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                                                                                                                                  Date : 20051122

                                                                                                                             Dossier : T-1253-02

                                                                                                                   Référence : 2005 CF 1563

ENTRE :

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                     (Ministre du Revenu national)

                                              ayant un bureau au 284, rue Wellington

                                                         Tour St-Andrew, 6e étage

                                                                Ottawa (Ontario)

                                                                      K1A 0H8

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                          - et -

                                          CAISSE POPULAIRE DU BON CONSEIL

                                             Coopérative dûment constituée en vertu

                                        de la Loi sur les caisses d'épargne et de crédit

                                                          ayant son siège social au

                                                             330 rue Notre Dame

                                               Notre Dame du bon Conseil (Québec)

                                                                       J0C 1A0

                                                                                                                                     Défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

Introduction


[1]         Par sa requête, la défenderesse en appelle du jugement de Me Mireille Tabib, protonotaire, en date du 20 mai 2005, la condamnant, sur la base des paragraphes 227(4.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supplément), telle que modifiée (la LIR), et 86(2.1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. (1996), ch. 23, telle que modifiée (la LAE), à payer à la demanderesse la somme de 26 863,53 $ avec les intérêts prévus aux paragraphes 36(2) et 37(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, telle que modifiée (la LCF), au taux prescrit en vertu de la LIR, et capitalisés quotidiennement à compter du 26 février 2001, jusqu'à parfait paiement, le tout avec dépens.

Les faits

[2]         Les faits dans le présent dossier ne sont pas contestés et se résument ainsi :

a)         Le 25 septembre 2000, en contrepartie d'une marge de crédit de l'ordre de 277 000,00 $, les Entreprises Camvrac inc. (ci-après, la « débitrice » ) déposait auprès de la défenderesse, Caisse populaire du Bon Conseil, la somme de 200 000,00 $ qui allait être détenue par cette dernière sous la forme d'un certificat de dépôt à terme avec échéance le 16 octobre 2005. En regard de ce certificat de dépôt à terme, la défenderesse et la débitrice signaient un contrat de garantie dont les termes les plus pertinents se lisent comme suit :

1.            DROIT DE RÉTENTION ET DE COMPENSATION

Pour garantir le remboursement, en capital, intérêts, frais et accessoires, de toutes sommes dues ou pouvant être dues à la caisse par le déposant en vertu d'un contrat de ouverture de crédit de 277 000,00 $ qui lui a été consenti le 2000-09-18; et en vertu de toutes dettes ou obligations présentes ou futures, directes ou indirectes du déposant, le déposant s'engage à maintenir et consent à ce que la caisse retienne, dans le ou les comptes ou sur le ou les certificats de dépôt mentionnés ci-après, la somme de 200 000,00 $ se répartissant comme suit :

[. . .]

7.             DÉFAUT

Le déposant sera en défaut dans les cas suivants :

a)             si l'une ou l'autre des obligations prévues au(x) contrat(s) de crédit ou aux présentes n'est pas respectée;

b)             si le déposant ou l'emprunteur deviennent insolvable ou en faillite ou s'ils font une proposition concordataire et que celle-ci est rejetée ou annulée;

[. . .]

En cas de défaut :

a)             toutes les sommes dues en vertu des contrats de crédit deviendront immédiatement exigibles;

b)              il y aura compensation entre le ou les contrats de crédits et le certificat de dépôt ou sommes d'argent indiqués ci-dessus, que ceux-ci soient échus ou non;

[. . .]


Les conséquences d'un défaut sont au bénéfice exclusif de la caisse et celle-ci peut y renoncer expressément. Elle peut notamment, sans préjudice de ses droits, attendre l'échéance du ou des certificats de dépôt avant d'exercer les droits prévus aux paragraphes b) et c) ci-dessus.

b)          De mai à octobre 2000, la débitrice faisait défaut de remettre à Sa Majesté des déductions à la source aux termes de la LIR et de la LAE totalisant 5 558,72 $.

c)          Le 25 novembre 2000, la débitrice faisait défaut de payer la portion intérêts de sa dette envers la défenderesse.

d)         De décembre 2000 à janvier 2001, le total des déductions effectuées mais non remises augmentait de 18 051,71 $, portant le total des déductions dues à Sa Majesté à 26 863,53 $.

e)         Le 7 février 2001, la débitrice faisait cession de ses biens.

f)          Le 21 février 2001, la défenderesse notait la compensation entre le produit du certificat de dépôt, de 200 000,00 $ et la somme de 277 000,00 $ que lui devait la débitrice.

g)         Le 12 juin 2001, Sa Majesté mettait la défenderesse en demeure de lui verser les sommes dues par la débitrice à titre de produit des biens couverts par la fiducie réputée.

