Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     T-2016-95

ENTRE

     PATRICK GIRARDEAU,

     Requérant,

     - et -

     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     Intimée.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

     La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision rendue le 18 août 1995 par Curt G. Allen, Commissaire-adjoint de la Gendarmerie royale du Canada ("GRC"), agissant à titre d'arbitre au niveau II, à l'effet de rejeter le grief du requérant en regard de son congédiement pour inaptitude. Le requérant demande l'annulation de cette décision, l'émission d'une ordonnance incluant la réintégration dans ses fonctions à la GRC et, finalement, l'émission d'une ordonnance obligeant ledit Curt G. Allen à renvoyer son grief au Comité externe d'examen de la GRC constitué aux termes de l'article 25 de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada (la "Loi")1 .

LES FAITS

     Le requérant, le gendarme Patrick Girardeau, est devenu membre de la GRC le 17 juillet 1990. Il a suivi sa formation de base de recrue en français à Régina, Saskatchewan, et a gradué le 17 janvier 1991. Par la suite, il a été affecté le 20 janvier 1991 pour une période de stage de six mois à Fort Saskatchewan en Alberta dans la division K, pour y parfaire son entraînement de recrue. Dans le cadre de son stage pratique, il a commencé à éprouver des problèmes de rendement.

     Le 22 juillet 1991, le requérant a consulté le Dr. R.M. Goede à Fort Saskatchewan. Celui-ci lui a fourni un certificat médical libellé comme suit :

         "This is to certify that the above-named [i.e. Patrick Girardeau] was absent from work from 22/7/91to 25/8/91 inclusive due to illness.                 

Préalablement au 22 juillet 1991, le Dr. Tworek, médécin-chef de la division "K", avait fixé, pour le requérant, un rendez-vous au 26 juillet 1991, avec le Dr. Ivan Kiss, un psychologue d'Edmonton, pour fin d'une évaluation psychologique. Le requérant s'est rendu à ce rendez-vous et plus tard, dans son évaluation, le Dr. Kiss a fait remarquer que son "General level of cognitive functioning was at the lower end of the average range"; le psychologue a également noté que "[I]t is likely that at least some of these difficulties are due to a previous severe traumatic head injury"; finalement, le Dr. Kiss a émis l'opinion suivante :

         Given Constable Girardeau's current level of cognitive abilities, it may be that he is unable to perform adequately as an RCMP Constable. It is also possible that interpersonal difficulties inherent in his current training situation have inhibited his performance and/or have biased evaluation of his performance.                 
         It is my recommendation that Constable Girardeau be given a three month period working with entirely different colleagues, and that these officers receive no information regarding his previous performance or evaluations. If he is again seen as unable to perform required tasks, I strongly recommend that Constable Girardeau receive a complete vocational assessment to explore other career options.                 
         (c'est moi qui met l'emphase)                 

     À la suite de cette évaluation, le 8 août 1991, le Dr. Tworek a pris la décision qu'il n'existait aucune raison pour laquelle le requérant ne pouvait retourner au travail. Tenant compte de la recommandation du Dr. Kiss, les autorités de la GRC ont assigné au requérant un nouveau superviseur, le Constable W.D. Sparks. Lorsque le requérant est retourné au travail, le 9 août 1991, le Constable Sparks lui a confirmé que sa période de stage avait été prolongée pour une période de trois mois, afin de lui donner la chance de corriger les lacunes dans son travail. Dans une Fiche de rendement de quatre pages, datée du 13 août 1991, le Constable Sparks expose en détail la teneur de sa conversation avec le requérant. L'extrait suivant se trouve aux pages 1 et 2 de cette Fiche :

         [...]      
         You were advised that to date your performance has not attained an acceptable level in which you can expect to be removed from RFT [Recruit Field Training]. In fact it apparently hasn't come close. This is part of the reason for a change in trainers, to give a fresh approach.                 
         I've told you I'm aware of your past performance. That I will be reviewing all documentation held in your RFT Program Course Training Standard as well as your local service file held by the NCO i/c.                 
         I've undertaken this task with no bias as to your success or failure. Basically we are going to start out fresh. This is your opportunity to prove that you are worthy of being removed from the RFT program and get on with your career.                 
               
