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Date : 20250220


Dossier : T-560-24

Référence : 2025 CF 336

Ottawa (Ontario), le 20 février 2025

En présence de l’honorable madame la juge Saint-Fleur

ENTRE :

SERGE LAFLAMME

demandeur

et

AGENCE DU REVENU DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, M. Serge Laflamme [M. Laflamme], se représente lui-même. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision de l’Agence du revenu du Canada [ARC] sur son éligibilité à la Prestation canadienne de relance économique [PCRE]. Au terme d’un quatrième examen, l’ARC a conclu que M. Laflamme n’était pas admissible à la PCRE, puisqu’il n’a pas réussi à démontrer avoir gagné 5,000 $ de revenus nets de travail autonome en 2019, en 2020 ou au cours des douze mois qui ont précédé sa demande de PCRE [les périodes statutaires], conformément aux exigences prévues à l’alinéa 3(1)e) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 12, art 2 [la Loi].

[2] En contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de conclure elle-même à l’admissibilité ou bien à l’inadmissibilité de M. Laflamme aux prestations. La Cour doit plutôt déterminer si, selon la preuve et les arguments qui lui ont été présentés, l’ARC a rendu une décision raisonnable.

[3] Pour les motifs qui suivent, la Cour est convaincue que la décision rendue satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence qui caractérisent la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100 [Vavilov]). La demande de M. Laflamme est donc rejetée.

II. Faits

[4] Monsieur Laflamme est un travailleur autonome. Il se spécialise en médecine naturelle et en arts martiaux et détient une maison d’édition avec sa conjointe. Il a demandé et reçu la PCRE pour la période du 27 septembre 2020 au 9 octobre 2021.

[5] Le 26 avril 2022, l’ARC a conclu un premier examen d’admissibilité en déterminant que M. Laflamme était inadmissible à la PCRE puisqu’il n’a pas pu démontrer un revenu net supérieur à 5,000 $ pour les périodes statutaires. Sa déclaration de revenus pour l’année fiscale 2019 indiquait alors un revenu net dans le négatif, au montant de -3,320 $.

[6] Monsieur Laflamme a alors demandé un deuxième examen d’admissibilité. À cette fin, il a fait parvenir de nouveaux documents à l’ARC, soit : (1) le formulaire de demande de redressement d’une T1 pour l’année d’imposition 2019 rempli par sa conjointe, daté du 18 mai 2022; (2) son propre formulaire de demande de redressement d’une T1 pour l’année d’imposition 2019, également daté du 18 mai 2022; et (3) sa déclaration de revenus amendée pour l’année d’imposition 2019. Ces redressements avaient pour effet de bonifier le revenu net de M. Laflamme, qui atteignait désormais 5,148 $.

[7] Lors d’une conversation téléphonique avec l’agent du deuxième examen, M. Laflamme n’a pas été en mesure d’expliquer les motifs des demandes de redressement, et a simplement indiqué avoir demandé à son comptable de corriger ses revenus nets pour qu’ils atteignent 5,000 $.

[8] Le 5 octobre 2022, l’ARC a décidé que M. Laflamme était inadmissible à la PCRE puisqu’il n’avait pas travaillé pour des raisons autres que la pandémie, et qu’il était capable de travailler, mais n’avait pas cherché d’emploi. Après qu’il ait déposé une demande en contrôle judiciaire, M. Laflamme s’en est désisté pour donner suite à une entente intervenue avec l’ARC. L’ARC a alors entrepris un troisième examen d’admissibilité.

[9] Lors d’une discussion téléphonique, M. Laflamme a indiqué à l’agente du troisième examen qu’il ne pouvait pas expliquer ce que son comptable avait corrigé en 2022, et qu’il pouvait « fabriquer » des reçus pour justifier sa demande de redressement.

[10] Le 13 janvier 2023, l’ARC a encore déterminé que M. Laflamme était inadmissible à la PCRE que son revenu net n’avait pas atteint 5,000 $ pour les périodes statutaires.