Analyse

[3]         Les dispositions pertinentes contenues aux paragraphes 86(2) et (2.1) de la LAE étant similaires à celles contenues aux paragraphes 227(4) et (4.1) de la LIR, il suffira de reproduire ici seulement celles de la LIR :



   227. (4) Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l'absence de la garantie, seraient ceux de la personne, et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi.

   (4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d'une valeur égale à ce montant sont réputés:

a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;

b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie.

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie.

   227. (4) Every person who deducts or withholds an amount under this Act is deemed, notwithstanding any security interest (as defined in subsection 224(1.3)) in the amount so deducted or withheld, to hold the amount separate and apart from the property of the person and from property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3)) of that person that but for the security interest would be property of the person, in trust for Her Majesty and for payment to Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act.

   (4.1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Bankruptcy and Insolvency Act (except sections 81.1 and 81.2 of that Act), any other enactment of Canada, any enactment of a province or any other law, where at any time an amount deemed by subsection (4) to be held by a person in trust for Her Majesty is not paid to Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act, property of the person and property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3)) of that person that but for a security interest (as defined in subsection 224(1.3)) would be property of the person, equal in value to the amount so deemed to be held in trust is deemed

(a) to be held, from the time the amount was deducted or withheld by the person, separate and apart from the property of the person, in trust for Her Majesty whether or not the property is subject to such a security interest, and

(b) to form no part of the estate or property of the person from the time the amount was so deducted or withheld, whether or not the property has in fact been kept separate and apart from the estate or property of the person and whether or not the property is subject to such a security interest

and is property beneficially owned by Her Majesty notwithstanding any security interest in such property and in the proceeds thereof, and the proceeds of such property shall be paid to the Receiver General in priority to all such security interests.


[4]         Quant au paragraphe 224(1.3) de la LIR, il se lit comme suit :


   224. (1.3) « garantie » Droit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement. Sont en particulier des garanties les droits nés ou découlant de débentures, hypothèques, privilèges, nantissements, sûretés, fiducies réputées ou réelles, cessions et charges, quelle qu'en soit la nature, de quelque façon ou à quelque date qu'elles soient créées, réputées exister ou prévues par ailleurs.


   224. (1.3) "security interest" means any interest in property that secures payment or performance of an obligation and includes an interest created by or arising out of a debenture, mortgage, hypothec, lien, pledge, charge, deemed or actual trust, assignment or encumbrance of any kind whatever, however or whenever arising, created, deemed to arise or otherwise provided for;


[5]         Sont aussi pertinentes les dispositions suivantes de la LCF :



   36. (2) Dans toute instance devant la Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale et dont le fait générateur n'est pas survenu dans une province ou dont les faits générateurs sont survenus dans plusieurs provinces, les intérêts avant jugement sont calculés au taux que la Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, estime raisonnable dans les circonstances et_:

a) s'il s'agit d'une créance d'une somme déterminée, depuis la ou les dates du ou des faits générateurs jusqu'à la date de l'ordonnance de paiement;

b) si la somme n'est pas déterminée, depuis la date à laquelle le créancier a avisé par écrit le débiteur de sa demande jusqu'à la date de l'ordonnance de paiement.

   37. (2) Dans le cas où le fait générateur n'est pas survenu dans une province ou dans celui où les faits générateurs sont survenus dans plusieurs provinces, le jugement porte intérêt, à compter de son prononcé, au taux que la Cour d'appel fédérale ou la Cour fédérale, selon le cas, estime raisonnable dans les circonstances.

   36. (2) A person who is entitled to an order for the payment of money in respect of a cause of action arising outside a province or in respect of causes of action arising in more than one province is entitled to claim and have included in the order an award of interest on the payment at any rate that the Federal Court of Appeal or the Federal Court considers reasonable in the circumstances, calculated

(a) where the order is made on a liquidated claim, from the date or dates the cause of action or causes of action arose to the date of the order; or

(b) where the order is made on an unliquidated claim, from the date the person entitled gave notice in writing of the claim to the person liable therefor to the date of the order.

   37. (2) A judgment of the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of a cause of action arising outside a province or in respect of causes of action arising in more than one province bears interest at the rate that court considers reasonable in the circumstances, calculated from the time of the giving of the judgment.


