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Date : 20060803

Dossier : T-1272-05

Référence : 2006 CF 950

Ottawa, Ontario, le 3 août 2006

En présence de l’honorable juge de Montigny

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 demandeur

et

 

MICHEL PÉPIN

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La présente demande de contrôle judiciaire porte sur une décision rendue le 28 juin 2005 par un comité d’appel (le comité) constitué par la Commission de la fonction publique du Canada en vertu de l’article 21 de la Loi sur la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 (maintenant abrogée par la Loi sur la modernisation de la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, art. 284).  Après analyse de la preuve et des arguments présentés par les parties, le comité a accueilli l’appel du défendeur et a conclu que les outils retenus par le comité de sélection ne permettaient pas d’évaluer pleinement l’une des connaissances exigées par l’énoncé de qualités.

 

FAITS

[2]               En février 2004, le Ministère de la Justice a tenu deux concours afin de combler deux postes de juriste-experts (2003-JUS-MTL-CCID-158) et un poste de juriste-expert chef d’équipe (2003-JUS-MTL-CCID-159 ) au sein de la Direction du droit de l’immigration au Bureau régional du Québec.  Les qualités requises pour les deux types de poste étant à plusieurs égards similaires, le comité de sélection a décidé d’employer les mêmes outils pour vérifier le mérite relatif des candidats; une question additionnelle a cependant été ajoutée pour le poste de chef d’équipe afin de mesurer les capacités et qualités personnelles de gestionnaire des candidats à ce poste.  Le défendeur n’ayant pas posé sa candidature pour ce poste de chef d’équipe, il n’est pas nécessaire de s’y attarder davantage.

 

[3]               L’énoncé de qualités préparé par le comité de sélection pour le concours de juriste expert prévoyait plusieurs exigences au niveau de l’expérience, des connaissances, des qualités personnelles ainsi que des capacités et compétences des candidats. De façon plus particulière, les connaissances exigées étaient libellées de la façon suivante :

- Connaissance approfondie de la Loi sur l’immigration et les réfugiés et de la jurisprudence afférente (CO-1);

- Connaissance approfondie des règles de pratique et de la procédure devant la Cour fédérale (CO-2);

- Connaissance du droit administratif, de la Charte canadienne des droits et libertés et de la jurisprudence afférente (CO-3);

- Bonne connaissance du fonctionnement, de l’organisation et des priorités de Justice Canada et de CIC (CO-4).

 

Les connaissances ci-haut mentionnées sont non compensatoires, i.e. qu’une note de passage sera requise pour chacune des compétences.

 

 

[4]               L’évaluation des candidats aux deux postes de juriste-expert a d’abord pris la forme d’un examen écrit (mise en situation) d’une durée de trois heures, suivi d’une épreuve orale également axée sur un cas pratique d’une durée approximative d’une heure pour chacun des candidats; chacune de ces évaluations valait 50 points. 

 

[5]               Le cas pratique soumis aux candidats dans le cadre de l’épreuve écrite portait sur une contestation constitutionnelle de l’article 11 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, lequel prévoit qu’un immigrant doit faire une demande de résidence permanente dans son pays d’origine.  On y relatait qu’une personne résidant à Delhi, en Inde, et désirant obtenir un visa de résidant permanent au Canada, déposait une demande de contrôle judiciaire dans laquelle elle demandait que cette disposition du Règlement soit déclarée inopérante au motif qu’elle discriminait à l’endroit des candidats en provenance du Tiers-Monde.  Au soutien de cet argument, le demandeur alléguait que les listes d’attente dans les pays très peuplés (généralement des pays du tiers-monde) étaient beaucoup plus longues que dans les pays occidentaux.

 

[6]               Ce cas pratique faisait l’objet de quatre questions, mais seules les troisième et quatrième questions étaient reliées aux  première et deuxième connaissances (CO-1 et CO-2).  Ces questions se lisaient comme suit :

3. De même, veuillez indiquer le/les actes de procédure(s) et l’argumentation y afférent que vous devez présenter afin de défendre les intérêts du gouvernement canadien dans cette affaire.  Si vous croyez que ce n’est pas nécessaire de procéder à l’argumentation au mérite pour terminer le présent dossier, veuillez donner quand même l’argumentation nécessaire pour défendre le mérite du dossier.

