Ottawa (Ontario), le 23 octobre 2006
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH
ENTRE :
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision par laquelle un agent des visas a refusé la demande de résidence permanente de Hui-Chun Gau au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. L’agent des visas a fondé son refus sur le fait que la demanderesse était interdite de territoire parce que l’état de santé de sa fille de 15 ans risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.
[2] La demanderesse dit que l’agent des visas a commis une erreur parce qu’il n’a pas fait une évaluation individualisée du cas de son enfant comme il y était tenu depuis un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, Hilewitz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et De Jong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 706, 2005 CSC 57. En conséquence, de dire la demanderesse, la décision de l’agent devrait être annulée.
[3] Je suis d’avis que, compte tenu de l’information restreinte communiquée à l’agent à propos de la fille de la demanderesse, l’agent a évalué la demande de visa d’une manière adéquate, et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
Les faits
[4] La demanderesse, qui est une ressortissante de la République populaire de Chine, est dirigeante au sein de la société japonaise Mitsui and Company. Elle a une fille adolescente, Shao‑Chen, qui a reçu un diagnostic d’autisme infantile, avec arriération mentale moyenne.
[5] La demanderesse sollicitait un visa de résidente permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés et elle a obtenu un total de 68 points, ce qui la rendait admissible à un visa. Sur ce point, l’agent des visas a estimé que la demanderesse serait en mesure de réussir son établissement économique au Canada et qu’elle‑même et son mari étaient des demandeurs instruits, véritablement capables de s’adapter à un autre pays, ainsi que l’attestait le succès professionnel du couple au Japon.
[6] Cependant, le 3 mai 2005, l’agent des visas a envoyé à la demanderesse une « lettre requise par l’équité », dans laquelle il disait que l’état de santé de Shao‑Chen risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada.
[7] La demanderesse a alors eu l’occasion de produire des renseignements ou documents complémentaires sur l’état de santé de Shao‑Chen, et elle a remis d’autres documents à l’agent en annexe à une lettre datée du 12 mai 2005.
[8] Les documents complémentaires de la demanderesse ont été transmis pour examen à un médecin de CIC et, par lettre datée du 27 septembre 2005, l’agent des visas a informé la demanderesse que sa demande de résidence permanente avait été refusée parce que, selon lui, l’état de santé de Shao‑Chen risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé.
Point litigieux
[9] L’unique point litigieux soulevé par la demande de contrôle judiciaire est de savoir si l’agent des visas et le médecin agréé ont commis une erreur parce qu’ils n’ont pas tenu compte des circonstances personnelles de Shao‑Chen, notamment de l’aptitude de ses parents à lui prodiguer des soins et une éducation à domicile.
Norme de contrôle
[10] Comme l’a dit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hilewitz, la question de savoir si une personne ayant un état de santé particulier risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada est une question qui relève du domaine de spécialisation du médecin agréé, et la conclusion du médecin appelle donc une certaine retenue.
[11] Cela étant dit, il n’est pas nécessaire de savoir si la norme de contrôle est celle de la décision manifestement déraisonnable ou de la décision raisonnable, car je suis d’avis que la décision de l’agent peut résister à l’examen selon la norme, plus rigoureuse, de la décision raisonnable.
Analyse
[12] Il convient de noter, à titre préliminaire, que les deux parties ont déposé, au soutien de la demande de contrôle judiciaire, des affidavits renfermant des renseignements et documents dont ne disposaient pas le médecin agréé et l’agent des visas.
[13] Il est bien établi qu’une demande de contrôle judiciaire doit en général être jugée sur la foi des éléments que le décideur avait devant lui. Il y a des exceptions à cette règle, mais aucune des parties n’a avancé dans le cas présent un argument qui permettrait de conclure que la preuve extrinsèque devrait être admise ici. Par conséquent, j’entends limiter mon analyse aux documents qui étaient dans le dossier à la date où la décision contestée a été prise.
[14] Il convient aussi de noter que, selon le défendeur, l’arrêt Hilewitz n’est pas ici applicable, car cet arrêt vise les personnes qui sollicitent le droit d’établissement au titre de la catégorie des investisseurs, alors que la demanderesse a présenté sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés. Cet argument a déjà été rejeté par la Cour. Voir par exemple la décision Colaco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. n° 1134, 2006 CF 896.
[15] Cela dit, vu ma décision sur le fond de la demande de contrôle judiciaire, il ne m’est pas nécessaire de trancher formellement la question, et je partirai du principe que l’arrêt Hilewitz est bel et bien applicable à la présente affaire.
[16] Comme le fait observer la demanderesse, le genre d’évaluation qui doit être effectué dans un cas comme celui‑ci a été décrit dans les termes suivants par la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Hilewitz :
¶ 54 Le sous‑alinéa 19(1)a)(ii) [de la Loi sur l’immigration] exige qu’on détermine si l’état de santé du demandeur entraînerait ou risquerait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux canadiens. Le terme « fardeau excessif » appelle intrinsèquement à l’évaluation et à la comparaison. Si l’on ne tient pas compte de la capacité et de la volonté du demandeur d’assumer le coût des services sociaux, il est impossible de déterminer d’une manière réaliste en quoi consiste le « fardeau » que devront supporter les services sociaux de l’Ontario. Le texte de la disposition indique que les médecins agréés doivent déterminer le fardeau probable pour les services sociaux, et non la simple admissibilité à ces services.
