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Date : 20051128

Dossier : IMM-6770-05

Référence : 2005 CF 1609

ENTRE :

BALL ALBERT, BALL MARINAET BALL GERMAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

Dossier : IMM-6614-05

ET ENTRE :

BALL ALBERT

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

Défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Les choses ne vont pas bien pour la famille Ball, père Albert, mère Marina, fils German et Adam et leur fille Sonia. Albert, Marina et German ont déposé une revendication pour le statut de


réfugiés qui a été refusée et maintenant Albert est sujet à une ordonnance de renvoi. Il doit se présenter pour un renvoi en Israël le 5 décembre 2005. À date, aucune ordonnance obligeant Marina et German de se présenter pour un renvoi n'a été décernée.

[2]                Cette famille ne veut pas quitter le Canada. Toutefois, s'ils doivent quitter, Albert veut retourner en Israël alors que Marina veut retourner en Russie. Albert et Marina veulent chacun la garde de leurs trois enfants.

[3]                Albert et Marina sont présentement en instance de séparation de corps à la Cour supérieure du Québec. L'audience aura lieu le 8 décembre 2005. C'est une audience qui pourrait, entre autres, traiter de la question de la garde de leurs enfants. Il est donc primordial de se poser la question à savoir quelles sont les chances d'Albert d'accéder à la garde de ses enfants s'il est en Israël alors que Marina et ses enfants sont ici au Canada?

Les faits

[4]                Albert est né en Russie d'un père Juif et d'une mère chrétienne. Il se considère comme étant un chrétien. Marina est également née en Russie mais de deux parents chrétiens. Leur fils aîné German, présentement âgé de 15 ans, est né lui aussi en Russie. Leurs deux plus jeunes enfants, Sonia et Adam, sont tous les deux nés au Canada.

[5]                En 1996, Albert a invoqué son droit de retour en Israël en raison de ses origines juives. Lui, Marina et German ont ensuite déménagé en Israël. Cependant, la famille Ball était mécontente en Israël en raison de discrimination parce qu'ils étaient non seulement Russes mais aussi des chrétiens.

[6]                En novembre1999, Albert est arrivé au Canada avec sa famille en provenance d'Israël. Ce dernier a fait une demande d'asile dès son arrivée au Canada. En mai 2002, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (CISR) a rendu une décision négative sur la revendication du demandeur. La Cour fédérale a rejeté la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le demandeur en vue de contester la décision de la CISR. Ensuite, les demandeurs ont soumis une demande d'un processus d'examen des demandeurs non reconnus du statut de réfugiés au Canada (DNRSCR) qui est devenue une demande d'examen des risques avant renvoi (ERAR).    

[7]                Entre temps, Marina a donné naissance à Sonia en 2002 et à Adam en 2004. Le 21 septembre 2005, l'agent ERAR a rendu une décision négative à l'encontre de la demande ERAR du demandeur pour Albert, Marina et German. Il est à noter que comme Sonia et Adam ont tous les deux leur citoyenneté canadienne, ils ne sont pas assujettis à cette mesure de renvoi. Néanmoins, ils sont beaucoup trop jeunes pour pouvoir considérer les enjeux. La décision négative de l'agent ERAR fait l'objet d'une requête d'une demande de sursis devant cette Cour, soit le dossier IMM-6770-05.

[8]                Suite à la décision d'ERAR négative, la famille a été tenue de se présenter à une entrevue le 13 octobre 2005 avec les services frontaliers du Canada pour discuter de leur renvoi. Les cinq membres de la famille étaient présents. Lors de cette rencontre, Marina a informé l'agent d'immigration Meloche qu'elle et Albert étaient séparés depuis février 2005 et qu'elle ne voulait pas retourner en Israël mais en Russie. Albert a informé l'agent Meloche qu'il était pour entamer des mesures légales pour obtenir la garde des enfants. L'agent Meloche a fixé un autre rendez-vous avec Albert le 31 octobre 2005. Lors de cette rencontre, Albert a remis des documents relatifs aux procédures de séparation entreprises en Cour supérieure du Québec. L'agent Meloche a désigné ces documents comme étant non valides parce qu'ils étaient entérinés par un « greffier spécial » et ordonna que le renvoi d'Albert ait lieu comme prévu le 5 décembre 2005.