         By fresh I do not imply that the past six (6) months disappear. You are accountable for your past, present and future performance. However, it is now up to you to work toward ending your RFT by attaining an acceptable level of performance and maintain it. I'm here to assist you any way I can. This does not mean I'm going to be your babysitter. After all you now have six (6) months experience so I will view your performance with this in mind. By this I expect you to use common sense and put an honest effort forth to show a marked improvement.                 
         [...]                 

     Il appert d'une note de service datée du 24 juillet 1991 et d'une fiche de service datée du 30 juillet 1991 que les autorités de la GRC envisageaient le renvoi du requérant pour motif d'inaptitude ou, alternativement, pour des raisons médicales, depuis la fin juillet 1991. De plus, une fiche de service datée du 14 juin 1991 et rédigée par M.Yvan Bouchard, le psychologue pour les divisions "K" et "G", contient les commentaires suivants concernant le requérant :

     -      member seen at office today           
     -      Brief interview with member           
     -      Speech somewhat slow english or french but otherwise no significant problems observed           
     -      He is very determined to improve his performance over the next few months           
     -      RFT extended to October           
     -      No depression evident           
     -      Neuropsychological assessment would likely find some minor dysfunctions - (non correctable) variety therefore discharge proceeding should be based on performance shortcomings & irregular appointment clause.           

     Le 26 novembre 1991, le Dr. Tworek a adressé une note de service à l'officier responsable de l'Administration et du personnel de la division "K", l'inspecteur S.A. Duncan, mentionnant avoir reçu de l'information médicale additionnelle indiquant qu'il y avait eu un déclin dans les capacités du requérant au cours des quatres dernières années, présumément dû au traumatisme crânien dont le requérant a été victime en 1986. Le Dr. Tworek écrivait : "It is apparent that Cst. Girardeau is not capable of satisfactorily performing the duties of an RCMP Constable".

     Vers le 3 décembre 1991, le requérant fut avisé verbalement par ses supérieurs qu'il ferait l'objet d'une recommandation de renvoi de la GRC. Le 6 décembre 1991, il a présenté un "grief" sur la formule 3081 à l'encontre de l'avis verbal du 3 décembre 1991. Il était en congé de maladie dû au stress pour la période du 6 décembre 1991 au 28 janvier 1992. À compter du 11 décembre 1991, un document indiquant que le requérant avait un profil médical restreint a circulé parmi les officiers responsables du personnel de la GRC. Il semble que les autorités de la GRC voulaient lui trouver, au sein de celle-ci, un poste approprié pour une personne ayant son profil médical.

     Le 28 janvier 1992, le Dr. Tworek certifiait que le requérant "is able to return to full duty". Le 30 janvier 1992, le psychologue Richard Winnick, qui avait examiné le requérant, a précisé ce qui suit :

         Cst. Girardeau was seen by me on January 28, 1992 and was found fit for duty. It should be noted that this pertains to his emotional state and not an evaluation of his abilities. His ability to successfully complete necessary tasks should be evaluated specifically while "on the job".                 

     Le 4 février 1992, l'officier compétent signifiait au requérant, aux termes de l'article 45.19 de la Loi2, un "Avis d'intention de renvoi" pour "motif d'inaptitude", tel que prévu par l'article 45.183. Aux termes de cet avis, le requérant avait 14 jours suivant la signification de celui-ci pour faire ses observations écrites à l'officier compétent, conformément au paragraphe 45.19(6) de la Loi4. Le 10 février 1992, l'officier responsable de l'Administration et du Personnel a répondu au "grief" plus tôt déposé par le requérant le 6 décembre 1991. L'officier responsable lui a indiqué qu'il ne considérait pas cette formule 3081 comme étant un "grief", puisque les dispositions de la Partie V de la Loi précisent les recours des membres renvoyés par mesure administrative. La requête du requérant datée du 6 décembre 1991 était alors jugée prématurée.

     Le 12 février 1992, le requérant a adressé une Fiche de service A-5 à l'officier responsable de l'Administration et du personnel, Sdt. M.K.M. Clegg, par laquelle il a demandé l'aide du représentant divisionnaire Gaëtan Delisle, s.é-m, le RDRF de la division "C", pour préparer sa défense. Il a aussi demandé que tous les documents appuyant les motifs de son renvoi soient traduits en français, que toutes les communications à son égard soient également en français, et qu'on lui accorde une prolongation de délai pour préparer sa défense.