 

4. Est-ce que le temps est important dans le traitement du dossier?  Et comment allez-vous le gérer?

 

[7]               Le solutionnaire pour ces questions permet de constater que cinq points étaient attribués au facteur CO-1 et trois points au facteur CO-2 dans la question 3.  Les éléments de réponse suggérés étaient les suivants :

CO-1 = 5 : analyse de la Règle 11 et la LIPR.  R.11 : peut s’appliquer à partir du pays de sa nationalité ou de sa résidence (au moins 1 an) (3) – à sa face même, pas discriminatoire.  Pquoi – Q de sécurité et facilité de vérifier docs (2 pour 1 des motifs).  Demande décidée sur critères de sélection : peut-il s’établir avec succès (2).

 

CO-2  = 3 : Contrôle judiciaire (CO-2= 1); affidavits de réponse suivi d’un dossier de réponse (CO-2=2)

 

 

[8]               Pour ce qui est de la question 4, le solutionnaire est pour le moins laconique.  Il y est précisé que deux points sont accordés pour la deuxième connaissance (CO-2), et l’élément de réponse suggéré est tout simplement « Les Règles de la Cour ».

 

[9]               En ce qui concerne la question orale, il n’est pas nécessaire de s’y attarder longuement dans la mesure où le solutionnaire n’accordait que deux points pour les connaissances CO-1 et CO-2 (un point chacune) sur un total de 50.  Je note d’ailleurs que le comité d’appel ne base pas sa décision sur l’examen de cette question, et que les parties y ont fait très peu allusion.

 

[10]           Six candidats se sont présentés aux deux concours.  Deux ont été éliminés au cours de la présélection, tandis que les noms des quatre autres ont été inscrits sur une liste d’admissibilité après qu’ils se soient qualifiés à l’examen écrit, à l’examen oral et à la vérification des références.  Des trois premiers candidats sur la liste, deux ont été nommés dans des postes de juriste-expert, et un autre a accepté un poste de chef d’équipe.  Le défendeur, qui n’avait posé sa candidature que pour un poste de juriste-expert, s’est classé quatrième et n’a donc été nommé à aucun poste.  Il avait obtenu une note de 79,5%, tandis que les trois premiers candidats avaient respectivement obtenu des notes de 85%, 81% et 80%.

 

[11]           Le défendeur a logé un appel à l’encontre des nominations proposées pour les postes de juriste-expert en vertu de l’article 21 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique.  Les moyens qu’il a fait valoir étaient essentiellement de deux ordres.  En premier lieu, il a allégué que le jury n’avait pas tenu compte, dans son évaluation du mérite respectif des candidats, de deux qualités obligatoires exigées dans l’énoncé de qualités, à savoir « une connaissance approfondie de la Loi sur l’immigration et les réfugiés et de la jurisprudence afférente » et « une connaissance approfondie des règles de pratique et de procédure devant la Cour fédérale ».  En second lieu, il a fait valoir que le jury avait commis des erreurs déraisonnables dans la notation de ses réponses et de celles des autres candidats.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[12]           Après avoir longuement résumé les prétentions respectives de chaque partie, le comité d’appel de la Commission de la fonction publique a fait droit à l’appel du défendeur dans une décision rendue le 28 juin 2005.  Le comité a conclu que l’examen écrit (de même que l’examen oral) ne permettait pas d’évaluer la connaissance de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et la jurisprudence afférente.  Après avoir remarqué que les membres du jury de sélection lui avaient semblé « quelque peu confus quant à la manière exacte dont les candidats ont été évalués en rapport à ce sous-facteur », le comité a ajouté qu’il ne pouvait accepter une observation faite par un membre du jury à l’effet que les candidats étaient en quelque sorte présumés avoir une connaissance approfondie de la LIPR et de la jurisprudence afférente compte tenu de leur expérience.  S’appuyant sur l’arrêt Tiefenbrunner v. Canada (Attorney General) [1992] F.C.J. No. 1021 (QL) le comité s’est dit d’avis que le jury n’évaluait pas le mérite relatif des candidats s’il procédait de cette façon.