[9]                La deuxième question à trancher est la requête d'Albert Ball afin d'obtenir le sursis de l'exécution d'une mesure de renvoi émise contre lui, soit le dossier IMM-6614-05. Techniquement, la demande concernant Marina et German est prématurée puisque aucune date n'a été fixée pour leur départ. Toutefois, les défendeurs n'ont pas fait mention de ce point et donc cette Cour n'en fera pas mention non plus.

[10]            À priori, il importe de saisir que les présentes motifs concernent non seulement le dossier IMM-6614-0, mais également le dossier IMM-6770-05. Rien n'a été présenté devant cette Cour pour démontrer qu'une date a été fixée pour le renvoi de Marina et de German.

Questions en litige

[11]            Il y a deux questions en litiges à considérer, chacune individuellement. La première concerne le dossier IMM-6770-05. Est-ce que les demandeurs ont satisfaits aux trois critères énoncés dans l'arrêt Toth c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302? Soit, établir une question sérieuse, déterminer un préjudice irréparable et finalement la balance des convénients. La deuxième concerne le dossier IMM-6614-05. Est-ce que la Cour doit accorder un sursis de l'exécution du renvoi d'Albert Ball? Il est aussi important de noter que le demandeur fait mention du paragraphe 50 a) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi).


50. Il y a sursis de la mesure de renvoi dans les cas suivants :

a) une décision judiciaire a pour effet direct d'en empêcher l'exécution, le ministre ayant toutefois le droit de présenter ses observations à l'instance;

50. A removal order is stayed

(a) if a decision that was made in a judicial proceeding -- at which the Minister shall be given the opportunity to make submissions -- would be directly contravened by the enforcement of the removal order;

[12]            Le problème avec le fait que le demandeur invoque le paragraphe 50 a) de la Loi est le fait que le Ministre n'a pas été signifié comme partie jointe et ne peut donc présenter ses observations à l'instance.

[13]            Or, il faut évaluer les conséquences du fait que si Monsieur Ball est renvoyé le 5 décembre 2005, il ne pourra pas être présent pour l'audience du 8 décembre 2005 en ce qui concerne la charge de ses enfants. Il ne faut pas perdre de vue que cette procédure est la seule façon d'assurer que Monsieur Ball bénéficie d'une procédure juste et équitable.

La décision négative de l'agent ERAR

[14]            Le demandeur prétend que la décision de l'agent Meloche est manifestement déraisonnable parce que l'agent a seulement considéré la situation en Russie, ne considérant pas la situation en Israël. Le fardeau de la preuve repose sur le demandeur de présenter la preuve en ce qui concerne sa demande d'ERAR. Étant donné que le demandeur n'a pas soumis une preuve en ce qui concerne la situation en Israël, il ne peut par la suite critiquer l'absence de l'analyse de la situation de l'Israël par l'agent. La Loi cite clairement à l'article 113 ce qui est nécessaire dans une demande d'ERAR. De plus, la règle 161(2) précise que toute nouvelle preuve doit être présentée par le demandeur.

161. (1) Le demandeur peut présenter des observations écrites pour étayer sa demande de protection et peut, à cette fin, être assisté, à ses frais, par un avocat ou un autre conseil.

Nouveaux éléments de preuve

(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l'alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s'appliquent dans son cas.

161. (1) A person applying for protection may make written submissions in support of their application and for that purpose may be assisted, at their own expense, by a barrister or solicitor or other counsel.

New evidence

(2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

[15]            Les demandeurs ne peuvent pas uniquement faire la demande ERAR et ensuite prendre pour acquis que l'agent tiendra compte de tous les éléments s'ils ne lui sont pas présentés. Le fardeau de la preuve repose sur les épaules des demandeurs tel que cité par le juge Von Finckenstein dans l'arrêt Hailu v. Canada (Solicitor General), [2005] F.C.J No. 268 (QL).

[16]            Malgré l'argument présenté par le demandeur, les documents présentés devant cette Cour n'ont pas fait preuve de démontrer une question sérieuse. Le fardeau de la preuve repose sur les demandeurs et ils n'ont pas satisfait ce fardeau. La Cour ne peut donc pas accorder un sursis de la décision négative de l'agent ERAR.