     Par une note de service datée du 18 février 1992 (24 février 1992 pour la version française), l'officier responsable de l'Administration et du personnel de la division "K", M.K.M. Clegg, informe le requérant que sa demande de prolongation est acceptée, et qu'il "tente actuellement d'obtenir des instructions quant à votre demande d'être représenté par le s.é.-m Delisle et de faire traduire en français tous les documents pertinents".

     Par une note de service datée du 3 mars 1992 (12 mars 1992 pour la version française), M.K.M. Clegg a rejeté la demande du requérant pour recevoir l'aide du s.é.-m Delisle, en invoquant la politique en vigueur. La demande que tous les documents pertinents à son renvoi soient traduits en français a également été rejetée.

     Le 17 mars 1992, le requérant a présenté une nouvelle formule 3081 par laquelle il conteste le refus (daté du 10 février 1992) de l'officier responsable de traiter son grief présenté le 6 décembre 1991.



     Le 27 mars 1992, l'officier responsable de l'Administration et du personnel a accordé au requérant une prolongation de délai pour lui permettre de trouver un membre de la GRC qualifié pour l'aider dans ses démarches concernant son renvoi.

     Par une note de service datée du 30 avril 1992 (11 mai 1992 pour la version française), l'Inspecteur S.A. Duncan a rejeté le "grief" du requérant daté du 10 février 1992, et souligne que sa décision du 10 février demeure inchangée. Il a écrit ce qui suit :

         [...]                 
         2. Le paragraphe 31(1) de la Loi sur La G.R.C. est tout à fait clair et explicite. Comme la Loi vous offre un recours en vertu de la Partie V, vous n'avez pas le droit de présenter un grief à ce moment-ci, ce qui veut dire que vos formules 3081 datées du 6 décembre 1991 et du 17 mars 1992 ne sont pas des griefs et ne peuvent être traitées comme tels.                 
         [...]                 
         (soulignement dans l'original)                 

     Le 10 juin 1992, le Constable Girardeau "conteste de nouveau par voie de grief le refus de l'agent AP de se raviser". Par une note de service datée du 6 juillet 1992, l'officier responsable par intérim de l'Administration et du personnel, l'Inspecteur S.A. Duncan, a répondu au "grief" daté du 10 juin 1992. Il explique encore un fois au requérant la procédure de recours (il doit se conformer à la partie V, mais peut présenter un grief s'il est renvoyé), et l'informe également que les documents relatifs à son renvoi lui seront transmis et qu'il aura 14 jours après la réception de cette information pour présenter ses arguments à l'encontre de son congédiement. Le 8 juillet 1992, le requérant a présenté une autre formule 3081, par laquelle il conteste l'imposition d'un délai de 14 jours pour la soumission de ses arguments. Le 14 juillet 1992, le commandant de la division "K", W.L. Holmes, refuse d'accorder la prorogation de délai demandée.



     Le 15 juillet 1992, le requérant est informé par l'officier compétent que la décision a été prise de le congédier, conformément au paragraphe 45.19(9) de la Loi5.

     Le 17 juillet 1992, le requérant a déposé encore une fois un "grief" sur la formule 3081, contestant la décision de l'Inspecteur Duncan de lui refuser une prorogation du délai de 14 jours. Par note de service datée du 24 juillet 1992, le commandant de la division "K" a informé le requérant que sa demande "ne répond pas aux critères du paragraphe 31(1) de la Loi6 et ne peut être traitée comme un grief." Il a donc ordonné qu'aucune autre mesure ne soit prise en rapport avec cette demande du 17 juillet 1992.

     Le 31 juillet 1992, le requérant a déposé un grief conformément à l'article 31.1 de la Loi,7 contestant la décision datée du 15 juillet 1992 de le congédier. Il demande qu'on lui fournisse tous les documents sur lesquels le commandant de la division "K" s'est basé pour rendre sa décision, et aussi qu'on lui donne un délai de 30 jours après réception de cette documentation pour soumettre les raisons à l'appui de son grief. Il semble que cette prorogation lui ait été accordée. Le 27 août 1992, il a déposé une autre formule de grief, avec une longue correspondance expliquant en détail le fondement de son grief. Il soumet que le grief devrait être référé au Comité externe d'examen, considérant son congédiement plutôt basé sur des raisons médicales.