[6]         Les articles pertinents du Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, sont les suivants :


   Art. 1511. Le terme profite au débiteur, sauf s'il résulte de la loi, de la volonté des parties ou des circonstances qu'il a été stipulé en faveur du créancier ou des deux parties.

   La partie au bénéfice exclusif de qui le terme est stipulé peut y renoncer, sans le consentement de l'autre partie.

   Art. 1671. Outre les autres causes d'extinction prévues ailleurs dans ce code, tels le paiement, l'arrivée d'un terme extinctif, la novation ou la prescription, l'obligation est éteinte par la compensation, par la confusion, par la remise, par l'impossibilité de l'exécuter ou, encore, par la libération du débiteur.

   Art. 1672. Lorsque deux personnes se trouvent réciproquement débitrices et créancières l'une de l'autre, les dettes auxquelles elles sont tenues s'éteignent par compensation jusqu'à concurrence de la moindre.

   La compensation ne peut être invoquée contre l'État, mais celui-ci peut s'en prévaloir.

   Art. 1673. La compensation s'opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l'une et l'autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.

   Une partie peut demander la liquidation judiciaire d'une dette afin de l'opposer en compensation.


   Art. 1511. A term is for the benefit of the debtor, unless it is apparent from the law, the intent of the parties or the circumstances that it has been stipulated for the benefit of the creditor or both parties.

   The party for whose exclusive benefit a term has been stipulated may renounce it, without the consent of the other party.

   Art. 1671. Obligations are extinguished not only by the causes of extinction contemplated in other provisions of this Code, such as payment, the expiry of an extinctive term, novation or prescription, but also by compensation, confusion, release, impossibility of performance or discharge of the debtor.                      

   Art. 1672. Where two persons are reciprocally debtor and creditor of each other, the debts for which they are liable are extinguished by compensation, up to the amount of the lesser debt.

   Compensation may not be claimed from the State, but the State may claim it.

   Art. 1673. Compensation is effected by operation of law upon the coexistence of debts that are certain, liquid and exigible and the object of both of which is a sum of money or a certain quantity of fungible property identical in kind.

   A person may apply for judicial liquidation of a debt in order to set it up for compensation.


   Art. 1676. La compensation s'opère quelle que soit la cause de l'obligation d'où résulte la dette.

   Elle n'a pas lieu, cependant, si la créance résulte d'un acte fait dans l'intention de nuire ou si la dette a pour objet un bien insaisissable.

   Art. 1681. La compensation n'a pas lieu, et on ne peut non plus y renoncer, au préjudice des droits acquis à un tiers.


   Art. 1676. Compensation is effected regardless of the cause of the obligation that has given rise to the debt.

   Compensation does not take place, however, if the claim results from an act performed with intention to harm or if the object of the debt is property which is exempt from seizure.

   Art. 1681. Compensation may neither be effected nor be renounced to the prejudice of the acquired rights of a third person.


[7]         La défenderesse soumet essentiellement que la protonotaire a erré en droit en concluant que les sommes qu'elle avait reçues par suite de l'encaissement du certificat de dépôt, suite à l'opération de la compensation, constituaient un « produit découlant » au sens du paragraphe 227(4.1) de la LIR et qu'elle devait, par conséquent, les remettre par priorité au Receveur général du Canada. La défenderesse soumet que la protonotaire a aussi erré en concluant que la compensation avait eu lieu le 21 février 2001, date à laquelle la défenderesse a noté la compensation.

[8]         À mon sens, les arguments de la défenderesse ne peuvent être retenus face au libellé modifié du paragraphe 227(4.1) de la LIR et à l'application qu'en a faite la Cour suprême du Canada dans First Vancouver Finance c. M.R.N., [2002] 2 R.C.S. 720, (First Vancouver) et ensuite la Cour d'appel fédérale dans Canada (M.R.N.) c. Banque nationale et al., 2004 CAF 92, [2004] A.C.F. no 372 (QL), (Banque nationale) (permission d'en appeler à la Cour suprême du Canada refusée le 14 octobre 2004, CSC 30311).