[11] Monsieur Laflamme a sollicité un contrôle judiciaire de cette décision, lequel a été accueilli le 21 décembre 2023 par ma collègue la juge Rochester, désormais à la Cour d’appel fédérale (Laflamme c Canada (Procureur général), 2023 CF 1730 [Laflamme]). Conformément à l’ordonnance de la Cour, un quatrième examen d’admissibilité a été entrepris.

[12] Le 24 janvier 2024, lors d’une conversation téléphonique, M. Laflamme a indiqué à l’agente du quatrième examen qu’il avait subi une erreur comptable dans sa déclaration de revenus de 2019, et que son comptable s’en était aperçu et avait corrigé le tir après le premier examen d’admissibilité. Le comptable aurait expliqué à M. Laflamme qu’il avait omis un revenu de 3,000 $ provenant de la maison d’édition possédée conjointement avec sa conjointe. M. Laflamme a également expliqué que comme sa maison d’édition enregistrait trop de pertes, il avait décidé de diminuer ses dépenses, d’où la demande de redressement de 2022. Puis, le 29 janvier 2024, M. Laflamme a précisé lors d’une autre conversation téléphonique que son comptable avait omis d’inclure un revenu de 2,742 $ issu d’un congrès annuel et de cours donnés puisqu’il ne lui avait pas remis toutes ses factures en temps opportun, et que cette inclusion ajustait son revenu net à environ 8,000 $. Monsieur Laflamme a confirmé à l’agente qu’il lui avait fourni tous les documents pertinents pour son examen.

[13] Le 14 février 2024, l’ARC a déterminé que M. Laflamme était inadmissible à la PCRE puisqu’il n’avait pas fait 5,000 $ ou plus en revenus nets pour les périodes statutaires. Il s’agit de la décision aujourd’hui sous contrôle judiciaire.

III. Question en litige

[14] La première question en litige est à savoir si la décision de l’ARC qui conclut que M. Laflamme était inadmissible à la PCRE est raisonnable. La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable (Vavilov aux para 16-17; Fortin c Canada (Procureur général), 2024 CF 2031 au para 12). Il incombe donc à M. Laflamme de démontrer que la décision est entachée de graves omissions sur le plan factuel ou juridique, ou alors qu’elle ne fait pas état d’une analyse rationnelle (Vavilov aux para 102 à 107).

[15] La seconde question en litige est si le quatrième examen a porté atteinte au droit à l’équité procédurale de M. Laflamme, qui allègue que la décision était entachée de partialité et que divers représentants du gouvernement lui auraient fautivement créé des attentes légitimes. La norme applicable à cette question est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43, [2009] 1 RCS 339; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35, [2021] 1 RCF 271). Cette Cour doit donc déterminer si la procédure suivie par l’ARC a respecté les normes d’équité et de justice naturelle.

IV. Observation des parties

A. Monsieur Laflamme

[16] Monsieur Laflamme soumet essentiellement qu’il a eu un revenu net supérieur à 5,000 $ pour l’année fiscale 2019, puisqu’il aurait eu des revenus bruts de 11,000 $ et que ses dépenses d’entreprise étaient moins importantes que celles rapportées dans sa déclaration de revenus initiale. Ce revenu net aurait été confirmé par l’ARC lorsqu’elle lui a remis un avis de nouvelle cotisation suite à sa demande de redressement en 2022. L’agente du quatrième examen aurait donc commis une erreur dans son calcul du revenu net pour 2019. Monsieur Laflamme réitère qu’il ne devrait pas être pénalisé pour une erreur commise par son comptable et qui fut réparée depuis.

[17] Puis, M. Laflamme évoque divers manquements à son droit à l’équité procédurale. Il allègue que l’agente aurait rendu une décision empreinte de préjugés, en considérant ses insolvabilités de 1991 et de 2007 et en refusant de reconnaître sa profession.