     Le 24 novembre 1992, le requérant a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne ("Ccdp"), dans lequel il allègue que depuis janvier 1991, il a été victime de discrimination fondée sur la déficience mentale, au sein de la GRC, à Fort Saskatchewan. Le 20 décembre 1995, la Ccdp a rejeté cette plainte "because on the evidence the allegation of discrimination is unfounded". Le 26 mars 1992, le requérant a porté plainte auprès du Commissaire aux langues Officielles. Cette dernière plainte a aussi été rejetée en septembre 1995, les enquêteurs ayant écrit ce qui suit :

         ... nous ne sommes pas en mesure de conclure qu'il y ait matière à appuyer la présomption de harcèlement à caractère linguistique. Les efforts que la GRC a déployés pour s'adapter au manque de compétence du plaignant en anglais ... laissent entendre le contraire.                 


     Le Comité consultatif sur les griefs (CCG) s'est réuni le 31 mai 1994 et le 1 juin 1994, à Edmonton, pour considérer le grief formulé par le requérant le 31 juillet 1992 et complété le 27 août 1992. Par une note de service au Commandant de la Division "K", datée du 7 juillet 1994, le CCG a faite la recommandation suivante:

         Après avoir pris en considération tous les renseignements pertinents, le CCG a déterminé que les politiques et les procédures de la GRC avaient été suivies et que le gend. GIRARDEAU avait été traité équitablement.                 
         Il recommande donc à l'unanimité le rejet du grief.      

     Le 27 février 1995, le Commandant de la Division "A", J.W. Bryan McConnell, en tant qu'arbitre au niveau I, a rendu sa décision rejetant le grief du requérant. Le 18 août 1995, le Commissaire-adjoint Curt G. Allen, agissant en tant qu'arbitre au niveau II, a également rejeté le grief qui lui avait été présenté aux termes de l'alinéa 31(2)b) de la Loi8 d'où la présente demande de contrôle judiciaire.

     Il importe de reproduire l'extrait suivant de cette dernière décision :

         [...]      
         DÉCISION RENDUE AU NIVEAU II           
         Je tiens à préciser d'emblée que je dois rejeter cette demande. Si le renvoi du plaignant se fondait sur un handicap physique ou mental, c'est-à-dire sur des raison médicales, son grief pourrait être renvoyé au Comité externe d'examen, conformément à l'alinéa 36(e) du Règlement de la GRC. Or, tel n'est pas le cas. Bien qu'on ait envisagé de renvoyer le plaignant pour des raisons médicales à un certain moment, on a plutôt décidé de procéder de le congédier pour cause d'inaptitude, étant donné son rendement insatisfaisant en tant que stagiaire, comme l'indique clairement l'avis d'intention de renvoi. Je suis conscient que le plaignant a été mal renseigné à ce sujet, mais je ne me sens absolument pas lié par ce malentendu.                 
         Je tiens aussi à signaler mon accord avec l'essentiel des conclusions du Comité consultatif sur les griefs et de l'arbitre de niveau I.                 
         Pour avoir examiné la chronologie des événements survenus depuis l'embauche du plaignant, je suis convaincu que celui-ci a été traité équitablement et conformément aux politiques et aux procédures de la Gendarmerie. Entre autres, j'ai remarqué que sa formation pratique avait été prolongée deux fois, démarche qui prouve à quel point la Gendarmerie a été patiente et équitable envers lui, et ce malgré des faiblesses perçues et notées. Le plaignant laisse entendre que ces faiblesses sont attribuables en partie à son affectation à un détachement unilingue anglais (Fort Saskatchewan), et pourtant, il a déjà dit lui-même que, même si sa formation pratique de six mois à la Division Dépôt s'était déroulée entièrement en français, il ne s'offusquait pas de cette affectation, à Fort Saskatchewan. De plus, comme toutes les inscriptions aux dossiers du plaignant sont en anglais, y compris celles qu'il a faites lui-même, je trouve justifié de refuser de les faire traduire.                 
         D'après moi, le plaignant n'a pas été privé d'une pleine et entière défense dans sa langue maternelle. La Gendarmerie était en droit de lui refuser l'aide d'un RDRF de la Division C, conformément à la politique interdisant aux RDRF de venir en aide aux membres d'une division autre que la leur. Cependant, on a offert au plaignant de proposer quatre membres de n'importe qu'elle division afin qu'on en choisisse un pour l'aider. Je rejette son argument voulant qu'il ait été incapable de se prévaloir de cette offre parce qu'il ne connaissait aucun membre capable de l'aider.                 
         Enfin, je ne suis pas convaincu que l'absence de commentaires négatifs de la part de son superviseur à Edmonton vaille grand-chose. Pendant son séjour là-bas, le gend. Girardeau n'exerçait pas toutes les fonctions policières qu'on était en droit d'attendre de lui à la fin de sa période probatoire. S'il considère cette situation comme faisant partie du complot dont il s'estime la victime, je dois affirmer, à l'instar de l'arbitre de niveau I, que rien n'indique l'existence d'un tel complot.                 
         Comme le plaignant n'a pas réfuté les allégations de rendement insatisfaisant contenues dans l'avis d'intention de renvoi, je dois conclure à leur justesse, puisque je n'ai devant moi aucun argument ni aucune preuve du contraire. Sur ce point, je suis d'accord avec l'arbitre du niveau I.                 
         Dans sa présentation au niveau II, le plaignant n'expose aucune raison pour laquelle je devrais annuler la décision rendue au niveau I. Il demande simplement le renvoi de son grief au Comité externe d'examen. Comme je l'ai déjà expliqué, ce grief ne peut être confié au Comité externe d'examen.                 
         Pour toutes ces raisons, je rejette le grief.                 
         [...]           