 

[13]           À l’argument présenté par le ministère voulant que le sous-facteur CO-1 était tout de même évalué dans les examens, le comité s’est inspiré des arrêts Madracki c. Canada, [1986] A.C.F. no. 727 (C.A.F.) (QL) et Nelson c. Canada (Procureur général), 2001 CPFI 437; [2001] A.C.F. no. 694 (QL) pour conclure que les outils de sélection ne permettaient pas d’évaluer la ou les qualités énumérées dans l’énoncé de qualité.  Le comité s’est exprimé en ces termes :

Or, le cas de l’examen écrit et la réponse attendue pour la question 3 concernaient un article du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés et non la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.  Même si j’acceptais l’argument que le règlement découle d’une disposition de la Loi, à l’évidence, d’après les réponses attendues, ni la question 3 de l’examen écrit et ni la question 1 de l’examen oral n’évaluent la jurisprudence afférente à la LIPR, spécifiée dans l’énoncé de qualités.

 

(Décision du comité, tel que reproduit dans le dossier du demandeur)

 

 

[14]           Enfin, le comité a tenu à souligner que la question n’était pas tant de savoir si les outils utilisés étaient appropriés compte tenu du travail en question, ce qu’il ne remettait pas en question, mais bien plutôt de déterminer si ces outils permettaient réellement au jury d’évaluer les candidats au regard des qualités requises par le ministère.  C’est à ce chapitre que les examens ont été jugés déficients.

 

[15]           En revanche, le comité a rejeté de façon laconique l’argument du défendeur à l’effet que le jury n’avait pas évalué la connaissance approfondie des règles de pratique et de la procédure devant la Cour fédérale, en disant tout simplement qu’il n’avait pas été convaincu du bien-fondé de cet argument sur la base de la prépondérance de la preuve.  De la même façon, le comité n’a pas retenu les autres allégations du défendeur, qui prétendait que le jury de sélection avait commis plusieurs erreurs déraisonnables dans la notation de ses réponses et de celles des autres candidats, et que la grille de correction avait été modifiée après l’examen dans le but de le désavantager. 

 

[16]           Le Procureur général du Canada a formé la présente demande de contrôle judiciaire et a demandé que soit cassée la décision du comité d’appel en soutenant que le processus de sélection permettait effectivement d’évaluer la connaissance de la LIPR et de la jurisprudence afférente.  En réponse, le défendeur a fait valoir dans son mémoire et lors de l’audition que le comité avait eu raison de conclure que les évaluations écrite et orale ne permettaient pas de mesurer la première connaissance mentionnée dans l’énoncé de qualité, mais qu’il avait erré en rejetant son argument à l’effet que le jury n’avait pas évalué les candidats au regard de leur connaissance approfondie des Règles de pratique et de procédure devant la Cour fédérale.  Il a cependant abandonné ses autres moyens relatifs à la notation des réponses et à la grille de correction.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[17]           Les questions que soulève le présent pourvoi peuvent se résumer comme suit :

a)             Quelle est la norme de contrôle applicable?

b)            Le défendeur peut-il, dans sa réponse à la demande de contrôle judiciaire du demandeur, faire valoir que le comité a erré en rejetant certains de ses arguments?

c)             Le comité a-t-il commis une erreur en concluant comme il l’a fait que les outils retenus par le jury de sélection ne permettaient pas d’évaluer pleinement le sous-facteur CO-1 (connaissance approfondie de la LIPR et de la jurisprudence afférente)?

