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Date : 20060201

Dossier : IMM-3694-05

Référence : 2006 CF 109

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Demandeur

et

CAROLE SAVARD

Défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Armés d'un ordinateur et de l'Internet, Carole Savard et Abderaouf Samadi ont tombé en amour! Suite au développement de cette relation, Carole Savard tenta en vain de parrainer Abderaouf Samadi à titre de partenaire conjugal. L'agente de visas rejeta sa demande. Toutefois, en appel devant la Section d'appel de l'immigration (SAI), la SAI détermina que le couple était effectivement en relation conjugal et renversa la décision de l'agente de visas. C'est suite à


la décision de la SAI que la Cour doit trancher la demande de contrôle judiciaire déposée par le demandeur, soit le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration.

Faits

[2]                Carole Savard et Abderaouf Samadi se sont rencontrés sur un site d'Internet en juin 2001. Mme Savard est une citoyenne canadienne alors que M. Samadi est un citoyen du Maroc et résident d'Espagne depuis 1992 où il vit avec d'autres membres de sa famille. Suite à quelques sessions de clavardage, c'était le coup de foudre et par le mois d'août 2001, Carole Savard et Abderaouf Samadi formaient un couple.

[3]                Suite à un échange de courriels personnels ainsi que des lettres et des appels téléphoniques, le 14 juin 2002, Mme Savard a voyagé en Espagne afin de finalement rencontrer son bien-aimé. Elle a ensuite fait un deuxième voyage en décembre 2002.

[4]                Le 31 mars 2003, Mme Savard déposa une demande de parrainage pour M. Samadi dans la catégorie du regroupement familial au titre de « partenaire conjugal » et un engagement, et M. Samadi a déposé sa demande de résidence permanente au Canada le 11 avril 2003. Entre temps, les tourtereaux ont continué leur relation et elle a fait deux autres voyages en Espagne.

[5]                Le 23 décembre 2003, l'agente de visas a rejeté la demande parrainée d'établissement au Canada de M. Samadi. L'agente de visas a conclu qu'il n'appartenait pas à la catégorie du regroupement familial car il n'entretenait pas une relation conjugale avec Mme Savard au sens des articles 2 et 121 du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (RIPR).

[6]                Mme Savard a fait appel de la décision de l'agente de visas auprès de la Section d'appel de l'immigration (SAI). La SAI a conclu que Mme Savard avait rencontré son fardeau de preuve et qu'il existait une relation conjugale entre elle et M. Samadi tel que défini aux articles 2 et 121 du RIPR. La SAI a également conclu que la preuve indiquait que le couple s'aimait et qu'ils avaient l'intention de vivre ensemble une fois qu'il sera au Canada.

Prétentions des parties

[7]                Le Ministre prétend que la SAI a commis une erreur de droit et de fait en concluant que Mme Savard et M. Samadi se sont déchargés de leur fardeau d'établir qu'ils sont des partenaires conjugaux au sens de la LIPR et des articles 2 et 121 du RIPR. De plus, le Ministre allègue que la SAI a commis une erreur de droit, en omettant de faire l'analyse requise sous l'article 4 du RIPR et en omettant de fournir des motifs suffisants ou adéquats pour étayer sa décision.

[8]                En vertu du RIPR, afin de satisfaire à la définition de partenaire conjugal, la relation doit être entretenue pendant a moins un an lors du dépôt de la demande de parrainage. De plus, la relation doit être une relation entretenue de bonne foi.

2. « partenaire conjugal » À l'égard du répondant, l'étranger résidant à l'extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an. (conjugal partner)

2."conjugal partner" means, in relation to a sponsor, a foreign national residing outside Canada who is in a conjugal relationship with the sponsor and has been in that relationship for a period of at least one year. (partenaire conjugal)

4. Pour l'application du présent règlement, l'étranger n'est pas considéré comme étant l'époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l'enfant adoptif d'une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l'adoption n'est pas authentique et vise principalement l'acquisition d'un statut ou d'un privilège aux termes de la Loi. DORS/2004-167, art. 3(A).