LE LITIGE

     Considérant avoir été victime "d'un renvoi médical déguisé effectué de mauvaise foi", ayant eu pour effet de lui enlever "le recours utile", le requérant plaide violation du devoir d'agir équitablement, excès de juridiction et erreurs de droit et de faits de la part du décideur.



ANALYSE

     Le requérant ne m'a pas convaincu que la décision du Commissaire-adjoint de la GRC, Curt G. Allen, est entaché d'une erreur pouvant justifier l'intervention de cette Cour.

     Je ne vois rien de répréhensible, dans les circonstances, dans les agissements des responsables de la GRC qui, insatisfaits du rendement au travail du requérant et en même temps au courant de ses problèmes de santé, ont, après lui avoir donné une seconde chance de se faire valoir, simplement cherché à savoir si la véritable cause de son rendement inadéquat était son état de santé ou bien son inaptitude. Il n'est pas anormal que face au rendement insatisfaisant du requérant, rendement qui, comme tel, n'a jamais été contesté, on ait envisagé son congédiement à la fin de juillet 1991 et qu'on l'ait avisé verbalement, au début de décembre 1991, qu'il ferait l'objet d'une recommandation de renvoi de la GRC. Rien n'obligeait les autorités de la GRC de décider dès lors, pendant que les consultations médicales se poursuivaient, si le renvoi allait être basé sur des raisons médicales ou sur l'inaptitude du requérant. Ce n'est qu'une fois l'opinion définitive du médecin-chef, le Dr. Tworek, connue, et dans le plein respect de cette opinion, que le 4 février 1992, on enclencha le processus formel de renvoi pour inaptitude, soit celui prévu particulièrement à la Partie V de la Loi, par opposition à celui prévu aux articles 19 et suivants du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada9 (le "Règlement") (concernant le renvoi par mesure administrative pour, notamment, le motif d'incapacité physique ou mental). Il est par ailleurs important de noter que le processus de renvoi, dans un cas comme dans l'autre, s'il est mené à terme, ne peut qu'aboutir soit à une décision de renvoi du membre en cause, soit à une ordonnance que ce dernier continue à faire partie de la GRC ou demeure à son service. Cela appert du paragraphe 45.19(9) de la Loi10 et du paragraphe 20(9) du Règlement11. De plus, rien ne semble empêcher la GRC de mettre en branle le processus de renvoi d'un de ses membres pour inaptitude, si elle a échoué dans sa tentative de le faire renvoyer pour raison médicale. En l'espèce, les actions de la GRC avaient justement l'effet de minimiser la possibilité de semblables tentatives de renvoi successives. Dans tout ce contexte, je suis loin d'être convaincu de la mauvaise foi, alléguée à l'audition, du médecin-chef le Dr. E. J. Tworek, du constable W. D. Sparks, du sergent Spriggs ou de quelqu'autre membre ou officier de la GRC.