 

 

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[18]           Avant de procéder à l’analyse de ces questions, il peut être utile de résumer brièvement les principales dispositions législatives applicables au moment où le litige a pris naissance.  L’article 8 de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique (LEFP) précise d’abord que la Commission de la fonction publique a le droit exclusif de procéder à des nominations au sein de la fonction publique.  Ces nominations doivent cependant respecter le principe du mérite, qui est formulé ainsi au paragraphe 10 de la Loi :

Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d’une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission, et à la demande de l’administrateur général intéressé, soit par concours, soit par tout autre mode de sélection du personnel fondé sur le mérite des candidats que la Commission estime le mieux adapté aux intérêts de la fonction publique

 

 

Appointments to or from within the Public Service shall be based on selection according to merit, as determined by the Commission, and shall be made by the Commission, at the request of the deputy head concerned, by competition or by such other process of personnel selection designed to establish the merit of candidates as the Commission considers is in the best interests of the Public Service.

[19]           Comme il a été souligné à plusieurs reprises, le principe du mérite n’est pas défini dans la LEFP.  C’est donc aux tribunaux qu’il est revenu d’en préciser le sens, ce qu’ils ont fait en établissant que le « mérite » signifie que le meilleur candidat possible doit normalement être nommé dans un poste, compte tenu de la nature du service à exécuter (Nanda c. La Commission de la fonction publique, [1972] C.F. 277 (C .A.F.), au paragr. 34; Davies c. P.G. du Canada, 2005 CAF 41; [2005] A.C.F. no 188 (QL) au paragr. 36).

 

[20]           D’autre part, c’est à l’employeur qu’il revient d’établir la définition d’un poste et de déterminer les qualités requises pour occuper un tel poste.  Cette prérogative implique nécessairement le droit de déterminer les qualités jugées essentielles pour remplir les fonctions visées (Laberge c. Canada (P.G.), [1988] 2 C.F. 137 (C.A.F.); [1987] A.C.F. No 1043 (QL), Canada(P.G.) c. Blashford, [1991] 2 C.F. 44 (C.A.F.),  Mercer c. Canada (P.G.), 2004 CAF 301; [2004] A.C.F. no 1537 (QL)).  La Commission de la fonction publique peut cependant, conformément à l’article 12 de la LEFP, fixer les normes de sélection et d’évaluation d’après lesquelles les candidats seront évalués au regard des conditions de candidature établies par le ministère pour un poste donné.  Cet examen des conditions de candidature doit avoir lieu avant la clôture du concours et relève d’un préposé aux recours.

 

[21]           Un jury de sélection doit ensuite déterminer le mode d’évaluation des candidats, en vertu du paragraphe 16(1) de la LEFP :

La Commission étudie toutes les candidatures qui lui parviennent dans le délai fixé à cet égard.  Après avoir pris connaissance des autres documents qu’elle juge utiles à leur égard, et après avoir tenu les examens, épreuves, entrevues et enquêtes qu’elle estime souhaitables, elle sélectionne les candidats qualifiés pour le ou les postes faisant l’objet du concours.

 

The Commission shall examine and consider all applications received within the time prescribed by it for the receipt of applications and, after considering such further material and conducting such examinations, tests, interviews and investigations as it considers necessary or desirable, shall select the candidates who are qualified for the position or positions in relation to which the competition is conducted.

 

 

[22]           Les candidats non reçus peuvent faire appel des résultats d’un concours interne, conformément au paragraphe 21(1) de la LEFP :

 

Dans le cas d’une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l’appelant et l’administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l’occasion de se faire entendre

 

Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made by closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

                                                           

[23]           Il importe de souligner que le rôle d’un comité d’appel est limité, et doit se confiner à l’examen de la sélection du ou des candidats retenus.  Il n’appartient pas à un tel comité de se prononcer sur les qualités requises, comme le rappelait le juge Décary dans l’arrêt Canada (P.G.) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.F.); [1990] A.C.F. No 1052 (QL).  Plus récemment, la Cour d’appel fédérale revenait sur ce principe dans les termes suivants (Davies c. P.G. du Canada, ci-dessus, paragr.42):

La Cour d’appel fédérale a toujours affirmé le principe selon lequel le rôle d’un comité d’appel est étroitement circonscrit.  Un comité d’appel « ne peut pas se prononcer sur les qualités que le ministère employeur juge nécessaires ou souhaitables ».  Le pouvoir d’établir les qualités requises est « une fonction de gestion relevant du pouvoir du ministre de gérer son propre ministère en vertu de sa loi constitutive ».  Canada (Procureur général) c. Perera (2000), 189 D.L.R.(4th) 519, [2000] A.C.F. no. 829 (C.A.) (QL), autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [2000] C.S.C.R. no. 434.