Exécution d'une mesure de renvoi

[17]            La Cour n'est pas du tout en accord avec le fondement de la décision de l'agent d'immigration Meloche en ce qui concerne l'ordonnance de renvoi du demandeur. Lorsqu'il s'agit d'une mesure de renvoi, le libellé à l'article 48 de la Loi explique clairement que le renvoi doit être appliqué dès que les circonstances le permettent.

48. (1) La mesure de renvoi est exécutoire depuis sa prise d'effet dès lors qu'elle ne fait pas l'objet d'un sursis.

(2) L'étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent.

48. (1) A removal order is enforceable if it has come into force and is not stayed.

(2) If a removal order is enforceable, the foreign national against whom it was made must leave Canada immediately and it must be enforced as soon as is reasonably practicable.

[18]            L'affidavit de l'agent Meloche est le document clé influençant la décision de cette Cour. Ce document se trouve dans le mémoire des défendeurs dans le dossier IMM-6614-05. Il est clair que durant l'entrevue avec la famille Ball, Albert et Marina ont entamé des procédures de séparation, entres autres, parce que Albert veut retourner en Israël alors que Marina veut retourner en Russie avec les enfants. De plus, Albert argumente devant cette Cour que parce qu'il a invoqué son droit de retour il ne peut pas retourner en Russie. Toutefois, il n'y a aucune preuve de ce fait présentée dans la documentation.

[19]            Le vrai problème avec le raisonnement de l'agent Meloche est qu'il a désigné l'ordonnance de la Cour supérieure du Québec comme étant invalide. Il me semble qu'il a complètement mal compris la signification de cette ordonnance. L'agent Meloche semble faire allusion au fait que ce n'est pas une ordonnance officielle étant donné que le document a été signé par un « greffier spécial » . Malheureusement, cette interprétation est complètement fausse. Ce genre d'ordonnance a autant de valeur qu'une ordonnance de la Cour supérieure signée par un juge. Tout comme une ordonnance d'un protonotaire a autant de valeur qu'une ordonnance d'un juge de la Cour fédérale.

[20]            La requête en ce qui concerne la séparation d'Albert et Marina doit être présentée le 8 décembre 2005. D'une façon ou d'une autre, l'ordonnance actuelle de la Cour supérieure du Québec prévoit qu'Albert et Marina Ball ont la garde partagée pour German et Sonia; chaque parent ayant les enfants une semaine sur deux. En ce qui concerne le plus jeune, Adam, Albert ne peut le voir que les fins de semaines.

[21]            Tel que mentionné ci-dessus il est tout aussi important de noter que le paragraphe 50 a) de la Loi énonce qu'une décision judiciaire a pour effet direct d'empêcher l'exécution d'une mesure de renvoi si le Ministre a eu l'opportunité de faire des observations à l'instance. En l'espèce le Ministre n'était pas au courant des procédures devant la Cour supérieure de justice du Québec, car les parties ne l'ont pas signifié comme étant une partie jointe en ce qui concerne la requête qui aura lieu le 8 décembre 2005 et ce, à leur propre péril. Ils ne peuvent bénéficier de cet article sans que le Ministre soit effectivement signifié.

[22]            Il est aussi important de souligner que les parents Ball ont également deux jeunes enfants ayant la citoyenneté canadienne et que l'ordonnance de la Cour supérieure stipule clairement qu'aucun des parents ne peut déménager du Canada avec eux sans le consentement de l'autre parent. Il est clair que les deux enfants canadiens ont le droit de demeurer ici alors que German ne peut pas. Dans l'arrêt Alexander v. Canada (Solicitor General), [2005] F.C.J. No. 1416 (QL), la juge Dawson a rejeté une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'expulsion que l'ordonnance de renvoi de la demanderesse demeure exécutoire malgré une ordonnance de la Cour octroyant la garde de ses enfants mais empêchant leur déménagement de l'Ontario. Encore une fois, cette cause ne s'applique pas aux faits en l'espèce, surtout puisque le Ministre n'a jamais eu l'opportunité de faire des soumissions. Mais autrement la juge Dawson discute particulièrement d'un enfant de jeune âge ayant la citoyenneté canadienne. Elle mentionne au paragraphe 31 :