     Quant à la procédure prescrite prévue à la Partie V de la Loi, elle a été parfaitement suivie et appliquée. Le requérant s'est vu signifié l'avis d'intention prévu au paragraphe 45.19(1) de la Loi12. Cet avis décrit en détail les incidents sur lesquels la GRC s'est basée pour juger son rendement inadéquat et insatisfaisant. Conformément au paragraphe 45.19(6)13, le requérant s'est vu accorder 14 jours pour faire des observations écrites. De fait, ce délai a été extensionné à plusieurs reprises. Le requérant n'a jamais contesté le fait que son rendement n'était pas satisfaisant. La demande du requérant relative à la traduction en français des documents pertinents à son renvoi a été suffisamment rencontrée; les seuls documents qui n'ont pas été traduits sont ceux formant partie du dossier opérationnel où les entrées originales, incluant celles du requérant, ont été faites en anglais; je suis d'accord avec les arbitres aux niveaux I et II qu'il n'aurait pas été approprié de traduire ces derniers documents. Par ailleurs, bien que la demande du requérant d'être représenté par Gaëtan Delisle, s.é-m, ait été refusée en raison de la politique en vigueur, je suis d'avis que les autorités de la GRC ont fait des efforts sincères pour lui permettre d'être représenté par un de ses membres francophones; on a offert au requérant les services du Caporal Magotiaux ou, s'il le préferait, ceux de n'importe quel membre francophone de la GRC oeuvrant au Canada, à l'exception d'un représentant divisionnaire; le requérant n'a jamais répondu à cette offre.

     Suite à la décision du Commandant de la division K, le 15 juillet 1992, de renvoyer le requérant pour motif d'inaptitude aux termes du paragraphe 45.19(9) de la Loi14, le grief du requérant, présenté en vertu de l'article 31 de la Loi15, a franchi les étapes du Comité consultatif des griefs et de l'arbitre de niveau I pour être finalement rejeté par le Commissaire-adjoint de la GRC, Curt G. Allen, agissant comme arbitre au niveau II, le tout de la façon prescrite. À l'égard de la procédure du grief, d'ailleurs, le requérant ne soulève aucune anomalie.

     Devant tous ces faits, je suis d'avis que le requérant a bénéficié d'une équité procédurale plus que satisfaisante, que la décision a quo a été rendue de bonne foi, sous l'autorité et dans le plein respect de la Loi, et que, compte tenu de la preuve disponible, il n'était pas déraisonnable pour le Commissaire-adjoint Allen de conclure comme il l'a fait.

     En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

OTTAWA (Ontario)

Ce 12e jour de février 1997

                                

                                         JUGE


__________________

1      L.R. (1985), ch. R-10          25(1) Est constitué le Comité externe d'examen de la Gendarmerie royale du Canada, composé d'au plus cinq membres, dont le président et un vice-président, nommés par décret du gouverneur en conseil.
         (2) Le président est membre à plein temps du Comité. Les autres membres peuvent être nommés à temps plein ou à temps partiel.
         (3) Les membres du Comité sont nommés, à titre inamovible, pour un mandat de cinq ans au maximum, sous réserve de révocation par décret du gouverneur en conseil pour motif valable.
         (4) Les membres du Comité peuvent recevoir un nouveau mandat.
         (5) Un membre de la Gendarmerie ne peut faire partie du Comité.
         (6) Les membres à plein temps du Comité reçoivent, pour leur participation aux travaux du Comité, le traitement approuvé par décret du gouverneur en conseil.
         (7) Les membres à temps partiel du Comité reçoivent, pour leur participation aux travaux du Comité, les honoraires approuvés par décret du gouverneur en conseil.
         (8) Les membre du Comité ont droit aux frais de déplacement et de séjour entrainés par l'accomplissement, hors de leur lieu ordinaire de résidence, de leurs fonctions au sein du Comité.
         (9) Les membres à plein temps du Comité sont réputés faire partie de la fonction publique pour l'application de la Loi sur la pension de la fonction publique et de l'administration publique fédérale pour l'application de la Loi sur l'indemnisation des agents de l'État et des règlements pris en vertu de l'article 9 de la Loi sur l'aéronautique.

