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     IMM-2027-96

OTTAWA (ONTARIO), le 7 mai 1997

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     requérant,

     - et -

     DARSHY DARSHAN DHALIWAL-WILLIAMS,

     intimée.

     O R D O N N A N C E

     La demande visant, au titre de l'article 18.2 de la Loi sur l'immigration, le contrôle judiciaire d'une décision de la Section d'appel de l'immigration rendue le 6 mars 1996 et signée le 14 mars 1996, par laquelle le tribunal a accueilli l'appel formé par l'intimée Darshy Darshan Dhaliwal-Williams du refus d'approuver la demande de droit d'établissement de Ramandeep Ram, est accueillie. La décision attaquée est annulée et la Cour ordonne que l'affaire soit entendue à nouveau par une formation différente de la Section d'appel de l'immigration.

                                 Yvon Pinard

                                         Juge

Traduction certifiée conforme                 

                                     Christiane Delon, LL. L.

     IMM-2027-96

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     requérant,

     - et -

     DARSHY DARSHAN DHALIWAL-WILLIAMS,

     intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

     Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) et visant la décision de la Section d'appel de l'immigration (SAI) rendue le 6 mars 1996 et signée le 14 mars 1996, décision par laquelle le tribunal a accueilli l'appel interjeté par l'intimée, Darshy Darshan Dhaliwal-Williams, à l'encontre de la décision refusant d'accorder le droit d'établissement à Ramandeep Ram.

     Pour contester la décision de la SAI accueillant l'appel interjeté par l'intimée, le requérant invoque plusieurs arguments. À mon avis, le principal argument invoqué à ce titre, à savoir que le requérant s'est vu refuser l'occasion de développer pleinement les arguments sur lesquels il se fondait permet, à lui seul, de faire droit à sa demande.

     Au début de l'audience devant la SAI, l'avocat de l'intimée a fait savoir au tribunal qu'il avait l'intention de citer comme témoin l'intimée, le mari de celle-ci, le tuteur de Ramandeep, en Inde, ainsi que Ramandeep elle-même. Mais, après que l'intimée a été interrogée par son propre avocat et contre-interrogée par l'agent d'appel, la SAI a fait savoir aux parties qu'il n'était nécessaire d'entendre qu'un autre témoin, Ramandeep. Celui-ci n'a témoigné que très brièvement, puis le tribunal a prononcé une courte suspension d'audience. Lorsque l'audience a repris, le président a annoncé aux parties que le tribunal était parvenu à une décision, accueillant par là même l'appel pour des motifs aussi bien de droit que d'équité.

     Il ressort du dossier que si le requérant en avait eu la possibilité, l'agent d'appel aurait développé des arguments sur les trois questions portées devant la SAI, notamment sur les questions de savoir si une cérémonie d'adoption avait bien eu lieu conformément aux exigences posées par la Hindu Adoptions and Maintenance Act, 1956, si l'adoption avait en effet été effectuée dans l'intention de faire passer Ramandeep de ses parents biologiques à l'intimée, et s'il existait, entre l'intimée et Ramandeep, un lien de parent à enfant. La SAI était en outre consciente du fait que l'agent d'appel entendait développer son argumentation à l'audience. Il ressort de la transcription de l'audience que l'agent d'appel a effectivement évoqué la question des arguments qu'il entendait développer après la fin du contre-interrogatoire de l'intimée et que la SAI avait alors indiqué que ses arguments seraient entendus après les témoignages. Bien que la SAI ait dit cela à l'agent d'appel, elle n'a en fait pas fourni à celui-ci l'occasion de faire valoir ses arguments avant de rendre sa décision.

     J'estime que cela constitue une atteinte caractérisée aux principes de la justice naturelle et de l'équité procédurale. Il ressort d'une lecture conjointe de l'article 25 et de l'article 39 des Règles de la Section d'appel de l'immigration (Règles de la SAI) que l'on a voulu rendre la SAI maître de sa procédure. J'estime, cependant, que le pouvoir discrétionnaire dont la SAI jouit en matière de procédure ne doit pas être interprété de manière à la soustraire à l'obligation de respecter les principes de la justice naturelle et de l'équité procédurale. Voici ce que prévoient les articles 25 et 39 des Règles de la SAI :

         25.      La Section d'appel peut autoriser la présentation, au cours de l'audience, de tout élément de preuve de la manière qu'elle juge indiquée pour assurer une instruction approfondie de l'affaire et le règlement de l'appel ou de la demande de façon expéditive, y compris :                 
             (a) le dépôt d'affidavits ou d'autres éléments de preuve documentaire;                 
             (b) la présentation des arguments oralement et par écrits ou de l'une de ces façons;                 
             (c) la convocation, l'interrogatoire et le contre-interrogatoire des témoins;                 
             (d) le témoignage des parties.                 
         39.      Les présentes règles ne sont pas exhaustives, en l'absence de dispositions sur des questions qui surviennent dans le cadre d'une procédure, la section d'appel peut prendre les mesures voulues pour assurer une instruction approfondie de l'affaire et le règlement des questions de façon expéditive.                 