[18] Monsieur Laflamme allègue également qu’une représentante du Procureur général du Canada [PGC] lui aurait fait croire que le troisième examen ne ferait que confirmer son éligibilité à la PCRE lorsqu’elle lui aurait dit qu’il avait « déjà gagné sa cause » à l’issue de sa première demande de contrôle judiciaire. M. Laflamme reproche aussi à l’ARC de ne pas avoir suivi les instructions de la juge Rochester en rejetant à nouveau ses explications vis-à-vis de son revenu pour l’année fiscale 2019. Il estime que l’ARC fait preuve d’acharnement dans son dossier, ce qui serait exemplifié par l’attitude d’une autre représentante du PGC qui, à l’issue de la deuxième demande de contrôle judiciaire, lui aurait expliqué que la décision de la Cour n’avait pas d’incidence sur son admissibilité à la PCRE et que c’est l’ARC qui examinerait à nouveau son admissibilité.

B. Le défendeur

[19] Le défendeur estime que M. Laflamme ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer son admissibilité à la PCRE et cite les décisions suivantes (Ntuer c Canada (Procureur général), 2022 CF 1596 au para 26; Grandmont c Canada (Procureur général), 2023 CF 1765 au para 38 [Grandmont]).

[20] Le défendeur soutient que les déclarations d’impôt et autres documents fiscaux ne constituent pas en eux-mêmes une preuve du revenu réellement gagné, et sont donc une preuve insuffisante d’admissibilité à la PCRE (Grandmont au para 36).

[21] Ensuite, selon le défendeur, l’ARC s’est raisonnablement fondée sur la preuve, qui démontre que le redressement de 2022 diminue les dépenses d’entreprise de M. Laflamme de plus de moitié de manière à ce qu’il obtienne un revenu net supérieur à 5,000 $ alors que, avant ce redressement, son revenu net était nul et que M. Laflamme a continué d’affirmer que sa maison d’édition requérait beaucoup de dépenses. De plus, le rapport de l’agente du quatrième examen indique que M. Laflamme n’a jamais été en mesure d’expliquer l’erreur comptable qu’il allègue, ou de justifier ses revenus modifiés et ses dépenses d’entreprise diminuées. Il y est également noté que M. Laflamme a confirmé qu’il avait fait parvenir à l’ARC tous les documents pertinents pour le quatrième examen. Le défendeur indique également que lors d’examens antérieurs, M. Laflamme a déclaré avoir demandé à son comptable d’aller de l’avant avec les modifications dans le but d’atteindre le seuil de 5,000 $ qui le rendrait admissible à la PCRE. L’agente a donc raisonnablement conclu que le redressement de 2022 n’avait aucune valeur probante, et s’est fiée à la déclaration de revenu initiale de M. Laflamme qui démontrait un revenu net négatif pour l’année 2019.

[22] Quant aux questions d’équité procédurale, le défendeur estime que l’ARC n’a pas créé d’attente légitime à M. Laflamme. D’abord, aucune preuve au dossier ne soutient les allégations de M. Laflamme selon lesquelles une représentante du PGC lui aurait dit qu’il avait « déjà gagné sa cause » à l’occasion de la première demande de contrôle judiciaire. Ensuite, le désistement n’incluait aucune allégation concernant l’admissibilité de M. Laflamme à la PCRE. Finalement, une attente légitime requiert qu’un organisme administratif se comporte d’une façon « claire, nette et explicite », alors que M. Laflamme n’allègue que des présomptions, des inférences et des sous-entendus (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 RCF 121 aux para 14-16 [Canadian Pacifique Limitée]).

[23] Selon le défendeur, la décision de la juge Rochester n’a pas non plus pas créé d’attente légitime, puisqu’elle a seulement ordonné à l’ARC de procéder à un quatrième examen, une distinction que l’agente du quatrième examen a d’ailleurs expliquée à M. Laflamme lors de leur conversation téléphonique du 24 janvier 2024.