¶ 55 Pour ce faire, les médecins agréés doivent nécessairement tenir compte de critères médicaux et non médicaux — comme la disponibilité, la rareté ou le coût des services financés par l’État, ainsi que la volonté et la capacité du demandeur ou de sa famille de payer pour les services concernés.
[17] Ces propos rendent compte évidemment de l’état actuel du droit sur ce point, mais un médecin agréé ne peut mesurer la volonté et la capacité des parents d’assumer le coût de services sociaux qu’en se fondant sur les renseignements dont il dispose en la matière.
[18] En l’espèce, l’agent n’avait devant lui pour ainsi dire aucun renseignement portant sur la volonté ou la capacité des parents de Shao‑Chen de lui prodiguer des soins à titre privé. Cela n’est pas totalement surprenant, vu la date à laquelle la demanderesse a sollicité un visa de résidente permanente.
[19] Plus exactement, lorsqu’elle a déposé sa demande de résidence permanente en 2004, les demandes de cette nature étaient régies par l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans les affaires Hilewitz et DeJong. La Cour d'appel fédérale avait jugé que la situation personnelle d’un candidat, y compris sa situation financière, n’étaient pas des facteurs dont un médecin agréé devait tenir compte pour savoir si l’admission d’une personne au Canada risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada.
[20] La Cour suprême du Canada a par la suite infirmé cet arrêt, le résultat étant que des facteurs tels que la volonté et la capacité des parents de subvenir aux besoins de leur enfant handicapé sont effectivement des facteurs pertinents qui doivent être pris en compte dans chaque cas particulier.
[21] En l’espèce, la preuve que l’agent des visas et le médecin agréé avaient devant eux comprenait le rapport d’un psychologue selon lequel la capacité de fonctionner de Shao‑Chen correspondait au niveau d’une arriération mentale moyenne. Son quotient intellectuel à l’échelle complète donnait une note de 47. On a laissé entendre que le quotient intellectuel de Shao‑Chen avait pu être sous‑évalué en raison de ses difficultés de communication, mais, de l’avis du psychologue, son véritable quotient intellectuel à l’échelle complète se situait entre 44 et 54.
[22] Après examen de tous les résultats de l’évaluation psychologique, le psychologue a dit que Shao‑Chen aurait besoin d’un programme d’enseignement personnalisé, assorti de réévaluations périodiques, permettant de suivre son développement.
[23] Selon les bulletins scolaires de Shao‑Chen, elle souffre aussi de capacités amoindries de compréhension et de déduction. Shao‑Chen fréquente évidemment l’école publique à Taiwan et, bien que la preuve ne soit pas tout à fait claire sur ce point, il semble qu’elle bénéficie à l’heure actuelle, à tout le moins, d’un enseignement spécial par l’entremise du réseau des écoles publiques.
[24] Quant à la volonté et la capacité des parents de Shao‑Chen de se charger des soins qu’elle requiert, l’unique preuve qui figure dans le dossier sur le sujet est la mention incidente d’un rapport médical selon laquelle Shao‑Chen reçoit [traduction] « une éducation à domicile, assurée par ses parents, pour favoriser le développement d’habiletés à communiquer, ainsi qu’un enseignement ordinaire à son école secondaire de premier cycle ».
[25] Contrairement à la situation dans l’arrêt Hilewitz, aucun plan n’a été proposé ici pour les soins que nécessiterait Shao‑Chen dans ce pays, et ni l’un ni l’autre de ses parents n’ont donné de précisions sur leur capacité ou leur volonté de contribuer financièrement aux soins dont elle aura besoin.
[26] La demanderesse n’a pas dit non plus en quoi un soutien familial atténuerait le fardeau excessif pesant sur les services sociaux.
[27] L’examen de l’analyse effectuée par le médecin agréé et l’agent des visas révèle qu’aucun d’eux n’a simplement considéré Shao‑Chen comme une enfant atteinte d’autisme infantile, avec arriération mentale moyenne. C’est son cas personnel qui a plutôt été considéré, notamment ses tests psychologiques et ses bulletins scolaires.
[28] Eu égard à la nature restreinte de la preuve versée dans le dossier, je suis d’avis que l’évaluation individualisée effectuée dans la présente affaire satisfaisait aux conditions énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hilewitz. Par ailleurs, la conclusion selon laquelle l’état de santé de Shao‑Chen risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux au Canada était une conclusion raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances.
Dispositif
[29] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.
Question à certifier
[30] Aucune des parties n’a proposé une question à certifier, et aucune ne se pose ici.
JUGEMENT
LA COUR ORDONNE :
1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
2. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.
Traduction certifiée conforme
Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM‑7127‑05
INTITULÉ : GAU, HUI‑CHUN c.
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L’AUDIENCE : Vancouver (C.‑B.)
DATE DE L’AUDIENCE : LE 13 OCTOBRE 2006
MOTIFS DU JUGEMENT
ET JUGEMENT : LA JUGE MACTAVISH
DATE DES MOTIFS : LE 23 OCTOBRE 2006
COMPARUTIONS :
Lawrence Wong
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POUR LA DEMANDERESSE |
Helen Park
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POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Wong Pederson Law Offices Vancouver (C.‑B.)
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POUR LA DEMANDERESSE |
John H. Sims, c.r. Sous‑procureur général du Canada Ministère de la Justice Vancouver (C.‑B.)
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POUR LE DÉFENDEUR |