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Date : 20060908

Dossier : IMM-1028-06

Référence : 2006 CF 1061

Ottawa (Ontario), le 8 septembre 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PAUL U.C. ROULEAU

 

 

ENTRE :

NOEL DE JESUS GALVEZ VESCARAS, AMANDA MARGARITA OLIVA DE GALVES, GIOVANNI ANDRE GALVEZ OLIVA, ANDREA MARIANI GALVEZ OLIVA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande concerne le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 31 janvier 2006 par la Section de la protection des réfugiés selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention, ni des personnes à protéger.

 

[2]               Les demandeurs sont membres d’une famille originaire d’El Salvador. Ils fondent leur demandes sur celle du père, Noel de Jesus Galvez Vescaras (le demandeur principal). Les autres demandeurs sont son épouse, Amanda Margarita Oliva de Galvez, leur fils de 14 ans, Giovanni Andre Galvez Oliva, et leur fille de 9 ans, Andrea Mariani Galvez Oliva, (appelés collectivement les demandeurs).

 

[3]               Le demandeur principal a été propriétaire partiaire d’une quincaillerie à San Salvator, de juillet 2001 jusqu’à son départ en février 2005. Il allègue que le 8 février 2005, il a été témoin du meurtre d’un client, M. Alvarado, par un membre de la Mara Salvatrucha (la MS) connu sous le nom de « Pita ». À la suite des coups de feu, la police est arrivée et le demandeur principal a menti, disant aux policiers qu’il n’avait pas vu ce qui s’était passé. Il prétend qu’il savait que le tueur était un membre de la MS, parce qu’il connaissait le frère de l’homme, Mario Moreno.

 

[4]               Le demandeur principal allègue que, quelques jours après le meurtre, un détective est retourné à la quincaillerie et lui a posé d’autres questions. En se basant sur les manières évasives du demandeur principal, le détective l’a accusé de mentir et il n’a pu faire autrement que de dire la vérité. On l’a emmené au quartier général de la police où il a identifié Pita.

 

[5]               Le 20 février 2005, le demandeur principal a été approché par le frère de Pita, lequel l’a averti que ce dernier savait qu’il avait fourni des renseignements à la police et a ajouté qu’il devait rapidement disparaître, sans quoi ils seraient tués, lui et sa famille. Le demandeur principal a immédiatement quitté la ville pour se rendre à San Vincente.

 

[6]               Le demandeur principal allègue que le lendemain, il a téléphoné au détective pour lui demander une explication de la façon dont la MS avait été mise au courant de la divulgation qu’il avait faite. Le détective lui a raccroché au nez; il en a conclu que la police l’avait vendu à la MS.

[7]               Le demandeur principal a quitté le pays le 28 février 2005 pour les États-Unis, où son épouse et ses enfants l’ont rejoint le 19 mars 2005. Pendant que le demandeur principal se cachait à San Vincente, son épouse a appris que des membres de la MS avaient proféré des menaces de mort contre de la famille, à leur résidence et à la quincaillerie. Les demandeurs sont demeurés aux États-Unis jusqu’à leur venue au Canada le 1er avril 2005 et ils ont demandé l’asile à leur arrivée ici.

 

[8]               Le tribunal a apprécié leur demande aux termes de l’article 97, au lieu de l’article 96, du fait que les demandeurs faisaient valoir une crainte de vengeance ou de problèmes de nature criminelle au cas où on les renverrait en El Salvador; ces craintes n’étant pas visées par la définition de persécution concernant un réfugié au sens de la Convention. Le tribunal a rejeté les demandes des demandeurs à la suite de problèmes de crédibilité.

 

[9]               Le tribunal a conclu que le comportement du demandeur principal avait été contradictoire : au début, du fait qu’il ne faisait pas confiance aux policiers, il ne leur avait pas donné de renseignements après le meurtre; pourtant, il a plus tard demandé au détective une explication sur la manière dont la MS avait su qu’il était l’informateur et a sollicité auprès du détective une protection en dépit du fait qu’il croyait que ce dernier était corrompu. En plus, le demandeur principal avait seulement mentionné qu’il avait demandé une explication au détective; plus tard, lorsqu’on l’a incité à expliquer pourquoi il n’avait pas sollicité une protection, il a précisé qu’il avait également demandé une protection au détective, mais qu’il s’était fait dire que la police ne pouvait pas lui assurer une protection complète.