 

 

[24]           C’est donc à la lumière de ces dispositions législatives et de la jurisprudence qui les accompagne qu’il faut examiner la décision rendue par le comité d’appel dans la présente instance.

 

ANALYSE

 

a) La norme de contrôle

 

[25]           Le procureur du demandeur a fait valoir que l’interprétation par le comité d’appel du facteur CO-1 constituait une question de droit, et qu’elle devait par conséquent être évaluée en fonction de la norme de la décision correcte.  De son côté, le défendeur a soutenu que la norme applicable était celle de la décision simplement raisonnable (raisonnable simpliciter), dans la mesure où les conclusions contestées du comité d’appel portent sur des questions mixtes de droit et de fait.

 

[26]            Ayant pris connaissance de la jurisprudence pertinente sur cette question, j’en arrive à la conclusion que le défendeur doit avoir gain de cause sur ce point.  La Cour d’appel fédérale, sous la plume du juge en chef Richard, a procédé à une analyse minutieuse de cette question dans un arrêt récent déjà mentionné dans ces motifs, soit l’arrêt Davies c. P.G. du Canada, ci-dessus.  Adoptant l’approche pragmatique et fonctionnelle, la Cour en est arrivée à la conclusion que la norme applicable était celle de la décision raisonnable lorsqu’il s’agit de déterminer si un comité d’appel a erré en concluant qu’un processus de sélection respecte ou non le principe du mérite.

 

[27]           Dans une décision subséquente, la Cour d’appel fédérale a réitéré cette position.  Constatant que l’application du principe du mérite aux faits particuliers d’une affaire est une question mixte de fait et de droit, le juge Evans a lui aussi conclu que c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique (Chopra c. Canada (P.G.), 2005 CAF 374; [2005] A.C.F. no 1854 (QL)).  Enfin, j’en suis moi-même venu à cette conclusion dans l’arrêt Kadouri c. Canada (P.G.), 2005 CF 522; [2005] A.C.F. no 642 (QL).  Au terme de mon analyse fondée sur l’approche pragmatique et fonctionnelle, je concluais en ces termes :

24.  Étant donné l’analyse qui précède, j’en viens donc à la conclusion que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.  En d’autres termes, la question que je dois me poser est celle de savoir si la décision rendue par le comité d’appel est étayée par un motif capable de résister à un examen « assez poussé », même si ce n’est pas nécessairement la seule décision à laquelle on aurait pu en arriver.

 

 

[28]           C’est donc en appliquant cette norme de contrôle intermédiaire que je procéderai à l’examen de la décision rendue par le comité d’appel.  Comme l’a rappelé la Cour suprême à plusieurs occasions, cette norme implique qu’il puisse y avoir plusieurs bonnes réponses; il ne s’agit donc pas de déterminer ce qu’aurait été la décision correcte, mais de se demander si la décision contestée s’appuie rationnellement sur les principes applicables et sur la preuve.