First, after awarding custody to Ms. Alexander, the orders went on to provide that Ms. Alexander's children "shall not be removed from the Province of Ontario". Applying the grammatical and ordinary sense of the phrase "directly contravened", as found in subsection 50(a) of the Act, I find that the orders would only be directly contravened if either of Ms. Alexander's children were removed from Ontario. The removal order applies only to Ms. Alexander, because her two children are Canadian citizens who enjoy an absolute right to remain in Canada. Thus, the removal order does not interfere with the physical location of Ms. Alexander's children. Faced with removal, Ms. Alexander could (as she had earlier contemplated if her request for a stay was unsuccessful) apply to the Ontario Court of Justice for a variation of its order, or Ms. Alexander could make arrangements to leave her children in Canada. Neither of those options would contravene the interim or final order.

[23]            Alors que dans l'arrêt Alexander, précité, la demande de sursis a été rejetée parce que les enfants avaient la citoyenneté canadienne, il ne faut pas oublier qu'en l'espèce German ne peut pas rester au Canada pour le moment. Donc, une ordonnance de garde exigeant que les enfants ne peuvent pas déménager du Canada est problématique en ce qui concerne German. Il est vrai que l'ordre de renvoi n'influence pas actuellement le libellé du paragraphe 50 a) de la Loi, cependant c'est uniquement parce que le Ministre n'a pas encore eu la chance de présenter ses observations. Chose qui doit être faite.

[24]            Ce qui est inéquitable, c'est cette notion qu'Albert peut être renvoyé sans avoir l'opportunité et le droit de faire ses représentations pour obtenir la garde de ses enfants. Tel que prévu par le paragraphe 48(2) de la Loi, il n'est pas équitable de déterminer que les circonstances permettent le renvoi d'Albert puisqu'il doit avoir l'opportunité de faire du litige portant sur la garde de ses enfants.

[25]            Les défendeurs prétendent que le demandeur ne satisfait pas aux trois critères énoncés dans l'arrêt Toth, précité. Il est clair que selon les critères énoncés dans l'arrêt Toth, précité, qu'il y a effectivement une question sérieuse puisqu'il existe une ordonnance de renvoi de Monsieur Ball lorsqu'il est une partie à un litige pour la garde de ses enfants. Il est aussi évident qu'il subira un préjudice irréparable puisqu'il n'aura pas l'opportunité de présenter sa cause lors de l'audience pour la garde de ses enfants et finalement sur la balance des inconvénients il est ridicule de croire qu'après avoir été au Canada pendant 5 ans qu'il ne peut demeurer ici pour un autre trois jours afin de participer à l'audience de garde.

Conclusion

[26]            Pour les motifs susmentionnés, dans un premier temps, la Cour rejette la requête en sursis de la décision négative de l'agent ERAR. Dans un deuxième temps, la Cour accorde un sursis de la mesure de renvoi d'Albert Ball en attendant la demande d'autorisation pour la demande de révision judiciaire de la décision de l'agent Meloche, et si accordée, le contrôle judiciaire de cette dernière. La Cour tiens aussi à souligner aux parties que le paragraphe 50 a) de la Loi ne peut s'appliquer que si le Ministre est signifié comme étant partie jointe pour qu'il puisse faire des représentations lors de l'audience le 8 décembre 2005.

« Sean Harrington »

JUGE

Ottawa (Ontario)

28 novembre 2005


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS

DOSSIER :                                                     IMM-6770-05

INTITULÉ :                                                    Ball Albert, Ball Marina et Ball German c. Le       Ministre de la citoyenneté et de l'immigration

ET DOSSIER :                                               IMM-6614-05

INTITULÉ :                                                    Ball Albert c. Le Ministre de la sécurité publique et           de la protection civile

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            21 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                   28 novembre 2005

COMPARUTIONS:

Me Anthony Karkar                                          POUR LES DEMANDEURS

Me Simone Truong                                            POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Anthony Karkar                                          POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)                                           

John H. Sims, c.r.                                              POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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