[24] Finalement, le défendeur fait valoir que M. Laflamme ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que l’ARC avait fait preuve de partialité contre lui (Canadian Pacifique Limitée aux para 54-56; Morin c Canada (Procureur général), 2023 CF 751 aux para 14-16). L’agente n’a démontré aucun mépris envers la profession de M. Laflamme, et elle s’est contentée de conclure qu’il n’avait pas gagné un revenu net de 5,000 $.

V. Analyse

[25] La PCRE fait partie d’un ensemble de mesures temporaires qui ont été mises en place par le gouvernement fédéral pour pallier aux effets de la pandémie. Elle a permis à des contribuables dont les revenus avaient été durement diminués par la pandémie d’avoir rapidement accès à des liquidités pendant plusieurs mois. L’un des critères d’admissibilité à la PCRE était un revenu minimal de 5,000 $ provenant de sources désignées au cours des périodes statutaires. Le paragraphe 3(2) de la Loi précisait encore que le revenu visé pour un travailleur autonome comme M. Laflamme était son « revenu moins les dépenses engagées pour le gagner », c’est-à-dire son revenu net.

[26] Lorsque l’ARC a conduit un examen pour déterminer l’admissibilité de M. Laflamme à la PCRE, elle a raisonnablement conclu par la négative. La lecture des rapports de l’agente du quatrième examen, qui font partie des raisons de la décision, démontre qu’elle s’est appuyée sur la preuve pour déterminer que M. Laflamme n’avait pas eu un revenu net supérieur à 5,000 $ pour l’année fiscale 2019, malgré sa demande de redressement de 2022 (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139 au para 22 [Aryan]; Lavigne c Canada (Procureur général), 2023 CF 1182 au para 26 [Lavigne]).

[27] À titre préliminaire, à la demande du défendeur, et sans objection de M. Laflamme, l’intitulé de la cause est modifié pour désigner correctement le défendeur, qui, selon la règle 303 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, est le Procureur général du Canada.

[28] Aussi, je conviens avec le défendeur que la Cour ne doit pas accepter de documents nouveaux à l’étape du contrôle judiciaire (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20). Mon rôle n’est pas de décider de l’admissibilité de M. Laflamme à la PCRE et d’ainsi me substituer à l’ARC, mais plutôt de déterminer si la décision rendue à l’issue du quatrième examen était raisonnablement fondée sur le droit applicable et sur les informations qui avaient été fournies à l’agente du quatrième examen.

[29] Également, le défendeur a raison de souligner que le dossier présenté à la Cour fédérale dans le cadre d’un autre contrôle judiciaire n’est pas nécessairement le même dossier que celui dont disposait l’ARC pour conduire son quatrième examen. Il incombait à M. Laflamme de s’assurer d’avoir transmis tous les documents pertinents à l’agente du quatrième examen, et je ne peux donc pas consulter les documents que M. Laflamme affirme avoir remis à la Cour fédérale lors de son deuxième contrôle judiciaire et qu’il admet ne jamais avoir transmis à l’ARC.

[30] Conséquemment, je ne considérerai pas les lettres de Copiebec et de l’Association professionnelle internationale des thérapeutes en médecine naturelle; le certificat de l’Ordre des naturopathes du Québec; les documents confectionnés par M. Laflamme intitulés « Revenus projetés perdus – 2020 et 2021 », « Montants reçus des activités professionnelles du demandeur pour l’année 2019 » et « Dépôts justifiés des activités professionnelles du demandeur pour l’année 2019 »; certains articles de journaux; et les relevés bancaires de la maison d’édition de M. Laflamme.

A. Le caractère raisonnable de la décision

[31] Le désaccord des parties a trait à la détermination de l’agente du quatrième examen vis-à-vis du revenu net de M. Laflamme pour l’année fiscale 2019. Celui-ci estime que l’agente a déraisonnablement écarté son nouvel avis de cotisation fiscale pour 2019, émis le 27 mai 2022, et qu’elle n’a pas pris compte des justifications fournies pour ses revenus de travail autonome et, surtout, pour la réduction de ses dépenses d’entreprise. Il est bien établi qu’une cour de révision doit s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur », et n'interviendra que lorsqu’un décideur « s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov aux para 125-126). Ici, l’agente n’a commis aucune de ces erreurs.