 

b) Le défendeur peut-il présenter devant cette Cour des arguments auxquels le comité d’appel n’a pas fait droit

 

[29]           Le Procureur général ne s’est pas objecté à ce que le défendeur puisse soulever devant cette Cour certains des arguments qu’il avait fait valoir devant le comité d’appel mais qui n’ont pas été retenus.  Cette question me semble de toute façon avoir été définitivement résolue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt GKO Engineering c. La Reine, 2001 CAF 73;
[2001] A.C.F. no 369 (QL).  À cette occasion, le juge Rothstein a clairement établi que le défendeur dans une demande de contrôle judiciaire peut lui-même soulever certains arguments à l’encontre des motifs qui ne lui sont pas favorables dans la décision attaquée par le demandeur.  Tant et aussi longtemps qu’il ne cherche pas à obtenir un dispositif différent, il ne lui sera pas nécessaire de présenter sa propre demande de contrôle judiciaire.  Voici comment le juge Rothstein s’est exprimé à ce propos :

[1] La présente requête de l’appelante, GKO Engineering, demande la radiation de certains paragraphes du dossier de l’intimée, qui traitent de questions que l’appelante n’a pas soulevées dans son avis de demande de contrôle judiciaire ou dans son dossier de demande.  L’appelante soutient que pour soulever ces questions, l’intimée devrait avoir déposé sa propre demande de contrôle judiciaire, ce qu’elle n’a pas fait.

 

[2] Lors d’un contrôle judiciaire, le litige porte sur la décision du tribunal d’instance inférieure soumise à la révision et non sur les motifs de la décision.  Une partie qui demande le contrôle judiciaire cherche à obtenir qu’on réexamine la question en vue d’obtenir un dispositif différent que celui qui a été accordé par le tribunal d’instance inférieure.

 

[3] Un intimé est habituellement d’accord avec le dispositif prononcé par le tribunal d’instance inférieure et, par conséquent, il n’a pas de raison de rechercher le contrôle judiciaire de la décision en cause.  Il se peut toutefois qu’un intimé ne soit pas d’accord avec tous les motifs du tribunal d’instance inférieure.  Toutefois, à moins qu’il ne recherche un dispositif différent, un intimé n’a pas de fondement lui permettant de présenter sa propre demande de contrôle judiciaire.  Lorsqu’un intimé ne désire pas faire réexaminer la question pour obtenir un résultat différent, la procédure appropriée pour lui consiste à soulever, dans son dossier sur la demande de contrôle judiciaire, les arguments qu’il a l’intention de présenter au sujet des éléments des motifs avec lesquels il est en désaccord.

 

 

[30]           Ce raisonnement a été repris par la suite dans l’arrêt Rogerville c. Canada (P.G.), 2001 CAF 142; [2001] A.C.F. no 692 (QL); il ne m’apparaît donc pas douteux que le défendeur pouvait tenter d’établir dans le cadre de son dossier écrit et lors de l’audition que le comité d’appel avait erré en rejetant ses prétentions relativement à l’inadéquation des évaluations pour mesurer la deuxième connaissance requise dans l’énoncé de qualités.  Le défendeur pouvait donc soulever cet argument dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire.

 

c) Le comité d’appel a-t-il erré dans son appréciation des outils d’évaluation au regard de l’énoncé de qualités?

 

[31]           Il est de jurisprudence constante que le jury de sélection ne peut ignorer ou modifier les exigences prescrites dans l’énoncé des qualités adopté par le gestionnaire, en l’occurrence le ministère de la Justice.  Ce principe a été réitéré à de si nombreuses reprises que j’aurais mauvaise grâce de m’y attarder trop longuement.  Qu’il me suffise de citer l’extrait suivant du jugement prononcé par le juge Muldoon dans l’affaire Nelson c. Canada (P.G.), 2001 CFPI 437; [2001] A.C.F. no 694 (QL) :

26. De plus, un jury de sélection commet une erreur de droit en n’exigeant pas que les candidats démontrent qu’ils possèdent chacune des qualités annoncées pour le poste.  Ceci équivaut à ne pas évaluer une des qualités requises.  Le jury de sélection ne peut éliminer une qualité au cours du processus de sélection.  Finalement, le fait de changer les qualités énoncées en éliminant une ou plusieurs d’entre elles est inéquitable, étant donné que des personnes n’ont peut-être pas posé leur candidature parce qu’elles reconnaissaient ne pas posséder toutes les qualités annoncées.

 

Voir aussi : Boucher c. Canada (P.G.), [2000] ACF no. 86 (par. 8); Madracki c. Canada, [1986] ACF no. 727; Mercer c. Canada (P.G.), 2004 CAF 301.