4. For the purposes of these Regulations, no foreign national shall be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act. SOR/2004-167, s. 3(E).

121. Les exigences applicables à l'égard de la personne appartenant à la catégorie du regroupement familial ou des membres de sa famille qui présentent une demande au titre de la section 6 de la partie 5 sont les suivantes :

a) l'intéressé doit être un membre de la famille du demandeur ou du répondant au moment où la demande est faite et, qu'il ait atteint l'âge de vingt-deux ans ou non, au moment où il est statué sur la demande. DORS/2004-167, art. 42.

121. The requirements with respect to a person who is a member of the family class or a family member of a member of the family class who makes an application under Division 6 of Part 5 are the following:

(a) the person is a family member of the applicant or of the sponsor both at the time the application is made and, without taking into account whether the person has attained 22 years of age, at the time of the determination of the application. SOR/2004-167, s. 42.

[9]                Pour sa part, Mme Savard soutient que la SAI a minutieusement évalué la preuve et a bien appliqué la législation et la jurisprudence afin d'établir qu'il existait une relation conjugale entre elle et M. Samadi. Mme Savard prétend également que les motifs de la SAI précisaient exactement pourquoi elle en est venue à cette conclusion. Selon elle, la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

[10]            Alors que le Ministre ne conteste pas le fait qu'il est fort probable que les deux soient effectivement un couple, il faut néanmoins qu'ils adhèrent à la définition de « partenaire conjugal » au sens de la LIPR et des articles 2 et 121 du RIPR et que cette relation soit entretenue de bonne foi selon l'article 4 du RIPR. En autres mots, dans un premier temps, le Ministre soutient que la SAI ne peut pas se fonder sur des éléments de preuve postérieure à la demande de parrainage afin de déterminer qu'ils étaient des partenaires conjugaux avant la demande. Dans un deuxième temps, la SAI ne peut pas omettre de faire l'analyse en vertu de l'article 4 du RIPR afin d'évaluer si la relation est de bonne foi.

Questions en litige

[11]            Deux questions se posent dans ce dossier :

1-      Quelle est la norme de contrôle applicable?

2-      Est-ce que la décision de la SAI doit être maintenue?

La norme de contrôle

[12]            Cette Cour doit généralement accorder une grande retenue en ce qui a trait à la décision de la SAI à moins qu'elle ne soit manifestement déraisonnable; voir Satinder c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration),2001 FCT 504, [2001] A.C.F. no 784 (QL), Jaglal c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 FCT 685,[2003] A.C.F. no 885 (QL), Lello c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 109,[2005] A.C.F. no 136 (QL).

[13]            Toutefois, tel que mentionne mon collègue le juge Beaudry dans l'arrêt Yen v. Canada (Ministry of Citizenship and Immigration), 2005 FC 1236, [2005] F.C.J. No. 1501 (QL), lorsqu'il est question de l'interprétation de la législation, ceci entraîne nécessairement l'application de la norme de contrôle correcte.

[14]            En l'espèce, étant donné que le Ministre allègue une erreur de droit en ce qui concerne l'interprétation de la notion du partenaire conjugal et dans l'analyse de la bonne foi au sens de l'article 4 du RIPR ainsi qu'en ce qui concerne l'étendue des motifs donné par la SAI, la norme de contrôle applicable est effectivement la norme correcte.

Analyse

[15]            L'enjeu principal repose sur les motifs de la SAI. Selon les motifs énoncés par la SAI, la preuve considérée n'est pas uniquement la preuve pertinente à la période de parrainage, soit un an avant le dépôt de la demande, mais bien une panoplie de preuves postérieures à la demande de parrainage. Or, la question est à savoir si la SAI a bel et bien interprété la bonne preuve, et si dans l'affirmative, il faut déterminer si les motifs reflètent ce raisonnement de façon claire et suffisante.