     Il est acquis que le contenu même de ce devoir procédural varie en fonction des circonstances1. Dans l'arrêt S.E.P.Q.A., le juge Sopinka, écrivant en son nom et au nom des juges Lamer et La Forest, s'est ainsi exprimé quant aux conditions d'applicabilité de l'équité procédurale, aux pages 895 et 896 :

         [...] Aussi bien les règles de justice naturelle que l'obligation d'agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l'affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher. La distinction entre elles s'estompe donc lorsqu'on approche du bas de l'échelle dans le cas de tribunaux judiciaires ou quasi judiciaires et du haut de l'échelle dans le cas de tribunaux administratifs ou exécutifs. C'est pourquoi on ne détermine plus maintenant le contenu des règles à suivre par un tribunal en essayant de le ranger dans la catégorie de tribunal judiciaire, quasi judiciaire, administratif ou exécutif. Au contraire, on décide du contenu de ces règles en tenant compte de toutes les circonstances dans lesquelles fonctionne le tribunal en question.                 

     Il est également acquis que l'équité procédurale exige, au minimum, que l'on donne à chacune des parties l'occasion de faire valoir ses arguments et à chacune des parties l'occasion d'être entendue. Aux pages 230 et 231, de l'ouvrage de David Jones et d'Anne de Villars, Principles of Administrative Law2. Les auteurs notent que :

         [Traduction]                 
             Le contenu même du principe audi alteram partem est difficile à cerner dans certaines circonstances précises et le contenu de cette obligation s'est transformé avec le temps et en fonction des circonstances.                 
             Au minimum, la règle exige que les parties concernées soient averties suffisamment à l'avance des arguments auxquels elles devront répondre, et du droit qu'elles ont de faire valoir des preuves et de présenter des arguments.                 
             (Non souligné dans l'original)                 

     Dans l'arrêt S.E.P.Q.A., le juge Sopinka avait développé un point de vue analogue. C'est ainsi qu'à la page 902 il a pu écrire :

         [...] Je partage l'avis du juge Marceau qu'il incombait à la Commission d'informer les parties de la substance de la preuve réunie par l'enquêteur et produite devant la Commission. Celle-ci devait en outre offrir aux parties la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.                 

     En l'espèce, la SAI n'a même pas observé cette condition minimum. Bien que la SAI ait dit à l'agent d'appel que ses arguments seraient entendus après les témoignages, le requérant n'a pas eu la possibilité de développer son argumentation et on lui a donc refuser l'occasion d'être entendu, ce qui constitue une atteinte grave aux principes de la justice naturelle et de l'équité procédurale. Par conséquent, il y a lieu d'annuler la décision de la SAI et d'ordonner que l'affaire soit entendue à nouveau par une autre formation.

     Je conviens avec l'avocat des parties que la question n'a pas en l'espèce à être certifiée conformément au paragraphe 18(1) des Règles de 1993 de la Cour fédérale en matière d'immigration.

OTTAWA (Ontario)

Le 7 mai 1997

                                 Yvon Pinard

                                         Juge

Traduction certifiée conforme                 

                                     Christiane Delon, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-2027-96
INTITULÉ :                      MCI c. DARSHY DARSHAN
                         DHALIWAL-WILLIAMS
LIEU DE L'AUDIENCE :              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 16 AVRIL 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

DATE :                      LE 7 MAI 1997

ONT COMPARU :

Me ESTA RESNICK                  POUR LE REQUÉRANT
Me CATHERINE SAS              POUR L'INTIMÉE

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. GEORGE THOMSON              POUR LE REQUÉRANT

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

Me CATHERINE SAS              POUR L'INTIMÉE
__________________

1 S.E.P.Q.A. c. La Commission canadienne des droits de la personne, [1989] 2 R.C.S. 879.

2 2e édition (Scarborough : Carswell, 1994).

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