 

 

[32]           Dans son mémoire et lors de l’audition, l’avocat du Procureur général a fait valoir que le comité d’appel avait erré en exigeant du jury de sélection qu’il évalue la connaissance CO-1 par une question faisant appel à un arrêt spécifique.  Cette lecture de la décision ne me paraît pas refléter fidèlement la teneur de la décision rendue par le comité d’appel, dont j’ai résumé l’argumentation sur ce point aux paragraphes 12 à 14 des présents motifs.

 

[33]           Le procureur du demandeur a tenté de démontrer que la question 3 de l’évaluation écrite permettait d’évaluer les candidats sur leur connaissance de la loi, dans la mesure où il fallait bien posséder les objectifs de la LIPR (énoncés à l’article 3 de la Loi) et les exigences requises pour obtenir le statut de résident permanent (que l’on retrouve notamment à l’article 21) pour établir que l’article 11 du Règlement n’a pas un objet discriminatoire.  En théorie, cet argument est séduisant et pourrait se défendre.  On pourrait en effet concevoir que la connaissance d’une loi puisse être démontrée, de façon indirecte, en réponse à une question portant sur une contestation constitutionnelle de cette loi ou de l’un de ses règlements.  De même puis-je concevoir qu’une disposition législative n’ayant pas été interprétée par les tribunaux puisse exiger que l’on ait recours aux règles d’interprétation, au contexte de la loi et à la jurisprudence portant sur des dispositions connexes, par analogie.

 

[34]           Tel n’est malheureusement pas le cas dans la présente instance.  On ne trouve rien dans le solutionnaire qui permette d’étayer la proposition du demandeur.  Les éléments de réponse suggérés ne font référence à aucune disposition de la Loi ni à aucune décision des tribunaux.  Il était même possible d’obtenir trois des cinq points en démontrant que l’article 11 du Règlement n’était pas discriminatoire à sa face même.  En fait, on a nettement l’impression que la question exigeait des connaissances approfondies de la Charte canadienne des droits et libertés bien davantage que de la LIPR. 

 

[35]           Il est d’ailleurs significatif de constater qu’aucun des candidats n’a fait référence dans ses réponses à une disposition de la LIPR ou à de la jurisprudence relative à cette loi.  Les candidats ont davantage mis l’accent sur l’analyse de la disposition contestée au regard de la Charte, ce qui tend à confirmer que l’objet de la question n’était pas tant de vérifier la connaissance de la LIPR mais bien de la Charte et de son article 15.  Je me dois par ailleurs de noter que le jury de sélection n’a attribué que six points sur 100 à la connaissance de la Loi et de la jurisprudence afférente, connaissance que l’on s’attend pourtant à être « approfondie » d’après l’énoncé de qualités. 

 

[36]           Compte tenu de tous ces facteurs, on ne m’a donc pas convaincu que la décision du comité d’appel était déraisonnable et qu’il n’y a aucun mode d’analyse dans les motifs avancés pouvant raisonnablement amener le comité à conclure comme il l’a fait.  Étant donné cette conclusion, il ne me sera donc pas nécessaire de me prononcer sur l’argumentation du défendeur relativement à la deuxième connaissance requise dans l’énoncé de qualités.

 

CONCLUSION

La demande de contrôle judiciaire est rejetée, et la décision du comité d’appel est maintenue.  Le tout avec dépens en faveur du défendeur.

 


JUGEMENT

 

La Cour rend le jugement suivant :

            Que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée, et la décision du comité d’appel est maintenue.  Le tout avec dépens en faveur du défendeur.

 

 

 

 

                                                                                                            « Yves de Montigny »

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1272-05

 

INTITULÉ :                                       Le Procureur général du Canada c. Michel Pépin

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 22 mars 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

et JUGEMENT :                               le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      le 3 août 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

Me Alain Préfontaine

 

POUR LE DEMANDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michel Pépin

 

POUR LE DÉFENDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

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