[16]            Les parties ne contestent pas le fait qu'un appel a la SAI est un appel de novo tel que vu dans les arrêts Amar Singh v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) 2005 FC 1673, [2005] F.C.J. No. 2071 (QL) et Kahlon c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1989] A.C.F. no 104 (QL), 7 Imm. L.R. (2d) 91 (F.C.A.). En temps normal, il est vrai que la SAI peut effectivement prendre en considération toute la preuve qui lui est présentée. Toutefois, en l'espèce la SAI n'a pas fait la distinction entre la preuve pendant la période pertinente et la preuve postérieure ce qui tend vers une erreur non seulement de fait mais de droit.

[17]            Si, tel que le prétend le Ministre, la SAI a pris en considération la preuve postérieure afin de déterminer que les deux sont effectivement des partenaires conjugaux, la SAI n'a donc pas bien interprété le libellé à l'article 2 du RIPR qui requiert que les individus entretiennent une relation conjugale pendant au moins un an lors du dépôt de la demande de parrainage.

[18]            L'article 2 du RIPR définie le « partenaire conjugal » comme étant « À l'égard du répondant, l'étranger résidant à l'extérieur du Canada qui entretient une relation conjugale avec lui depuis au moins un an. » L'article 130 du RIPR définie la « qualité de répondant » . Or, il semble que pour parrainer un partenaire conjugal, M. Samadi ne doit pas vivre au Canada. Si l'on retourne aux définitions du RIPR, l'article 1 stipule qu'un « conjoint de fait » veut dire un individu qui cohabite avec un autre individu dans le cadre d'une relation conjugal pour au moins un an. Il est donc évident qu'un « partenaire conjugal » ne doit pas cohabiter pour au moins un an.

[19]            Il y a donc une distinction à faire entre ce qu'on l'on entend entre un « conjoint de fait » et un « partenaire conjugal » . Les parties sont d'accord que la notion de « partenaire conjugal » au sens de la LIPR n'a pas été sujet de décisions devant la Cour fédérale. Alors qu'il existe certaines décisions de la Cour suprême pouvant être considérées afin de mieux comprendre la notion de « partenaire conjugal » , en particulier M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3, aucuns de ces arrêts ont été soulevés dans le contexte de l'immigration. Voir aussi McCullough c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] D.S.A.I. no 25 et Gibbs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] D.S.A.I. no 1221.

[20]            Le problème en l'espèce est que suite aux motifs de la SAI, il est impossible de déterminer comment le décideur en est venu à la décision que Mme Savard et M. Samadi étaient des partenaires conjugaux au sens de l'article 2 de la RIPR.

[21]            Ceci entraîne un autre problème, soit que les motifs de la SAI sont insuffisants et ne permettent pas de comprendre comment le décideur en est venu à sa décision. Tel que le mentionne la cause R c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869 au paragraphe 15 :

...Les tribunaux disent souvent qu'il faut non seulement que justice soit rendue, mais qu'il soit manifeste qu'elle a été rendue, ce à quoi les critiques répondent qu'il est difficile de voir comment il pourrait être manifeste que justice a été rendue si les juges n'exposent pas les motifs de leurs actes.    Les tribunaux de première instance, à qui il revient de tirer les conclusions de fait et les inférences essentielles, ne s'acquittent convenablement de leur obligation de rendre compte que si les motifs de leurs décisions sont transparents et accessibles au public et aux tribunaux d'appel.

[22]            Il est clair que le raisonnement d'une décision est important lorsqu'il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire. Tel que je le mentionne dans l'arrêt Blais c. Canada (Procureur général), 2004 CF 1638, (2004) 263 F.T.R. 151, [2004] A.C.F. no 1996 (QL) au paragraphe 39 :

Comme on l'a affirmé dans l'arrêt Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, les conclusions de fait d'un tribunal administratif et le dossier qu'il établit, de même que la perception éclairée qu'il a, à titre d'organisme spécialisé, seront souvent extrêmement utiles à la cour qui procède au contrôle judiciaire.