[9]         D'abord, dans First Vancouver, la Cour suprême, aux pages 729 à 733, relie le mécanisme de la fiducie réputée consentie au ministre par la LIR à l'importance de la perception des retenues à la source; par la même occasion, la Cour suprême, pour justifier la priorité absolue de cette fiducie réputée, souligne la chance qu'ont les institutions financières de se familiariser avec les affaires et la situation financière d'un débiteur fiscal, et considère en outre les importantes modifications maintenant reflétées par le paragraphe 227(4.1) de la Loi, suite à l'arrêt Banque royale c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411 :

Les tribunaux ont reconnu que les retenues à la source sont « au coeur » de la procédure de perception de l'impôt sur le revenu au Canada : voir Pembina on the Red Development Corp. c. Triman Industries Ltd. (1991), 85 D.L.R. (4th) 29 (C.A. Man.), p. 51, le juge Lyon (dissident), cité favorablement par le juge Gonthier (dissident quant à une autre question) dans l'arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, par. 36. Étant donné l'importance de la perception des retenues à la source, la loi dote le ministre du mécanisme de la fiducie réputée pour lui permettre de recouvrer l'impôt que l'employeur déduit du salaire de l'employé, mais omet de lui verser.

Les tribunaux ont également signalé que, contrairement à la banque du débiteur fiscal, qui a la chance de se familiariser avec les affaires et la situation financière de ce dernier, le ministre ne connaît pas aussi bien le débiteur fiscal ni ses créanciers et ne peut organiser ses affaires en conséquence. À titre de « créancier involontaire » , le ministre doit donc s'en remettre aux moyens que lui donne la LIR de percevoir les retenues à la source : Pembina on the Red Development, précité, p. 33-34, le juge en chef Scott, approuvé par le juge Cory dans Alberta (Treasury Branches), précité, par. 16-18. C'est pourquoi la LIR accorde au ministre la priorité de rang sur les autres créanciers pour la perception des versements d'impôt et de taxes en souffrance.

[. . .]

Le législateur a donné suite à l'arrêt Sparrow Electric en modifiant les dispositions relatives à la fiducie réputée en 1998 (avec effet rétroactif en 1994) pour adopter leur libellé actuel. Plus particulièrement, les mots « malgré toute autre garantie [. . .] le concernant » ont été ajoutés au par. 227(4). De même, le par. 227(4.1) (l'ancien par. 227(5)) a accru la portée de la fiducie réputée de façon qu'elle englobe les « biens détenus par son créancier garanti [. . .] qui, en l'absence d'une garantie [. . .] seraient ceux de la personne » . Le paragraphe 227(4.1) a également été modifié par la suppression du renvoi aux événements déclencheurs (liquidation, faillite, etc.), le législateur établissant plutôt une présomption selon laquelle les biens du débiteur fiscal et de ses créanciers garantis sont détenus en fiducie « en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté » . Enfin, le par. 227(4.1) précise désormais que les biens sont réputés être détenus en fiducie « à compter du moment où le montant est déduit ou retenu » .

Ces modifications démontrent que le législateur a voulu que les par. 227(4) et (4.1) accordent la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque les biens sont par ailleurs grevés d'une garantie, que celle-ci ait pris effet avant ou après les retenues à la source ou l'application de la fiducie réputée. C'est ce qui ressort clairement de l'expression « malgré toute autre garantie » employée aux par. 227(4) et (4.1). En d'autres termes, vu la manière dont les dispositions relatives à la fiducie réputée avaient été interprétées dans l'affaire Sparrow Electric, le législateur les a modifiées de façon à accorder la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque le ministre et des créanciers garantis font valoir concurremment un droit sur les biens du débiteur fiscal.

[Non souligné dans l'original.]

[10]       Puis, dans Banque nationale, la Cour d'appel fédérale confirme ainsi la responsabilité personnelle du créancier garanti du débiteur fiscal, au paragraphe 40 :


Il me semble évident que le créancier garanti qui ne respecte pas son obligation statutaire de « payer » au Receveur général le produit d'un bien assujetti à la fiducie réputée en priorité sur sa garantie, engage sa responsabilité personnelle et devient de ce fait redevable du montant impayé. Le montant est « payable » à même le produit découlant du bien et comme nous l'avons vu, l'article 222 de la LIR prévoit que « tous [. . .] montants payables en vertu de la présente Loi sont des dettes envers Sa Majesté et recouvrables comme telles [. . .] » .

[11]       Il est donc clair, en l'espèce, qu'au moment de l'encaissement par la défenderesse du certificat de dépôt à terme, que ce soit en novembre 2000, comme elle le prétend, ou en février 2001, comme le prétend la demanderesse, le certificat de dépôt à terme était réputé détenu en fiducie au sens des paragraphes 227(4) de la LIR et 86(2) de la LAE, et que le produit découlant de ce certificat devait en priorité être payé par la défenderesse à la demanderesse.