 

[10]           Le tribunal était également préoccupé quant à savoir pourquoi le demandeur principal n’avait pas approché quelqu’un occupant un poste plus élevé que celui du détective dans le service de police, ou une autorité différente, afin de solliciter et d’obtenir une protection. Il n’a jamais signalé à d’autres autorités les agissements auxquels se seraient livrés Pita ou le détective.

 

[11]           En se fondant sur la preuve documentaire, le tribunal a conclu que, de fait, la police arrêtait les membres de gangs, que les autorités inculpaient vraiment les policiers corrompus et que l’administration avait pris de nombreuses mesures afin d’endiguer la violence des gangs. Par conséquent, il a conclu qu’il n’était pas raisonnable de la part du demandeur principal de ne pas approcher des autorités supérieures pour obtenir leur assistance.

 

[12]           Le tribunal était préoccupé par l’absence de preuve documentaire. Dix mois se sont écoulés entre le meurtre et la date d’audition; pourtant, le demandeur principal ne connaissait pas l’identité complète de la victime, ni celle du meurtrier présumé, et ce, même s’il connaissait le frère ce celui‑ci depuis une vingtaine d’années. Il n’y avait aucune preuve documentaire de son droit de propriété relativement à la quincaillerie, ni aucun document se rapportant au meurtre, tel qu’un rapport de police ou le certificat de décès de la victime. Le demandeur principal a expliqué que son conseil ne lui avait demandé aucun document et qu’il n’avait jamais tenté d’obtenir quelque document que ce soit.

 

[13]           Le tribunal a conclu qu’il n’y avait aucune preuve crédible pour démontrer qu’il était plus probable que le demandeur principal serait exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peine cruels et inusités s’il était renvoyé en El Salvador.

[14]           Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il y avait des contradictions dans le témoignage et la déclaration écrite du demandeur, et que son récit n’était pas plausible?
  2. La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la protection de l’État était disponible?

 

 

La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il y avait des contradictions dans le témoignage et la déclaration écrite du demandeur, et que son récit n’était pas plausible?

 

Les positions des parties

 

[15]           Le demandeur soutient qu’il n’y a aucune contradiction entre le fait qu’il a refusé de divulguer des renseignements à la police immédiatement après le meurtre et sa décision ultérieure d’identifier Pita au détective. C’est le changement de situation, à savoir quand le détective l’a mis face à son mensonge, qui explique son changement de comportement. On doit présumer de la véracité du témoignage du demandeur, à moins qu’il y ait un bon motif de douter de sa crédibilité, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. En outre, son témoignage n’a pas été contredit sur ce point.

 

[16]           Le défendeur fait valoir que le comportement du demandeur semblait contradictoire : premièrement, il a refusé de donner aux policiers des renseignements au sujet d’un meurtre parce qu’il se méfiait d’eux; ensuite, après avoir conclu que les policiers l’avaient trahi en faveur de la MS, il leur a demandé de le protéger. En outre, malgré le fait qu’il s’est écoulé 10 mois depuis le meurtre, le demandeur n’a pas été en mesure de donner des détails, tels que l’identité complète du meurtrier et celle de la victime (il ne connaissait que le surnom du meurtrier et le nom de famille de la victime). Il n’a fourni aucun document pour démontrer que le meurtre avait réellement eu lieu; le fait qu’il n’a pas obtenu de tels éléments de preuve pourrait miner sa crédibilité.

 

Analyse

 

[17]           Le demandeur a orienté la Cour vers l’arrêt Maldonado c. Canada (Ministère de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.), à l’appui du postulat selon lequel on doit présumer qu’un témoignage est crédible, à moins qu’il y ait un bon motif de douter de sa crédibilité. Le défendeur a, quant à lui, dirigé la Cour vers l’arrêt Shahamati c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 415 (C.A.), pour appuyer l’assertion selon laquelle la Commission peut se fonder sur la raison et le bon sens lorsqu’elle apprécie les prétentions d’un demandeur. Ces deux affaires reflètent l’état actuel du droit. Je fais remarquer que la Commission a compétence pour apprécier la plausibilité du récit d’un demandeur (Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.)). De plus, dans la décision Obi c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 400, la Cour a appliqué l’arrêt Shahamati, précité, pour permettre à la Commission de conclure que des déclarations au sujet d’interactions avec les autorités étaient invraisemblables et incohérentes.