[32] Je me tourne désormais vers les documents que M. Laflamme a produits auprès de l’ARC pour démontrer son revenu net en 2019. Lors de la conversation téléphonique du 29 janvier 2024, M. Laflamme a indiqué à l’agente du quatrième examen que son comptable avait omis 2,742 $ de revenus gagnés en 2019 puisqu’il n’avait pas produit de factures justificatives en temps opportun. Ces revenus proviennent d’un congrès annuel et de l’enseignement d’une série de cours à l’Académie d’humanisme. L’agente lui a expliqué que, même avec ce revenu supplémentaire qui portait son revenu brut de 8,882 $ à 11,624 $, il lui fallait encore justifier un ajout de plus de 5,500 $ pour atteindre le seuil des revenus nets de 5,000 $, puisque sa déclaration de revenus originale déclarait un revenu négatif de 3,320 $. M. Laflamme n’a pas pu s’expliquer. L’agente a également noté qu’elle ne pouvait pas déterminer si une diminution des dépenses d’entreprise de la maison d’édition pouvait couvrir cette balance, puisque M. Laflamme n’a pas fourni de justificatifs qui auraient permis de démontrer ces dépenses, et une réduction de ces dépenses le cas échéant. Les notes démontrent aussi que M. Laflamme a confirmé à l’agente qu’il n’avait pas d’autres documents à fournir à l’ARC. L’agente a conclu : « Il y a donc une différence non appuyée entre la valeur précédente et la valeur modifiée du revenu net suite au redressement. »

[33] Quoique je puisse comprendre la confusion de M. Laflamme sur la valeur probante du nouvel avis de cotisation pour l’année fiscale 2019 émis le 27 mai 2022, la Cour a souvent déterminé qu’un avis de cotisation n’est pas une preuve qu’un contribuable a effectivement gagné le montant indiqué, et ne détermine donc pas l’admissibilité à la PCRE et aux diverses prestations introduites pour palier à la pandémie (Aryan au para 35; Sjogren c Canada (Procureur général), 2023 CF 24 au para 39; Lavigne aux para 37, 43, 53-58, Cozak c Canada (Procureur général), 2023 CF 1571 aux para 22–23; Singh v Canada (Attorney General), 2024 FC 51 aux para 35–36; James v Canada (Attorney General), 2025 FC 187 au para 8).

[34] Il ressort du dossier que l’agente a identifié auprès de M. Laflamme l’enjeu de la balance inexpliquée, et lui a donné une opportunité de l’adresser. Seulement, M. Laflamme n’a pas pu le faire. Monsieur Laflamme n’a pas été en mesure de démontrer que l’agente avait commis une erreur révisable dans son examen de ses revenus pour 2019. La lecture du dossier confirme qu’aucune documentation, et même aucune explication, n’a été fournie pour justifier la différence de plus de 5,500 $ entre la déclaration de revenus initiale puis redressée pour l’année fiscale 2019, et plus particulièrement la réduction drastique des dépenses d’entreprise. Conséquemment, il était tout à fait raisonnable pour l’agente du quatrième examen de conclure que M. Laflamme n’avait pas rencontré le seuil de revenu minimal pour les périodes statutaires, d’autant plus que M. Laflamme lui a alors confirmé avoir remis tous les documents pertinents à son examen à l’ARC.

B. L’équité procédurale

[35] D’abord, le défendeur a raison de souligner que l’ARC n’a créé aucune attente légitime à M. Laflamme. Une attente légitime est créée lorsque, dans les mots de la Cour suprême, « un représentant de l’État fait des affirmations claires, nettes et explicites qui auraient suscité chez un administré des attentes légitimes concernant la tenue d’un processus administratif » (Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] 2 RCS 504 au para 68).