[12]       Dans le présent contexte, je ne peux accepter l'argument de la défenderesse voulant que la compensation ne soit pas une garantie, mais bien un simple mode d'extinction de dette. En effet, le paragraphe 224(1.3) définit une « garantie » comme un « [d]roit sur un bien qui garantit l'exécution d'une obligation, notamment un paiement. . . . »

[13]       La compensation est de plus souvent considérée principalement une forme de garantie. Selon Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 5e édition, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1998, à la page 768 :

. . . En second lieu, la compensation sert également de garantie en permettant d'éviter les risques d'insolvabilité du débiteur. En effet, si la compensation n'était pas possible, le débiteur serait obligé de payer et, si son créancier qui lui doit également, est insolvable, il risquerait de ne pas percevoir sa propre créance. La compensation confère donc une certaine priorité à un créancier ordinaire, en ne l'obligeant pas au concours avec les autres créanciers. . . .


[14]       En l'occurrence, il n'y a aucun doute que la défenderesse détenait le certificat de dépôt à titre de garantie des sommes dues en vertu de la marge de crédit. Cela apparaît à la face même du « Contrat de mise en garantie d'épargne » signé par les parties. La compensation, en fait, constituait par elle-même un mécanisme de garantie.

[15]       Par ailleurs, il a récemment été décidé, dans l'affaire La Procureure générale du Canada c. Caisse populaire Desjardins de Lyster/Inverness/Val-Alain, 2005 CF 949 (avis d'appel déposé en Cour d'appel fédérale le 27 septembre 2005, A-426-05), que la fiducie présumée s'applique même hors d'un contexte de réalisation de garantie.

[16]       Quant à la signification des mots « produit découlant » contenus au paragraphe 227(4.1) de la LIR, même s'ils ne sont pas définis dans la législation, ils ont une portée non-limitative dans les dictionnaires d'usage commun et dans les cas où ils sont interprétés judiciairement.

[17]       Le Nouveau Petit Robert, Paris, 2002, définit le mot « produit » comme :

. . . Ce que rapporte une charge, une propriété foncière, un patrimoine ; profit, bénéfice qu'on retire d'une activité.

[18]       ITT Commercial Finance Ltd. v. Co-op Centre Credit Union (1988), 59 Alta.L.R. (2d) 39, le définit ainsi à la page 41 :

     We are all of the view that the learned trial judge was correct to find, in the circumstances of this case, that the word "proceeds" in the assignment agreement meant not just any cash paid by a buyer but also any other property of value that was handed by a retail buyer to the dealer to help pay for the sale of the new motor-homes. . . .


Ces définitions donnent aux mots « produit découlant » une portée non-limitative, et incluent toute contrepartie de valeur reçue en échange dans une transaction. Ce terme a une portée suffisamment large pour inclure tant le produit reçu par suite d'une compensation que le produit reçu en contexte de réalisation de garantie. À mon sens, cette interprétation respecte aussi en tout point les enseignements de la Cour suprême du Canada dans First Vancouver, supra, relativement à la priorité de rang accordée à la fiducie réputée.

[19]       La défenderesse soumet enfin que la compensation a pris effet le 25 novembre 2000, lorsque le débiteur fiscal est devenu en défaut vis-à-vis d'elle, et non le 21 février 2001, date à laquelle il appert que la défenderesse a en quelque sorte encaissé le certificat de dépôt à terme. La défenderesse invoque l'article 1673 du Code civil du Québec qui indique que la compensation légale s'opère automatiquement, de plein droit, lorsque les conditions requises sont satisfaites, soit lorsque coexistent deux dettes certaines, liquides et exigibles.

[20]       Or, le 25 novembre 2000, la défenderesse à fait défaut et, selon le Contrat de mise en garantie d'épargne, la somme due en vertu du contrat de crédit est devenue immédiatement exigible. Par ailleurs, la clause 4 du contrat de dépôt à terme énonçait que « [a]ucune somme en capital ou intérêt n'est remboursable ni payable avant la date d'échéance » . Ainsi, parce qu'il n'y avait pas deux dettes exigibles, il ne pouvait y avoir compensation légale.

[21]       Toutefois, il y a eu, en l'occurrence, compensation conventionnelle. La compensation conventionnelle se réalise par le consentement mutuel des parties. Elle permet donc d'obtenir le même effet que la compensation légale, soit la double extinction des créances réciproques dans les cas où, pour une raison ou pour une autre, cette dernière est impossible en raison de la non-observation des conditions posées par la loi (Les obligations, supra, aux pages 781 et 782).


