155]       Au contraire, M. McIntosh a toujours prétendu qu’il n’avait jamais pris de clients payants à bord de son bateau, une prétention que j’ai expressément rejetée.

 

[156]       Par conséquent, l’action sera également rejetée à l’égard d’Ogilvy.

 

M. McIntosh a‑t‑il droit au remboursement des primes qu’il a payées et, si tel est le cas, à partir de quelle date?

[157]       Étant donné que la condition essentielle de navigation de plaisance privée qui est énoncée dans sa première police d’assurance était simplement de nature suspensive, M. McIntosh a continué de bénéficier de sa couverture d’assurance lorsqu’il a utilisé le bateau pour des activités récréatives ou de loisir et, par conséquent, il n’a pas droit au remboursement des primes payées pendant la durée de cette police.

 

[158]       Par contre, la condition essentielle de navigation de plaisance privée énoncée dans la police de 2003-2004 était une condition de nature absolue. Autrement dit, dès que le bateau était nolisé ou utilisé à des fins commerciales, la police était annulée et la couverture ne pouvait pas être rétablie.

 

[159]       J’ai conclu que, après le renouvellement de sa police d’assurance en juillet 2003, M. McIntosh a utilisé son bateau à une fin commerciale, à savoir le transport de clients payants. J’ai également conclu que plusieurs autres activités liées à l’utilisation de son bateau au cours de l’été 2003 étaient assimilées à une utilisation commerciale.

 

[160]       La preuve quant à savoir précisément quand les divers événements, tels que les courses poker run, ont eu lieu n’est pas totalement claire. Nous ne savons pas non plus où le bateau se trouvait à différents moments pendant l’été 2003. Nous savons bel et bien, cependant, que M. McIntosh a pris des clients payants à bord de son bateau le 18 août 2003 ou peu de temps avant cette date.

 

[161]       Comme M. McIntosh a de toute évidence violé la condition essentielle absolue de la police au plus tard à cette date, la Royal avait le droit d’agir comme elle l’a fait et de considérer que la police était nulle. Conformément aux dispositions du paragraphe 85(2) de la Loi sur l’assurance maritime, M. McIntosh a droit au remboursement des primes d’assurance qu’il a payées après le 18 août 2003.

 

[162]       Bien qu’il n’en ait pas été fait mention dans les plaidoiries, la Royal a soutenu dans ses observations écrites qu’elle devrait avoir le droit de déduire ses frais d’enquête et de défense des primes à rembourser.

 

[163]       À la demande des parties, je ne trancherai pas la question de ces frais tant qu’elles n’auront pas eu la possibilité de faire des observations à cet égard et, par conséquent, la question du droit de la Royal à la déduction de ses frais reste à trancher. De plus, la Royal n’a présenté aucune preuve relativement aux frais engagés pour enquêter sur la demande de règlement de M. McIntosh. Dans les circonstances, je refuse de rendre une ordonnance à cet égard.

 

Dommages‑intérêts

[164]       Ayant conclu à l’absence de responsabilité de la part des deux défenderesses, je ne vois pas vraiment la nécessité d’évaluer les dommages-intérêts dans la présente affaire. Toutefois, je vais procéder à leur évaluation au cas où une cour siégeant en appel aurait une opinion différente sur la question.

 

[165]       Même si l’expert de M. McIntosh était d’avis que le bateau était une perte totale, l’avocat de M. McIntosh a reconnu au procès qu’il pouvait en fait être réparé. Par conséquent, la question à trancher est celle de savoir ce qu’il en coûterait pour le faire réparer.

 

[166]       Deux témoins ont comparu relativement à cette question. Il s’agissait de deux experts maritimes ayant la qualité d’expert en évaluation des dommages causés aux bateaux. La Cour a constaté très peu de différences dans les évaluations faites par les deux experts relativement à ce qui devait être fait pour remettre le bateau des McIntosh dans son état initial, dans la mesure où cela était possible, et il n’y a pas eu non plus beaucoup de désaccord entre les témoins quant aux coûts des réparations.