2      L'article 45.19 se lit comme suit :
         (1) Un officier ne peut faire l'objet d'une recommandation de renvoi ou de rétrogradation et un autre membre ne peut être renvoyé ni rétrogradé, en verdu de la présente partie, avant que l'officier compétent ne lui ait signifié, par écrit, un avis d'intention à cet effet.
         (2) L'avis d'intention visé au paragraph (1) contient les éléments suivants:          a) un exposé détaillé des actes ou des omissions constituant le motif d'inaptitude devant servir de fondement à la sanction projetée;          b) si l'officier ou l'autre membre n'est pas un membre stagiaire, la mention de son droit de demander, dans les quatorze jours suivant la signification de l'avis, la révision de sa cause par une commission de licenciement et de rétrogradation;          c) si l'officier ou l'autre membre est un stagiaire, la mention de son droit de faire, dans les quinze jours suivants la signification de l'avis, des observations écrites à l'officier compétent.
         (3) L'officier ou l'autre membre à qui est signifié l'avis visé au paragraphe (1) doit avoir toute latitude pour examiner la documentation ou les pièces présentées à l'appui de la sanction projetée.               (4) L'officier ou l'autre membre, autre qu'un membre stagiaire, à qui est signifié l'avis visé au paragraph (1) peut, dans les quatorze jours suivant la signification de cet avis, demander par écrit à l'officier compétent la révision de sa cause par une commission de licenciement et de rétrogradation.
         (5) Dès qu'il reçoit la demande visée au paragraphe (4), l'officier compétent la transmet à l'officier désigné par le commissaire pour l'application du présent article.
         (6) Le membre stagiaire à qui est signifié l'avis visé au paragraphe (1) peut, dans les quatorze jours suivant la signification de cet avis, faire des observations écrites à l'officier compétent.
         (7) Lorsque l'officier ou l'autre membre, à l'exception d'un membre stagiaire, à qui est signifié l'avis visé au paragraphe (1) ne demande pas la révision de sa cause par une commission de licenciement et de rétrogradation dans le délai prévu, l'officier compétent lui signifie un avis écrit de la décision recommandant ou imposant la sanction visée à ce paragraphe.
          (8) Lorsque le membre stagiaire à qui est signifié l'avis visé au paragraph (1) ne fait pas d'observations écrites à l'officier compétent dans le délai prévu, l'officier compétent lui signifie un avis écrit de la décision recommandant ou imposant la sanction prévue à ce paragraphe.
         (9) Dès qu'il reçoit les observations écrites prévues au paragraphe (6), l'officier compétent étudie celles-ci et, selon le cas :
         a) ordonne que le membre stagiaire continue à faire partie de la Gendarmerie;          b) signifie par écrit au membre stagiaire la décision de recommander son renvoi, s'il est officier, ou, s'il ne l'est pas, de le renvoyer.
         (10) Un membre qui n'est pas officier et à qui est signifié un avis en vertu des paragraphes (7), (8) ou (9) est, selon le cas, soit renvoyé à la date prévue à l'avis, soit rétrogradé
         (11) Au présent article, "membre stagiaire" s'entend d'un membre qui compte moins de deux ans de service au sein de la Gendarmerie.

3      L'article 45.18 se lit comme suit :
         (1) Le renvoi ou la rétrogradation d'un officier peut être recommandé, ou tout autre membre peut être renvoyé ou rétrogradé, pour le motif, appelé dans la présente partie "motif d'inaptitude", qu'il a omis, à plusieurs reprises, d'exercer de façon satisfaisante les fonctions que lui impose la présente loi, en dépit de l'aide, des conseils et de la surveillance qui lui ont été prodigués pour l'aider à s'amender.
         (2) Un officier ou un autre membre ne peut faire l'objet, selon le cas, d'une recommandation de rétrogradation de plus d'un grade ou d'une rétrogradation de plus d'un grade ou de plus d'un échelon en vertu de la présente partie.
         (3) Un inspecteur ne peut faire l'objet d'une recommandation de rétrogradation, ni un gendarme être rétrogradé, en vertu de la présente partie.

4      Le paragraphe 45.19(6) de la Loi se lit comme suit :
         (6) Le membre stagiaire à qui est signifié l'avis visé au paragraphe (1) peut, dans les quatorze jours suivant la signification de cet avis, faire des observations écrites à l'officier compétent.

5      L'article 45.19(9) de la Loi se lit comme suit :
         (9) Dès qu'il reçoit les observations écrites prévues au paragraphe (6), l'officier compétent étudie celles-ci et, selon le cas :
         a) ordonne que le membre stagiaire continue à faire partie de la Gendarmerie;          b) signifie par écrit au membre stagiaire la décision de recommander son renvoi, s'il est officier, ou, s'il ne l'est pas, de le renvoyer.