[22]       En l'espèce, la clause 7 du contrat de garantie indique que « il y aura compensation entre le contrat ou les contrats de crédits et le certificat de dépôt . . . que ceux-ci soient échus ou non » . Cependant, la clause précise plus loin que la caisse « peut notamment, sans préjudice de ses droits, attendre l'échéance du ou des certificats de dépôt avant d'exercer les droits prévus aux paragraphes b) et c) ci-dessus » .

[23]       Il y a deux faits additionnels qui sont importants ici. En premier lieu, l'estampe du 21 février 2001 qui apparaît sur la convention de dépôt témoigne de la date à laquelle la défenderesse, en notant la compensation, a manifesté son intention de s'en prévaloir. En second lieu, la défenderesse a continué à faire courir à l'encontre de sa débitrice l'intérêt dû sur la marge de crédit jusqu'en février 2001.

[24]       À mon avis, ces faits, ajoutés à la clause 7 du Contrat de mise en garantie d'épargne, démontrent que la défenderesse a choisi de ne pas exercer son droit à la compensation avant le 21 février 2001, comme noté sur la convention de dépôt, soit lorsqu'elle a arrêté de faire courir l'intérêt y stipulé.

[25]       La défenderesse invoque Forge M. Dembiermont S.A. c. Acier Solac Ltée et Banque Royale du Canada (le 30 mars 1995), Montréal 500-05-002722-914 (C.S.), pour soutenir que c'est lorsque naît le droit à la compensation que le tribunal doit noter celle-ci, et non la date à laquelle son inscription fut notée par la banque. Dans cette cause, toutefois, la situation était différente. Il n'y était pas question de compensation conventionnelle, mais bien de compensation légale. Il s'agissait plutôt de déterminer si la banque en cause avait tacitement renoncé, par son retard à régulariser son dossier, à la compensation « depuis longtemps acquise » (page 9 de la décision).

[26]       En l'espèce, c'est donc à bon droit que la protonotaire a conclu que la compensation avait eu lieu le 21 février 2001.


[27]       Pour toutes ces raisons, la défenderesse ayant fait défaut de démontrer quelque erreur déterminante dans la décision de la protonotaire Tabib, l'intervention de cette Cour n'est pas justifiée et la requête est rejetée avec dépens.

                                                               

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 22 novembre 2005


                                                               COUR FÉDÉRALE

                                     NOMS DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       T-1253-02

INTITULÉ :                                                      SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA c. CAISSE POPULAIRE DU BON CONSEIL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 1er novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  Le juge Pinard

DATE DES MOTIFS :                          Le 22 novembre 2005

COMPARUTIONS:

Me Nadine Dupuis                                            POUR LA DEMANDERESSE

Me Christian Méthot                                          POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                             POUR LA DEMANDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Boudreau, Méthot, Tourigny                              POUR LA DÉFENDERESSE

Drummondville (Québec)


                                                                                                                                  Date : 20051122

                                                                                                                             Dossier : T-1253-02

Ottawa (Ontario), ce 22e jour de novembre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                     (Ministre du Revenu national)

                                              ayant un bureau au 284, rue Wellington

                                                         Tour St-Andrew, 6e étage

                                                                Ottawa (Ontario)

                                                                      K1A 0H8

                                                                                                                                   Demanderesse

                                                                          - et -

                                          CAISSE POPULAIRE DU BON CONSEIL

                                             Coopérative dûment constituée en vertu

                                        de la Loi sur les caisses d'épargne et de crédit

                                                          ayant son siège social au

                                                             330 rue Notre Dame

                                               Notre Dame du bon Conseil (Québec)

                                                                       J0C 1A0

                                                                                                                                     Défenderesse

                                                                ORDONNANCE


La requête de la défenderesse, qui en appelle du jugement de Me Mireille Tabib, protonotaire, en date du 20 mai 2005, la condamnant, sur la base des paragraphes 227(4.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supplément), telle que modifiée (la LIR), et 86(2.1) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. (1996), ch. 23, telle que modifiée, à payer à la demanderesse la somme de 26 863,53 $ avec les intérêts prévus aux paragraphes 36(2) et 37(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, telle que modifiée, au taux prescrit en vertu de la LIR, et capitalisés quotidiennement à compter du 26 février 2001, jusqu'à parfait paiement, est rejetée avec dépens.

                                                                

                            JUGE

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