 

[167]       M. McIntosh s’appuie sur le témoignage de Gerry Montpellier, qui a inspecté le bateau le 26 septembre 2006 et a évalué le coût des réparations du bateau, en date d’octobre 2006, à un montant de 121 387,20 $, auquel s’ajoute une somme de 15 à 20 mille dollars pour d’autres réparations déterminées au cours des travaux. Interrogé à savoir comment il en était arrivé à ce chiffre pour les extras, M. Montpellier a affirmé qu’il n’y avait rien de magique à cela et il semble qu’il s’agissait en quelque sorte d’un chiffre approximatif.

 

[168]       Pour sa part, la Royal a fait comparaître David Buchanan, qui a préparé son devis de réparation en novembre 2003. Dans le rapport qu’il a remis à la Royal, M. Buchanan a recommandé qu’une somme de 125 000 $ soit mise de côté pour couvrir les frais de réparation. Tout comme M. Montpellier l’avait fait dans son évaluation, M. Buchanan a inclus une composante pour frais imprévus, sans toutefois en préciser le montant.

 

[169]       Les dates auxquelles les deux évaluations ont été effectuées sont assez éloignées, ce qui peut expliquer une partie de l’écart entre les deux évaluations, quoique M. Buchanan ait déclaré que, même si le coût des principales composantes pouvait avoir augmenté un peu, tous les autres coûts de réparation étaient restés plus ou moins les mêmes.

 

[170]       L’évaluation de M. Montpellier incluait également le coût de réparation du tableau arrière qui était décollé. M. Montpellier a reconnu en contre‑interrogatoire qu’il ne savait pas si ce décollement s'était produit avant le vol du bateau ou non. Par contre, M. Buchanan a souligné dans son rapport la présence du décollement observé lors de son inspection de novembre 2003, mais il était d’avis que ce décollement existait déjà et qu’il n’était pas attribuable au vol. Par conséquent, M. Buchanan n’a prévu aucun montant pour cette réparation, même s’il a déclaré que la réparation prendrait environ de six à dix heures de travail, à un coût de main‑d’œuvre allant de 80 $ à 90 $ l’heure.

 

[171]       Comme M. Buchanan a inspecté le bateau en 2003, il était le mieux placé pour déterminer si le décollement du tableau arrière était lié ou non au vol. Par conséquent, je retiens son témoignage suivant lequel le décollement s'était déjà produit et ne devrait pas être pris en considération pour déterminer le coût de réparation du bateau.

 

[172]       Je suis également convaincue que, si M. McIntosh avait pu établir qu’il avait droit à un dédommagement pour la perte qu’il a subie, il aurait droit au coût actuel des composantes nécessaires pour réparer le bateau, compte tenu du fait qu’il a déclaré que sa situation financière ne lui permettait pas d’effectuer les réparations sans le produit de l’assurance.

 

[173]       Tout bien considéré, je suis convaincue que les dommages subis par M. McIntosh, suivant le coût des réparations de son bateau, devraient à bon droit être évalués à 130 000 $.

 

Conclusion

[174]       Pour ces motifs, la présente action sera rejetée. Les parties auront deux semaines à partir de la date du jugement pour signifier et déposer des observations écrites sur la question des dépens, lesquelles ne devront pas dépasser trois pages.

 

« Anne Mactavish »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 janvier 2007

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Mario Lagacé, jurilinguiste

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                          T-1006-04

 

INTITULÉ :                                                         STEWART MCINTOSH

                                                                              c.

                                                                              ROYAL & SUN ALLIANCE DU

                                                                              CANADA, SOCIÉTÉ D’ASSURANCES,

                                                                              et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                   TORONTO (ONTARIO)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                               DU 11 AU 15 DÉCEMBRE 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                              LA JUGE MACTAVISH  

 

DATE DES MOTIFS :                                        LE 29 JANVIER 2007      

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mathew R. Todd                                                    POUR LE DEMANDEUR

 

Rui Fernandes                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

Kim Stoll                                                                ROYAL & SUN ALLIANCE

 

Van Krkachovski                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

John Teal                                                                OGILVY & OGILVY

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

RENAUD TODD LLP

Windsor (Ontario)                                                  POUR LE DEMANDEUR

 

FERNANDES HEARN LLP                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)                                                   ROYAL & SUN ALLIANCE

 

MCCAGUE, PEACOCK, BORLACK,                POUR LA DÉFENDERESSE

MCINNIS & LLOYD LLP                                   OGILVY & OGILVY

                                                                              Toronto (Ontario)

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