6      L'article 31(1) se lit comme suit :
         (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), un membre à qui une décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice peut présenter son grief par écrit à chacun des niveaux que prévoit la procédure applicable aux griefs prévue à la présente partie dans le cas où la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ne prévoient aucune autre procédure pour corriger ce préjudice.
         (2) Un grief visé à la présente partie doit être présenté :
         a) au premier niveau de la procédure applicable aux griefs, dans les trente jours suivant celui où le membre qui a subi un préjudice a connu ou aurait normalement dû connaître la décision, l'acte ou l'omission donnant lieu au grief;
         b) à tous les autres niveaux de la procédure applicable aux griefs, dans les quatorze jours suivant la signification au membre de la décision relative au grief rendue par le niveau inférieur immédiat.
         (3) Ne peut faire l'objet d'un grief en vertu de la présente partie une nomination faite par le commissaire à un poste visé au paragraphe (7).
     [...]
         (7) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, déterminer, pour l'applicatoin du paragraph (3), les postes dont le titulaire relève du commissaire, directement ou par l'intermédiaire d'une autre personne.

7      Ibid.

8      Supra, note 6.

9      DORS/88-360.

10      Supra, note 5.

11      20(9) L'officier compétent, après examen des conclusions et des recommandations du conseil de renvoi par mesure administrative ou du conseil médical :
         a) soit renvoi le membre ou recommande le renvoi de l'officier;          b) soit ordonne que le membre ou l'officier demeure au service de la Gendarmerie.

12      L'article 45.19(1) se lit comme suit :
         (1) Un officier ne peut faire l'objet d'une recommandation de renvoi ou de rétrogradation et un autre membre ne peut être renvoyé ni rétrogradé, en vertu de la présente partie, avant que l'officier compétent ne lui ait signifié, par écrit, un avis d'intention à cet effet.

13      Supra, note 4.

14      Supra, note 5.

15      L'article 31 se lit comme suit :
         (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), un membre à qui une décision, un acte ou une omission liés à la gestion des affaires de la Gendarmerie causent un préjudice peut présenter son grief par écrit à chacun des niveaux que prévoit la procédure applicable aux griefs prévue à la présente partie dans le cas où la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire ne prévoient aucune autre procédure pour corriger ce préjudice.
         (2) Un grief visé à la présente partie doit être présenté :
         a) au premier niveau de la procédure applicable aux griefs, dans les trente jours suivant celui où le membre qui a subi un préjudice a connu ou aurait normalement dû connaître la décision, l'acte ou l'omission donnant lieu au grief;
         b) à tous les autres niveaux de la procédure applicable aux griefs, dans les quatorze jours suivant la signification au membre de la décision relative au grief rendue par le niveau inférieur immédiat.
         (3) Ne peut faire l'objet d'un grief en vertu de la présente partie une nomination faite par le commissaire à un poste visé au paragraphe (7).
         (4) Sous réserve des restrictions prescrites conformément à l'alinéa 46(b), le membre qui présente un grief peut consulter la documentation pertinente placée sous la responsabilité de la Gendarmerie et dont il a besoin pour bien présenter son grief.
         (5) Le fait qu'un membre présente un grief en vertu de la présente partie ne doit entraîner aucune peine disciplinaire ni aucune autre sanction relativement à son emploi ou à la durée de son emploi dans la Gendarmerie.
         (6) Le membre qui constitue un niveau de la procédure applicable aux griefs rend une décision écrite et motivée dans les meilleurs délais possible après la présentation et l'étude du grief, et en signifie copie au membre intéressé, ainsi qu'au président du Comité en cas de renvoi devant le Comité en vertu de l'article 33.              (7) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, déterminer, pour l'application du paragraph (3), les postes dont le titulaire relève du commissaire, directement ou par l'intermédiaire d'une autre personne.


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-2016-95

INTITULE : PATRICK GIRARDEAU - et - LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTREAL (QUEBEC)

DATE DE L'AUDIENCE : 21 JANVIER 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PINARD EN DATE DU 12 FEVRIER 1997

COMPARUTIONS

ME JAMES R.K. DUGGAN POUR LE REQUERANT

ME RAYMOND PICHE POUR L'INTIMEE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

JAMES R. K. DUGGAN POUR LE REQUERANT MONTREAL (QUEBEC)

GEORGE THOMSON POUR L'INTIMEE SOUS-PROCUREUR GENERAL DU CANADA

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.