 

[18]           En l’espèce, la SPR a conclu qu’il était peu plausible que le demandeur principal ait recherché la protection d’une personne qui, selon ce qu’il croyait, l’avait trahi en faveur de la MS. Il était loisible à la SPR de conclure que le comportement du demandeur principal, en sollicitant la protection de cette personne, était incompatible avec sa prétendue croyance selon laquelle le détective l’avait trahi. Il n’était pas déraisonnable de la part de la Commission de mettre en doute la crédibilité de cette assertion.

 

 

 

 

 

 

La SPR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que la protection de l’État était disponible?

 

Les positions des parties

 

[19]           Le demandeur soutient que la SPR n’a pas tenu compte de l’ensemble des éléments de preuve lorsqu’elle a conclu que la protection de l’État était disponible en El Salvador. Le demandeur a témoigné qu’il avait demandé au détective de lui assurer une protection, mais qu’il n’en avait obtenu aucune. Le demandeur n’a pas poursuivi ses efforts pour rechercher une protection, parce qu’il ne faisait pas confiance aux autorités. Il fait valoir que la SPR ne peut pas conclure que la police est digne de foi du seul fait que le gouvernement a adopté de nouvelles mesures pour combattre la corruption, et ce, sur le fondement de quelques rapports qui font état d’accusations ayant été portées.

 

[20]           Le défendeur répond que les demandeurs devaient démontrer qu’ils avaient fait des efforts pour obtenir une protection en El Salvador ou établir le caractère raisonnable de leur omission de chercher une protection. Il n’est pas nécessaire que la protection de l’État soit parfaite. Le défendeur fait valoir que, même si le détective était corrompu, ce qui n’a pas été formellement établi, il n’était pas raisonnable de la part des demandeurs de ne pas solliciter l’assistance des autorités supérieures. C’est sur une hypothèse qu’est fondée la conclusion tirée par les demandeurs selon laquelle la police était impliquée dans leur persécution. Selon la preuve dont elle disposait, la SPR avait le droit de conclure que les demandeurs pouvaient se prévaloir de la protection de l’État.

 

Analyse

 

[21]           Le demandeur cite l’arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, aux pages 724 et 725, dans lequel la Cour suprême du Canada a statué qu’une preuve claire et convaincante est nécessaire pour réfuter la présomption selon laquelle un État est capable de protéger ses citoyens. Dans la décision Chaves c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 232, la juge Tremblay‑Lamer a jugé que, lorsque les représentants de l’État sont à l’origine de la persécution et que la crédibilité du demandeur n’est pas entachée, celui‑ci n’a pas à épuiser tout recours possible au pays afin de démontrer l’absence de protection de l’État.

 

[22]           On peut distinguer les faits de l’espèce de ceux de la décision Chaves, précitée, parce que la crédibilité du demandeur était minée par la contradiction dans ses interactions avec le détective. La SPR s’est fondée sur ces contradictions pour conclure que le témoignage du demandeur n’était pas plausible et il lui était loisible de conclure que celui‑ci n’avait pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 

CONCLUSION

 

[23]           La SPR avait un motif raisonnable de mettre en doute les déclarations du demandeur principal au sujet de ses conversation avec le détective à la suite de la trahison dont il aurait fait l’objet en faveur de la MS. Compte tenu du manque de crédibilité au regard de ces éléments de preuve, la SPR pouvait conclure que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption relative à la protection de l’État.

 

[24]           L’omission la plus flagrante dans le témoignage du demandeur principal est le fait qu’il n'a pu présenter aucune preuve contribuant à démontrer qu’un meurtre avait même eu lieu. Ce qui frappe la Cour, c’est le fait que, même après 10 mois, il n'a pu présenter aucun article de journal ni aucune autre preuve matérielle qu’un meurtre s’était réellement produit.

 

 

JUGEMENT

 

            La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’a été proposée en vue de la certification.

 

 

 

« Paul U.C. Rouleau »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-1028-06

 

INTITULÉ :                                                               NOEL DE JESUS GALVEZ VESCARAS, AMANDA MARGARITA OLIVA DE GALVES, GIOVANNI ANDRE GALVEZ OLIVA, ANDREA MARIANI GALVEZ OLIVA

                                                                                    c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 30 AOÛT 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                    LE JUGE SUPPLÉANT ROULEAU

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 8 SEPTEMBRE 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jeffrey Nadler                                                               POUR LES DEMANDEURS

 

Suzanne Trudel                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jeffrey Nadler                                                               POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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