[36] Même si je tenais pour avéré qu’à l’issue de la première demande de contrôle judiciaire, une représentante du PGC aurait dit à M. Laflamme qu’il avait « déjà gagné son dossier », cela pourrait vraisemblablement faire allusion à sa demande de contrôle judiciaire plutôt qu’à son admissibilité à la PCRE. Nous sommes bien loin de l’indication « claire, nette et explicite » que la jurisprudence exige pour établir une attente légitime.

[37] Contrairement aux prétentions de M. Laflamme, la juge Rochester ne s’est pas prononcée sur son admissibilité à la PCRE ni sur une conduite partiale de l’ARC. La juge Rochester a plutôt accueilli la demande en contrôle judiciaire de la décision rendue au terme du troisième examen puisqu’il semblait que l’ARC avait appliqué la norme de preuve hors de tout doute raisonnable plutôt que la norme applicable, soit celle de la prépondérance des probabilités (Laflamme aux para 11–15.) Cette décision était fondée sur un commentaire de l’agente de l’ARC, qui avait écrit dans son rapport qu’il était « impossible de prouver hors de tout doute raisonnable que [M. Laflamme] a bien gagné 5000 $ net en 2019 ». Il s’agit d’une spécificité propre au troisième examen qui n'est d’aucun secours à M. Laflamme puisqu’elle ne s’est pas reproduite durant le quatrième examen.

[38] Quant au renseignement qu’aurait donné la représentante du PGC à M. Laflamme sur les répercussions de la décision sur son dossier à l’ARC, j’estime qu’il ne démontre aucun acharnement ou mépris. Il s’agit seulement d’une information qui, bien qu’on puisse comprendre qu’elle déplaise à M. Laflamme, est néanmoins exacte.

[39] Pour ce qui est des questions de partialité, la Cour suprême enseigne que « la crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet » (Committee for Justice and Liberty c L’Office national de l’énergie, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369 à la page 394). Il existe une présomption d’impartialité, et une crainte de partialité doit donc reposer sur plus que « de simples soupçons, de pures conjectures, des insinuations ou encore de simples impressions d’un demandeur » et s’appuyer sur « des preuves concrètes qui font ressortir un comportement dérogatoire à la norme » (Arthur c Canada (Canada (Procureur général), 2001 CAF 223).

[40] En l’occurrence, rien dans le dossier ne démontre que l’agente du quatrième examen aurait été animée par des préjugés sur la profession de M. Laflamme ou sur ses insolvabilités passées. Dans son rapport, l’agente accepte que M. Laflamme est professeur d’arts martiaux, anime des ateliers de médecine naturelle et des conférences, et est auteur, et elle n’en tire aucune conclusion. Elle accepte ses sources de revenus, et se contente de noter que les documents que M. Laflamme lui a transmis ne lui permettent pas de conclure qu’il aurait fait plus de 5,000 $ pendant les périodes statutaires. Les allégations de M. Laflamme relèvent d’impressions qui n’ont aucune assise dans les faits.

VI. Conclusion

[41] Compte tenu de la preuve au dossier et des lois applicables, M. Laflamme n’a pas démontré que la décision de l’agente du quatrième examen est déraisonnable ou qu’elle ait manqué à l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[42] Le défendeur a demandé que des dépens lui soient adjugés, mais je préfère exercer mon pouvoir discrétionnaire pour conclure qu’il n’y a pas lieu d’adjuger des dépens contre M. Laflamme, qui se représente seul (Lalonde c Canada (Agence du revenu), 2023 CF 41 au para 97; Hu c Canada (Le Procureur Général), 2023 CF 1590 au para 36).


JUGEMENT dans le dossier T-560-24

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« L. Saint-Fleur »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-560-24

INTITULÉ :

SERGE LAFLAMME c AGENCE DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 FÉVRIER 2025

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE SAINT-FLEUR

DATE DES MOTIFS :

LE 20 FÉVRIER 2025

COMPARUTIONS :

Serge Laflamme

POUR LE DEMANDEUR

(EN SON PROPRE NOM)

Me Amanda Bowie-Edwards

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

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