[23]            Alors que la SAI mentionne la preuve présentée par Mme Savard, qui consiste d'une panoplie de lettres d'amour, de courriels, de factures de téléphone et la preuve de voyages en Espagne, la majorité de cette dernière est pour la période suite au dépôt de la demande de parrainage. Il est vrai que l'arrêt Cepeda-Guiterrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (QL), 157 F.T.R. 35, mentionne que le défaut de faire référence à chaque élément de preuve ne veut pas dire que toute la preuve n'a pas été considéré. Néanmoins cette prétention, en omettant de faire une distinction précise entre les éléments de preuve pendant la période de parrainage et la preuve postérieure à la demande, la Cour doit assumer que la preuve postérieure a été prise en considération.

[24]            De plus, étant donné l'importance de nuancer entre le sens du RIPR entre la notion du « conjoint de fait » et du « partenaire conjugal » et en considérant l'arrêt Martin, précité, il serait incorrect pour cette Cour de tenter d'en venir à sa propre conclusion sur ce point. Or, des motifs illustrant son raisonnement et énonçant ce qui est important de considérer dans le dossier de Mme Savard sont primordiaux en revue judiciaire. La SAI est sans question un tribunal expert et la Cour doit s'attarder à son opinion experte particulièrement en ce qui concerne les différentes interprétation et définitions entourant le concept de « partenaire conjugal » . Malheureusement, cette notion n'a pas été suffisamment élaborée dans les motifs de la SAI afin que la Cour puisse comprendre le raisonnement de la décision de la SAI.

[25]            Tel que l'a dit le poète américain Henry Wadsworth Longfellow, [TRADUCTION] « il est difficile de déterminer exactement quand l'amour se manifeste, il est moins difficile de reconnaître que l'amour existe. » En l'espèce, il ne semble avoir aucune question que l'amour existe entre Carole Savard et Abderaouf Samadi, cependant il serait une erreur de droit d'ignorer quand cet amour s'est manifesté dans l'interprétation de la législation.

Conclusion

[26]            Pour les motifs susmentionnés, la Cour va accueillir la demande de contrôle judicaire et ordonner qu'une nouvelle audience soit tenue devant un nouveau membre de la SAI.

[27]            Je tiens à souligner que ma décision d'accorder la demande de contrôle judicaire n'empêche pas Mme Savard de déposer une nouvelle demande de parrainage eu égard aux preuves qu'elle pourrait, par ailleurs, fournir pour satisfaire aux exigences de la LIPR et des RIPR.

Certification d'une question

[28]            À la fin de l'audition de la présente affaire, j'ai informé les parties qu'elles pourraient me proposer une question à certifier si elles étaient convaincues que la certification d'une question était appropriée. Avant même que je ne puisse faire part de mes motifs aux parties, Mme Savard a soulevé la question suivante :

Quelles sont les caractéristiques d'une relation conjugale dans le cadre d'une demande de parrainage et d'engagement en faveur d'un partenaire conjugal?

Bien que cette question est importante, je ne vais pas la certifier car elle n'est pas déterminante en cas d'appel de ma présente décision.

[29]            Maintenant, Mme Savard dispose jusqu'au 7 février 2006 en vue de soumettre une autre question grave de portée générale pour que je l'examine, et le cas échéant, le Ministre dispose jusqu'au 10 février pour y répondre. Toute correspondance devra se faire par l'entremise du Bureau local de Montréal.

« Sean Harrington »

JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 1 février 2006


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3694-05

INTITULÉ :                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

Demandeur

                                                            et

                                                            CAROLE SAVARD

Défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 24 janvier 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE SEAN HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                       Le 1 février 2006

COMPARUTIONS:

Me Isabelle Brochu

POUR LE DEMANDEUR

Me Vincent Valai

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DEMANDEUR

Vincent Valai

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

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